Partie de l'interview ayant à voir avec l'enfant Elián González concédée par Fidel Castro Ruz, président du Conseil d'Etat de la République de Cuba, à Andrea Mitchell, correspondante principale de politique étrangère de la chaîne de télévision NBC-New, à l'Ecole latino-américaine de sciences médicales, le 14 décembre 1999, Année du quarantième anniversaire de la Révolution.
Andrea Mitchell
. Nous avons conversé avant de l'enfant qui reste aux Etats-Unis et du dommage que cela peut lui causer. Vous me disiez que plus il y restera, et plus cela pourra perturber sa personnalité. Quelles sont vos inquiétudes à ce sujet?Castro Fidel. L'une des choses qui a le plus bouleversé notre peuple, c'est de voir qu'on inonde cet enfant de jouets sophistiqués, qu'on l'a même fait monter sur un avion miniature pour devenir pilote de [l'organisation contre-révolutionnaire] Frères à la rescousse, qu'on lui a enfilé des vêtements et des tee-shirts portant l'emblème de la trop fameuse Fondation nationale cubano-américaine, qui n'est pas nationale, mais binationale en tout état de cause, parce qu'elle est composée d'anciens Cubains et d'une quantité indéterminée de Nord-Américains... Et ça a beaucoup blessé, mais alors beaucoup, notre peuple !
J'ai lu avant-hier dans des dépêches de presse que le jeune Mas Santos [successeur de son père à la tête de la Fondation nationale cubano-américaine] dont je ne sais s'il est saint, mais qui est incontestablement naïf, - et de plus insolent envers le président des Etats-Unis - a emmené l'enfant avec lui pour tenter d'entrer dans la salle du banquet que présidait Clinton en vue de collecter des fonds électoraux. Pour un peuple comme le nôtre qui possède une bonne culture politique, il est extrêmement offensant que le président de cette Fondation - créée voilà quelques années par le gouvernement des Etats-Unis à des fins spécifiques et qui pratique même le terrorisme - manipule un enfant de la sorte : le conduire à un banquet de collecte de fonds pour un parti politique est vraiment le comble !
Je sais que la famille, le papa, qui vit à Cuba, a passé plus de quarante-huit heures sans pouvoir parler à l'enfant, d'abord parce qu'on l'habillait et le préparait pour le banquet de collecte de fonds, et ensuite, le dimanche et le lundi, parce qu'on l'a amené à Disneyland où il a même passé une nuit dans un bungalow et où on l'a pris en photo dans ce monde de fantaisie.
Pendant cinquante heures, la famille n'a pas pu parler à l'enfant. Elle n'a pu le faire qu'hier, et encore, les conversations sont minutées, rationnées, sous pression...
Ces choses irritent. Et des scientifiques, des psychologues, des spécialistes en psychologie infantile, des spécialistes en pédagogie, tous des gens éminents, s'inquiètent de voir les monstruosités que l'on commet, aux yeux du monde, contre cet enfant de six ans. Voilà pourquoi une table ronde sera organisée jeudi prochain, dans deux jours, avec la participation de plusieurs des personnes les plus qualifiées en la matière, qui discuteront du thème suivant : combien de temps faut-il pour modifier le psychisme d'un enfant de six ans. Parce que le facteur temps joue un rôle important. Sans parler du fait que la famille souffre terriblement, surtout le père et les grands-parents, d'autant plus qu'ils ont le droit d'avoir l'enfant avec eux. Tous les jours comptent, et le temps est devenu un point vital.
Et la question est la suivante : combien de temps faut-il pour modifier le psychisme d'un enfant de six ans.
Andrea Mitchell. Etes-vous inquiet que l'enfant puisse dire à un moment donné qu'il veut rester aux Etats-Unis ? Qu'il soit séduit par tous ces jouets et par toutes ces choses ?
Fidel Castro. Gabriela Mistral - je vous ai déjà parlé d'un article d'elle publiée hier dans le journal non, des travailleurs - affirmait que l'enfant ne vit ni dans l'avenir ni dans le passé, qu'il vit dans le présent. Et on tente aux yeux du monde d'éblouir l'enfant avec ces choses-là. D'après ce que me racontent le papa et les grands-parents, l'enfant est soumis à des contraintes, à de très fortes contraintes, et les parents éloignés de Miami leur ont affirmé crûment que l'enfant leur a dit qu'il ne veut pas vivre à Cuba. Une radio, selon une publication de Miami, a affirmé qu'on a entendu l'enfant dire à voix basse à sa cousine lointaine qu'il ne voulait pas rentrer chez son père.
Le hic, c'est que la vraie famille de Cuba ne se résigne pas à cette idée, et que le peuple ne se résigne pas non plus à l'idée qu'on puisse, par ces procédés cyniques, s'efforcer de modifier sa mentalité, de le déraciner de sa vraie famille, des êtres les plus chers, de rompre les liens que possède cette créature innocente et sans défense, de briser tout ça. Que restera-t-il de l'identité de cet enfant ?
La réponse que nous voulons donc des scientifiques et des spécialistes est en combien de temps on peut modifier le psychisme d'un enfant à un si jeune âge.
J'ai demandé à différentes personnes, pas des spécialistes : Peut-on changer le psychisme d'un enfant en un mois ? Et elles m'ont répondu : oui.
Alors, je me demande : Pourquoi veut-on retarder la solution ? Serait-ce donc pour pouvoir modifier le psychisme de cet enfant, pour détruire son psychisme ? Que restera-t-il du psychisme de cet enfant ? Comment se réadaptera-t-il à sa vraie famille ? Je sais combien souffrent les vrais parents justement de percevoir une certaine timidité chez l'enfant à certains moments, comme si on tentait de l'arracher à la tendresse de son papa. C'est un crime, un des crimes les plus monstrueux !
Si vous voyez un enfant qu'on est en train d'assassiner, en lui arrachant la vie par morceaux, vous ne seriez sûrement pas d'accord. Si vous voyez qu'on est en train de détruire le psychisme d'un enfant en le lui changeant du tout au tout à des fins honteuses de propagande, alors vous jugeriez que c'est pire, pire que la mort physique, et je suis convaincu que de nombreuses personnes ont fini par prendre conscience qu'il s'agit en fin de compte de la destruction du psychisme d'un enfant de six ans !
Vraiment, je ne vois pas du tout comment un dirigeant des Etats-Unis pourrait venir nous parler maintenant des droits de l'homme - pour n'aborder que ce point et sans entrer dans un autre terrain - s'il permet une chose pareille dans son pays. Et notre peuple n'est pas disposé à le permettre, un point c'est tout, et il ne se résignera pas facilement à ces manigances. Voilà la situation.
Hier, tout le monde a su - et notre télévision l'a dit - que le papa avait accepté de rencontrer un fonctionnaire des Services d'immigration et de naturalisation des Etats-Unis, à lui donner toutes les preuves de sa paternité. Pourquoi faut-il donc ajourner la solution ? Voilà le point clef.
Après-demain, la population cubaine apprendra quels sont les effets sur la mentalité et sur le psychisme de cet enfant de six ans de cette séquestration prolongée, de cet étalage de choses éblouissantes auquel on le soumet. La science va dire le dernier mot. Oui, je suis préoccupé parce que notre population perd patience, parce qu'elle est pleine d'amertume, vraiment indignée.
Notre peuple va-t-il se résigner ? Il ne va pas faire la guerre, bien entendu, il ne va pas recourir à la violence. Tout d'abord, parce que j'estime avoir assez d'ascendant sur la population pour décourager toute action violente; ensuite, parce que notre peuple est un peuple éduqué, qui comprend les choses. Bref, la lutte ne se déroulera pas sur ce terrain. Mais ce sera une bataille d'opinion nationale et mondiale, et qui ne cessera qu'au retour de l'enfant. Je tiens à le dire en toute franchise.
Maintenant, il va y avoir une trêve : pas de manifestations, pas de mobilisations. Mais si cela se prolonge une minute de plus de ce qui est supportable, alors elles reprendront. Il n'y aura pas de dommages matériels et ce pour deux raisons : la culture politique de notre peuple, comprenez-vous, et l'ascendant des dirigeants de notre pays, de nos organisations politiques et de masse auxquels la population fait confiance. Je ne vois donc aucun danger de ce genre. Dans quoi allons-nous donc nous lancer ? Dans une bataille d'opinion, non seulement nationale, mais encore mondiale.
Je crois que les autorités nord-américaines se sont mises dans une situation insoutenable. Et cette bataille, nous la poursuivrons d'une façon ou d'une autre jusqu'à ce que l'enfant soit rendu à sa famille et à sa patrie.
Pour l'instant, c'est la trêve, vraiment. Espérons que la solution ne traîne pas, parce nous avons beaucoup de mal, mais vraiment beaucoup de mal, tant que cet enfant restera là-bas - parce que ceci a beaucoup frappé la sensibilité de notre peuple - à l'empêcher de s'exprimer comme cela apparaît dans ce tableau-ci, par exemple, qui est de l'un de nos meilleurs peintres (il indique un tableau de Mariano accroché au mur de la salle représentant une foule révolutionnaire).
De fait, actuellement, il n'y a pas de mobilisations, pas de manifestations. J'ai moi-même beaucoup de mal à le dire. Et croyez-moi, je vous le dis sincèrement, nous avons fait l'impossible dès le début pour l'éviter. En fait, on a mal interprété mes paroles quand j'ai dit : Il reste peu de temps avant qu'une grande protestation ne se déclenche à Cuba et dans le monde...
Je crois qu'on a progressé, je ne vais pas le nier, et ce progrès a eu lieu dimanche et lundi derniers, à partir des échanges de notes diplomatiques entre les deux gouvernements. Disons qu'on a progressé en deux jours, au sens que toutes les conditions d'un règlement honorable ont été créées.
La condition requise qui semblait l'obstacle principal a été réglée de façon satisfaisante, grâce à la rencontre entre le papa et la famille, d'une part, et le représentant des Services d'immigration des Etats-Unis et le chef politique de la Section d'intérêts, de l'autre.
Les preuves de la paternité sont irréfutables. On demande des documents au papa pour qu'il prouve sa paternité, et pourtant on a donné l'enfant à un grand-oncle ou quelque chose de ce genre sans lui demander un seul document qui le prouve !
Voilà où nous en sommes : on a fait des progrès, mais je constate que d'autres questions, d'autres problèmes occupent l'esprit des Nord-Américains, et cela risque de faire reculer la solution sans raison, et peut-être même indéfiniment, comme je vous ai expliqué. Or, comme il s'agit d'un enfant qu'on est en train d'assassiner sur les plans spirituel et mental, le temps disponible pour tenter de l'éviter est très limité.
Andrea Mitchell. Vous n'auriez pas un message à adresser à Bill Clinton à ce sujet?
Fidel Castro. Non, aucun message en particulier. Beaucoup de gens apprécient Clinton aux Etats-Unis, et il y a assez de gens pour le conseiller. J'ai mon idée là-dessus, que je vous ai dite le premier jour où nous avons parlé, vous et moi. Je sens qu'il souhaite que l'enfant rentre le plus vite possible. Mais je doute qu'il puisse y parvenir, parce qu'allez savoir quelles mesures avocassières vont adopter les autres pour retarder cette décision ! Un retard dans le retour de l'enfant, que toute la population attend, aurait vraiment sur l'esprit de celle-ci l'effet d'une bombe. Voilà où nous en sommes.
Nous avons souhaité dès le début que ce grave différend n'éclate pas. Je vous ai raconté que ce n'est que le 2 décembre que j'ai pu commencer à m'occuper de cette histoire. Le papa de l'enfant a écrit le 26 novembre, et c'est le 27 que notre ministère des Relations extérieures a présenté sa note. Aucune réponse pendant onze jours. Mais ce n'est que le 2 décembre, six jours après la lettre du papa, que j'ai pu m'occuper de ça. Je l'ai invité parce que je souhaitais le connaître, savoir ce qu'il pensait, ce qu'il souhaitait, connaître son attitude vis-à-vis de l'enfant. Je lui ai demandé tous les détails indispensables. Avant de mettre en branle quoi que ce soit, je voulais bien connaître toute la vérité.
Une bataille d'opinion dans le pays et à l'extérieur, vous ne la livrez que si vous avez des arrières solides, comprenez-vous ?
Andrea Mitchell. Il faut que vous sachiez que des gens aux Etats-Unis ont dit que le père est soumis à des pressions de la part du gouvernement qui l'empêche de parler librement.
Fidel Castro. Et comment puis-je prouver que c'est faux ? Faut-il l'envoyer à Miami pour qu’autorités, juges et fonctionnaires vénaux, mafia terroriste et extrémistes envers lesquels le gouvernement des Etats-Unis montre tant de tolérance et qu'il soutient tant le dévorent à eux tous comme un agneau à l'abattoir ? Le papa, dès le premier jour - j'en suis témoin, et nous avons des preuves - a dit qu'il ne voulait pas aller aux Etats-Unis, il a dit en plus qu'il exigeait le retour immédiat de son fils et qu'il n'admettait même pas d'entrer en contact avec la Section d'intérêts.
Cárdenas compte plusieurs dizaines de milliers d'habitants, qui le connaissent bien, lui et sa famille : des professeurs, des instituteurs, et bien d'autres personnes décentes et honnêtes. Que lui arrivait-il ? Eh bien, qu'on ne le laissait pas en paix une minute, ni de jour ni de nuit. Son téléphone n'arrêtait pas de sonner, une nuée de journalistes, des appels le jour et la nuit... en plus, il vivait sous le choc de cet enfant qu'on lui a séquestré, alors qu'il estime, avec juste raison, avoir droit à cet enfant qu'il a élevé et dont il s'est occupé avec soin. Au point que bien souvent cet enfant dormait chez sa propre famille à lui, la nouvelle, parce que la maman devait parfois travailler jusqu'à très tard, deux ou trois heures du matin, et que l'enfant dormait chez le nouveau couple, car il s'est remarié et a un bébé de trois mois. Eh bien, le petit Elián dormait dans le même lit que le couple.
Le certificat de l'hôpital indique ce qui suit : En cas d'urgence, avertir le père. C'est donc un papa qui s'occupait vraiment de son enfant, parfois même avec obsession.
C'est lui qui a écrit la lettre au ministère des Relations extérieures pour demander de l'aide. Personne ne lui a dit : Ecris cette lettre ! Il l'a écrite quelques heures après avoir appris que son fils était hospitalisé aux Etats-Unis. Il était terriblement touché. Et il l'est toujours, parce qu'il est très proche de l'enfant. Et il n'arrête pas de lui téléphoner quand ceux de là-bas le lui permettent.
Quand je suis allé visiter l'école de l'enfant, le papa était épuisé; sa femme, qui allaitait un bébé de trois mois, était tendue et malade, et le bébé avait de la diarrhée depuis trois jours. Vous comprenez ? Alors, il a décidé de quitter le foyer et d'aller vivre ailleurs avec sa femme et le bébé. Et ce que nous faisons, nous, c'est l'informer pas à pas, dans tous les détails, de l'évolution de la situation.
Il a lu la lettre du Service d'immigration des Etats-Unis lui demandant tous les renseignements. Peu de temps s'est écoulé depuis que l'affaire a éclaté. La première réponse des autorités nord-américaines est arrivée le 8, soit onze jours après; Cuba a répondu le 9, à 15 h 12. Notre note contenait des remarques et plusieurs questions relatives aux thèmes abordés, sur certains concepts légaux et juridiques contenus dans la réponse nord-américaine.
Le 9, à 16 h 20, des fonctionnaires du département d'Etat ont eu une conversation d'environ deux heures à Washington avec le chef de notre Section d'intérêts. C'est le 10 au matin que nous avons reçu un rapport circonstancié sur cette conversation, qui a porte sur les remarques et les questions de notre note.
Ce même jour, nous avons rédigé une nouvelle note de sept ou huit pages à double espace, exposant nos positions au département d'Etat, en toute clarté. Nous avons dû attendre environ une cinquantaine d'heures la réponse, qui est arrivée le dimanche 12, vers 10 h 30, une note brève, où le département d'Etat insistait sur l'importance décisive de la rencontre avec le père. Celui-ci avait donné un pouvoir à la mère, ce qui prouvait sa paternité. Les autorités nord-américaines ne refusaient pas entièrement la possibilité d'accepter ce pouvoir, mais elles affirmaient que le plus important, ce qui serait décisif, c'était le contact de fonctionnaires de la Section d'intérêts avec le père.
Dans notre réponse à cette troisième note nord-américaine, qui est donc arrivée dimanche matin, nous allions réitérer nos positions et nos arguments. Nous avons répondu en fin d'après-midi, parce qu'il a fallu chercher une série de données indispensables, y compris à travers notre Section d'intérêts à Washington, et nous avons dit que sur le point concret de la rencontre avec le père sur laquelle ils insistaient, nous les informerions plus tard, car nous devions en parler d'abord à la famille : en effet, nous ne pouvions rédiger une note en disant oui, sans que la famille, et surtout le père, n'ait donné son accord.
Nous avons donc informé la famille, car le père devait prendre une décision. En fait, ce n'est pas lui tout seul, mais toute la famille qui l’a prise. C'est donc tard dans la nuit du dimanche 12 que celle-ci a reçu un récit complet et détaillé de tout ce qui s'était passé, depuis l'envoi de la lettre du père au ministère des Relations extérieures jusqu'à la teneur de la dernière note nord-américaine arrivée le dimanche matin, à laquelle nous avions répondu en signalant dans un paragraphe que nous répondrions plus tard au sujet de la rencontre avec le papa, car, je le répète, il était indispensable d'entrer d'abord en contact avec toute la famille, de lui expliquer la situation et de lui demander de prendre une décision. Je me vois contraint de vous expliquer certains des points discutés, sans révéler la teneur des notes échangées.
Andrea Mitchell. Oui, mais si l'impasse se prolonge, si la situation ne s'arrange pas, que fera Cuba ? Parce qu'on craint aux Etats-Unis que vous n'ouvriez les frontières et qu'on n'assiste soudain à un nouvel exode de réfugiés. Serait-ce une option ?
Fidel Castro. Je ne pense pas. Nous traitons cette question avec beaucoup de sérieux, conscients de son importance. Comme vous l'avez vu, la réunion sur les accords migratoires [examen bi-annuel de la marche des accords migratoires signés entre les USA et Cuba] a bien eu lieu hier, et chaque partie a exposé avec calme ses raisons et ses arguments, durant toute la journée. Cuba n'a pas entravé cette réunion sur les questions migratoires, qui sont pourtant très liées au problème de cet enfant, car, sans cette fameuse Loi d'ajustement cubain [aux termes duquel tout Cubain parvenant à mettre les pieds en territoire nord-américain, même illégalement, reçoit ipso facto le permis de séjour et de travail], ce cas-ci et bien d'autres ne se produiraient pas.
Le cas de cet enfant est un exemple dramatique des conséquences de cette Loi d'ajustement cubain, qui, depuis trente-trois ans, incite les gens à émigrer illégalement.
Nous avons séparé ce cas d'Elián du problème migratoire, et une chose n'a pas entravé l'autre. Nous ne l'avons même pas insinué. Alors que nous aurions eu des raisons à revendre pour suspendre cette réunion, mais il ne nous a pas paru constructif de le faire et de nous mettre à amalgamer les accords migratoires au problème concret de l'enfant séquestré, bien que tout ce qu'il est arrivé à cet enfant et aux parents, aux personnes qui sont mortes dans le naufrage soit de fait associé à cette loi et à d'autres dispositions migratoires qui servent uniquement à inciter les Cubains à émigrer illégalement.
Il existe des centaines de peuples et des milliers d'ethnies dans le monde, mais c'est à un seul peuple et à une seule ethnie que les Etats-Unis appliquent cette politique migratoire. À personne d'autre !
Voulez-vous que cela cesse ? me demanderez-vous. Cela nous semblerait le plus constructif, parce que si les Etats-Unis décident de maintenir cette loi, alors il faudrait demander une loi d'ajustement pour tous les pays latino-américains, une loi d'ajustement pour les Mexicains, pour les Centraméricains, pour les Sud-Américains. Nous ne sommes pas si égoïstes que nous souhaitions une loi pour nous seuls !
Andrea Mitchell. Mais, monsieur le président, le gouvernement des Etats-Unis dit que vous êtes le seul pays communiste restant, le seul pays où il n'y pas d'élections libres, où il n'y a pas de liberté d'expression...
Fidel Castro. Si nous nous lançons dans ce thème, toutes les cassettes de votre cadreur ne vont pas suffire ! Je ne crois que nous devions aborder ces points, et veuillez m'en excuser. Je ne veux pas parler de ça maintenant, ni faire de comparaisons. Je ne crois pas que ce soit très utile. Sur cette question-là, on pourrait parler dix heures de suite, un jour entier.
En tout cas, je ne peux accepter que nous soyons le seul pays communiste et qu'il n'y a pas d'élections libres ici. J'accepte avec orgueil que nous sommes un pays communiste, mais pas le seul, nous n'avons pas ce si grand honneur. Grâce à nos idées socialistes et communistes, nous sommes parvenus à créer un système social qui est, à mon avis, à mon humble avis - et je peux le prouver mathématiquement - bien plus humain et qui peut compter sur un soutien intérieur bien plus solide qu'aucun autre système nulle part ailleurs, parce qu'il est plus solidaire, plus fraternel, que l'égoïsme n'y a pas cours, et que tout le peuple participe vraiment à sa construction et à son développement. Dans les autres pays, soumis à l'ordre capitaliste, chaque individu mène une guerre contre les autres. C'est bien connu. D'Adam Smith à ce monde quasi mondialisé d'aujourd'hui, nous avons eu l'occasion de voir ce qu'il se passe dans le monde et qui ne se passe pas ici.
Mais permettez-moi de vous suggérer d'en parler un autre jour. Je peux en tout cas ratifier au peuple nord-américain, dont je sais qu'il est bourré de préjugés, que nous nous sentons fiers de nos idéaux, de la société que nous avons créée à Cuba et grâce à laquelle nous pouvons faire les choses dont j'ai parlé auparavant après la visite de l'Ecole latino-américaine de sciences médicales. Mais nous n'avons pas l'honneur - c'en serait trop - d'être le seul pays communiste.
Andrea Mitchell. Je voulais dire : sur ce continent-ci. Pensez-vous que la question de cet enfant peut se convertir en un obstacle permanent entre nos deux pays ?
Fidel Castro. Non, parce que cette question ne saurait être permanente ! Les Etats-Unis ne sont pas en mesure de payer le prix terrible que ça leur coûterait de continuer de séquestrer cet enfant, et je fais confiance au bon sens des Nord-Américains, au bon sens et à l'intelligence de leurs hommes politiques les plus réalistes, et les autorités ne vont pas s'enferrer dans leur erreur. Voilà pourquoi ce ne sera pas un obstacle permanent. Ce sera en tout cas un argument massue pour prouver combien il y a d'hypocrisie en ce monde, et combien de crimes terribles on peut commettre, dont celui-ci n'est qu'un tout petit échantillon.
Je pourrais parler des enfants qui s'entretuent dans les écoles. Nous avons peur qu'Elián n'en vienne à mourir dans un échange de coups de feu à l'école; nous avons peur des drogues qu'on consomme là-bas et qui n'existent pas ici; nous avons peur que, malgré les bonnes choses qui existent aux Etats-Unis sur le plan matériel, cet enfant non seulement n’en vienne à perdre son identité, mais encore qu'il se voit privé des nombreuses bonnes choses qui lui sont assurées, des points de vue social, moral, spirituel et humain, sur la terre où il est né. La part la plus honnête et la plus patriotique de notre peuple redoute, je puis vous l'assurer, la vie dans la société nord-américaine. Voilà donc mon point de vue : cette affaire ne peut s'éterniser, vous le verrez. Il est impossible qu'elle s'éternise, si bien que ça ne sera pas un obstacle aux relations entre nos deux pays.
Je vous ai dit que d'importants secteurs des Etats-Unis veulent que l'enfant soit rapatrié. Donc, quand nous protestons et dénonçons à la face du monde ce qui se passe et que nous livrons une bataille, nous nous battons aussi pour ceux qui, aux Etats-Unis, estiment que le plus juste et le plus correct est de rapatrier l'enfant. Il ne s'agit pas d'une bataille contre les Etats-Unis, ni même contre tous les secteurs politiques des Etats-Unis : il s'agit d'une bataille contre ceux qui s'opposent au retour de l'enfant, et jusqu'à une bataille en faveur des Etats-Unis. Oui, je le dis en toute franchise, parce que j'en suis absolument persuadé : plus tôt les autorités régleront cet problème, et mieux elles redoreront le blason de leur pays; plus elles en ajourneront la solution, et plus le prix à payer sera lourd pour les Etats-Unis du point de vue politique, du point de vue moral et du point de vue du prestige.
Je prie les Etasuniens de ne pas me considérer comme un adversaire de leur pays, que je dois appeler d'une façon et que j'appelle les Etats-Unis quand il me faut dénoncer le pays où ce crime se commet. En tout cas, nous sommes au moins en train de lutter aux côtés de bien des gens qui souhaitent aux Etats-Unis que justice soit faite et que l'enfant soit libéré. Après ça, il faudra panser les blessures. Le seul avantage qu'en aura alors tiré notre peuple, c'est d'avoir un peu plus de conscience et de culture politique qu'il n'en avait quand tout ceci a commencé.
Andrea Mitchell. Je vous remercie, monsieur le président, vous avez été très patient avec nous.
Fidel Castro. Je n'ai pas eu besoin de m'armer de patience, je l'ai fait avec beaucoup de plaisir, en sachant même que c'était constructif.
Le jour viendra où nous pourrons parler d'autres choses. Comptez sur moi.
Andrea Mitchell. Merci de nous avoir reçu dans cet établissement. Je pense qu'il y a vraiment des choses très intéressantes à en raconter, ainsi que sur les idées qui le sous-tendent, et nous pensons le faire.
Fidel Castro. J'espère que vous aurez le temps de monter au moins une partie de tout ce que je vous ai raconté (rires).