Allocution prononcée par Fidel Castro Ruz, premier secrétaire du Comité central du Parti communiste de Cuba, président du Conseil d'Etat et président du Conseil des ministres, lors de la remise de médaille José Bonifacio (grade de Grand Officier) à l'Université de l'Etat de Rio de Janeiro (Brésil), le 30 juin 1999
Autorités de l'Etat et de la ville,
Recteurs,
Professeurs,
Etudiants,
Travailleurs,
Amis de Cuba,
Vous m'avez confié tant d'honneurs, tellement supérieurs à ce que je peux vraiment mériter que je ne peux y voir autre chose qu'un grand esprit de solidarité et de générosité.
Vous étiez impatients de m'entendre parler - m'a-t-on dit. Eh bien, le seul qui ne l'était pas, c'était moi (rires et applaudissements).
Je me suis trouvé bien des fois à une tribune, mais je me suis vu rarement, sinon jamais, devant une tâche aussi difficile. En plus, je me suis fait à moi-même la promesse de ne pas parler plus de deux heures (rires) et, croyez-moi, je vais tenter sincèrement de la tenir (rires et applaudissements).
C'est que vous m'avez suggéré tant de choses, vous m'avez fait rappeler tant de moments et d'épisodes des années écoulées que, si je me laisse emporter par les souvenirs, eh bien ! je dépasserais largement ces deux heures. Il vaux donc mieux, je pense, que je me concentre sur quelques thèmes. De plus, j'ai bien l'intention de répondre à l'invitation que m'ont faite les délégués des étudiants de tout le Brésil por que je me réunisse demain avec eux. Je ne pourrais pas vous dire à vous tout ce que je dois dire aux deux réunions, ce serait long, et mieux vaut diviser. Je devais décider du thème, et puisque nous sommes à Rio et que la conférence au Sommet entre l'Union européenne et l'Amérique latine et les Caraïbes vient de se tenir, mon devoir est de vous donner quelques impressions à son sujet, mais rien que d'une partie de ce Sommet.
Bien entendu, il n'a pas été facile pour moi, ce Sommet. Je suis le démon (rires), Cuba est un enfer (rires). Ils l'ont dit tant de fois, tant et tant de fois, nos voisins du Nord... Non, je dis mal : nos adversaires parmi nos voisins du Nord, des voisins qui ont été si longtemps trompés. Car le peuple nord-américain n'est pas coupable des nombreux crimes historiques que cet empire a commis, même avant de naître à ce titre. Je n'accuse jamais, pour une question de principe, le peuple nord-américain. Tout ce qu'on pourrait dire en fait, en rappelant cette fameuse phrase de Lincoln, c'est que vous pouvez tromper tout un peuple une partie du temps, ou une partie du peuple tout le temps, mais que vous ne pouvez pas tromper tout un peuple tout le temps (applaudissements). Même si la mondialisation de notre planète a entraîné la mondialisation du mensonge (applaudissements). Et pourtant, je pourrais dire pareil : vous pouvez tromper une partie du monde tout le temps, ou tout le monde une partie du temps, mais vous êtes la preuve vivante qu'il n'est pas possible de tromper tout le monde tout le temps (applaudissements). Et ça, c'est le début de la vérité mondial et donc de la victoire mondiale.
Je lis tous les jours des dépêches de presse, deux cents, trois cents, c'est une veille habitude, et je sais tout ce qui se dit dans le monde et même une partie de ce qu'il s'y passe. Et vous finissez presque par devenir un spécialiste dans l'art de savoir combien on profère de mensonges dans le monde et combien on en occulte, et quels sont les mécanismes en jeu. Tenez, bien souvent, vous lisez le titre d'une dépêche, et quand vous en lisez le contenu, vous vous rendez compte qu'il n'a rien à voir avec le titre. Ce sont là des techniques de manipulation des nouvelles, si bien que les journaux publient le titre en question, et ensuite la nouvelle. D'autant que bien des personnes dans le monde, c'est malheureux à dire, ne lisent que le titre.
Le fait est que les gens ont beaucoup perdu l'habitude de lire dans notre monde, parce qu'il existe d'autres médias importants et utiles de divulgation des idées : la radio, d'abord, et maintenant la télévision. Qui, elles aussi, se sont mondialisées. Vous avez de grandes chaînes qui transmettent leurs messages dans tous les recoins du monde, des médias audiovisuels qui ont une grande influence et qui sont pour la plupart aux mains de nos voisins du Nord. Oui, nos voisins du Nord sont propriétaires de la plus grande partie des médias et des moyens de communication, de presque tous les satellites - qui vont finir un jour par obscurcir le Soleil (rires) - de l'industrie de production cinématographique la plus puissante, de la plus puissante industrie de production de séries télévisées et de vidéo-cassettes.
Certains chercheurs ont étudié ce phénomène dont il faut être conscient. Lequel de nos pays peut dépenser trois cents millions de dollars dans un seul film, amortir les coûts sur le marché intérieur des Etats-Unis et, après avoir gagné beaucoup d'argent, le distribuer dans le monde à n'importe quel prix ? Les statistiques indiquent quel pourcentage des films, des séries télévisées que voient les Latino-Américains sont nord-américains, quel pourcentage des vidéo-cassettes qui circulent dans le monde sont nord-américaines. Dans certains pays de notre continent, en gros 90 p. 100 de ce qui circule dans les cinémas et à la télévision est nord-américain. Et tout ça est élaboré et conçu dans un esprit commercial et pour divulguer ce que cette société-là a accumulé de pire. La violence, par exemple. Je crois avoir lu une fois que 65 p. 100 de ces films et de ces séries ont à voir avec la violence. Aucun autre pays au monde ne produit des films, des séries, etc., contenant un pourcentage aussi élevé de violence, de sexe, d'extravagances (applaudissements). Et c'est avec ces choses-là, produites dans un esprit foncièrement commercial, qu'ils empoisonnent, bernent et trompent une grande partie du monde. C'est peut-être là un des problèmes les plus sérieux que nous avons aujourd'hui.
Un film de trois cents millions ne fait pas de recettes seulement par sa distribution. Ces gens-là l'associent à des programmes commerciaux, à la vente de produits, au point que certains finissent par faire des recettes de plus d'un milliard de dollars. Tout se mêle. Et ces grandes compagnies de communication, de cinéma et de tout le reste tendent à s'unir.
Je ne veux pas dire par là qu'il n'existe pas de bons films, et même de très bons... En tout cas, nous, nous avons un mal de chien à choisir les films que nous présentons au cinéma et à la télévision, au moins deux ou trois par semaine.
L'Europe, qui produisait beaucoup de bons films voilà trente ou trente-cinq ans, ne les produit, c'est un fait, sauf exceptions, et elle est pratiquement écrasée par l'agression culturelle des Etats-Unis. Dans certains pays, comme en Grande-Bretagne, presque 80 p. 100 de ce qu'on projette est d'origine nord-américaine, et dans bien d'autres pays cultivés d'Europe, c'est 60, 65 ou 70 p. 100. La seule exception, là-bas, c'est la France, avec un pourcentage inférieur de 50 p. 100, parce qu'elle tente de défendre sa culture de cette invasion, elle y met son point d'honneur.
À leur dernier congrès, les écrivains et artistes cubains, un congrès culturel, donc, qui s'est tenu voilà quelques mois, les centaines de délégués étaient tous d'accord sur un point : l'agression culturelle dont l'Amérique latine et le monde sont victimes de la part de cette production nord-américaine au service d'une idéologie et d'un modèle de consommation. Un modèle de consommation qui, appliqué au monde entier, accélérerait ce qui serait à coup sûr la fin de l'Histoire. Mais pas cette fin de l'Histoire que certaines gens euphoriques ont proclamée lorsque le camp socialiste s'est effondré : non, l'abîme où nous conduirait cette voie qu'a empruntée aujourd'hui la société de consommation.
Quelqu'un - le président de l'Assemblée, je crois - a parlé de la quantité d'affamés, de pauvres dans le monde. Ce ne sont pas les chiffres qui manquent. Et ce ne sont pas des centaines de millions de personnes, mais des milliards. De nos jours, 80 p. 100 de la population mondiale est pauvre, sans inclure les Chinois. Qui sont pauvres, mais qui mangent tous les jours, s'habillent, se chaussent, ont un toit, des services médicaux, des écoles (applaudissements), même s'il n'est pas facile d'apprendre le chinois. J'ai ma théorie là-dessus : si les Chinois sont très intelligents et remportent presque tous les jeux olympiques de maths et de physique n'importe où, c'est qu'ils développent leur intelligence en étudiant leur langue (rires).
Un pays frère, le Venezuela, a eu un jour la bonne idée de créer un ministère de l'Intelligence. Oh, on a beaucoup ri de ce ministère et de son ministre ! Je crois que j'ai été un des rares dans le monde à ne rire d'aucun des deux, et j'ai même eu l'occasion de discuter avec le ministre de ses théories selon lesquelles l'intelligence se développe dans les premières années de vie, pendant une période donnée. Certains chercheurs ont même mis au point des technique pour élever le quotient intellectuel, parce que ces être humains que nous sommes possèdent une capacité mentale qui n'est pas négligeable. En tout cas, l'appareil est installé dans nos têtes. Mais on dit que l'homme n'utilise en fait que 10 ou 12 p. 100 de sa capacité intellectuelle. Et les tests prouvent que certaines méthodes d'enseignement aident à en utiliser 15 ou 16 p.100, ou plus. Alors, gare aux menteurs, gare aux escrocs, gare aux exploiteurs, quand l'homme – et pourvu qu'il y arrive - parviendra à utiliser 50 p.100 de sa capacité intellectuelle ! (Applaudissements.)
On sait - et ce n'est pas un sacrilège de le dire - que nous sommes le produit de l'évolution naturelle. Cette découverte date du milieu du siècle passé, voilà environ cent cinquante ans, et la théorie a suscité beaucoup de discussions, beaucoup de polémiques. Et si je dis que ce n'est plus un sacrilège, c'est que j'ai lu récemment que le pape Jean-Paul II avait déclaré que la théorie de l'évolution n'était pas incompatible avec la doctrine de la création, et je crois que tout le monde, croyants et non-croyants, acceptent cette réalité. Mais l'homme ne peut plus continuer d'évoluer de la même façon que pendant des centaines de milliers d'années. La grande richesse à venir de l'esprit humain consiste dans l'énorme potentiel d'intelligence que nous avons reçu génétiquement et que nous sommes incapables d'utiliser. Voilà ce dont nous disposons, voilà où est l'avenir... Et si, alors que nous n'utilisons qu'une petite partie de notre intelligence potentielle, nous voyons tant de merveilles... comme ces téléphones qui sonnent partout... (Rires et applaudissements.)
Avant de partir pour le Sommet, je tâchais de préparer un discours parce qu'on m'avait dit : Le temps de parole est juste de cinq minutes. Pour peu j'écris : Monsieur le président, Excellences, bonjour, je vous remercie... (Rires et applaudissements.) Donc, j'étais en train de réunir des données, des documents. Vous n'avez pas idée de combien de documentation vous devez réunir chaque fois que vous participez à une conférence de ce genre. Pas question de chercher un compagnon talentueux qui vous rédige le discours. Non, si vous ne savez pas de quoi il s'agit, vous ne serez pas à même de défendre la moindre idée.
Et puis, je ne me ballade pas avec un de ces petits téléphones, je n'en utilise jamais, parce que vous devez vous protéger les nerfs. Ces trucs-là, ça sonne à tout bout de champ. On dit même que certains provoquent des vibrations nocives. Non, je n'en ai pas. Juste ici, de temps à autre... Hier, tandis que nous roulions sur une avenue vers l'hôtel où était logé notre cher ami vénézuélien et dirigeant distingué, Hugo Chávez, notre ministre a appelé les compañeros de Cuba. Il me passe l'appareil... Eh bien, vous me croirez si vous voulez, mais on entendait bien mieux que lorsque je leur téléphone de La Havane à leurs bureaux ! (Rires.) Incroyable !
Tout ça parce que j'avais découvert tout d'un coup que je n'avais un certain nombre de documents, comme le texte exact des documents adoptés par l'OTAN le 24 avril, qui m'intéressaient beaucoup. Heureusement que je les avais réclamés d'avance à notre ambassadeur aux Nations Unies où il avait livré une grande bataille au sujet des formules en discussion pour trouver un règlement politique au conflit en Yougoslavie, et qu'il me les avait fait parvenir. Mais au milieu de tout ce tas de documents et de données associés à ce Sommet et à d'autres activités, ceux-là, je ne les avais pas sous la main. Il a donc fallu téléphoner à mon bureau au Conseil d'Etat, au ministère des Affaires étrangères, à notre ministre et à notre ambassadeur ici à Rio de Janeiro, et à certains d'autres endroits pour pouvoir réunir différentes données, tel ou tel document, et nous n'avions que quarante-huit heures devant nous. Et c'est grâce à un téléphone de ce genre, au dernier moment, que le directeur du Centre d'études de l'économie mondiale, qui est ici avec nous, a reçu une partie de ces documents, et je lui ai demandé de lire en détail - je n'avais pas le temps de tous les lire - et de me surligner les passages associés à tel ou tel thème. Une soixantaine de pages.
Il y avait encore une soixantaine de pages ayant à voir avec d'autres questions. Et puis il fallait en même temps traduire en anglais et dans d'autres langues je ne sais combien de documents, de discours antérieurs ou de projets de discours, voir combien d'exemplaires il fallait dans chaque langue afin de pouvoir, si je devais participer par exemple à cette réunion-ci à l'Université, en distribuer un certain nombre, pour n'avoir pas à me répéter et pour fournir par écrit des idées complémentaires.
À Cuba, nous traduisons certains de ces documents parfois en huit langues : en anglais, bien entendu, parce que c'est la langue la plus employée partout, mais aussi en français, en allemand, en italien, en russe et tout spécialement, cette fois-ci, en portugais, puisque c'était au Brésil qu'allait se tenir le Sommet. Nous ne soucions pas seulement de traduire les documents, mais encore de bien les traduire, de façon qu'ils soient parfaitement intelligibles.
J'ai appris par hasard que le portugais du Brésil était différent du portugais du Portugal, et que Portugais et Brésiliens se faisaient la guerre en ce qui concerne la langue. Je demande : Donnez-moi un exemple. On me répond : Eh bien, les Portugais disent facto, et les Brésiliens fato, et c'est pareil pour de nombreux mots. Et je n'aurais pas voulu qu'on offense les Brésiliens avec une traduction faite dans le portugais du Portugal (rires), bien que je croie que vous comprenez de toute façon, n'est-ce pas ? Si vous lisez un roman portugais, vous comprenez parfaitement, pas vrai ? Mais vous n'aimez pas qu'on vous change les mots, vrai ou pas vrai ? Oui, il fallait même faire attention à des détails de ce genre. J'ai fait appeler le traducteur de portugais qui voyage avec moi et je lui ai demandé : Tu comprends bien ? Dans quel portugais est-elle, cette traduction ? (Rires.) Parce que nous avons à Cuba un bureau de traduction, avec de très bons traducteurs, qui ont leur style à eux, des réviseurs, et il se peut qu'ils aient traduit les documents en portugais du Portugal... Et le traducteur qui m'accompagne se soucie toujours de traduire le portugais du Portugal en portugais du Brésil. Alors, je lui demande : Tu es sûr que les Brésiliens vont bien tout comprendre et qu'ils ne vont pas s'offusquer ? (Rires.) Et il me répond : Non, non, ça se comprend bien (applaudissements).
Je vous parle de ça comme un exemple du travail à faire dans ces cas-là. En tout cas, je peux vous garantir que le samedi 27, de quatre heures de l'après-midi à minuit, nous avons révisé des centaines de pages pour vérifier des données et des chiffres.
Le voyage en avion entre La Havane et Rio, dont on m'avait dit qu'il durait huit heures, j'ai découvert en fait qu'il ne durait qu'une heure. Parce que, dès que l'avion a décollé, je me suis assis au côté du directeur du Centre d'études de l'économie mondiale, et nous avons travaillé, discuté, pendant huit heures. Moi, je repassais comme un élève à la veille d'un examen je ne sais combien de choses soulignées pendant plusieurs jours, et lui s'efforçant de voir si on comprenait la Déclaration du Sommet en discussion à Rio, un document de soixante-dix paragraphes et quelque sur des thèmes politiques, économiques, sociaux. Nos compagnons d'ici envoyaient des nouvelles à Cuba ou directement à l'avion pour dire que tel ou tel point était bloqué sur telle ou telle idée. Et je leur demandais : Où en est-on maintenant ? Et ils me répondaient : Jusqu'à présent, on n'a accepté que tel ou tel point; le premier document n'a été discuté que jusqu'à la moitié... Ça, ça se passait du samedi au dimanche, pendant la réunion ministérielle, parce que l'Europe et l'Amérique latine avaient des positions divergentes sur un certain nombre de points, et il nous fallait connaître ces points-là.
Je demande : quel est le dernier document arrivé ? Nous n'avions reçu que le quart des documents, et il fallait continuer de travailler pour voir les points d'accord et les points de désaccord, qui étaient entre crochets. Et ce qui me préoccupait extraordinairement, c'était que la partie européenne ne voulait pas entendre parler de la Charte des Nations Unies, ni du principe de non-intervention, ni d'autodétermination et de souverainété. Et cela nous inquiétait profondément, parce que nous savons tous ce que ça cache.
Les discussions ont duré jusqu'au petit matin. Il y avait même un paragraphe qui mentionnait nommément la loi Helms-Burton, parce que la délégation cubaine et d'autres pays s'étaient battues pour l'obtenir.
Il y avait encore bien des points en souffrance. Mais ce que je voulais dire, c'est que nous avons pu gagner énormément de temps grâce à ce petit appareil qui nous permettait de communiquer et de coordonner avec six ou sept endroits différents, et donc de multiplier les efforts.
Mais je vous parlais de l'invasion culturelle, qui est un fait. On veut nous imposer une pseudo-culture ou, plutôt, une fausse et insupportable monoculture. Voilà à peine quelques jours, j'ai lu un exemple de ce qui se passe : une centaine des quelque six mille langues ou dialectes - qui sont aussi des langues - disparaissent tous les ans. Cent par an ! Plusieurs milliers avaient déjà disparu, mais qu'il est douloureux de penser que deux mille autres le feraient dans les vingt prochaines années. À ce train-là, il risque de ne plus rester qu'une langue, l'anglais, que j'ai dû malheureusement, par la faute de mes voisins, apprendre à l'école et à l'université, et tenter de lire. Après, j'ai fini par l'oublier, parce que j'ai dû parler et parler en espagnol. Plus tard, j'ai tenté de rafraîchir mon anglais à l'aide de dictionnaires, de cahiers de notes, en lisant une biographie instructive et agréable de Lincoln, car les thèmes connus sont plus faciles à comprendre. Oui, j'ai fait des efforts jusqu'au jour où j'ai décidé de renoncer et de voir si j'apprenais un petit mieux l'espagnol (applaudissements).
Qu'est-que ça a à voir ? Eh bien, ça a à voir avec une bataille d'idées colossale ! Si les médias sont monopolisés par la puissance impérialiste la plus forte qui ait jamais existé, nous avons le devoir de défendre les cultures et de divulguer des idées. Oui, les idées, il faut les divulguer et les semer dans le monde entier ! (Applaudissements.)
Et voilà pourquoi je vous disais à quel point j'avais été stimulé par ce que j'avais vu cet après-midi, par ce que j'ai vu ce matin à Niteroi, où j'ai inauguré un module du médecin de la communauté - la municipalité en compte déjà seize et pense arriver à trente - ou quand j'ai visité le musée conçu par Niemeyer. Qui était d'ailleurs là, plus jeune et plus lucide que quand je l'ai connu voilà sept ou huit ans, et que j'ai eu l'immense honneur de pouvoir étreindre.
Je suis en train de voir bien des choses à bien des endroits, des choses très intéressantes. Je suis allé au Venezuela. Je crois qu'on vous a distribué des brochures du long discours que j'y ai prononcé, parce que j'y ai abordé de nombreux thèmes que je n'aurai pas à répéter ici. Ceux qui s'intéressent pourront trouver dans ce discours plusieurs choses, des idées bolivariennes, des idées martiennes, alors que ce pays entrait dans une nouvelle étape. Or, n'oublions pas que le Venezuela a joué un rôle très important dans l'histoire de notre sous-continent, car c'est de là qu'est parti le noble rêve d'une intégration latino-américaine quand les communications actuelles n'existaient pas et qu'il fallait trois mois à cheval pour aller de Caracas à Lima. Martí a été lui aussi quelqu'un qui a toujours rêvé d'intégration, qui a toujours beaucoup admiré Bolívar, qui a été un bolivarien. Et c'était donc là, à cette occasion, l'union symbolique des idées de Martí et des idées de Bolívar.
Voilà de quoi il s'agissait. Et voilà pourquoi il faut beaucoup parler. Parler des questions du monde, des privilèges que s'est arrogée la grande superpuissance du Nord, des formes de pillage qu'elle exerce. De la façon dont elle achète tout et partout grâce aux billets qu'elle imprime. Avant, ces billets, il fallait les acheter avec de l'or parce que le papier-monnaie avait un équivalent-or garanti. Mais ça, ça a duré jusqu'au jour où, bafouant tous les principes de Bretton Woods, les Etats-Unis ont suspendu unilatéralement la conversion du papier-monnaie en or, ce qui revenait à convertir l'or en du vulgaire papier. Et pourquoi l'ont-ils fait ? Tout simplement parce que, après avoir accumulé 80 p. 100 de l'or du monde à la fin de la seconde guerre mondiale, il ne leur en restait plus que le tiers après la guerre du Viet Nam. Jusque-là, ils avaient maintenu l'or à un prix fixe de 35 dollars l'once troy, achetant en cas d'excédent sur le marché et vendant en cas de rareté. Mais dès le jour où les USA ont suspendu l'étalon-or et donc les mécanismes de stabilisation des monnaies, les cours de l'or ont flambé, de sorte que leurs réserves ont plus que décuplé de valeur. Ce n'était rien d'autre qu'une escroquerie commise impunément au grand dam de l'économie mondiale ! Jusque-là, les monnaies avaient été relativement stables, le monde ne connaissait pas ces spéculations gigantesques actuelles sur les monnaie qui se chiffrent à un billion de dollars par jour, un phénomène sans précédent qui permet de voir à quel point l'ordre économique mondial marche vers l'abîme ou, du moins, le côtoie. C'est là quelque chose d'intenable. Oui, d'intenable ! Nous devons comprendre que nous sommes dans un monde où les événements se déroulent plus vite que la conscience que nous avons du fait que ce monde est intenable et qu'il faut, impérieusement et inéluctablement, le remplacer par un autre si l'humanité veut survivre (applaudissements).
Il faut donc semer des idées, beaucoup d'idées. Oui, mais comment faire si nous n'avons pas de grandes chaînes de médias ? Eh bien, nous pouvons utiliser en partie leurs moyens électroniques. L'Internet, par exemple, que je n'ai pas mentionné. Mais il est bien difficile de transmettre des idées par cette voie au tiers monde, parce que seuls 2 p. 100 des Latino-Américains, par exemple, y ont accès, contre de 70 à 75 p. 100 des Nord-Américains.
D'accord, l'Internet ne nous servirait pas pour vous transmettre des idées ou des messages, mais il sert en tout cas à transmettre à ceux qui y ont accès des messages, des idées, des raisonnements et des arguments qui montrent à quel point le monde où nous vivons est insensé, fragile et intenable. Les messages, vous ne devez pas forcément les adresser qu'aux victimes, vous pouvez aussi les adresser aux bourreaux (applaudissements), parce que vous savez que bien des gens pensent, mais qu'ils ne voient et ne lisent que les arguments qui viennent de leur cinéma, de leur télévision, de leurs journaux, qui sont tous des instruments au service d'un système économique et social d'exploitation et de domination par lesquels celui-ci envahit le monde de l'idéologie putride et des mensonges de l'impérialisme.
Nous avons bien des preuves à Cuba de l'efficacité des arguments, parce que de nombreuses personnes nous rendent visite, découvrent notre modeste pays, ses sacrifices, ses limitations, notamment en cette Période spéciale qui a suivi l'effondrement du camp socialiste et quand nous nous sommes retrouvés soumis à un blocus double. En effet, nous avons perdu nos marchés, nos livraisons garanties que nous ne pouvions acheter nulle part ailleurs parce qu'on nous les refusait. Tout ceci qui était garanti a disparu, et le grand empire, avec son opportunisme typique, a renforcé son blocus, comme s'il s'était dit : Le moment est venu d'écraser comme des punaises ces insolents installés sur cette petite île qui devrait être à nous et dont nous rêvons depuis deux cents ans, ces insolents qui ont eu l'audace de se jouer de nous en se révoltant contre les dogmes de notre empire et contre l'ordre néocolonial que nous y avions établi.
Quarante ans se sont écoulés, et ils s'escriment toujours. Et plus les années passent, et plus ils s'étonnent. Ils doivent sûrement penser : Ce doit être un type de punaise spéciale. Eh bien, non, nous sommes identiques aux autres punaises : la différence, c'est que nous sommes devenus des punaises conscientes. C'est la seule évolution qui a eu lieu dans notre pays (applaudissements), et c'est forts de cette conscience que nous nous sommes défendus pendant tout ce temps-là, à plus forte raison quand nous nous sommes retrouvés absolument seuls en ce qui concerne nos relations économiques avec les principaux marchés, les principales sources de crédit et de livraisons, hors de toutes les institutions financières internationales.
Oh, certes, nous avons parler de temps à autre à Cuba d'une institution qui s'appelle le Fonds monétaire international, mais cela fait si longtemps, mais si longtemps, que nous avons presque oublié le sigle. Nous avons aussi entendu parler d'une Banque interaméricaine de développement, mais peut-être n'est-ce pas exactement comme ça qu'elle s'appelle, parce que, là encore, nous finissons par oublier. Et puis, d'encore une autre qu'on appelle la Banque mondiale. Nous demandons : C'est quoi, ça ? On nous répond : Mais la Banque mondiale, bien sûr. Il y en a une. Nous demandons : Et où est-elle, cette banque ? Bien que certains d'entre nous sachent très bien où elle est et ce qu'elle fait, l'immense majorité des Cubains n'ont pas entendu beaucoup parler du Fonds monétaire et de la Banque mondiale. Heureusement ! (Applaudissements.) Incroyable, parce que nous avons appris à vivre sans Fonds monétaire, sans Banque mondiale, sans Banque interaméricaine de développement, sans les nombreux crédits dont on parle, les crédits à l'exportation et tout le saint-frusquin, mais en devant payer pour chaque emprunt, toujours à court terme, un intérêt qui atteint parfois le double de celui que paient d'autres pays, parce que beaucoup de partenaires profitent de tant de blocus et tant de lois Torricelli, Helms-Burton, plus un tas d'amendements qu'on ne connaît pas, pour nous faire payer plus cher pour tout.
Tenez, le dernier train de mesures pour renforcer le blocus, ils l'ont adopté dans le cadre de la dernière loi budgétaire, une loi qui fait cinq mille pages. Ils font ça à tout bout de champ. Et vous comprenez alors pourquoi un certain nombre de législateurs amis de Cuba qui veulent nous aider en présentant d'autres amendements se retrouvent parfois obligés de nous adresser tout penauds des messages pour nous dire qu'ils n'avaient pas fait attention à tel ou tel paragraphe qui disait telle ou telle chose. D'ailleurs, de nombreux législateurs ne lisent même pas, pourrait-on dire, bon nombre de lois votées par leur propre Congrès ! En fait, ce sont les lobbies et toujours les lobbies qui déterminent en ultime instance dans une espèce de donnant-donnant : Approuve-moi ce mot, qui me convient pour mon Etat, et moi je t'approuve celui-ci qui t'intéresse. Oui, c'est comme ça, un échange incessant, si bien, qu'au bout du compte, personne ne sait exactement en quoi consistent ces lois (applaudissements). Et voilà pourquoi vous voyez tant prospérer dans ce pays si démocratique les études de droit et pourquoi tant et tant d'avocats trouvent un emploi, parce qu'il n'y pas mèche d'interpréter tout ce truc-là. J'imagine qu'un sage de la Rome antique en perdrait son latin rien qu'en lisant le dixième des lois votées dans ce pays-là. Et tout comme fonctionnent ses lois, ainsi fonctionnent ses juges et ses tribunaux.
Dans cette perfectissime et idéale démocratie, tout le monde sait comment on collecte l'argent à la veille de chaque campagne, au point que ces gens-là en sont même arrivés à louer la chambre d'Abraham Lincoln en périodes électorales. Vous avez des personnes qui rêvent de se payer des goûts déterminés, et elles admirent Lincoln, ou elles en ont entendu parler, de ce personnage portant la barbe, du bûcheron qui a fini par devenir avocat et président, et qui a dû vivre l'époque où, au terme d'une grande guerre interne déclenchée par des intérêts et des secteurs agricoles et industriels, le pays a connu une modification de l'esclavage : celui-ci a été aboli formellement, mais l'esclave a continué de vivre pareil qu'avant ou pire, parce que quand ces nobles êtres impitoyablement exploités ont reçu un jour la nouvelle qu'ils étaient libres, ils ont découvert en même temps que cette liberté faisait que plus personne ne s'inquiétait de savoir de quoi ils se nourriraient ou comment ils se soigneraient. Ayant cessé d'être la propriété du maître, leur valeur tombait au-dessous de celle d'un cheval ou d'une vache, contrairement à avant où, si l'esclave acheté au cours de ces fameuses ventes à l'encan ou alors ses fils, qui naissaient aussi esclaves, venaient à mourir, le maître perdait du moins son capital. Telle a été la vraie et cruelle histoire. À Cuba, ça s'est passé exactement pareil. L'abolition date de 1886, si je ne me trompe pas, et l'histoire atteste que quand les esclaves sont devenus des travailleurs censément libres, ils se sont retrouvés dans des conditions pires, parce que le capitalisme est la continuation du système esclavagiste sous d'autres formes tout aussi cruelles et impitoyables d'exploitation.
Il y a bien des choses à dire et bien des messages à adresser par tous les moyens et dans toutes les directions. Je peux vous assurer que si vous avez des arguments et du moral, eh bien ! vous pouvez livrer n'importe quelle bataille partout : de bouche à oreille, de message en message, de brochure en brochure, de discours en discours, de tribune en tribune, de forum en forum, il faut dire des vérités. Et pour cela, il faut nous éclaircir nous-mêmes. Heureusement, nous avons pu apprécier comment la conscience grandit et comment le monde se rend compte des réalités. Après les coups de massue qu'a reçus le mouvement progressiste et révolutionnaire, bien des gens se sont mis à réfléchir et à penser.
Les changements sont visibles, et nous faisons tout ce que nous pouvons pour transmettre des idées. S'il faut distribuer des millions et des millions de brochures, nous le faisons. Les groupes de solidarité se chargent bien souvent de les imprimer, ils en vendent une partie et avec l'argent de cette vente, ils font une seconde impression, et ainsi de suite. Nul ne sait à combien se monte cette divulgation. Ça aussi, ce sont des missiles guidés, comme ceux que les autres lançaient contre la Yougoslavie, parce qu'ils sont guidés vers des personnes sélectionnées, des intellectuels, des personnalités éminentes, des directeurs d'organes de presse, des parlementaires, des dirigeants politiques et sociaux, tous ceux qui ont à voir avec la destinée de leurs peuples, à qui nous ferons parvenir ces idées. Si les idées sont claires, justes, objectives, alors il existe dans le monde d'aujourd'hui des conditions idéales pour qu'elles se propagent. Nous ne pouvons pas nous laisser écraser par l'immense pouvoir des médias dont disposent les maîtres du monde actuels ! (Applaudissements.)
L'importance de ce Sommet réside dans le fait réel que ceux du Nord veulent nous engloutir tout entiers, et que si nous nous laissons engloutir, ils vont nous digérer plus vite que la fameuse baleine de la Bible l'a fait du prophète qui s'appelait, je crois, Jonas. La baleine avait pris son temps, semble-t-il, et Jonas a finalement pu sortir de son ventre, mais si l'autre baleine nous avale tous, elle tentera de nous digérer en quelques heures.
Ces gens-là, je vous l'ai dit, peuvent tout acheter grâce au mécanisme créé tout au long de ce siècle et qui a débuté à la fin de première guerre mondiale, quand le dollar a commencé à déplacer la livre sterling comme monnaie de réserve, et quand les Nord-Américains ont inventé les bons portant un taux d'intérêt déterminé afin de payer les dépenses de guerre. Et c'est au moment où ils l'attendaient le moins qu'ils ont eu cette énorme crise qui a duré de 1929 à 1940. Et rien ne dit qu'ils sont à l'abri d'une nouvelle.
Ils n'arrêtent pas d'inventer pour ne pas souffrir une crise gigantesque, alors que la valeur de leurs actions ne cessent d'augmenter, doublant, triplant ou quadruplant en dix ans à peine, ce qui produit des fortunes fabuleuses, mais artificielles, et gonfle une bulle qui peut et doit éclater inévitablement à un moment donné. Si, en 1929, seuls 5 p. 100 des Nord-Américains plaçaient leur épargne en bourse, ce sont maintenant la moitié d'entre eux qui le font, et pas seulement l'épargne, mais aussi les fonds de pensions et de retraite. Si la bulle éclate, ce serait vraiment catastrophique. Ils ont eu très peur ces derniers mois que cela n'arrive, et ils sont passé de politiques anti-inflationnaires à des politiques antirécessions dans le plus grand désarroi. On ne peut pas croire les yeux fermés ce qu'ils disent. Il faut savoir ce qu'ils pensent et disent entre eux, à voix basse. Mais le fait est qu'ils se sont créé de tels privilèges que c'est justement le pays dont les citoyens épargnent le moins au monde de leurs revenus nets personnels qui dépense, investit et achète le plus.
On dit que les champions de l'épargne personnelle, ce sont les Japonais, qui économisent plus de 30 p. 100 de leurs revenus personnels; le taux en Europe est de 20 p. 100, et ainsi de suite. En tout cas, ça fait belle lurette que les Nord-Américains sont ceux qui épargnent le moins du monde. Les USA maintiennent la croissance dont ils se vantent tant à partir d'un marché intérieur de 270 millions de personnes qui dépensent et dépensent sans compter. Si un Nord-Américain possède une voiture, il la change tous les deux ans, voire tous les ans pour certains, il achète tout ce qui se produit. Voilà comment l'emploi se maintient. Bien entendu, les matières premières ne leur coûtent rien. Qu'il s'agisse du fer, du nickel, du pétrole, n'importe quoi, ils le paient avec du papier. Ceux qui reçoivent les papiers les conservent en bonne partie pour créer une réserve monétaire dans les banques centrales ou dans les banques privées, au risque de subir ce qui est arrivé dans de nombreux pays dits émergents et de perdre en quelques semaines les réserves accumulées des dizaines d'années durant.
Je vous dis tout ça en simplifiant, parce que ces gens-là utilisent différents mécanismes dans ce but. Mais, au fond, c'est ça : ils impriment le billet, achètent, et celui qui le reçoit le garde. Eux, en échange, ils ne donnent rien. Ou plutôt, cela se passe comme ça avec une partie importante de ces billets; une autre partie, leurs détenteurs la dépensent logiquement pour acheter des biens et des services. Mais le fait est que les Etats-Unis, qui se sont arrogé à Bretton Woods la fonction de battre la monnaie de réserve internationale et de la protéger, ont manqué à leur obligation, en ont fait un monopole privilégié et disposent maintenant à travers leurs bons et leurs billets de tout l'argent qu'il leur chante. Eux, oui, ils peuvent enregistrer un déficit de la balance commerciale de 200 ou 300 milliards ! Ce sont les seuls. Car c'est interdit aux autres. Bien entendu, ils importent tout ce qu'ils veulent. Il ne leur manquera jamais un litre d'essence, et c'est dans le pays où il y a le plus de voitures au monde que l'essence est la moins chère.
Voyez donc combien de privilèges ils sont arrivés à accumuler, au point que l'épargne personnel est descendue dès l'an dernier en-dessous de zéro : bref, ils dépensent plus en moyenne qu'ils ne gagnent. Certains peuvent économiser une partie et d'autres peuvent dépenser plus, mais en moyenne l'épargne des citoyens nord-américains est inférieure à zéro. Quelque chose sans précédent dans le capitalisme, et pourtant rien ne se passe ! On parle d'une économie florissante... Oui, mais, qui la paye et jusqu'à quand (applaudissements) et que va-t-il se passer quand ce système s'effondrera et que ces énormes bulles se dégonfleront ? Parce que ça va arriver, c'est absolument sûr.
J'estime que notre devoir est de faire en sorte que les masses, les milliards de personnes pauvres dans le monde, voire les couches moyennes, comprennent et connaissent ces réalités, car le monde doit se préparer à l'arrivée de ce désastre. Je peux vous assurer qu'on l’a frôlé ces derniers mois. Il a suffi d'une crise en Russie, dont le Produit intérieur brut ne représente que 2 p. 100 de l'économie mondiale, et de la suspension par celle-ci du paiement de quelques obligations à court terme pour que la panique se répande et pour que le Dow Jones - ma prononciation vous prouvera que mon anglais n'est pas des meilleurs - chute d'un tas de points en quelques jours, presque du jour au lendemain. Et si la crise s'était étendue à l'ensemble de l'Amérique latine, on aurait pu croire que la catastrophe se déclenchait. Et alors tout le monde s'est mis en branle : le gouvernement des Etats-Unis, le Trésor, la Réserve fédérale, qui se sont rendus compte que si l'économie latino-américaine prenait feu, l'incendie gagnerait les bourses de valeurs nord-américaines. Alors ils ont tenté de le circonscrire, en hâte, ils ont diminué les taux d'intérêts, autrement dit ils ont injecté de l'argent en circulation pour éviter une très grave dépression, et tout ce qu'ils ont fait, en réalité, c'est retarder le moment où ça arrivera. D'ailleurs, le désastre sera d'autant plus grand qu'il aura été plus retardé (applaudissements). Parce qu'à nouvelle euphorie, dépenses accrues, nouveau gonflement des cours des actions boursières et encore plus de spéculation de toute sorte.
Les problèmes ne sont pas si complexes. Je dirais qu'ils sont même relativement faciles à expliquer. Voilà en tout cas les fondements sur lesquels repose l'empire. Qui va s'effondrer, non à cause de nos voeux pieux, mais parce que tout ce qu'ils construisent, ils le construisent sur des bases insoutenables. Et il se peut que la catastrophe survienne et que les peuples, que le monde, ne soient pas préparés pour l'assimiler et en tirer les conclusions nécessaires. Des crises de toutes sortes vont se produire un peu partout.
Je pense que ce dont les peuples ont besoin, ce n'est pas tant d'armes que d'idées (applaudissements). Pour substituer à une mondialisation inhumaine, intenable, qui menace la vie de la planète, un ordre social juste et humanitaire, qui offre à l'humanité l'occasion de survivre, un monde qui puisse avoir un peu d'eau potable, un monde qui dispose d'air pour respirer, un monde qui puisse disposer des aliments nécessaires, un monde qui soit capable, grâce à sa riche technologie, de produire les toits dont les personnes ont besoin pour vivre, les écoles dont les enfants ont besoin pour s'éduquer, les médicaments dont les habitants ont besoin pour protéger leur santé, les soins médicaux dont tout le monde a besoin, les enfants, les jeunes et les personnes âgées (applaudissements).
À quoi bon nous parler du XXIe siècle et nous bourrer le crâne de rêves qui dureront moins que les bulles du champagne avec lequel bien des gens de la minorité privilégiée du monde fêteront l'avènement d'un nouveau siècle ? (Applaudissements.) Nous savons que des milliards de personnes dans notre monde, où nous sommes déjà six milliards, le fêteront avec un simple soda... J'espère que ce ne sera pas du Coca-Cola (rires et applaudissements). Ah ! oui, parce que sur notre planète mondialisée, on assiste à ce curieux phénomène de pays dotés de cultures millénaires, comme l'Inde - avec tout le respect que je lui dois, parce que c'est un pays que j'apprécie beaucoup - qui consomment du Coca-Cola, des hamburgers nord-américains ! Bien entendu, en Inde, les patrons des chaînes disent qu'ils utilisent de la viande de bufflesse, de la viande de mouton, et non de la viande de boeuf, parce que des traditions millénaires y interdisent d'en consommer. Du lait de vache, oui, mais pas de la viande. De toute façon, allez savoir ce que ces messieurs des transnationales y mêlent ! Ils sont même capables d'y mêler jusqu'à la viande des vaches qu'on retrouve mortes au bord des routes (rires), car ce ne sont pas les scrupules pour la santé humaine qui les étouffent en général... Même dans des pays aussi extraordinaires et ayant autant de mérites que la Chine, les sociétés multinationales étrangères veulent introduire toutes ces habitudes de consommation. Et ça, oui, c'est un exemple de mondialisation culturelle yankee.
Et j’espére que ce ne soit que du Coca-Cola et des hamburgers ! Le plus terrible, c'est qu'ils introduisent dans le cerveau humain, dont le potentiel est si énorme, l'idée de vivre comme on vit à Paris, à Londres, à New York, en Californie et ailleurs, dans ce monde idyllique dont j'ai entendu parler une fois, de tout près, le président des Etats-Unis à une réunion de l'OMC à Genève. Evidemment, il faut bien que ces gens-là disent quelque chose au monde, et ils leur racontent n'importe quoi, notamment que tout ce qu'ils veulent et tout ce à quoi ils travaillent, c'est un monde futur de classes moyennes. J'ai dit ensuite à des journalistes, en blaguant, qu'après Karl Marx, Clinton était le seul homme qui avait conçu un monde sans classes. Marx, une société de travailleurs; le président des Etats-Unis, une société de bourgeois. Celui-là, pensant aux ouvriers exploités; celui-ci, rêvant aux couches moyennes des quartiers de luxe de Californie et d'autres villes riches des Etats-Unis : propriétaires béats d'actions gonflées en bourse, de deux voitures, de l'électricité à ne plus savoir qu'en faire, d'un ou deux téléphones, de la télévision par câble et par satellite, de l'Internet pour passer commande de n'importe quoi, de n'importe quel film, ou même pour acheter au supermarché sans sortir de chez soi, parce que, dans ce monde-là, on vous montre tous les produits dans tous leurs détails, vous payez avec votre carte de crédit ou on vous prélève automatiquement sur votre compte, vous n'avez même plus besoin d'emporter de l'argent avec vous... Sapristi, ces gens-là ont obtenu ce que Karl Marx avait rêvé une fois : la disparition de l'argent ! (Exclamations et applaudissements.) Oui, mais par une formule qui n'était jamais venue à l'idée de Marx : s'emparer d'abord de tout l'argent du monde (rires), réaliser le miracle des alchimistes en convertissant le papier en or pour devenir les maîtres réels, ou potentiels, de toutes les ressources naturelles du monde !
Et vous croyez que l'empire est satisfait de ce qu'il a ? Détrompez-vous ! Le Golfe persique, à part quelques exceptions, est tout à eux; la mer Caspienne, où il existe d'immenses réserves de pétrole et de gaz, est déjà presque toute à eux, ou à leurs transnationales. Où qu'ils arrivent, en Afrique ou partout ailleurs, sur terre ou sur mer, ils tentent de contrôler toutes les matières premières qui peuvent exister. Et ils aspirent à acheter tout le gaz de Russie, où se trouve les plus grandes réserves, pour qu'elles deviennent la propriété de leurs sociétés, et tout le pétrole, parce qu'il ne leur suffit pas. Ils ne veulent rien laisser aux Européens. Ceux-ci voulaient investir en Iran, en Libye et dans certains de pays de la région, mais les Yankees ont promulgué une loi leur interdisant de le faire.
Et c'est comme ça que nous, les Cubains, nous sommes devenus une monnaie d'échange, parce que les uns et les autres ont cherché des «ententes» - que j'ai mentionnées dans mon allocution d'hier - en vertu desquelles si le Sénat acceptait de modérer un des chapitres de la loi Helms-Burton qui prendrait en considération des intérêts d'investisseurs européens à Cuba, les Nord-Américains seraient tolérants au sujet de certains investissements que feraient les Européens en Iran, en Libye ou ailleurs, ce qui internationalisait en fin de compte cette loi infâme. Le meilleur des mondes, quoi !
Alors, je n'ai pas eu d'autres solutions que d'en parler dans un paragraphe relativement dur, dans le cadre d'une brève allocution : «Parlant en l'occurrence au nom de Cuba, pays soumis à un blocus criminel et qu'on sacrifie en plus comme monnaie d'échange par des "ententes" en rien morales, s'agissant de lois cyniques, - je crois que ce sont les deux seuls adjectifs que j'ai employés dans cette allocution de six ou sept minutes - extraterritoriales, et par des "positions communes" - il existe en effet une position commune européenne, la seule à ce jour, relative exclusivement à Cuba, un pays auquel les Etats-Unis impose un blocus - et à aucun autre pays ! - en rien justes et injustifiables qui se joignent de fait à la tentative de nous asphyxier économiquement - j'ai ajouté trois lignes en plus - j'ose espérer que les grandes puissances ne procéderont pas à un nouveau partage du monde et qu'elles n'essaieront pas la folie impossible de nous reconvertir en colonies.» (Applaudissements.)
L'Europe finira par être un Etat supranational puissant et riche, c'est là où elle va. Mais cet Etat supranational puissant et riche a des contradictions avec ceux qui veulent s'emparer de tout et avoir tout à eux. À cet égard, il est indispensable que ce territoire immense que constituent les pays latino-américains et caribéens, peuplé de presque cinq cents millions d'habitants et dotés de richesses naturelles énormes, adopte les tactiques les plus intelligentes, sache voir les contradictions entre deux zones très riches et très développées dont les intérêts économiques et autres sont contradictoires.
Cette Europe-là ne voudrait pas qu'on arase ses cultures; cette Europe-là ne pourrait pas survivre économiquement si elle était isolée et divisée, et les pays qui le constituent, après avoir guerroyé entre eux pendant des siècles, ont fait le miracle de se mettre d'accord, de s'unir, de s'intégrer, de décider d'avoir une monnaie commune pour se défendre des spéculations et de protéger leurs marchés, bref, pour survivre.
Nous, les Latino-Américains, nous parlons la même langue, nous avons la même culture, nous provenons tous plus ou moins des mêmes ethnies. Ici, il n'y a aucune base pour des nettoyages ethniques. Nous sommes un ensemble de peuples pacifiques qui avons su vivre en paix pendant très longtemps, à quelques exceptions près. Nous avons bien plus de facteurs qui nous unissent. Et voyez comment ceux du Nord veulent même détruire des éléments clefs de notre culture, dont la langue, qui est très importante. Nous sommes une combinaison d'Européens, d'Indiens et d'Africains, et, selon les lois de la biologie, les hybrides sont d'ordinaire plus vigoureux, plus forts et même plus intelligents, plus imaginatifs. Ce n'est pas pour rien que ces gens-là les cherchent pour gagner des championnats (applaudissements).
Tenez, bien des équipes de nos amis européens sont constituées de citoyens du tiers monde, qu'il ont réunis et qui leur permettent de gagner des parties et même des championnats. Et après ils se rengorgent : Ça oui, c'est une communauté raciale : celui-ci, il vient d'Algérie; celui-là du Nigéria, celui-ci d'ici et celui-là de là. Je ne m'explique pas pourquoi il n'y pas plus d'Aryens purs dans leurs équipes...
Certains croient peut-être que, pour être un bon athlète, il faut des réflexes et des muscles. Eh bien, pour être un bon footballeur - et vous en savez plus que moi sur ce rayon - ou un bon joueur de base-ball, comme on dit aux Etats-Unis, ou de pelota, comme nous disons à Cuba - et là-dessus, nous en savons plus que vous - ou un bon volleyeur, un sport où nous nous disputons, vous et nous, chacun avec son chauvinisme, pour savoir qui est le meilleur (rires), il faut bien plus qu'une bonne capacité de saut, il faut des réflexes et de l'intelligence. Même en base-ball, qui semble si simple : le joueur doit non seulement attraper au bond une balle qui file parfois à plus de 150 km/h puis savoir instantanément où il doit la renvoyer, au premier coussin, ou au second, ou au troisième, ou alors au marbre, ou ailleurs en fonction de la situation concrète du moment, et ces situations peuvent être très variées, et s'il ne pense pas correctement, il envoie la balle au troisième coussin au lieu du premier. En foot, en volley, les joueurs se démarquent, ou dribblent, ou smashent avec une vitesse étonnante. Oui, beaucoup d'intelligence. Même pour la course, il faut de l'intelligence, savoir sur quel rythme démarrer, à quel endroit de la piste se placer, comme épuiser l'adversaire, comment négocier ses forces pour le finish. À capacités physiques plus ou moins similaires, ce sont les coureurs les plus intelligents qui gagnent.
Nos peuples, je crois, possèdent tout le talent potentiel nécessaire. Bien mieux, toute la bonté potentielle, toute la générosité potentielle nécessaire. On le voit quand on a le privilège de faire un voyage court - je l'ai constaté ici à Rio, ou à Niteroi, dans la rue, ou parlant avec les travailleurs qui s'occupent de vous, ou avec ceux qui sont chargés de la sécurité, ou alors des services aux centres de réunion, ou à l'hôtel, partout - vous ne voyez que de la bonté, de l'amabilité, de la décence, de la modestie. Je n'ai connu aucun Brésilien arrogant (applaudissements), pas un seul, ou aucun Brésilien qui ne soit amical et fraternel. Il n'est pas courant de rencontrer dans des pays très développés la modestie, la courtoisie que l'on peut constater chez un Brésilien, un Vénézuélien...
J'ai visité voilà quelques jours l'Ecole latino-américaine de médecine que nous avons créée à Cuba en quelques semaines après les terribles cyclones qui ont ravagé la région, dans une ancienne école navale de grande capacité, qui a reçu à ce jour 1 800 étudiants, mais qui en recevra un total de 3 400. Une école excellente que Cuba, le pays en butte au blocus et pauvre, a pu organiser en très peu de temps, non parce que nous avons de l'argent - nos ressources financières sont au contraire très limitées - mais parce que nous disposons d'un grand capital humain. D'un grand capital humain ! (Applaudissements.)
Tandis que les autres convertissaient le papier en or, nous, nous convertissions l'ignorance en science, l'ignorance en connaissances, l'égoïsme en solidarité (applaudissements). Et ce ne sont pas les preuves qui manquent, et je vais devoir en citer certaines. Ces trente et quelque dernières années, 26 000 médecins cubains ont prêté des services internationalistes dans le tiers monde (applaudissements), coupés de leur patrie et de leurs familles, dans les endroits les plus reculés, sauvant des vies, des tas de vies, des dizaines et des centaines de milliers de vies, et peut-être même des millions. Mais de ça, les médias que monopolisent nos voisins du Nord ne disent pas un traître mot.
Si nous arrêtons un espion, ah ! alors, c'est la levée de boucliers. Si certains qui travaillent sans scrupules au service de l'Office d'intérêts des Etats-Unis à La Havane et qui émargent au Trésor de ce pays-là pour tenter de désunir le peuple, de le désintégrer, de le diviser, qui soutiennent le blocus criminel, sont condamnés à des peines relativement modestes - pour des chefs d'accusation auxquels nos voisins appliquent des peines cinq fois supérieures - alors, c'est le tollé général ! Sachez en tout cas que rien que pour visiter Cuba - ce qui est un droit constitutionnel là-bas - n'importe quel citoyen nord-américain est passible d'une amende de jusqu'à trois cent mille dollars et de dix années d'emprisonnement. Gare à celui qui travaille aux Etats-Unis comme agent d'un pays étranger ! Il écope d'une foule d'année de prison. (Quelqu'un du public lui crie : "Au poteau !") Si nous, nous mentionnons ce mot, ils commencent à nous larguer des bombes et des missiles de toutes sortes (applaudissements), sous prétexte que nous commettons une violation massive des droits de l'homme.
Oui, car ce sont eux qui définissent tout : quels sont ceux qui respectent ces droits et qui ne les respectent pas; quels sont ceux qui contribuent à la lutte contre la drogue et quels sont ceux qui ne contribuent pas. Ce sont les juges moraux du monde. Pas seulement les maîtres matériels, mais aussi les juges qui tranchent de tout et sans appel ! S'il leur chante un jour de dire que le Brésil représente une menace mondiale parce qu'on s'est mis à y cultiver de la drogue, eh bien, il le disent. C'est d'ailleurs arrivé à d'autres endroits, malheureusement. C'est ce qu'ils appellent une menace mondiale et ça peut faire l'objet d'une intervention militaire de l'OTAN.
Je disais donc que le poteau n'est pas utile, ou des peines plus grandes pour les petits traîtres qui se vendent à leur or ou à leurs papiers. À quoi bon ! Tout ce qu'il faut, c'est démontrer que vous n'avez absolument pas peur de leurs maîtres; ce qu'il faut, c'est leur démontrer que vous n'êtes absolument pas disposé à admettre l'impunité de leurs agents et de ceux qui trahissent leur patrie, et que notre peuple n'acceptera jamais de pressions ni de chantages de qui que ce soit. Mais ce n'est même pas la peine d'imposer de grandes sanctions pénales, parce qu'il y aura toujours un sanction pire, celle de l'histoire : qui consiste à voir, impuissants, comment tous vos plans ratent, comment résiste le petit pays héroïque (applaudissements). On en parlé ici aujourd'hui. Eh bien, oui, notre pays a peut-être un petit mérite : avoir été capable de résister pendant quarante ans au siège et à l'agression de la nation impériale la plus puissante qui ait jamais existé dans l'Histoire ! (Applaudissements.)
Vous avez tous lu au sujet de Rome. Or, Rome était quelque chose de minable et d'inoffensif comparé au pouvoir de cet empire-ci. On raconte dans Vies des douze Césars... Il faut toujours lire ces histoires-là avec circonspection, en fait, parce que bien des phrases qu'on attribue à Untel ou Untel, c'est quelqu'un d'autre qui les a inventées en cours de route et elles ont fini par rester comme des vérités irréfutables : on attribue par exemple à Bonaparte la fameuse phrase : «Soldats, du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent», et à quelqu'un d'autre une phrase dite lors de la fameuse bataille des Thermopyles, après qu'on l'eut averti que les envahisseurs perses étaient si nombreux que leurs flèches obscurcissaient le Soleil : «Tant mieux, comme ça nous combattrons à l'ombre.» (Applaudissements.) On dit tant de choses. Mais c'est de Néron dont j'avais commencé à parler, celui qui jouait de la flûte et qui était peut-être un grand artiste, un intellectuel de l'époque, qui a fait incendier Rome, selon Vies des douze Césars. Apparemment, il avait ce pouvoir-là. Il existait dans cette Rome-là un Sénat, mais qui était bien moins puissant que le Sénat de la Rome moderne. Et elle a connu des empereurs terrifiants. Mais dont aucun ne l'était autant que monsieur le président des Etats-Unis qui peut déclencher à sa guise une guerre mondiale thermonucléaire. Voyez un peu de quelles garanties bénéficient le monde. Et si l'homme au bouton devenait fou par hasard ! N'importe qui le devient. Vous n'avez jamais eu un voisin, un ami, un parent qui est devenu fou du jour au lendemain ? (Rires.) Eh ! bien, notre monde dépend de cette sagesse... Voyez donc combien de périls nous menacent et combien il est puissant, l'empire avec lequel nous devons nous colleter.
Je vous disais que la voie à suivre, ce sont les idées, et qu'il faut les exprimer avec courage. Je vous disais aussi que le Sommet qui vient de se conclure à Rio était important, parce qu'il existe des intérêts communs entre les Européens, les Latino-Américains et les Caribéens, et d'autres qui ne le sont pas. Quoi qu'il en soit, le simple fait qu'ils se soient réunis est un événement historique. Cuba, la Cendrillon, par chance n'a pas été exclue. Maintenant, en général, on nous invite, et ce depuis un Sommet qui s'est tenu à Guadalajara, au Mexique, et où les Latino-Américains se sont réunis pour la première fois sans les Nord-Américains. Avant, les Latino-Américains ne se réunissaient que lorsque les Nord-Américains les convoquaient. Mais n'allez pas croire qu'ils leur adressaient un message protocolaire, dans le style : "Veuillez bien avoir l'amabilité de nous faire l'honneur de votre présence..." Non, pas du tout, leur méthode à eux, c'était un signe de l'index. Et ça suffisait. Oui, un simple signe de l'index, et tout le monde se précipitait à Washington !
Depuis l'organisation des Sommets ibéro-américains, nous nous réunissons pour la première fois sans que Washington nous convoque. Mais, cette fois-ci, nous nous sommes réunis, Latino-Américains et aussi Caribéens, qui sont généralement oubliés, avec les pays de l'Union européenne, ici à Rio. Et cela a une signification historique. Il n'était pas facile de tomber d'accord sur les documents, à cause de nombreux intérêts opposés. À plus forte raison quand ces pays-là, tout en ayant des contradictions avec les Etats-Unis, en sont pourtant les alliés militaires (applaudissements).
Je vous assure que je n'ai découvert aucun bonheur durant cette réunion avec cette Alliance. Un moment curieux. Je pensais prononcer une très brève allocution de sept minutes - sept, parce que j'ai lu un peu plus lentement pour aider les interprètes, mais si j'avais lu plus vite, je le terminais en quatre minutes. J'avais même du temps en trop, au point que l'un des présidents de la séance, qui était rien moins que le président français, Chirac, m'a félicité - bien que j'aie eu employé un langage constructif, mais critique, très franc et très sincère - d'avoir respecté strictement mon temps de parole, ce que n'a pas fait tout le monde. Mais vous n'avez pas idée de la quantité de choses qu'on peut dire en deux ou trois minutes.
J'ai dû réfléchir très fort, je dois l'avouer, hier, le 29, parce que je ne pensais pas parler durant la réunion de l'après-midi. Certains orateurs avaient été nommés pour notre région, et avaient un droit de parole de cinq minutes. Si d'autres voulaient prendre la parole, on leur concédait alors quatre minutes. J'ai écouté tout le monde avec beaucoup d'intérêt, mais j'ai sursauté en entendant certaines phrases sur certains points ayant à voir avec la guerre génocide qui vient de se terminer en plein coeur de l'Europe.
Aucun crime, aucun nettoyage ethnique ne justifie un génocide contre tout un peuple, contre des millions et de millions d'enfants, de femmes, enceintes ou non, d'hommes, de personnes âgées, qui garderont pour la vie le traumatisme provoqué par le bruit épouvantable des bombes, plus le bruit strident des sirènes, plus le bruit assourdissant des avions à réaction volant en rase-mottes. Ce sont des choses que les petits enfants, qui ont dû se précipiter toutes les nuits dans des refuges, n'oublieront jamais. Il suffit parfois que l'adulte à ses côtés montre sa peur du tonnerre pour qu'un enfant en ait peur ensuite toute sa vie. Alors, imaginez un peu quatre-vingts jours de bombes et encore des bombes, de vols en rase-motte, de sirènes hululant ! Qu'en restera-t-il dans l'esprit de ces millions de personnes ?
Toute la richesse d'un pays détruite en quelques jours... Prétendre que le système électrique d'un pays constitue un objectif militaire, ça revient à dire que des bombes peuvent commencer à pleuvoir dans ce théâtre-ci, parce qu'il y a je ne sais combien d'ampoules allumées ! Couper le courant à des millions de personnes en plein hiver, autrement dit la lumière, le chauffage et le combustible pour faire la cuisine, c'est sans aucun doute une action génocide. C'est une tentative d'obliger un peuple à se rendre par des armes et des méthodes d'extermination massive. Si vous démolissez tous les ponts, si vous liquidez toutes les communications, si vous vous acharnez sur les services les plus vitaux au point d'empêcher le fonctionnement des salles de soins intensifs, ou les salles de maternité, ou les salles pour enfants, que commettez-vous, sinon un génocide ?
Sans chercher midi à quatorze heures, je pense qu'imposer un blocus à un pays pour l'obliger à se rendre de maladies et de famine, à plus forte raison quand le pays en question a assez d'honneur, de dignité et de patriotisme pour ne pas se rendre, c'est un génocide ! (Exclamations et applaudissements prolongés.) Appelons une bonne fois pour toutes un chat un chat !
Je vous disais donc que j'ai vécu, avant-hier après-midi, un moment de tension : il me fallait prendre une décision, il me fallait accomplir un devoir, parce que le thème en jeu était extrêmement sérieux, extrêmement grave, qui avait à voir avec la souveraineté de tous nos pays, avec les problèmes et les conflits que la faim va provoquer dans le monde du fait de l'ordre qu'on y a imposé, avec les conflits sociaux et les conflits de toutes sortes. Et ces gens-là le comprennent, semble-t-il, le redoutent, prétendent être prêts pour écraser toute tentative de rébellion des peuples, ou du moins semer la terreur. Ce qui n'empêchera pas pour autant l'inévitable d'arriver.
La guerre contre la Yougoslavie est la guerre plus lâche qu'on connaisse dans les annales de l'Histoire, parce que c'est la seule où les agresseurs n'ont pas perdu une seule vie. Une guerre technologique, par Internet, pourrait-on dire, un étalage et un abus des progrès techniques que ces gens-là ont obtenus bien souvent en utilisant les intelligences de pays du tiers monde qui ne disposent pas de laboratoires ni de ressources, après les avoir engagés et attirés chez eux.
C'est au beau milieu de cette guerre génocide qu'est survenu le cinquantième anniversaire de l'OTAN. Oui, mais quelle frustration pour ces gens-là ! Ils avaient calculé que ça durerait trois jours, cinq au plus, et voilà qu'ils bombardaient depuis un mois, parce qu'ils avaient compté sans la volonté de résistance d'un peuple vraiment héroïque, qui avait lutté contre le fascisme, qui avait cloué sur le terrain quarante divisions nazies pendant la seconde guerre mondiale.
Et qui avait été victime d'un holocauste ! C'est là une question sur laquelle je ne veux pas m'appesantir, parce que j'en ai parlé dans ce discours à un congrès d'intellectuels (il montre la brochure correspondante). On en a apporté ici quatre ou cinq exemplaires, je crois, et s'il vous en manque, on peut vous envoyer assez pour que chaque invité en ait un. Notre ambassadeur peut s'en charger, parce que nous en avons tiré dix mille ici, au Brésil, en vingt-quatre heures. Nous en avions amené deux mille depuis Cuba, mais nous les avons distribués au Sommet. Ce discours-ci contient des informations sur cet holocauste. Mais il faudra faire des recherches plus approfondies sur cette question, il faudra écrire bien plus, afin de démasquer les hypocrites (applaudissements), afin de détruire un certain nombre de mensonges et démontrer un certain nombre de choses que l'Occident nous a cachées.
Le 24 avril, donc, en pleine fête, tout en sablant le champagne pour le cinquantième anniversaire d'une alliance militaire conçue au départ comme une alliance défensive, qui ne pouvait agir, selon ses propres statuts, que dans les frontières des pays membres - et elle est sortie de ces limites en Yougoslavie - les chefs d'Etat de l'Alliance ont proclamé une nouvelle conception stratégique. Et là, attention, voilà le danger ! Et c'est ça qui a motivé mon intervention de trois minutes, à partir de quatre paragraphes des seize que contient la Déclaration de l'Alliance, que j'avais soulignés à La Havane et que j'avais amenée avec moi. Seulement quatre paragraphes, parce que le temps m'était compté, et trois questions.
Je ne sais ce qu'on aura publié de ça. Je n'ai pas eu le temps de le savoir. Je me suis couché à cinq heures du matin, j'ai dû partir tôt pour Niteroi et remplir d'autres activités. J'ai dû sans doute m'endormir une vingtaine de minutes en venant ici. Un sommeil profond, apparemment, parce que, quand je me suis réveillé, je ne savais même plus où j'étais ni où j'allais, jusqu'au moment où on m'a dit qu'on arrivait à l'Université. J'ai demandé un thé et j'ai conversé ensuite avec un groupe de personnes très agréable qui nous attendait à l'entrée.
Bien, je vous disais donc que, pour gagner du temps, j'ai ramené les seize paragraphes à quatre, et j'ai posé trois questions. Et je vous disais aussi que je ne sais si on a publié quelque chose à ce sujet. Je ne suis pas au courant. (Quelqu'un lui dit que oui.) Tu dis que oui ? La radio cubaine en a parlé, exact, mais ici ? (On lui dit quelque chose.) D'accord. Où ? (On lui dit quelque chose du public.) Ah ! Ça a déclenché des polémiques ? Parfait, très bien !
Je dis parfait, mais, à vrai dire, ma décision n'était pas facile à prendre : à ce Sommet, il y avait onze pays de l'Union européenne membres de l'OTAN. Sachez d'ailleurs - et je dois être honnête - qu'ils n'ont pas tous la même position, et il se peut même, comme j'ai pu m'en rendre compte, que la majorité soit honteuse de ce qui s'est passé en Europe, de cette guerre calculée pour cinq jours maximum et qui s'est prolongée pendant soixante-dix-neuf, de cette guerre où les agresseur étaient d'ores et déjà les vaincus. Ils avaient détruit ce pays-là qui n'avait plus rien à perdre. Et les agresseurs de l'OTAN ont utilisé toutes leurs influences, tous azimuts, pour imposer aux Serbes une formule politique qui contenait pratiquement toutes leurs exigences et toutes leurs visées. Et cela a fait l'objet de vives discussions dans les premiers jours de juin au Conseil de sécurité, où notre ambassadeur est intervenu à deux reprises et l'a fait, je crois, d'une façon vraiment brillante, parce que les autres n'avaient pas d'arguments.
C'est à cette occasion-là que je me suis beaucoup inquiété de voir lancer pour la première fois en public des théories et des doctrines déterminées, comme si on préparait le chemin. Au point qu'un pays européen de l'OTAN y a déclaré purement et simplement que la Charte des Nations Unies était anachronique et que tous les droits qu'elle contenait étaient désormais subordonnés à leurs nouveaux et nobles sentiments humanitaires à eux.
Ceux qui tuent de faim des dizaines de millions de personnes dans le monde se sont découvert tout à coup les plus profonds et les plus nobles sentiments humanitaires ! (Applaudissements.)
Ceux qui ont tué quatre millions de Vietnamiens et ont rendu invalides plusieurs millions d'autres, qui ont empoisonné les terres, les jungles, ont employé des produits toxiques dont les séquelles dureront on ne sait combien de temps, proclament maintenant la disparition du droit des pays à la souveraineté et à la sécurité, proclament que la Charte des Nations Unies est anachronique et proclament en plus leur droit à l'intervention mondiale.
Bien des choses bizarres ont coïncidé : le cinquantième anniversaire, la nouvelle doctrine de l'Alliance atlantique, la discussion, si j'ai bonne mémoire, le 10 juin aux Nations Unies, un pays qui y proclame ouvertement et pour la première fois des choses qui n'étaient encore que des rumeurs, des choses qu'on susurrait. Et le pays en question n'est pas un des plus grands d'Europe, il est même relativement petit, mais en accord avec le grand chef de cette alliance militaire. Et comme notre ambassadeur avait subodoré cet accord, il a préparé en hâte quelques notes quand il a compris qu'un débat allait se produire. Et voilà qu'une autre pays, justement de notre continent, et qui n'est pas précisément les Etats-Unis, non, un autre qui est aussi membre de l'OTAN, mais qui n'a jamais été métropole, qui a toujours traité avec respect et discrétion les pays latino-américains et caribéens et auquel on n'avait jamais connu de prétentions impérialistes ni interventionnistes, voilà donc que ce pays soutient aussitôt, sans rougir le moins du monde, cette proclamation du droit à l'intervention et la subordination des principes les plus sacrés de cette Charte aux interprétations impudiques de l'OTAN quant aux différentes causes qui pourraient engendrer une intervention militaire. Je vais vous citer quatre de ces causes : la drogue; le terrorisme; les violations massives des droits de l'homme - alors que ces gens-là tuent tant de personnes et commentent tant de violations année après année, et, pourrait-on dire, jour après jour; enfin, les conflits internes. Quant aux interventions humanitaires, c'est à leur libre-arbitre.
Pensez un peu à un pays comme la Colombie, victime de l'essor de la drogue du fait de l'existence du grand marché nord-américain où il existe des millions de toxicomanes qui en dépendent, et en proie, aussi, à des conflits internes : cela fait deux raisons au nom desquelles l'OTAN pourrait décider de larguer des milliers de bombes et de missiles sur la Colombie.
Il est vrai que nos voisins du Nord n'ont jamais eu besoin, au cours de ce siècle qui conclut, d'aucune Alliance atlantique et d'aucune nouvelle conception stratégique pour intervenir partout où il leur chantait. Ils occupent toujours Porto Rico qui a défendu héroïquement sa culture, semblable à la nôtre. Ils ont occupé l'isthme de Panama. Avant, ils s'étaient emparés de plus de la moitié du Mexique. Ils sont intervenus en Amérique centrale. Ils sont intervenus plusieurs fois en Haïti et à Saint-Domingue, et non pour des menaces mondiales, non, justement pour se faire payer les intérêts et les amortissements de dettes qui se chiffraient à quelques dizaines de millions de dollars; ils ont encaissé la dette d'Haïti et ils y ont laissé derrière eux le clan des Duvalier et Papa Doc. Ils ont fait pareil à Saint-Domingue : ils l'ont occupé, se sont fait payer leurs dettes et y ont laissé le clan Trujillo. Et il suffit que Caamaño se révolte avec un groupe de militaires, en 1965, pour que le président Johnson dépêche aussitôt 40 000 soldats pour envahir le pays et écraser la rébellion. Il sont intervenus à la Grenade sous prétexte que des étudiants d'une école nord-américaine y étaient en danger, alors qu'ils étaient tout à fait sûrs. Si je le dis, c'est parce que nous étions à la Grenade en train de construire un aéroport et que nous savons ce qu'il s'est passé. Et un beau jour, ils envahissent le Panama, sans accord, sans convention, sans doctrine.
Ils font ce qu'il leur chante, et vous pouvez toujours attendre que le Conseil de sécurité les condamne.
Vous savez ce qu'il ont fait contre Cuba pendant des années. Des documents rendus publics le confirment. Nous avons apporté aussi avec nous une brochure contenant la Demande légale que des organisations sociales et des organisations de masse cubaines ont interposée contre le gouvernement des Etats-Unis pour dommages humains et indemnisations, pour un total de 181,1 milliards de dollars, par suite de la mort de 3 748 compatriotes à Playa Girón, pendant l'explosion du La Coubre ou lors du sabotage de l'avion à la Barbade, ou dans la lutte contre les bandes organisées et équipées par les USA, et à d'autres moments, une demande parfaitement fondée non seulement sur nos propres preuves, mais encore sur les documents secrets de ce pays-là rendus publics.
Voilà quelques mois, en décembre dernier, leur justice a bloqué 19 millions de dollars que les compagnies téléphoniques nord-américaines nous doivent pour les services entre les deux pays, par suite de contrats et d'accords avalisés par le gouvernement lui-même, sous prétexte que Cuba doit verser 187 millions de dollars de dommages-intérêts pour la mort de trois citoyens d'origine cubaine qui commettaient depuis des années des violations et des provocations dans nos eaux territoriales et dans notre espace aérien. Nous, nous avions lancé des tas d'avertissements et nous avions fait part au gouvernement de notre préoccupation de voir se produire un incident. Et, de fait, tant va la cruche à l'eau... L'incident est survenu, malheureusement. Et c'est même cet incident qui a servi de prétexte à l'approbation de la loi Helms-Burton par le président Clinton qui l'avait pourtant taxée d'absurde quelques temps avant parce qu'elle coûterait à Cuba le montant insupportable et inconcevable de cent milliards de dollars.
Oui, mais cet incident-là, il n'est pas passé à côté de Washington, ou du côté de Miami, ou de New York. Non, il est bel et bien survenu aux abords de La Havane, par la suite d'actions d'une organisation qui était tolérée et même stimulée à ça. Trois provocateurs sont morts, donc, quand ils commettaient des actions tout à fait illégales contre notre pays, et voilà qu'un juge nous réclame 62 542 637 dollars pour chacun et utilise ce prétexte pour bloquer les fonds téléphoniques qui nous reviennent. Là-bas, malheureusement, vous trouvez toujours un magistrat pour se prêter à ce genre de choses. Pas une fois en quarante ans, un seul juge des Etats-Unis n'a donné raison à Cuba. En revanche, des gens qui ont commis de assassinats brutaux après avoir détourné une vedette et qui se sont réfugiés là-bas, sont relaxés presque sur-le-champ.
Et puis, Cuba a aussi droit de la part de ce gouvernement à des privilèges exclusifs : c'est le seul pays au monde dont les citoyens qui émigrent illégalement reçoivent le droit de séjour dès qu'ils mettent les pieds aux Etats-Unis. Cela a toujours fait partie de leurs plans de harcèlement. Bien entendu, en faisant constamment étalage de leurs richesses et après avoir divisé les familles, ces privilège concédés aux immigrants illégaux servaient non seulement de propagande, mais répondaient aussi aux intérêts des politiciens et des lobbies d'origine cubaine. Parce qu'il ne faut pas oublier que ceux qui sont partis les premiers de Cuba, après la victoire révolutionnaire, ce sont les gros propriétaires terriens et les plus riches qui ont emporté leur argent avec eux, et puis aussi de nombreux criminels de guerre qui ont emporté les millions volés, et les autres qui avaient amené avec eux leurs gérants et leurs techniciens, si bien qu'ils ont fait partie de ceux qui ont prospéré le plus vite. Et ces individus ont de l'argent à revendre, qui leur sert à payer des campagnes électorales, non seulement de députés, de sénateurs, de maires, mais même de présidents.
La Demande légale du peuple cubain se justifie par la mort, je le répète, de 3 478 compatriotes, dont ceux qui sont morts à Playa Girón, dont on a parlé ici,
On a dénombré environ cinq mille actions terroristes en deux ans, dans le cadre de plans du gouvernement nord-américain. Ce n'est pas nous que le disons, mais d'anciens dirigeants très bien informés de l'Agence centrale de renseignements qui ont écrit à l'époque ou ensuite sur chacun de ces plans. Vous savez qu'aux Etats-Unis, on rend publics des documents trente, ou trente-cinq ou quarante ans après. Pas tous, bien entendu; certains des plus compromettants ou des plus ignominieux, ils ne les révèlent pas, et certains de ceux qu'ils révèlent sont censurés ou rayés. En tout cas, il existe des institutions qui se chargent de dépister et de collecter des documents de ce genre.
Dans la Demande, le peuple cubain réclame 40 millions pour la mort de chaque Cubain, à raison de 30 millions à titre de dommages humains et de 10 millions à titre de préjudices, bien moins que le juge nord-américain réclame à Cuba pour les trois provocateurs.
Nous avons demandé bien moins, mais savez-vous combien nous aurions pu réclamer si nous étions partis de la même base de calcul qu'eux ? Je vais vous expliquer brièvement. Comme la réclamation portait contre le gouvernement cubain et contre les forces de l'air, le juge a calculé que celles-ci disposaient de cent MIG, dont chacun valait 45 millions... Si seulement nous pouvions vendre sur le marché chacun de ces prétendus MIG de 45 millions ! Il a donc multiplié 45 millions par 100, ce qui donne 4,5 milliards de dollars. Ensuite, il a condamné l'Etat à payer à titre de dommages et intérêts 1 p. 100 de la valeur totale des forces de l'air, soit 45 millions. Tel est la base de son calcul : 45 millions pour chacun des morts, multipliés par trois. C'est là l'essentiel du montant, à quoi il a ajouté une quantité supplémentaire pour d'autres facteurs.
Savez-vous ce qu'il se serait passé si nous étions partis de cette même base de calcul ? Nous calculons que l'ensemble des forces de l'air des Etats-Unis vaut 500 milliards, en estimant leurs B-2, qui valent 2 milliards pièce, leurs B-52, leurs porte-avions, en plus de leurs milliers d'avions des plus modernes, à ce chiffre-là et non à leur valeur réelle, qui doit être bien plus du double, et sans compter la marine et l'armée, parce que, par exemple, ce sont leurs navires de guerre qui ont transporté les envahisseurs de Playa Girón, les chars fournis par l'armée de terre, les avions qui ont bombardé notre pays en portant de fausses couleurs cubaines et qui appartenaient aux forces armées. Si nous joignons les trois armes et que nous les pénalisons à payer des indemnisations pour 1 p. 100 de la valeur, vous imaginez le chiffre ! Mais, bon, nous nous sommes limités aux forces de l'air, qui valent 500 milliards. Un pour cent de 500 milliards, cela fait 5 milliards. Mais nous pourrions réclamer - non cette somme qui semblerait exagérée et qui est au contraire très en retrait - mais presque 2 billions de dollars, et si nous calculions à partir de la valeur réelle de tout l'équipement de leurs forces armées, eh bien, cela dépasserait le Produit intérieur brut des Etats-Unis en un an. Et tout ceci, lois et preuves à l'appui. Et ce sont eux qui ont posé ce précédent.
En tout cas, la Demande du peuple cubain contient, en un résumé de trente à quarante pages, l'histoire abjecte des agressions des Etats-Unis contre Cuba, les prétextes répugnants proposés à l'état-major nord-américain et approuvés à un moment donné par le président pour justifier une agression directe. Ce dernier point apparaît dans trois pages honteuses. Oui, tout ceci a été discuté et accepté par l'administration nord-américaine du moment, et a conduit le monde au bord de très graves dangers. Car ce sont les mesures que nous avons adoptées, nous, face à ce péril imminent qui ont provoqué la fameuse Crise des Missiles en octobre 1962, qui a failli conduire à une guerre mondial thermonucléaire. Telle a été une des conséquences de leurs actions absurdes et incroyablement irresponsables.
Si vous avez l'amabilité de lire cette Demande, vous disposerez de plus d'informations sur notre pays. Et je peux vous assurer qu'en travaillant aux côtés de magistrats, de procureurs et d'autres compagnons à la recherche de documents, de preuves, lisant et relisant, j'ai découvert quelque chose que je ne savais pas exactement : le total de conspirations visant à m'éliminer physiquement sur lesquels le ministère de l'Intérieur a fait des enquêtes. Je savais qu'il y en avait beaucoup. Le Sénat des Etats-Unis en a même reconnu certaines. Eh bien, vous savez combien ça fait au total, entre conspirations plus ou moins importantes, directes ou induites ? Ces gens-là recourent à trois méthodes : soit un plan direct pour liquider une personne; soit organiser des groupes apparemment indépendants, parfaitement entraînés, qui acquièrent une personnalité internationale et un droit de chasse à leur propre compte, le droit de tuer, bien entendu; enfin, la méthode induite : "Le démon, il faut le tuer... le démon, il faut le tuer... le démon, il faut le tuer." (Rires.) Et alors vous voyez apparaître des tas d'anges dans le ciel qui ont envie de tuer le démon. Bref, savez-vous à combien se sont montées ces conspirations ayant fait l'objet d'une enquête et connues dans une plus ou moins grande mesure ? Six cent trente-sept ! Pas de doute, ils ont fait de moi un champion (applaudissements). Si vous vouliez me décerner un prix pour ça, je serais plus disposé à le recevoir que les honneurs immérités dont vous m'avez honoré cet après-midi.
En quoi suis-je champion ? En deux choses : en conspirations peaufinées par l'impérialisme et ses sbires pour mettre fin à ma vie révolutionnaire, et en bonheur quand je constate leur incapacité à le faire ! Il se peut qu'ils y parviennent en fin de compte, mais ce sera alors en me faisant mourir de rire (rires et applaudissements).
Je ressens beaucoup d'admiration pour les hommes qui ont travaillé à l'éviter. J'ai toujours été le moins préoccupé, je le dis en toute franchise. Mais quand je dois me rendre à l'étranger, je suis toujours inévitablement accompagné de plus de personnel de sécurité que d'autres. Et ce personnel coordonne les choses en coopération étroite avec les autorités du pays en question, dont il respecte strictement les normes et les fonctions.
Savez-vous combien d'avions je dois utiliser ? Deux. Certes, ce sont des avions soviétiques, et il y a beau temps que l'Union soviétique a disparu, mais il nous reste encore quelques pièces détachées. Je blague avec mes collègues en leur disant : Je me considère plus courageux que vous, parce que je suis le seul qui vole encore sur un vieil appareil soviétique qui disposent de relativement peu de pièces. En fait, nos pilotes, nos mécaniciens, nos techniciens sont de vrais champions, eux. Et si je dois voyager avec deux avions, c'est que vous avez toujours des gens en train de vous peaufiner un plan par-ci et un plan par-là. Qui peuvent utiliser, par exemple, un Stinger situé à plusieurs kilomètres de l'aéroport. Les Etats-Unis ont disséminé ce genre d'équipement dans le monde, en en dotant les forces qu'ils emploient dans leurs sales guerres.
À l'avant-dernier Sommet ibéro-américain qui s'est tenu au Venezuela, des individus ont préparé un attentat. Ils ont partis de Miami, mais quand ils se trouvaient à proximité de Porto Rico, ils ont été arraisonnés par un garde-côte nord-américain à la recherche de drogues. À bord, il y avait deux fusils automatiques calibre 50 qui ont une portée de 1 400 mètres et qui peuvent perforer un blindage à 400 mètres, qui peuvent toucher un avion à l'atterrissage ou au décollage, équipés d'une lunette d'approche, d'un système de rayons infrarouges pour opérer de nuit, et les chargeurs correspondants pour tirer en position semi-automatique autant de balles que vous voulez. Ces individus ont été arrêtés et présentés devant les tribunaux de Porto Rico. Savez-vous qui avait organisé ce plan ? Le président et les meneurs de ce qu'on appelle la Fondation nationale cubano-américaine, dont plusieurs des chefs se sont fait prendre en photo, orgueilleux comme des paons, aux côtés du président des Etats-Unis ! Et ce n'est pas rien, ce qu'ils apportent comme argent aux candidats des deux partis. Les individus impliqués personnellement - mais pas le président de cette si méritante Fondation et d'autres responsables principaux, bien entendu - sont devant les tribunaux. On verra bien comment le procès se conclut.
Ils ont bien souvent failli réussir. Au Chili, pour citer un exemple, ils avaient réussi à se faire accréditer comme journalistes à partir de faux passeports et de faux documents vénézuéliens délivrés par des agent et des fonctionnaires véreux et vénaux, ils portaient une caméra dont l'objectif était remplacé par une mitraillette et ils se sont retrouvés à quelques mètres de moi, mais comme ce n'étaient pas des fanatiques, ils ont pris peur et ils n'ont pas tiré. Oui, plus d'une fois ils ont été assez près de réussir. Et puis, on dirait que j'ai eu un petit peu de chance. De toute façon, j'ai tâché de l'utiliser du mieux possible, parce que chaque année, chaque mois, chaque semaine, chaque jour, chaque heure de ma vie, je l'ai consacré à la lutte, non par esprit de vengeance, mais par loyauté à mes convictions. Je les ai pardonnés d'avance toutes leurs tentatives de me tuer, car ils m'ont rendu, tout compte fait, l'hommage de me considérer bien plus important que je ne suis, infiniment plus, et ils m'ont permis de battre un record.
N'empêche que leurs méthodes sont tout simplement répugnantes. Quand on travaillais sur les documents de la Demande, en voyant, l'un à côté de l'autre, tous leurs méfaits, tous les crimes qu'ils ont commis pendant quarante-cinq ans contre le peuple cubain, cela nous confortait, croyez-moi, dans notre mépris de l'impérialisme, dans la pire opinion que nous pouvions vraiment avoir de leur manque total de scrupules et de morale, et on se sentait, - et je ne n'exagère pas - encore plus révolutionnaire. Ce n'est pas que l’on ignorait tout ceci, bien entendu, car on l'apprend un jour dans telle dépêche, un autre dans tel rapport, un autre encore dans un nouvelle, mais, en tout cas, quand vous réunissez tout ça dans quelques pages, ça vous produit un effet, un impact vraiment fort, et moi-même qui ai vécu l'expérience de toutes ces années-ci, j'ai fini par le sentir. Il n'y pas une seule exagération dans cette Demande, ce sont des preuves irréfutables et des documents officiels du gouvernement des Etats-Unis.
Oui, ces gens-là, nous les connaissons bien. Par exemple, pourquoi cette tentative, en même temps que la guerre contre la Yougoslavie, de lancer ouvertement cette doctrine du droit à l'intervention mondiale pour n'importe quel motif ? Il fallait y faire front, et c'est ça qui m'a déterminé à dire ce que j'ai dit au Sommet. Ce n'est pas que je ne pensais pas parler et écrire de ces choses-là, mais cela me préoccupais d'avoir à le faire justement dans cette scène, au risque de paraître impertinent, voire discourtois envers les personnalités européennes qui participaient à ce dialogue constructif. Mais je n'avais pas le choix. J'ai lu trois minutes, en abordant juste quatre des seize paragraphes que j'avais surlignés. Tout le monde est resté pétrifié, c'a été le silence total, absolu... On devait censément aborder ensuite ce thème au cours d'une séance privée.
Si vous me le permettez, je vous lis les quatre paragraphes et quelques autres, pas les seize, mais peut-être dix ou onze, pour abonder un peu. On dit en droit qu'abondance de biens ne nuit pas. Si vous n'aimez pas ça, vous voilà servis ! (Applaudissements.) Je savais que, si je demandais la parole, je disposais de quatre minutes. Alors, j'ai fait un effort spécial, je me suis concentré, j'ai dit tout ce que j'avais à dire, et il m'est resté au moins une demi-minute de trop. Je suis sûr que si j'étais rentré à Cuba sans l'avoir dit, je me serais senti tout honteux. C'était un peu comme franchir le Rubicon, parce que ces quatre paragraphes et ces trois questions heurtaient directement la sensibilité d'intérêts et de forces très puissantes.
En premier lieu, il fallait dénoncer carrément, à cette importante réunion, la nouvelle conception stratégique de l'OTAN que celle-ci n'a pas pu occulter, parce que beaucoup de dépêches l'avaient déjà divulguée.
Second point sensible : étant donné que le projet de Déclaration du Sommet approuvé par les quinze pays de l'Union européenne reconnaît expressément que «cette association stratégique se fonde sur le plein respect du droit international et des objectifs et principes contenus dans la Charte des Nations Unies, à savoir les principes de la non-intervention, du respect de la souveraineté, de l'égalité entre les Etats et de l'autodétermination», cela voulait-il dire que les Etats-Unis, leur chef et allié principal, s'engagent eux aussi à respecter ces principes ? Sinon, quelle attitude adoptera l'Europe si les Etats-Unis commencent à n'importe quel moment, sous n'importe quel prétexte, à lancer des bombes et des missiles sur l'un des pays latino-américains ou caribéens ici réunis ?
Je vous ai dit que les Etats-Unis avaient envahi Haïti et Saint-Domingue pour des dettes impayées de quelques dizaines de millions. S'il leur chante de considérer qu'une dette aussi irrécouvrable que celle de l'Amérique latine, de plus de 700 milliards de dollars, que nul ne pourra jamais éponger parce que plus on la paie et plus elle enfle, est une menace mondiale et donc une raison suffisante pour une «intervention humanitaire», ils pourront commencer à lancer des bombes à droite et à gauche, par dizaines de milliers, sur notre région ou sur n'importe quel pays de notre région.
Troisième question délicate : il a fallu, pour la première fois dans une réunion internationale, mentionner ouvertement le fait que l'Occident, en particulier les Etats-Unis, ont aidé Israël à mettre au point des centaines d'armes nucléaires au sujet desquelles on a gardé un silence curieux et hermétique. Et cela avait étroitement à voir avec la gravité et l'arbitraire de la nouvelle conception stratégique de l'OTAN. Je ne l'ai pas mentionné pour suggérer, tant s'en faut, que l'OTAN lance des bombes et des missiles contre Israël, comme elle l'a fait contre la Serbie. Cet Etat du Moyen-Orient est peuplé d'Israéliens, de Palestiniens, de citoyens de différentes ethnies, religions et cultures. Je défends avec la fermeté la plus absolue le droit de tout le monde à vivre en paix. Un cas comme celui-ci, autrement dit une grande prolifération clandestine d'armes de destruction massive, ce qui est, selon la nouvelle doctrine de l'OTAN, un des motifs d'intervention militaire, prouve à quelle point celle-ci est absurde, irréelle et contradictoire : ce petit pays conjugue en effet des conflits internes, une prolifération d'armes de destruction massive, des dépurations ethniques et des risques de guerre incessants, qui sont tous des motifs d'intervention militaire de l'OTAN. Il ne viendrait pourtant à l'idée de personne qu'un problème aussi complexe puisse se régler en lançant des dizaines de milliers de bombes sur des installations électriques, des réseaux de distribution, des usines, des routes, des ponts et des services vitaux sans lesquels ne pourraient survivre des millions de personnes innocentes qui n'ont pas la moindre responsabilité dans les problèmes qui s'y sont accumulés. N'importe qui comprend que ces problèmes-là ne peuvent se régler selon les méthodes de l'OTAN, au risque de provoquer assurément une catastrophe colossale.
Pour qui et en vue de quoi a-t-on conçu cette doctrine stupide et criminelle ? Pour les pays ne possédant pas d'armes nucléaires, n'appartenant pas à de puissants blocs militaires et ne risquant pas d'entraîner des complications trop sérieuses, et uniquement pour eux ! L'ensemble de l'Amérique latine et des Caraïbes, l'Afrique et la plupart des pays asiatiques seraient compris en l'occurrence dans la zone de risque. Aucun pays vraiment digne et prêt à se battre ne se laissera intimider. Nous savons pertinemment qu'on peut repousser une agression de ce genre.
Cette alliance militaire que conduisent les Etats-Unis vient de livrer une guerre impitoyable et génocide contre un peuple européen qui a accumulé de grands mérites historiques et qui n'est pas coupable des erreurs commises par le gouvernement yougoslave et les gouvernements européens dans les Balkans ces dix dernières années. En fait, le gouvernement qui dirigeait ce qu'il reste de la Yougoslavie n'était pas un gouvernement socialiste; voilà plus de dix ans qu'il avait cessé de l'être, qu'il avait supprimé le nom de République socialiste fédérative de Yougoslavie pour prendre simplement celui de République fédérative de Yougoslavie, qu'il avait adopté toutes les normes qu'exige l'Occident, autrement dit le libre-marché et le genre d'organisation politique, bourgeoise et capitaliste, que les Etats-Unis et l'Europe prétendent imposer comme recette universelle à tous les autres. Et pourtant, la Yougoslavie socialiste où la paix avait régné pendant presque un demi-siècle, a été désintégrée, et c'est cette désintégration dont l'Occident est responsable qui a déclenché presque aussitôt toutes sortes de conflits ethniques, culturels et nationaux. Tous les peuples qui la composaient en ont souffert les conséquences.
D'ailleurs, les conflits n'ont pas été seulement ethniques, puisque les Croates, les Serbes et les Bosniaques sont slaves, mais les uns sont catholiques, d'autres sont orthodoxes et d'autres encore musulmans. En tout cas, des conflits culturels, religieux et nationaux se sont déclenchés. Au Kosovo, il s'est agi d'un conflit qui avait, lui, des ingrédients ethniques.
Mais l‘on ne parle de sa cette responsabilité. Pas plus qu'on ne parle de l'holocauste serbe, qui a duré du 6 avril 1941 jusqu'aux derniers jours de la guerre, et au cours duquel des centaines de milliers de Serbes, hommes, femmes et enfants, ont été exterminés systématiquement et froidement dans des camps de concentration, selon les mêmes méthodes nazies utilisées à Auschwitz, à Dachau et ailleurs, et appliquées par un fasciste qu'Hitler avait installé au pouvoir après avoir occupé une partie de la Yougoslavie qui comprenait la Croatie, la Bosnie, l'Herzégovine et une partie de la Vojvodine.
J'en ai parlé à un congrès culturel auquel participaient de six à sept cents délégués étrangers, et j'en ai profité pour demander si quelqu'un d'entre eux était au courant de cet holocauste. Eh ! bien, un seul, un Allemand, a levé la main pour dire qu'un livre avait été publié dans son pays sur cette question et que certains autres avaient été publiés en Yougoslavie là-dessus. Un holocauste réel ! Et l'Europe n'en a pas dit un traître mot, elle l'a occulté. Pourquoi ? Parce que c'étaient des Serbes ? Parce que les Serbes faisaient partie après la guerre d'une république socialiste ? Oui, vraiment, pourquoi ? Il y a encore des mystères à déchiffrer, et il est possible de le faire. Il doit sûrement exister sur cette question bien plus d'informations que celles dont je disposais quand j'en ai parlé à ce congrès culturel, le 11 juin, voilà moins d'un mois. Il ne faut pas seulement semer des idées, il faut éclaircir le monde au sujet de la gigantesque hypocrisie de l'Occident.
Je vais vous en donner un autre exemple. Des politiques européens ont parlé du durcissement des lois cubaines, critiquant en particulier le fait que notre Code pénal reconnaisse la peine de mort. Nous les avons durcies, c'est un fait, mais dans quels cas ? Eh ! bien, dans les cas de viols commis contre des mineurs, qui sont même passibles, en cas de gravité extrême et répugnante, de la peine de mort.
Nous recevons maintenant presque deux millions de touristes par an. Ce sont des gens normaux en général, de nombreux Canadiens et Européens à l'attitude exemplaire. Mais vous avez toujours des touristes de n'importe quelle origine qui viennent en quête de sexe. Alors, nous devons protéger notre peuple, en particulier nos enfants et nos adolescents, à plus forte raison depuis l'apparition de maladies comme le sida à la suite de quoi des gens sans scrupules qui veulent du plaisir sans risque pensent que des fillettes ou des garçonnets de onze ans, ou de dix, ou même de huit et de sept, sont moins dangereux que des adultes. Et vous avez toujours quelqu'un qui s'offre à promouvoir de tels services. Nous avons aussi durci les peines contre le proxénétisme, notamment contre la corruption de mineurs. Tout l'or du monde vaut moins que la pureté et la dignité d'une petite fille cubaine ou d'un petit garçon cubain ! (Applaudissements.)
Nous avons de même aggravé les peines, qui vont jusqu'à la peine capitale, dans les cas de trafic de drogue. Pourquoi ? Parce que l'ouverture de notre pays au tourisme, qui entraîne l'arrivée de millions de touristes par an, entre étrangers et citoyens d'origine cubaine, qui entrent et partent avec beaucoup de facilité, parfois même sans visa, a créé des conditions propices pour que des délinquants internationaux cherchent à trafiquer de petites cargaisons de drogues. De plus, des sociétés étrangères associées à des sociétés cubaines disposent des facilités pertinentes pour importer ou exporter des matières premières ou des produits finis.
Or, nous avons découvert que l'une d'entre elles avait investi à Cuba dans l'idée de déplacer de grosses quantités de drogue entre la Colombie et l'Espagne. Nous l'avons découvert à temps, heureusement. Nous aurions même pu capturer les prétendus hommes d'affaires européens si certains fonctionnaires colombiens nous avaient transmis les informations qu'ils possédaient déjà, conformément aux accords souscrits entre les deux pays, au lieu de les rendre publiques par soif de publicité et par suite des conseils pas du tout transparents de fonctionnaires nord-américains. Ces faux hommes d'affaires réfugiés dans leur pays d'origine n'ont pas encore été arrêtés.
Cuba ne peut tolérer une chose pareille. C'est un outrage à notre pays qui compromet son prestige et même sa sécurité. Et voilà la raison, qui est incontestablement digne d'être prise en considération, pour laquelle notre Assemblée nationale a décidé de prévoit la peine capital pour trafic de drogue à grande échelle avec utilisation du territoire cubain et d'élever les peines d'incarcération pour les délits moins graves.
Notre Code pénal, c'est un fait, contient la peine de mort. Mais l'Assemblée nationale a décidé, à sa dernière session, de créer la peine de réclusion à perpétuité en guise de peine de substitution, afin de n'appliquer la première qu'aux cas exceptionnels. Par ailleurs, toute sentence de ce genre doit d'abord être ratifiée par le Tribunal suprême, puis passe automatiquement devant le Conseil d'Etat, formé de trente et une personnes possédant leurs vues à elles et indépendantes, où elle est étudiée de nouveau avec soin - et les crimes sanctionnés sont en général répugnants, horribles. Faute d'un consensus quasi unanime du Conseil d'Etat, la peine de mort, entérinée d'abord par le Tribunal suprême, je vous le rappelle, ne s'exécute pas.
Voilà comment ça se passe. Ce n'est pas comme chez nos voisins du Nord, où la peine de mort n'est réservée qu'aux Latino-Américains, aux Indiens, aux métis et aux Noirs (applaudissements).
L'Europe, qui ne connaît pas depuis belle lurette les terribles problèmes sociaux dont souffrent nos pays, a décidé d'éliminer la peine capitale. Mais cent vingt-neuf pays du monde ne l'ont pas estimé possible. Quant à nous, nous rêvons du jour où nous pourrons supprimer cette peine sévère. J'ai dit un jour à un dirigeant européen préoccupé par cette question : Vous vous inquiétez, vous, les Européens, de la peine de mort. C'est une idée, un sentiment que je respecte, mais il existe deux causes de peine de mort. La première, ce sont les sanctions pénales qui doivent concerner tous les ans plusieurs milliers de personnes dont les actions ont provoqué la mort de nombreux innocents ou de personnes sans défense, ou ont causé des dommages considérables à la société. Ce n'est pas pour autant que je considère comme indécente la préoccupation d'un pays, ou d'un homme ou d'une femme, entre autres de nombreux amis de Cuba et bien des gens nobles et bons dans le monde, qui s'oppose à cette peine pour des motifs religieux ou philosophiques. Trois députés chrétiens de notre Assemblée nationale ont présenté des objections quant décision a été prise de l'appliquer aux crimes dont je vous ai parlé. Ceux qui pensent ainsi sont des personnes dignes du plus grand respect. Ce qui n'est pas digne de respect, ce sont l'hypocrisie et le mensonge. Pourquoi ? Parce qu'il existe une autre peine de mort vraiment horrible, celle-là : la faim et la pauvreté qui tuent tous les ans des dizaines de millions de personnes dans le monde ! Voilà pourquoi j'ai dit à des dirigeants européens : n'attendons donc pas que toutes les conditions soient réunies dans le monde pour pouvoir éliminer la peine capitale. Mettons-nous plutôt sans retard au travail pour sauver de la mort des dizaines de millions de personnes du tiers monde tous les ans (applaudissements).
Et je leur ai même dit : Cuba est prête à collaborer. Tenez, plus d'un million de personnes meurent tous les ans en Amérique latine, alors qu'elles pourraient se sauver rien qu'en envoyant des médecins aux endroits où il n'y en a pas. Nous vous promettons notre coopération et nous sommes prêts à envoyer des milliers de médecins.
Car c'est celui-là, le capital humain dont je vous ai parlé au début. À quoi nous servirait d'être le pays qui compte le plus de médecins au monde par habitant si chacun d'eux n'était pas en règle générale - comme un principe sacré et par une tradition profondément ancrée - un missionnaire, un pasteur, un prêtre, un martyr de la santé humaine et de la vie ? Pourquoi croyez-vous que nos médecins - qui sont aussi des femmes, parce que presque la moitié le sont dans notre pays - se rendent résolus dans des endroits où l'on n'arrive qu'après avoir patauger des jours et des jours dans la boue, parfois seuls, des endroits privés d'électricité, où faire parvenir la moindre lettre à la famille met beaucoups de temps, où abondent les moustiques, les vipères et toutes les calamités que vous pouvez trouver dans des jungles et des régions humides tropicales ? Et c'est dans des endroits que vous trouvez des médecins cubains, hommes et femmes confondus.
Je crois vous avoir dit que Cuba a offert deux mille médecins à l'Amérique centrale. J'ai presque envie de me demander si l'Europe et les Etats-Unis pourraient réunir ensemble deux mille volontaires pour partir là où travaillent nos médecins (applaudissements). Nous avons offert les services gratuits de trois mille médecins aux pays situés au nord de l'Afrique subsaharienne, les pays les plus pauvres où le taux de mortalité infantile dépasse parfois, à certains endroits, 200 décès pour 1 000 naissances vivantes par an et où l'on pourrait sauver des centaines de milliers de vies, surtout d'enfants, pour quelques centimes parfois. Et nous disons aux pays riches : Si vous fournissez, vous, les médicaments, nous envoyons, nous, les médecins. En fait, nous avons déjà envoyé les premiers alors qu'aucun pays industriel ne s'est encore engagé à fournir les médicaments, qui sont finalement disponibles grâce aux efforts des gouvernement eux-mêmes ou de certaines organisations non gouvernementales de nature vraiment humanitaire, elles. En tout cas, un grand nombre de médecins cubains sont d'ores et déjà en train de sauver des vies, en espérant que les pays dotés de plus de ressources fournissent des médicaments, ce qui coûte le moins.
J'ai conversé avec un certain nombre de dirigeants européens et je me propose de continuer de le faire, afin que Cuba puisse envoyer jusqu'à six mille médecins aux endroits qui en ont le plus besoins dans différentes régions du monde. Six mille, parce que c'est le maximum que Cuba peut assumer à elle toute seule, en continuant de payer le salaire de ces médecins et de couvrir certains frais d'eux-mêmes et de leurs familles.
Maintenir une école de 3 400 étudiants de médecine latino-américains coûte des millions. La créer en quelques semaines après le passage de deux cyclones qui ont causé des dégâts humains et matériels épouvantables en Amérique centrale et dans les Caraïbes a aussi coûte des millions. En butte à un blocus, nous l'avons pourtant fait, et avec plaisir. Car il va sortir de cette institution, non seulement des médecins diplômés, mais encore une doctrine de ce que doit être le médecin et des responsabilités qu'il assume dans la protection de la santé, du bien-être physique et de la vie de l'être humain.
Nous nous sentons satisfaits d'avoir pu inculquer d'une façon aussi massive cet esprit de solidarité et de sacrifice. Quand nous en avons parlé dans notre pays, pratiquement tous les travailleurs de la santé - dont les personnels infirmiers, les techniciens et le reste du personnel qualifié - se sont portés volontaires. En fait, chaque médecin peut se convertir en une mini-école pour personnels infirmiers et pour personnels techniques auxiliaires si on envoie à ses côtés des jeunes de l'endroit ayant conclu les études primaires qu'il peut parfaitement former en peu de temps par son enseignement théorique et pratique.
Et si nous ne pouvons pas dépasser six mille, c'est parce que Cuba, comme je l'ai dit, doit faire un certain nombre de dépenses en plus du salaire mensuel de ces médecins. Nous avons dû bien des fois nous charger nous-mêmes de les transporter dans nos propres avions en payant tous les frais, parce que les pays concernés n'étaient même pas en mesure de le faire. Ç'a été aussi très souvent le cas pour les boursiers de l'Ecole latino-américaine de médecine, dont les familles ne pouvaient pas payer le billet d'avion.
Nous accueillerons tous les ans 500 Centraméricains et 750 étudiants du reste de l'Amérique latine. Nous avons aussi accueilli un petit nombre de Brésiliens provenant de différents Etats, non parce que ce grand pays en a besoin, mais parce que nous souhaitons, nous, que tous les pays latino-américains de langue espagnole et de langue portugaise, qui sont très semblables, y soient représentés. Par ailleurs, la faculté de médecine de Santiago de Cuba a reçu environ 120 Haïtiens, qui devront apprendre l'espagnol auparavant. Cuba accueillera donc tous les ans de 1 350 à 1 400 boursiers de médecine latino-américains. Et je ne compte pas les boursiers des autres îles de la Caraïbe, qui ont le droit de faire n'importe quel type d'études, gratuitement, dans nos universités (applaudissements).
Cuba compte vingt et une facultés de médecine. Vingt-deux, avec l'Ecole latino-américaine, où les étudiants feront d'abord une espèce de propédeutique, puis les deux premières années de sciences de base, qui sont les plus difficiles. Ensuite, ils gagneront les facultés normales du pays, parce que, dès la troisième année, tous nos étudiants de médecine travaillent dans des hôpitaux et ne reçoivent pas seulement un enseignement théorique. Avant le triomphe de la Révolution, vous aviez des chirurgiens qui sortaient de l'école sans jamais avoir fait avant une seule opération. Les étudiants cubains de nos jours se familiarisent très tôt avec les soins hospitaliers. Nous espérons que ces jeunes qui proviennent de régions reculées de notre Amérique, d'origine très modeste en règle générale, anxieux d'étudier cette noble carrière, finiront par devenir meilleurs que nos propres étudiants. Le plus important, c'est qu'ils soient prêts à remplir n'importe quelle mission et n'importe quelle tâche, n'importe où. C'est ça qui a permis à notre pays de pouvoir compter sur l'énorme potentiel médical dont il dispose aujourd'hui. Je peux même ajouter avec plaisir que s'il faut choisir entre deux endroits dont l'un est pire que l'autre, nos compatriotes se font un point d'honneur de le choisir.
C'est grâce à ces efforts, au capital humain que nous avons créé, que nous pouvons prêter des services de cette nature et que nous pouvons inviter les pays qui possèdent tant de ressources, dont le Produit intérieur brut dépasse parfois de vingt ou de vingt-cinq fois le nôtre, à coopérer en fournissant des médicaments pour sauver allez savoir combien de vies. Parce que nous savons à quels endroits meurent les gens, dans quels quartiers marginaux, dans quelles régions reculées qui n'ont jamais vu l'ombre d'un médecin.
Ce qu'il me manque, en fait, pour conclure, ce sont les points relatifs à cette nouvelle conception stratégique de l'OTAN qui provoque tant d'inquiétude et que j'ai mentionnée avec insistance. Même si je n'en utilisé que quatre, je vais vous lire de toute façon les onze points les plus significatifs.
Premier point : «Les Alliés renforcent leur capacité d'action, y compris leur pouvoir militaire, en vue de promouvoir la paix et la stabilité en Europe et dans un contexte plus large.»
Ces gens-là ne pensent pas à sauver des vies, oh ! non, mais à tuer des personnes, à supprimer des vies (applaudissements).
Deuxième point : «La sécurité de l'Alliance reste menacée par une grande variété de risques militaires et non militaires, qui prennent diverses formes et sont d'ordinaires malaisés à prévoir. Apparaissent parmi ces risques l'incertitude et l'instabilité dans la région euro-atlantique - je crois que nous sommes ici-même dans un port euro-atlantique - et à ses alentours, et la possibilité de crises régionales à sa périphérie.»
Troisième point : «En matière de sécurité, l'Alliance doit aussi tenir compte du contexte mondial. Ses intérêts peuvent être mis en danger par d'autres risques d'un caractère plus vaste.»
Quatrième point : «L'OTAN s'efforcera, en coopération avec d'autres organisations, d'éviter des conflits et, en cas de crises, de contribuer efficacement à leur gestion, en conformité avec le droit international, ce qui inclura la possibilité d'entreprendre des opérations de réponse à des crises non visées à l'article 5.» L'article 5 est justement celui qui leur interdit de sortir de leurs frontières.
Cinquième point : «Les forces militaires combinées de l'Alliance doivent être prêtes à contribuer à la prévention de confits et à réaliser des opérations de réponse à des crises non visées à l'article 5.» Deux fois cité !
Sixième point : «Les forces militaires de l'Alliance pourront aussi, en vue de contribuer à la préservation de la paix et de la sécurité internationales, être appelées à réaliser des opérations de soutien à d'autres organisations internationales, de façon à compléter et à renforcer les actions politiques selon une approche large de la sécurité.»
Septième point : «La participation éventuelle des associés et d'autres pays non membres à des opérations dirigées par l'OTAN - autrement dit, nous vous invitons, mesdames et messieurs, à participer à nos tueries ! - les dimensions, la préparation, la disponibilité et le déploiement des forces militaires de l'Alliance refléteront les engagements de celle-ci envers la défense collective et le développement d'opérations de réponse à des crises, parfois peu de temps à l'avance, loin de leurs bases, y compris dans des opérations éloignées du territoire des Alliés.» Eloignées du territoire des Alliés ! Je ne sais pas si ici, au Brésil, vous êtes près ou loin... en tout cas, Cuba, elle, elle ne peut être plus collée !
Huitième point : «L'Alliance disposera de plus de forces, dotées de l'entraînement requis, pour effectuer des opérations prolongées, soit dans le territoire qui la couvre soit à l'extérieur.»
Point neuf : «Les forces de l'OTAN peuvent être appelées à opérer hors de leurs frontières.» Une vraie obsession !
Point dix : «La préparation et la poursuite d'opérations hors du territoire des Alliés, au cas où le pays d'accueil ne fournirait qu'un maigre soutien ou aucun, imposeront des contraintes spéciales en matière de logistique.»
Enfin, le point onze, qui fait partie d'un autre document adopté ce jour-là et intitulé Initiative relative aux capacités défensives : «Il est plus que probable que les menaces éventuelles à la sécurité de l'Alliance proviendront de conflits régionaux ou ethniques, ou d'autres crises se déroulant au-delà de son territoire, ou de la prolifération des armes de destruction massive et de leurs vecteurs.» Ça, c'est le paragraphe relatif à ce que je disais au sujet de ces arsenaux constitués avec la complicité de l'Occident, contenant un nombre d'armes élevé et représentant des cas de prolifération clandestine et abondante d'armes de destruction massive dotées des vecteurs correspondants.
Ici, comme j'ai eu un petit plus de temps que là-bas, à la conférence au Sommet, et que j'ai affaire à des gens bien plus patients, j'ai tenu à vous parler de ce thème qui a une importance énorme, en plus de vous recommander certains documents que nous vous ferons parvenir et que nous souhaiterions vraiment que vous lisiez. Nous vous devons aussi la brochure de la Demande et mon discours aux étudiants vénézuéliens. Carlitos, du discours au Venezuela, combien en as-tu apporté ? Combien t'en reste-t-il ? (Mille, lui répond-il.) Et il t'en reste ? Tu as tout distribué ? Parce que tu as ici quelqu'un qui est capable d'en tirer dix mille en un jour, et ça doit au moins suffire. Combien de professeurs compte l'Université ? (Deux mille, lui répond-on.) Me permettriez-vous d'envoyer un exemplaire de mon discours du Venezuela à chaque professeur ? (Applaudissements.) Eh, Carlos, ne le distribue pas tout de suite, parce que ça va semer le désordre. Envoie tout ça aux responsables. Ceux qui vous ont invités ont-ils les listes ? Tu peux le leur adresser. Le discours du Congrès culturel, nous l'avons en portugais, et puis aussi celui de Venezuela et la Demande. Trois brochures à distribuer gratis aux professeurs, en vous demandant sincèrement de nous excuser pour les inconvénients.
Si nous pouvions les adresser aux professeurs d'autres universités ! J'ai déjà eu une réunion avec les dirigeants du syndicat des professeurs universitaires. Quelle récompense ! Il était une heure du matin, j'allais monter me reposer, ils m'ont attrapé en cours de route, ils m'ont conduit dans une salle de l'hôtel et j'ai eu le privilège de parler avec eux quelques minutes. Ça m'a servi en tout cas à constater qu'on pouvait me comprendre en espagnol. En parlant lentement, m'ont-ils dit, c'est plus facile, et voilà pourquoi j'ai pu continuer de parler espagnol aux Brésiliens.
Nous allons donc vous envoyer ces trois brochures. Les délégués du Congrès étudiant de Belo Horizonte en ont déjà cinq mille du discours de la culture et cinq mille de celui de Caracas.
Maintenant, quelqu'un veut-il être assez aimable pour me dire combien de temps j'ai parlé ? (Rires. Plus de trois heures, lui dit-on.) Zut alors ! Un chouïa, juste un petit chouïa de trop ! Je dois vraiment m'excuser auprès de vous; la prochaine fois, je serai plus bref (applaudissements). En tout cas, je vous laisse avec ce que j'ai dit, et avec les trois brochures qu'on vous fera parvenir au plus tôt. En attendant, toute cette cargaison que tu as là, avec toi, et qui était prévue pour ici, laisse-la-leur pour qu'ils la distribuent à leur manière. De toute façon, que personne ne s'inquiète, nous vous ferons parvenir les quantités nécessaires, et s'il y en a de trop, eh ! bien, vous pouvez distribuer le reste à d'autres professeurs, à des amis, à des intellectuels.
Je vous remercie. (Ovation.)