ALLOCUTION DE FIDEL CASTRO RUZ, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE DE CUBA, POUR LE SOIXANTIÈME ANNIVERSAIRE DE SON ENTRÉE À L’UNIVERSITÉ, DANS LE GRAND AMPHI DE L’UNIVERSITÉ DE LA HAVANE, LE 17 NOVEMBRE 2005
(Révision
et correction faites par son propre auteur, en respectant intégralement les
idées exprimées dans son discours)
Chers étudiants et professeurs de
toutes les universités cubaines ;
Chers compañeros dirigeants et autres invités qui avaient partagé avec
moi tant d’années de lutte,
Voila venu le
moment le plus difficile, celui où je dois dire quelques mots dans ce Grand
Amphi où tant de mots ont déjà dit. Un monde d’idées me vient à l’esprit, et
c’est logique. Tant de temps s’est écoulé…
Vous avez été très aimables de rappeler ce jour très spécial, le soixantième anniversaire de ma timide entrée à cette université.
Je
regardais une photo de l’époque. La veste ; l’expression du visage, mais
je ne saurais dire si elle est de quelqu’un de fâché, ou de méchant, ou de bon,
ou d’indigné, parce que la photo a été prise non le premier jour, mais quelques
mois après, il me semble, que je
commençais à réagir à tant de choses comme celles que je constatais. Je n’avais
pas une pensée formée, tant s’en faut, c’était une pensée avide d’idées, mais
aussi d’envie de connaître ; un esprit peut-être rebelle, plein
d’ambitions, d’ambitions non révolutionnaires, mais en tout cas d’ambitions et
d’énergie, et peut-être aussi d’envie de lutter.
J’avais
été sportif, j’avais escaladé des montagnes. On m’avait même converti, je ne
sais pas pourquoi, en une espèce de scout, une sorte de lieutenant et ensuite,
plus tard, de général scout. Si bien que quand j’étais lycéen, on m’avait donné
des grades bien plus élevés que ceux que j’ai aujourd’hui (rires), parce qu’après je n’ai été que simple commandant. Quant à
ce grade de commandant en chef, ça ne voulait dire que chef de cette petite
troupe d’à peine quatre-vingt-deux hommes qui ont débarqué du Granma.
Cette
appellation est venue après le débarquement du 2 décembre 1956. Quelqu’un
devait bien être chef des quatre-vingt-deux, et le « en » est venu
après. De commandant chef, je suis devenu commandant en chef à l’époque où il y
avait déjà d’autres commandants, qui avait été le grade le plus élevé pendant
bien longtemps. Je me souvenais de tout ça. Il faut bien penser à ce qu’on
était, à ce qu’on pensait, à ce qu’on éprouvait comme sentiments.
Des
circonstances spéciales de ma vie m’ont peut-être fait réagir. Très tôt, ma vie
n’a pas été facile, et c’est peut-être pour ça que j’ai développé ce métier de
rebelle.
On
parle de rebelles sans cause. En tout cas, il me semble me rappeler que j’étais
au contraire un rebelle avec de nombreuses causes, et je remercie la vie
d’avoir pu continuer d’être, tout au long de mon existence, rebelle, même
aujourd’hui, et peut-être avec encore plus de raisons qu’avant, parce que j’ai
plus d’idées, plus d’expérience, parce que j’ai beaucoup appris de ma propre
lutte, parce que j’ai bien mieux compris cette terre où je suis né et ce monde
où nous vivons, aujourd’hui mondialisé et à un moment décisif de son évolution.
Je n’oserais pas dire un moment décisif de son histoire, parce que celle-ci est
bien plus brève. Elle est vraiment infime par rapport à la vie d’une espèce
qui, tout récemment, voilà trois ou quatre ou cinq mille ans, a commencé à
faire ses premiers pas après sa longue et sa brève évolution. Je dis
« longue et brève » parce que l’homme a évolué pour devenir un être
pensant peut-être en quelques centaines de milliers d’années, après que la vie soit
apparue sur cette planète selon les connaisseurs, si je ne me trompe pas, voilà
un milliard ou un milliard et demie d’années. La vie est d’abord apparue, puis
des millions d’espèces. Et nous ne sommes que ça, une de beaucoup d’espèces qui
sont apparues sur cette planète. Voilà pourquoi je dis que c’est au terme d’une
vie brève et à la fois longue que nous sommes arrivés à cette minute-ci, à ce
millénaire-ci dont on dit qu’il est le troisième de l’ère chrétienne.
Pourquoi
est-ce que je tourne tant autour de cette idée ? Parce que j’ose affirmer
que cette espèce-ci court vraiment le danger de s’éteindre, et nul ne pourrait
assurer, écoutez bien, nul ne pourrait assurer qu’elle survive à ce danger.
Que
l’espèce ne survivra pas, c’est quelque chose dont on a parlé voilà deux mille
ans. Je me rappelle quand j’étais à l’école avoir entendu parler de
l’Apocalypse, prophétisé dans la Bible, un peu comme ci, voilà deux mille ans,
certains s’étaient rendus compte que cette chétive espèce pouvait disparaître
un jour.
Les
marxistes aussi, bien entendu. Je me souviens très bien d’un livre d’Engels, Dialectique de la nature, où il
dit que le Soleil s’éteindrait un jour, que le combustible qui alimente le feu
de cette étoile qui nous éclaire s’épuiserait et que la lumière du Soleil
cesserait d’exister. Et alors je me pose une question que vous vous êtes posés
vous-mêmes un jour, ou vos professeurs, ou des milliers et des centaines de
milliers comme vous : notre espèce sera-t-elle capable ou non d’émigrer
vers un autre système solaire ?
Vous
ne vous l’êtes jamais posé ? Eh bien, un jour ou l’autre, vous vous la
poserez, parce qu’on se pose bien des questions tout au long de sa vie, surtout
quand il existe une raison de se la poser. Et je crois que l’homme n’a jamais
plus de raisons de se la poser. En effet, si cette homme qui était marxiste
s’est posé la question de la disparition de la chaleur et de la lumière du
Soleil, et a pensé comme scientifique que le système solaire cesserait un jour
d’exister, nous aussi, en tant que révolutionnaires, et en faisant voler notre
imagination, nous devons nous demander ce qu’il arrivera et s’il existe un
petit espoir que cette espèce-ci s’échappe en direction d’un autre système
solaire où la vie existe ou peut exister. Tout ce que nous savons à présent,
c’est qu’il existe un
Soleil à quatre années-lumière parmi les centaines de milliards de soleils
existant dans cet énorme espace dont nous ne savons encore trop bien s’il est
fini ou infini.
D’après
nos maigres connaissances en physique, en mathématique, en lumière et en
vitesse de la lumière, d’après ceux qui voyagent vers les planètes les plus
proches où ils ne trouvent rien, et ceux qui voyageront vers Vénus – qui était
à l’époque des Romains la déesse de l’Amour – et ceux qui auront le privilège
d’y arriver, on se retrouvera en face de cyclones qui sont je ne sais combien
de centaines de fois pires que Katrina, que Rita, ou que Michelle ou que Mitch
et tous les autres qui nous frappent avec toujours plus de violence. On dit en
effet que la température sur Vénus est de 400º, et qu’il y a des masses d’air
ou d’atmosphère lourde en mouvement constant.
Ceux
qui sont allés sur Mars, dont on disait que c’était un petit endroit où la vie
a peut-être existé – Chávez blague à ce sujet en affirmant que la vie y a
peut-être existé – et a disparu cherchent une particule d’oxygène ou tout autre
indice de vie. Bien des choses ont pu se passer, mais le plus probable c’est
qu’aucune vie développée n’ait jamais existé sur aucune de ces planètes. L’ensemble
de facteurs qui ont rendu la vie possible a joué au bout de milliards d’années
sur la planète Terre. Cette vie fragile n’a pu se développer que dans des
fourchettes de températures limitées, entre quelques degrés en dessous de zéro
et quelques degrés au-dessus de zéro ; car personne ne survit dans une eau
à une température de 60º et la mort surviendrait au bout de vingt secondes, et
il suffirait de quelques dizaines de degrés en dessous de zéro, sans chaleur
artificielle, pour que personne ne survive. La vie a surgi dans des marges de
températures limitées.
Si
je parle de la vie, c’est parce que quand on parle d’universités, on parle de
vie.
Qui
êtes-vous ? Si vous me posiez la question, je dirai que vous êtes la vie,
que vous êtes des symboles de la vie.
Nous
avons évoqué ici des événements de nos vies, de notre université, de notre Alma Mater, nous avons évoqué ceux
d’entre nous qui y sommes entrés voilà des dizaines d’années et ceux qui y sont
aujourd’hui, qui sont maintenant en première année ou sur le point de se
diplômer, ou certains qui sont déjà diplômés et qui remplissent des fonctions
que d’autres, moins expérimentés, ne pourraient pas réaliser.
J’essayais
de me rappeler comment étaient ces universités-là, à quoi nous nous
consacrions, de quoi nous nous inquiétons. Nous nous inquiétons de cette île,
de cette petite île. On ne parlait pas encore de mondialisation, la télévision
n’existait pas, l’Internet non plus, pas plus que les communications
instantanées d’un bout à l’autre de la planète, c’est à peine s’il y avait le
téléphone et peut-être quelques avions à hélice.
En
tout cas, à l’époque, vers 1945, nos avions de passagers arrivaient à peine à
Miami et encore avec bien du mal. Même si j’entendais parler quand j’étais
écolier du voyage de Barberán et Collar. À Birán, on disait :
« Barberán et Collar sont passés par ici. » C’étaient deux pilotes
espagnols qui avaient traversé l’Atlantique et avaient poursuivi jusqu’au
Mexique. Après, on n’en a plus entendu parler. On discute encore de l’endroit
où ils se sont écrasés : en mer entre Pinar del Río et le Mexique, ou au
Yucatán, ou ailleurs… En tout cas, on n’a plus jamais rien su d’eux, mais ils
avaient eu en tout cas l’audace de traverser l’Atlantique sur un petit avion à
hélice qu’on venait juste d’inventer. C’est au début du siècle dernier que
l’aviation a vu le jour.
Une
guerre terrible venait juste de se terminer qui a coûté environ cinquante
millions de morts. Je parle de 1945, l’année où je suis entré à l’université,
le 4 septembre. Oui, parce que c’est le 4 septembre que j’y suis entrée, mais
vous avez pris ensuite la liberté de fêter cet anniversaire n’importe quel
jour, le 4 ou le 17 ou même en novembre, comme aujourd’hui. Il y a tant de
commémoraisons que vous ne pourriez pas organiser tant de cérémonies, ni moi y
assister, et j’aurais énormément regretté de ne pas pouvoir assister à une
cérémonie à laquelle vous m’auriez invité, comme celle-ci dans ce Grand Amphi.
En
fait, j’ai beaucoup de réunions tous les jours, je bavarde tous les jours des
heures et des heures avec les gens, en particulier de jeunes, d’étudiants, ou
avec les brigades médicales qui partent remplir de glorieuses missions qui
presque personne d’autre n’est capable de remplir dans ce monde dont j’ai
parlé. En effet, aucun autre pays ne pourrait envoyer un millier de médecins à
un peuple frère d’Amérique centrale, ou encore les médecins qui sont en train
de se battre contre la douleur et la mort, face à la pire tragédie naturelle
jamais survenue dans un pays.
J’ai
conversé avec chacune de ces brigades, une par une, je leur ai dit adieu. Avec
celles qui sont parties à l’autre bout du monde, à dix-huit heures de vol, où
est survenue une des plus grandes tragédies humaines que notre monde a connues
depuis bien longtemps, je ne me souviens d’aucune autre de ce genre, à cause de
l’endroit où elle a eu lieu, des gens modestes qu’elle a frappés, des bergers
vivant sur des montagnes très élevés, à la veille d’un hiver qui s’annonce très
rigoureux, à un endroit de très grand misère, face à l’insensibilité du monde.
Oui,
d’un monde insensible capable de dépenser un billion de dollars tous les ans en
publicité pour se payer la tête de l’immense majorité de l’humanité – qui paie
en plus les mensonges qu’on lui raconte ! – transformant les gens en des
gens auxquels on enlève la capacité de penser, parce qu’on leur fait consommer
du savon, par exemple, qui est le même savon sous dix marques différentes. Et
il faut bien tromper les gens, n’est-ce pas, pour qu’ils puissent payer ce billion
de dollars… Ce ne sont pas les compagnies, en effet, qui le paient, ce sont les
gens qui le paient en achetant les produits vantés par la pub. Oui, d’un monde
insensible capable de dépenser aussi un billion de dollars tous les ans – et ça
fait donc deux billions – en objectifs de caractère militaire. Oui, d’un monde
insensible qui tire des masses appauvries, de l’immense majorité de la
population de la planète plusieurs billions de dollars par an, et qui reste
indifférent quand on lui dit qu’il y a un endroit où environ cent mille
personnes sont mortes, dont peut-être de vingt-cinq à trente mille enfants, où
plus de cent mille personnes sont blessées, la grande majorité atteinte de
fractures des os des membres supérieurs et inférieurs, dont on a dû opérer au
maximum environ 10 p. 100, où des enfants sont mutilés, et des jeunes, des
femmes, des femmes, des personnes âgées…
Non,
ce monde qui nous entoure n’est pas un monde plein de bonté, mais un monde
plein d’égoïsme ; ce n’est pas un monde plein de justice, mais un monde
plein d’exploitation, d’abus, de pillage, où des millions d’enfants meurent
tous les ans alors qu’ils pourraient se sauver, tout simplement parce qu’il
leur manque quelques centimes de médicaments, un peu de vitamines et de sels
minéraux, et quelques dollars d’aliments, juste assez pour pouvoir survivre.
L’injustice en tue chaque année presque autant que la guerre colossale dont je
viens de parler a fait de victimes.
Quel
monde que le nôtre ! Quel monde que le nôtre où un empire barbare proclame
son droit d’attaquer par surprise et à titre préventif une soixantaine de pays
du monde ou plus, qui est capable de porter la mort à n’importe quel coin du
monde en recourant aux armes et aux techniques de mort les plus
perfectionnées ! Un monde où règne la loi de la brutalité et de la force,
où il existe des centaines de bases militaires un peu partout, dont une sur
notre terre à nous, quand l’empire y est intervenu alors que le pouvoir
colonial espagnol ne pouvait plus résister et que des centaines de milliers des
meilleurs fils de ce peuple, qui ne comptait alors qu’un million d’habitants,
avaient déjà péri dans une longue guerre d’une trentaine d’années ; et
cet empire nous a imposé ensuite en traître
l’amendement Platt, un amendement répugnant en vertu d’une résolution tout
aussi répugnante qui lui donnait le droit d’intervenir chez nous chaque fois
que l’ordre, selon lui, n’y régnait pas. Plus d’un siècle s’est écoulé, et
l’empire occupe toujours par la force cette base-là.
Qui
est devenue la honte et l’épouvante du monde ! Parce qu’elle est devenue
un antre de tortures, où sont enfermées des centaines de personnes, séquestrées
un peu partout dans le monde. L’empire ne les amène pas chez lui, parce qu’il
peut exister des lois qui lui causerait des difficultés pour maintenir
séquestrés de force, dans la plus totale illégalité, des années durant, sans la
moindre démarche, sans le moindre droit, sans la moindre procédure, ces hommes
qui, au grand étonnement de la planète, ont été soumis de plus à des tortures
sadiques et brutales. Et le monde l’a appris quand on a découvert en Irak une
prison où l’on torturait des centaines de prisonniers du pays envahi par
l’empire de tout son pouvoir colossal et où des centaines de milliers des
civils irakiens ont perdu la vie.
On
découvre tous les jours des choses nouvelles. On a appris tout récemment que
l’administration étasunienne disposait de prisons secrètes dans les pays
satellites d’Europe de l’Est, dont les gouvernements votent à Genève contre
Cuba et l’accusent de violations des droits de l’homme. Or, notre pays n’a
jamais connu un seul centre de torture en quarante-six ans de Révolution ;
notre Révolution n’a jamais violé cette tradition sans précédent dans
l’histoire : jamais personne n’a été torturé – que je sache. Nous ne serions
d’ailleurs pas les seuls à empêcher ce genre de choses, notre peuple le ferait
aussi, parce qu’il se fait une très haute idée de la dignité humaine.
Qui
de nous, qui de vous, qui de nos compatriotes admettrait tout bonnement qu’un
citoyen puisse être torturé ? Et ce, malgré les milliers d’actes de
barbarie et de terrorisme commis contre notre pays, malgré les milliers de
victimes causés par l’agression de cet empire qui nous impose un blocus depuis
plus de quarante-cinq ans et qui tente de nous étouffer par tous les moyens… Et
ces gens-là ont le front, comme le disait récemment l’un d’eux en face, après
le vote écrasant de l’Assemblée générale des Nations Unies de la résolution
contre le blocus, 182 voix pour, une seule abstention, dont les difficultés
sont les resultats de notre échec. grand complice de ce bandit, à savoir l’Etat
pro-nazi d’Israël qui soutient … Oui, il faut le dire : les dirigeants de
ce pays commettent leurs crimes au nom d’un peuple qui a souffert de persécutions
dans le monde pendant plus de mille cinq cents ans et qui a été victime des
crimes les plus atroces lors de la deuxième guerre mondiale, au nom du peuple
israélien qui n’est absolument pas coupable de ce génocide sauvage que ce
gouvernement au service de l’empire commet contre le peuple palestinien, un
autre Holocauste, et qui proclame même son droit d’attaquer d’autres pays par
surprise et à titre préventif.
Aujourd’hui
même, l’Empire menace d’attaquer l’Iran si celui-ci produit du combustible nucléaire.
Le combustible nucléaire, ce ne sont pas des armes atomiques, ce ne sont pas
des bombes atomiques. Prohiber à un pays de produire le combustible de
l’avenir, ça revient à vous interdire de chercher du pétrole, qui est le
combustible du présent et qui s’épuisera physiquement en peu de temps. À quel
pays du monde interdit-on de chercher du combustible, du charbon, du gaz, du
pétrole ?
Nous
connaissons bien l’Iran, un pays de soixante-dix millions d’habitants qui se
propose de se développer industriellement et qui pense tout à fait
raisonnablement que c’est un grand crime de compromettre ses réserves de gaz ou
de pétrole pour pouvoir produire les milliards de kilowatts-heure qu’exige son
développement industriel, surtout avec l’urgence que réclame un pays du tiers
monde. Et voilà que l’Empire veut le lui interdire et menace de le bombarder.
Si bien qu’on discute dans l’arène internationale à quel jour ou à quelle heure
ça se fera, si ce sera l’Empire qui le fera, ou s’il utilisera, comme il l’a
fait en Iraq, son satellite israélien pour bombarder de manière préventive et
par surprise les centres de recherche iraniens qui mettent au point la
technique de production du combustible nucléaire.
D’ici
à trente ans, il n’y aura plus de pétrole, dont 80 p. 100 sont maintenant aux
mains de pays du tiers monde, puisque les autres pays ont épuisé le leur, entre
autres les Etats-Unis qui a eu d’immenses réserves de pétrole et de gaz dont il
ne reste plus que pour quelques années, ce qui explique pourquoi ils s’efforcent
de s’assurer la possession de pétrole dans n’importe quelle partie de la
planète et de la façon que ce soit. En tout cas, cette source d’énergie sera
épuisée d’ici vingt-cinq à trente ans, et il ne restera plus qu’une seule
source fondamentale pour la production massive d’électricité, en plus de
l’énergie solaire, de l’énergie éolienne, etc. : l’énergie nucléaire.
Il
est encore lointain le jour où l’hydrogène, car les processus technologiques en
sont encore à leurs balbutiements, pourrait devenir une source plus adéquate de
combustible sans lequel l’humanité ne pourrait vivre, car elle a atteint des
niveaux de développement technique déterminés. C’est déjà un problème actuel.
Notre
ministre des Relations extérieures vient de répondre à l’invitation de l’Iran,
dans la mesure où Cuba sera le siège, l’an prochain, de la prochaine conférence
au sommet des pays non alignés, et où cette nation-là réclame le droit de
produire du combustible nucléaire comme n’importe quelle nation industrielle,
sans avoir à épuiser ses réserves d’une autre matière première qui sert à
produire non seulement de l’énergie, mais de nombreux autres produits, des
engrais, des textiles, une foule de choses d’usage universel.
Voilà
comment va le monde ! Et on verra bien ce qu’il se passera s’ils se
mettent à bombarder l’Iran pour détruire des installations qui lui permettent
de produire du combustible nucléaire.
L’Iran
a signé le traité de non-prolifération nucléaire, tout comme Cuba. Nous n’avons
jamais parlé de la possibilité de fabriquer des armes nucléaires, parce que
nous n’en avons pas besoin. Et à supposer que nous en ayons besoin, combien
cela coûterait-il de les produire, et qu’est-ce que nous ferions d’une arme
nucléaire face à un ennemi qui en possède des milliers ? Ce serait entrer
dans le jeu des affrontements atomiques.
Nous
possédons un autre genre d’armes nucléaires : nos idées. Oui, nous
possédons bel et bien des armes nucléaires : la grandeur de la justice
pour laquelle nous nous battons. Oui, nous possédons des armes
nucléaires : nos armes morales qui sont invincibles. Voilà pourquoi nous
n’avons jamais eu l’idée de fabriquer d’autres armes, par exemple des armes
biologiques. À quoi bon ? Des
armes, oui, pour combattre la mort, pour combattre le sida, pour combattre les
maladies, pour combattre le cancer. Voilà à quoi nous consacrons nos
ressources, même si le bandit des grands chemins – je ne me rappelle même plus
comment s’appelait cet individu, Bordon, ou Bolton, un archimenteur, un
super-impudent, qui est maintenant rien moins que représentant des USA aux
Nations Unies ! – avait osé inventer que le Centre de génie génétique de
Cuba faisait des recherches pour mettre au point de armes biologiques.
L’Empire
nous a aussi accusé de collaborer avec l’Iran, de lui transférer des techniques
dans ce but, alors que ce que nous sommes en train de bâtir entre les deux
pays, c’est une usine de produits contre le cancer. Et il veut aussi
l’interdire… Qu’ils aillent au diable, tous ces gens-là, ou là où ils
veulent ! Comment peut-on être aussi crétins ! Comme s’ils allaient
nous faire peur ! (Applaudissements.)
Comment
peut-on être aussi menteurs, aussi impudents ! Jusqu’à la CIA savait que
c’était un mensonge ce qui disait alors celui qui est maintenant le
représentant de l’administration étasunienne aux Nations Unies, qui avait même
contraint un de ses subalternes à démissionner parce que celui-ci avait dit que
c’était un mensonge, et des fonctionnaires du département d’Etat avaient aussi
constaté que c’était faux, et cet individu était fou furieux, prêt à s’en
prendre à tous ceux qui disaient la vérité. Voyez donc un peu qui est le
représentant de Bush devant la communauté des nations, dont cent
quatre-vingt-deux viennent de voter contre l’infâme blocus. Voilà le monde où ces
gens-là prétendent régner en maître par la force et par leurs mensonges et par
leur monopole quasi total des médias. Voyez un peu quel genre de batailles se
livre aujourd’hui. Et Bush a nommé cet individu contre la volonté du Congrès,
bien que le monde entier sache qu’il s’agit d’un insolent et d’un menteur
répugnant.
Le
gentleman qui gouverne les Etats-Unis, on lui découvre tous les jours quelque
chose de nouveau, un nouveau truc, un nouveau crime, une nouvelle scélératesse,
de lui ou des membres de son administration, et ils tombent un par un comme des
pommes pourris, pourrait-on dire, en faisant un peu de bruit. Il ne reste plus
grand-chose sur le pommier, mais ils continuent de faire des insanités.
Je
vous parlais de prisons secrètes dans plusieurs pays où l’on envoie les
prisonniers sous prétexte de la guerre contre le terrorisme. Plus seulement à
Abou Ghraib, plus seulement à Guantánamo. On découvre maintenant partout dans
le monde des prisons secrètes où les défenseurs des droits de l’homme torturent :
ce sont les mêmes qu’on retrouve à Genève votant à la queue leu leu, comme des
moutons, contre Cuba, le pays qui ne connaît pas la torture, ce qui est tout à
l’honneur et à la gloire de cette génération, à l’honneur et à la gloire de
cette Révolution, à l’honneur et à la gloire d’un pays qui se bat pour la
justice, pour l’indépendance, pour la dignité humaine, et qui doit préserver
sans tache sa pureté et sa dignité ! (Applaudissements.)
Mais
ce n’est pas tout. On a appris ce matin que l’empire avait utilisé du phosphore
blanc sur Falloudjah, quand il a constaté qu’il ne parvenait pas à vaincre un
peuple pratiquement désarmé, au point que les envahisseurs ne pouvaient ni
partir ni rester : s’ils partaient, les combattants rebelles revenaient ;
s’ils restaient, ils ne pouvaient envoyer ces troupes ailleurs où ils en
avaient besoin. Plus de deux mille jeunes soldats étatsuniens sont déjà morts,
et certains se demandent : jusqu’à quand continueront-ils de mourir dans
une guerre injuste, justifiée, qui plus est, par de grossiers mensonges ?
Car
n’allez pas croire que l’Empire dispose de réserves de soldats abondantes, car
toujours moins d’Etasuniens s’enrôlent. Il a donc dû transformer l’enrôlement
en une source d’emploi, engager des chômeurs, et il tente bien souvent
d’engager le plus grand nombre possible de Afro-américains dans ses guerres
injustes. Mais on finit par apprendre que toujours moins de Noirs sont disposés
à s’engager dans l’armée, malgré le chômage et la marginalisation dont ils sont
victimes, parce qu’ils sont conscients qu’on les utilise comme de la chair à
canon. Après avoir crié « sauve qui peut », le gouvernement a
abandonné dans les ghettos de Louisiane des milliers de citoyens qui ont perdu
la vie en se noyant ou dans les foyers de vieux ou dans les hôpitaux, au point
que certains ont même été victimes d’euthanasie de la part du personnel médical
qui craignait de les voir mourir noyés. Ce sont des histoires vraies sur
lesquelles il faudrait méditer.
L’Empire
a besoin de Latinos, d’émigrants, et ceux-ci, pour tenter d’échapper à la faim,
franchissent la frontière mexicaine. Plus de cinq cents meurent chaque année en
tentant de franchir la frontière, autrement dit bien plus en douze mois que
ceux qui sont morts en vingt-huit ans au fameux mur de Berlin.
L’Empire
parlait tous les jours du mur de Berlin. Mais pas un mot de celui qui se dresse
entre le Mexique et les USA, où plus de cinq cents personnes meurent tous les
ans en tentant de le franchir pour échapper à la pauvreté et au sous-développement.
Voilà le monde où nous vivons.
Du
phosphore blanc sur Falloudjah ! En secret. Voilà l’Empire ! Quand
ç’a été dénoncé, l’administration Bush a répondu que le phosphore blanc était
une arme normale. Si elle était normale, pourquoi n’en a-t-elle rien dit ?
Or, cette arme est interdite par les conventions internationales. Le napalm est
interdit, et le phosphore blanc encore plus.
On
reçoit tous les jours des nouvelles de ce genre, et toutes ces choses-là ont à
voir avec la vie, ont à voir avec ce monde-ci. Voyez un peu quelle différence
énorme avec l’époque où je suis entré à l’université, plein d’idéaux, plein de
rêves, plein de bonne volonté, même si celle-ci n’était pas nourrie d’une
idéologie profonde et des idées que j’ai acquises au fil des ans. Voilà comment
les jeunes gens entraient dans cette université qui n’était pas, soit dit en
passant, l’université des humbles : c’était l’université des classes
moyennes, l’université des riches, même si les jeunes étaient généralement
au-dessus des idées de leur classe et si beaucoup d’entre eux étaient capables
de se battre, de la même manière qu’ils se sont battus tout au long de
l’histoire de Cuba.
Les
huit élèves de médecine fusillés en 1871 ont été les fondements des plus nobles
sentiments et de l’esprit de rébellion de notre peuple, justement indigné par
cette injustice colossale. Ou alors les Neuf dont nous commémorons la mort
aujourd’hui, assassinés par les nazis à Prague, le 17 novembre 1939, pendant la
seconde guerre mondiale.
Ces
élèves de médecine ont toujours fait partie de l’histoire de notre jeunesse, et
ils ont toujours lutté contre les gouvernements.tyranniques et corrompus. Mella était issu lui aussi des couches
moyennes, ce qui est logique parce que ceux des classes les plus pauvres, les
fils de paysans, les fils d’ouvriers ne savaient ni lire ni écrire. Comment
auraient-il pu entrer à l’université, comment auraient-ils pu entrer au
lycée ?
C’est
parce que j’étais fils de propriétaire foncier que j’ai pu conclure les études
primaires et entrer ensuite au collège.
Si
vous n’aviez pas le bac, vous ne pouviez pas entrer à l’université. Si vous
étiez fils de paysan, fils d’ouvrier, si vous viviez dans une sucrerie ou dans
n’importe laquelle des nombreuses communes autres que Santiago ou Holguín ou
peut-être Manzanillo et deux ou trois autres, vous ne pouviez même pas être
bachelier. Même pas bachelier ! Encore moins diplômé universitaire, parce
que pour ça il vous fallait venir à La Havane.
Si
j’ai pu venir à La Havane, c’est parce que mon père disposait de ressources.
Une fois bachelier, c’est le hasard qui m’a amené à La Havane. Étais-je donc
meilleur que n’importe lequel de ces centaines de jeunes garçons, dont presque
aucun n’a pu conclure le primaire et aucun n’a passé le bac, et aucun n’est
entré à l’université ?
J’ai
parlé de mon cas à moi, comme celui de bien d’autres. J’ai mentionné Mella,
mais je pourrais mentionner Guiteras, je pourrais mentionner Trejo qui est mort
au cours d’une des manifs contre Machado, un 30 septembre, je pourrais
mentionner des noms comme ceux que vous avez signalés au début de la cérémonie.
Avant la Révolution, il y a
toujours eu des étudiants nobles, prêts à se sacrifier, prêts à donner leur vie
dans la lutte contre la tyrannie de Batista. Quand celle-ci s’est de nouveau
implantée dans toute sa rigueur, de nombreux étudiants se sont battus et de
nombreux étudiants sont morts. Je me rappelle ce jeune homme de Cárdenas,
Manzanita, comme on l’appelait, toujours souriant, toujours jovial, toujours
affectueux avec les autres, qui se distinguait par son courage, par sa fermeté
quand il descendait le grand escalier de l’université, quand il faisait face
aux canons à eau de la police, quand il se heurtait à la police.
Si vous visitez la maison de José
Antonio Echevvería, vous pouvez constater que c’est une excellente maison. Ce
qui veut dire que les étudiants dépassaient très souvent leur origine sociale,
leur origine de classe, parce que c’est un âge où l’on a beaucoup d’espoir,
beaucoup de rêves.
De toute façon, cette université
ne comptait qu’une seule faculté de médecine, un seul CHU, et beaucoup
décrochaient des prix de médecine, voire de chirurgie, sans avoir jamais fait
un seule opération.
Certains y parvenaient, se
remuaient, nouaient des relations avec tel ou tel professeur qui les aidait,
leur faisait faire quelques stages, les amenait à un hôpital. C’est ainsi que
de bons médecins sont apparus. Pas un tas de bons médecins, non, n’allez pas
croire. Il y en avait un tas en revanche désireux d’aller aux USA, ou alors
parce qu’ils étaient au chômage. Au triomphe de la Révolution, beaucoup sont de
fait partis aux USA, et il n’en est resté que la moitié ; trois mille et
le quart de professeurs.
C’est de là que notre pays a dû
partir pour devenir quasiment la capitale de la médecine mondiale. Notre peuple
peut compter maintenant sur au moins quinze médecins, et bien mieux distribués,
pour chacun de ceux qui sont restés dans le pays au début de la Révolution.
Notre pays compte – j’ai demandé le chiffre exact – vingt-cinq mille élèves de
médecine – environ sept mille en première année, et non moins de sept mille
entreront chaque année – et plus de soixante-dix mille médecins. Je ne parle
pas des dizaines de milliers d’étudiants d’autres sciences médicales, qui doit
faire un total de quatre-vingt-dix mille quand vous ajoutez le personnel
infirmier, ceux qui étudient la licence de soins infirmiers et d’autres
disciplines en rapport avec la médecine. Et ce dans la masse énorme
d’étudiants.
Je tenais à signaler cette différence
par rapport à l’année où je suis entré à l’université. Qu’est-ce qu’était notre
pays alors ? Il faut se le demander et réfléchir sur ce qu’est notre pays
aujourd’hui dans tous les domaines. Et je pourrais me poser la question au
sujet d’un tas d’autres choses. Il n’y a pas de comparaison possible.
Je vous parlais de Barberán et
Collar qui ont disparu à bord d’un petit avion plein de réservoir d’essence,
parce que c’était la seule chose qu’ils pouvaient… Ils ont décollé, ils sont
partis presque comme nous l’avons fait, nous, depuis le Mexique en 1956 :
si nous partons, nous arrivons ; si nous arrivons, nous entrons ; si
nous entrons, nous triomphons. Il semblerait que d’autres aient fait auparavant
une action aussi audacieuse que celle-là de traverser l’Atlantique : ils
ont décollé, ils sont arrivés à Cuba, ils ont décollé de nouveau, cette fois,
ils sont arrivés sans vie au Mexique.
Je parlais d’un petit avion
qui décollait, d’un petit avion qui semblait mu par la force d’une élastique…
Vous n’avez jamais vu de ces petits avions que vous lancez en entortillant un
élastique ? Eh bien, c’était un peu pareil : vous le lâchez, ils
décollent, mais arrivent-ils ? Quand notre Révolution a triomphé sur ce
continent, tout à côté de l’Empire et cernée de satellites de l’Empire, sauf
quelques rares exceptions, nous entreprenions un chemin très difficile.
Mais c’était déjà quelques
années après mon entrée à l’Université. J’y suis entrée presque fin 1945 et
j’ai lancé la lutte armée à la Moncada, le 26 juillet 1953, de fait, presque
huit ans après. Et la Révolution triomphe cinq ans, cinq mois et cinq jours
après la Moncada, au terme d’un long trajet de prisons, d’exile, de lutte dans
les montagnes. En comparaison des luttes antérieures, si dures et si
difficiles, de notre peuple, ç’a été, historiquement parlant, un délai
relativement bref, en deux étapes : mon entrée à l’université, ma sortie
et le coup d’Etat de Batista du 10 mars 1952.
Cette étape du début de la
lutte, c’est le point dont il faut partir maintenant : nous tentions de
décoller, nous ne connaissions même pas bien les lois de la gravité, nous
grimpions en luttant contre l’Empire, qui était déjà le plus puissant, mais
face auquel il existait un autre superpuissance, comme nous l’appelions. Et
c’est en grimpant, en escaladant, que nous avons pris de la bouteille, que
notre peuple s’est fortifié, ainsi que notre Révolution, pour en arriver où
nous en sommes maintenant.
Je souhaiterais avoir plus de
temps pour parler. En tout cas, ce maintenant de maintenant est un maintenant
sans précédent, c’est une heure très différente de toutes les autres ;
elle ne ressemble en rien à celle de 1945, elle ne ressemble en rien à celle de
1950 quand j’ai conclu mes études universitaires, mais en possession cette
fois-ci de toutes les idées dont j’ai parlé un jour, affirmant avec amour, avec
respect, avec une grande affection, que c’est dans cette université-ci, où
j’étais entré tout simplement doté d’un esprit rebelle, doté de quelques idées
élémentaires de justice, que je me suis fait révolutionnaire, que je me suis
fait marxiste-léniniste et que j’ai acquis les sentiments auxquels je n’ai
jamais eu la tentation – et c’est un privilège – de renoncer, tant s’en faut,
tout au long de ces années. Et j’ose dire que je n’y renoncerai jamais.
Et puisque j’ai passé aux
aveux, je dirais qu’en sortant de cette université, je me croyais très
révolutionnaire, alors que je m’engageais tout simplement sur un autre chemin
bien plus long. Mais si je me sentais révolutionnaire, si je me sentais
socialiste, si j’avais acquis toutes les idées qui ont fait de moi – et il ne
pouvait y avoir aucune autre – un révolutionnaire, je vous assure modestement
que je me sens aujourd’hui dix fois, vingt fois, peut-être même cent fois plus
révolutionnaire qu’à l’époque (applaudissements).
Si j’étais alors disposé à donner ma vie, je suis aujourd’hui mille fois plus
disposé à la donner qu’à l’époque (applaudissements).
Vous pouvez donner votre vie
pour une noble idée, pour un principe moral, pour un sentiment de dignité et
d’honneur, même sans être révolutionnaire. Ainsi, des dizaines de millions
d’hommes sont tombés sur les champs de bataille de la première guerre mondiale
et d’autres guerres, amoureux d’un symbole, d’un drapeau qu’ils trouvaient
beau, d’un hymne qu’ils trouvaient beau, comme La Marseillaise à son époque révolutionnaire. Celle-ci est devenue
ensuite l’hymne de l’empire colonial français, et c’est au nom de cet empire
colonial et du partage du monde que des millions de Français sont morts en masse
dans les tranchées de la première guerre mondiale. L’homme est capable de
mourir. C’est en fait le seul à être conscient de donner sa vie volontairement.
Il ne lutte pas par instinct, comme tant d’autres animaux que conduisent les
lois de la nature. L’homme est une créature pleine, l’homme… L’homme et la
femme, bien entendu. Quand je dis homme, il faut toujours plus dire : la
femme. J’ai des raisons d’y croire, mais je ne sais si j’aurais le temps de les
énoncer. En tout cas, l’homme est le seul capable, consciemment, de passer
par-dessus tous les instincts ; l’homme est un être plein d’instincts,
d’égoïsmes ; il naît égoïste, parce que la nature le lui impose ; la
nature lui impose les instincts, et l’éducation lui impose les vertus ; la
nature lui impose des choses à travers les instincts, dont celui de la survie,
qui peuvent le pousser à l’infamie, alors que, d’un autre côté, la conscience
peut le conduire aux plus grands actes d’héroïsme. Peu importe que nous soyons
chacun de nous à part, que nous soyons différents les uns des autres, mais nous
ne faisons qu’un à nous tous.
Il est étonnant que, malgré les
différences entre eux, les êtres humains puissent ne faire qu’un à un moment
donné, et ce, grâce aux idées. Personne ici n’a suivi la Révolution par culte
envers quelqu’un ou par sympathie personnelle pour quelqu’un. Ce n’est que
grâce aux principes, grâce aux idées, qu’un peuple devient capable de la même
volonté de sacrifice que n’importe lequel de ceux qui tentent, avec loyauté et
sincérité, de le diriger et de le conduire vers un destin.
Notre histoire est pleine d’homme
de pensées, Martí par exemple, et bien d’autres patriotes éminents ;
l’histoire du monde en est pleine ; l’histoire du mouvement
révolutionnaire est pleine de théoriciens, de grands théoriciens qui n’ont
jamais renoncé à leurs principes. Ce sont les idées qui nous unissent, ce sont
les idées qui font de nous un peuple combattant, ce sont les idées qui nous
font, non seulement individuellement mais collectivement révolutionnaires. Et c’est
quand la force de tous s’unit qu’un peuple ne peut plus être vaincu, quand la
quantité d’idées est bien supérieure, quand la quantité d’idées et de valeurs
que l’on défend se multiplie qu’un peuple, alors, encore moins, peut être
vaincu.
Ainsi, quand je me rappelle les compañeros, et que je regard les jeunes
qui ont des tâches importantes, et les autres, dont beaucoup ont été des
dirigeants de cette université et qui ont derrière eux de nombreuses années de
lutte, certains plus de cinquante, certains autres plus de quarante, et
toujours fidèles au poste, certains étudiants, d’autres d’origine modeste, tels
ceux que je vois devant moi, depuis ceux qui ont participé à l’attaque de la
Moncada et ceux qui sont venus à bord du Granma,
qui se sont battus dans la Sierra Maestra et qui ont participé à tous les
combats, que je vois devant moi, défendant une cause, défendant un drapeau.
Je vois par exemple notre cher
Alarcón. On a parlé ici, auparavant, de la bataille pour nos cinq héros
prisonniers, et Alarcón ne cesse de se battre inlassablement pour la justice en
leur faveur. C’est une tâche que la Révolution lui a confiée, du fait de ses
qualités, de son talent, de son caractère de président de l’Assemblée
nationale.
Je vois le compañero Machado, un vieux médecin – pas un médecin vieux – qui
nous a accompagné dans les montagnes. Je vois Lazo, je vois Lage, je vois
Balaguer, j’en vois beaucoup – je vois encore quelque chose (rires) – je crois voir Sáez, je crois
voir le ministre de l’Enseignement supérieur, je crois voir Gómez – oui, c’est
lui, peut-être un petit peu plus gros – et un peu plus loin je vois Abel, au
nom biblique, qui vient de se distinguer beaucoup là-bas à Mar del Plata, où
s’est déroulée une bataille très glorieuse.
Voyez un peu combien de gens, voyez
un peu combien de changements, voyez un peu quels objectifs nous poursuivons
aujourd’hui… Mais voyez aussi combien de stratégies on conçoit contre nous, qui
nous insèrent dans la stratégie mondiale alors que nous sommes un pays
minuscule, ici, à cent cinquante kilomètres de l’Empire colossal, de l’Empire
le plus puissant qui ait jamais existé dans l’Histoire et qui, quarante-six ans
après, est de moins en moins capable de faire plier la nation cubaine, cette
nation qu’il a offensée et humiliée durant quelque temps (applaudissements), cette nation dont il a été le maître et
seigneur. Maître de tout : des terres, des mines, de centaines de milliers
d’hectares des meilleures terres, des ports, des installations, du système
électrique, du transport, des banques, du commerce, etc. Et ces gens sont si
crétins qu’ils croient que nous les allons les supplier à genoux de revenir ici
: « Venez nous sauver une fois de plus, ô sauveurs du monde ; venez,
nous allons tous vous donner une fois de plus ! » Et alors nous leur
rendrions les universités du pays, pour qu’ils y mettent cinq mille étudiants,
et non un demi-million, parce qu’un demi-million, c’est trop pour leur
mentalité à eux, qui ont besoin de chômeurs et d’affamés pour que leur
cochonnerie de capitalisme fonctionne à base d’une armée de réserve ;
qu’ils viennent donc pour voir se reproduire les chômeurs, les analphabètes qui
faisaient la queue pour couper la canne, sans que personne ne leur apporte même
une goutte d’eau, ni un quignon de pain, ni ne leur donne où dormir ni comment
se déplacer. Et nous pourrions leur dire : « Cherchez-les donc, pour
voir si vous les trouvez, parce qu’ici, ce sont maintenant leurs enfants qui
étudient par centaines de milliers à l’université ! » (Applaudissements.)
Je l’ai vu, personne ne me l’a
raconté ; je l’ai vu voilà à peine quarante-huit heures au palais des
Congrès. D’abord, dans un groupe de quelques centaines avec leur t-shirt
bleus ; je l’ai vu dans ces jeunes gens qui ont conclu leurs études de
travailleurs sociaux et qui sont tous aujourd’hui – tous sans exception !
– des étudiants, au terme d’une année d’études intenses pour devenir des
travailleurs sociaux, au terme de plusieurs années d’études. Au début, ils
étaient cinq cents ; aujourd’hui ils sont vingt-huit mille !
C’est
Agramonte, je crois – d’autres parlent de Céspedes – qui, répondant aux
pessimistes, alors qu’il n’avait que douze hommes avec lui, s’est
exclamé : « Peu importent ceux qui n’ont pas confiance – ce n’est pas
la phrase exacte, je ne m’en souviens plus exactement – avec douze hommes, on
fait un peuple. » Alors, si avec douze hommes, on fait un peuple, combien
de fois sommes-nous douze hommes ! Et douze hommes, multipliés par
allez savoir combien de fois, armés d’idées, de connaissances, de culture, qui
savent comment va notre monde, qui s’y connaissent en histoire, en géographie,
qui s’y connaissent en luttes, parce qu’ils possèdent ce qu’on appelle une
conscience révolutionnaire, qui est la somme de bien des consciences, qui est
la somme de la conscience humaniste, la
somme d’une conscience de l’honneur, de la dignité, des meilleures valeurs que
peut récolter un être humain, qui est la fille de l’amour de la patrie et de
l’amour du monde, qui n’oublie pas cette idée avancée voilà plus de cent
ans : la patrie est l’humanité. La patrie est l’humanité, voilà ce qu’il
faut répéter tous les jours, quand quelqu’un oublie ceux qui vivent en Haïti,
ou au Guatemala, ce pays frappé entre autres causes par la catastrophe
naturelle, souffrant des douleurs inénarrables, une pauvreté inénarrable, comme
c’est généralement le cas dans la plus grande partie du monde.
Voilà
tout ce que peut exhiber l’Empire infâme et son système répugnant, fruit de
l’histoire et de la longue marche de l’espèce humaine vers une société de
justice jamais conquise depuis des milliers d’années, autrement dit la très
brève histoire relativement connue de l’espèce humaine. Et plus cet Empire
s’éloigne de cette société juste, et plus nous nous en rapprochons, nous, et
plus nous prouvons que c’est possible, indépendamment des tas de défauts que
nous avons encore, indépendamment d’erreurs, de fautes, au point que j’ose dire
que c’est la société qui est la plus proche de ce qu’on pourrait appeler une
société juste dans l’histoire de l’Humanité.
Où est
donc la justice que je ne la voie pas ? Je ne la vois pas parce qu’Untel gagne
vingt fois, trente fois plus que moi, qui suis médecin, ou qui suis ingénieur,
ou qui suis professeur universitaire. Où est-elle donc ? Et pourquoi ? Que produit Untel ? Combien
de personnes éduque-t-il ? Combien de personne soigne-t-il ? Combien
de personnes rend-il heureuses par ses connaissances, par ses livres, par son
art ? Combien de personnes rend-il heureuses en leur bâtissant une
maison ? Combien de personnes rend-il heureuses en cultivant quelque chose
pour qu’elles puissent s’alimenter ? Combien de personnes rend-il
heureuses en travaillant dans une usine, dans une industrie, dans les systèmes
électriques, dans les systèmes d’eau potable, dans les rues, dans l’installation
de câbles électriques, ou en s’occupant des communications ou en imprimant des
livres ? Combien de personnes ?
Il
existe, et il faut le dire, plusieurs dizaines de milliers de parasites qui ne
produisent rien et gagnent autant que
cet individu qui possède une vieille bagnole et qui, en achetant et en volant
de l’essence sur tout le trajet de La Havane à Guantánamo, conduit un de ces
jeunes étudiants qui doit y aller alors que les transports sont très difficiles
en lui faisant payer mille ou mille deux cents pesos, sur des routes pleines de
trous à bien des endroits et sans signalisation, parce que nous n’avons pas pu
les terminer pour différentes raisons, à cause de ressources non disponibles,
ou d’incapacités que nous n’avions pas dépassées, ou par manque de contrôle de
la part de ceux qui gèrent ou dirigent.
Oui,
il faut tout à fait en tenir compte et ne pas les oublier, parce que nous
sommes devant une grande bataille que nous devons livrer, que nous avons
commencé à livrer, que nous allons livrer et que nous allons gagner. C’est le
plus important.
Oui,
nous en sommes conscients et toujours plus conscients, et c’est à ça que nous
pensons avant tout : à nos défauts, à nos erreurs, à nos inégalités, à nos
injustices.
Et je
n’oserais pas soulever cette question ici si je n’étais pas absolument
convaincu, si je n’étais pas absolument sûr que, sauf catastrophes mondiales,
sauf guerres colossales, nous avançons de manière accélérée vers leur réduction
et leur liquidation afin d’en arriver à ce que, écoutez bien, chaque citoyen de
ce pays, dont 10 ou 15 ou 20 p. 100 et plus étaient autrefois chômeurs, chaque
citoyen de ce pays dont un million était autrefois analphabètes et dont 90 p.
100 étaient analphabètes ou semi-analphabètes, vivra, essentiellement de son
travail et de sa pension.
Nous
ne devons jamais oublier ceux qui, durant tant d’années, ont été notre classe
ouvrière et travailleuse, qui ont vécu les décennies de sacrifice, qui ont
lutté contre les bandes mercenaires dans les montagnes, contre les invasions
style Playa Girón, contre les milliers de sabotages qui ont coûté tant de vies
à nos travailleurs agricoles et sucriers, à nos travailleurs industriels, ou
commerciaux, ou ceux de la marine marchande ou de la pêche qui se voyaient tout
d’un coup attaqués à coups de bazooka ou de canon, uniquement parce qu’ils
étaient Cubains, parce que nous voulions notre indépendance, uniquement parce
que nous voulions améliorer le sort de notre peuple… Et les bandits qui
faisaient des leurs, et les bandits recrutés et entraînés par la CIA, et les
criminels, et les terroristes faisant exploser des avions en plein vol, ou
s’efforçant de les faire exploser, peu importe les morts, et les bandits qui
organisaient des attentats de toute sorte et des actes terroristes contre notre
pays… Est-ce que l’Empire a changé par hasard ?
Et
dites-moi, mister Bush, aimable chevalier qui, malgré tant de choses honteuses
et connues, chevauchez et tentez de garder les rênes de cet Empire : quand
allez-vous répondre à la question saine, à la question toute simple que je vous
ai déjà posée tant de fois ? Par où donc Posada Carriles est-il entré aux
Etats-Unis ? Sur quel bateau, par quel port ? Lequel des princes
héritiers de la couronne l’a-t-il autorisé ? Serait-ce le frérot bedonnant
de Floride ? Pardonnez-moi le truc de bedonnant, ce n’est pas une
critique, mais une simple suggestion qu’il fasse des exercices et suive un
régime (rires), c’est juste un souci
pour la santé du noble chevalier…
Qui
l’a accueilli ? Qui lui a donné l’autorisation ? Pourquoi celui qui
l’y a conduit d’une façon aussi impudique se balade-t-il tout tranquillement
dans les rues de la Floride et de Miami ? Qu’est devenue la prétendue
académie écologique ? A quoi servait-elle : à la navigation ou à
l’élevage de poissons ? Qui était donc ce sauvage qui a eu une
conversation téléphonique avec un autre terroriste en possession de boîtes
contenant du plastic et dont tout le monde a reconnu la voix, ce sauvage qui,
quand l’autre lui a demandé ce qu’il devait faire des boîtes de plastic, lui a
répondu : « Va au Tropicana, lance-les par une fenêtre et hop tout
saute ! » Qu’ils sont nobles, tous ces gens-là, qu’ils sont
respectueux des lois, des normes internationales, des droits de l’homme !
Et ce petit effronté de Bush n’a pas encore voulu répondre, bouche cousue, et
personne d’autre n’a encore répondu.
Les
autorités d’un pays frère, le Mexique, n’ont pas eu non plus le temps –
beaucoup de travail sans doute – de répondre à ma question : est-ce que ça
coûte tant, mon bon monsieur, de dire que Posada Carriles, cette brebis naïve,
cette brebis ingénue et innocente, est entré au Mexique sur le bateau en
question, pare le port en question et de la façon que Cuba a dénoncée ?
Voyez
un peu le culot de ces gens-là : ils n’arrêtent pas de mentir, mais à
peine vous leur posez une petite question naïve, une toute petite question
toute simple, ils laissent passer les mois sans répondre… les mois passaient et
ils ne savaient pas censément où se trouvait « Posadita ».
Cette
autre jeune femme si intelligente… comment s’appelle-t-elle, celle qui est
secrétaire d’Etat (rires),
Condoleezza ou Condoliza, allons, Comtesse Rice (rires), ne sait rien non plus, elle ignore tout, et ses
porte-parole, itou. En tout cas, ils n’ont dit aucun mensonge, ils n’ont pas
commis le moindre péché véniel, ils sont purs, ils méritent les
applaudissements et la confiance du monde.
Qu’ils
torturent ? Mensonge. Qu’ils sont complices du terrorisme ? Mensonge.
Qu’ils ont inventé le terrorisme ? Mensonge. Qu’ils torturent un peu
partout ? Mensonge. Qu’ils ont utilisé du phosphore blanc à
Falloudjah ? Mensonge. Non, pardon, là, ils l’ont reconnu, mais ils disent
que c’est tout à fait légal, tout à fait légitime et tout à fait décent de le
faire.
Alors,
ces menteurs, à qui vont-ils faire peur ? Nous avons été témoins – et je
m’en souvenais en voyant Abel et les autres compagnons – de la colossale
bataille qui s’est livrée à Mar del Plata, dans le stade et dans les
installations où se sont réunis les Présidents, et je ne vais pas faire de
commentaires là-dessus, mais notre peuple a eu l’occasion de voir, d’observer –
je connais les états d’opinion – cette bataille grandiose, l’une dans la rue et
l’autre là où les chefs de gouvernement étaient réunis.
On
n’avait jamais vu une telle bataille dans l’histoire de ce continent, face au
chevalier à la triste figure… A la triste figure, non à cause de ses idéaux
quichottesques, non, à la triste figure parce qu’il fait des grimaces, des
trucs bizarres, comme s’il s’ennuyait, c’est clair. Bien sûr, on l’envoie au
lit à minuit, et après lui le déluge… Allez savoir si un jour les avions ne
vont pas décoller des porte-avions et bombarder ces maudits bandits qui, parce
qu’ils étaient occupés, ont troublé le sommeil du cavalier qui tient les rênes
de l’Empire, parce que, tandis qu’il dort, le cheval risque de suivre la route
qu’il lui plaît… Au fond, il se
peut très bien que le cheval conduise mieux les destinées de l’Empire que le
cavalier qui doit se coucher tôt (applaudissements).
C’est vraiment
dommage que la nuit ne dure pas plus longtemps, parce qu’au moins, le monde
vivrait mieux.
Nous
avons vu bien des choses qu’il ne faut pas oublier.
Certains
se demandent si Cuba a pris la parole ou non, si Cuba a pris parti ou non. Je
vous en avertis, parce que certains trament des intrigues ridicules à ce sujet.
Cuba prend la parole quand elle doit la prendre et Cuba a des tas de choses à
dire, mais elle est ni pressée ni impatiente. Elle sait très bien quand, où et
comment il faut frapper l’Empire, son système et ses laquais.
Certains,
semble-t-il, croient ou feignent de croire qu’il n’y avait pas un seul Cubain à
Mar del Plata, qu’il n’y avait pas toute une force révolutionnaire cubaine de
toute première classe dans cette marche glorieuse de dizaines de milliers de
citoyens du monde, essentiellement argentins, que l’empereur a offensés en
garant ses porte-avions devant leurs côtes, en amenant toute une armée, en
louant tous les hôtels et en employant des milliers d’agents de police.
Personne n’avait l’intention de le molester… S’il avait peur que quelqu’un lui
lance des œufs pourris, il se trompait : il ne mérité pas un tel honneur (rises), en aucun cas.
Et les
citoyens argentins si civilisés et les citoyens toujours plus experts et
conscients de ce continent, où l’ordre en place est d’ores et déjà insoutenable
et incurable, savent ce qu’ils font. Ils ont dit que ce serait une manif
pacifique, qu’ils ne lanceraient même pas un pétale de rose, et le fait que
tant de gens se soient mobilisés sous ce froid crachin, aient marché durant des
heures en direction du stade et y aient formé une foule énorme a donné une
leçon inoubliable à l’Empire, parce qu’ils ont prouvé que c’étaient des
personnes, que c’étaient des peuples qui savent ce qu’ils font, et quiconque
sait ce qu’il fait marche vers la victoire, est absolument sûr. Et ceux qui ne
savent pas ce qu’ils font sont écrasés par les peuples.
Nous
ne voulons pas donner l’occasion à l’Empire de monter son spectacle. Dans cette
partie d’échecs à cinquante pièces, nous verrons bien à la fin quel est celui
qui fera échec et mat.
Quand
je dis l’Empire, je ne parle pas du peuple étasunien, qu’on me comprenne bien.
Le peuple étasunien préservera de nombreuses valeurs morales, préservera de
nombreux principes qui ont été oubliés, s’adaptera au monde où nous vivons, à
supposer que ce monde puisse se sauver. Et ce monde doit se sauver. Et nous
devons tous, et nous au premier rang, lutter pour que ce monde se sauve. Et sur
ce point, nos meilleures armes, nos armes invincibles, ce sont les idées.
Quelqu’un
parle de la Bataille d’idées. Oui, cette Bataille d’idées que nous livrons
depuis quelques années est en train de se convertir en une bataille d’idées à
l’échelle mondiale. Et les idées triompheront, et doivent triompher.
Transmettons ce message, ouvrons-lui les yeux, à cette humanité vouée à
l’extinction. Oui, elle ne va pas être éternelle, il est absolument probable
que la lumière du Soleil s’éteindra un jour, il est presque sûr qu’il n’y aura
pas moyen de transporter la matière vivante et solide à une distance se
trouvant à des années-lumière de cette planète, et les lois physiques sont bien
plus rigides, bien plus exactes que les lois historiques ou sociales.
Je
pense de toute façon que cette humanité et les grandes choses qu’elle est
capable de créer doivent être préservées tant que faire se peut. Une humanité
qui ne se préoccuperait pas de la préservation de l’espèce serait comme le
jeune étudiant ou le cadre qui sait que sa vie est tout à fait limitée à un
nombre d’années réduit et ne se préoccuperait que de sa propre vie.
J’ai
mentionné quelques noms de compañeros
présents ; certains ont plus d’années devant eux, d’autres moins, et aucun
ne sait combien, et je ne pense jamais que l’un d’entre eux pense à sa propre
préservation sans s’inquiéter du sort de ce peuple admirable et merveilleux,
hier semence et aujourd’hui arbre aux racines profondes, hier plein de noblesse
en puissance et aujourd’hui plein de noblesse réelle, hier plein de
connaissances en rêve et aujourd’hui plein de connaissances réelles, quand il
vient à peine d’entrer dans cette gigantesque université qu’est Cuba
aujourd’hui.
Et
voyez comment sont apparus de nouveaux cadres, et des cadres jeunes. Vous avez
par exemple Enrique, qui dirige cette armée des 28 000 travailleurs
sociaux, et plus de 7 000 en train
de faire des études et de paufiner cette noble profession.
Nous
sommes engagés, vous le savez, dans une bataille contre les vices, contre le
détournement de ressources, contre le vol, et cette force sur laquelle nous ne
comptions pas avant la Bataille d’idées est conçue pour la livrer.
Je
vais vous dire quelque chose, pour voir si les travailleurs de la constructeur
font appel à leur amour propre : quand ils le veulent, ils sont héroïques.
Mais n’allez pas penser que le vol de matériaux et de ressources date
d’aujourd’hui ou de la Période spéciale. Celle-ci l’a aggravé, parce qu’elle a
causé beaucoup d’inégalité et a permis à beaucoup de gens d’avoir beaucoup
d’argent.
Je me
rappelle que nous étions en train de bâtir à Bejucal un centre très important
de biotechnologie. Tout près, il y avait un cimetière. Et un jour, j’y suis
allé : il y existait un marché colossal où les chefs et un grand nombre de
bâtisseurs vendaient les produits, du ciment, des barres, du bois, de la
peinture, tout ce qui sert à la construction !
Vous
savez que le problème de la construction a toujours été sérieux, et encore
aujourd’hui. Nous avons des ressources ; parfois on a manqué de matériaux,
et nous avons maintenant la possibilité d’avoir toujours plus de ressources
pour le bâtiment, mais quelle tragédie que les bâtisseurs, quelle faiblesse de
la part des chefs de brigade, de la part de ceux qui doivent diriger.
Mais
ce n’est pas nouveau. À l’époque dont je vous parle, il fallait huit cents
kilos de ciment pour produire une tonne de béton, de bon béton, de celui qu’on
utilise pour les planchers ou les colonnes, avant l’époque de la construction
des forteresses du Morro et de la Cabaña qui durent bien plus que bien des choses
que fabrique aujourd’hui le monde moderne. Or, en fait, il en faut seulement
deux cents kg. Voyez un peu comment on gaspillait, comment on détournait des
ressources, comment on volait !
Dans
cette bataille contre les vices, il n’y aura de trêve contre personne, et
chaque chose sera appelée par son nom, et nous ferons appel au sens de
l’honneur de chaque secteur. Car nous sommes certains qu’il existe une dose
élevée d’honneur en chaque être humain. Quand on est seul devant soi, on n’est
généralement pas un juge sévère, bien que, de mon point de vue, le premier
devoir d’un révolutionnaire soit d’être extrêmement sévère contre lui-même.
On
parle de critique et d’autocritique, d’accord, mais nos critiques sont
généralement dans le cadre d’un petit groupe, nous ne recourons jamais à une
critique plus large, à une critique dans un théâtre par exemple.
Si un
fonctionnaire de la santé publique, par exemple, a falsifié un chiffre au sujet
de l’existence du moustique Aedes aegypti,
on le convoque, on le critique tout simplement. J’en connais certains qui
disent : « Oui, je fais mon autocritique », et ne changent
absolument rien à leur conduite, comme si de rien n’était. Tu fais ton
autocritique, c’est juste, mais tout le mal que tu as fait et les millions qui
se sont perdus à cause de ta négligence ou de ta manière de faire ?
La
critique et l’autocritique, c’est tout à fait correct, parce que ça n’existait
pas auparavant, mais si nous allons mener une bataille, alors il faut utiliser
des projectiles de plus gros calibre, il faut faire la critique et
l’autocritique dans la salle de classe, dans la cellule du parti et ensuite
hors de la cellule, et après dans la commune et après dans le pays.
Faisons
jouer ce sens de l’honneur que les hommes possèdent sans aucun doute, parce que
je connais bien des hommes, de ceux que nous qualifions de « sans
honneur » qui, lorsque le journal local publie la nouvelle de ce qu’ils
ont fait, retrouvent leur honneur.
Le
voleur trompe, ou celui qui mérite une critique pour sa faute trompe, c’est
aussi un menteur.
La
Révolution doit utiliser ces armes, et elle va les utiliser si besoin était,
même si ça ne devrait pas être nécessaire. La Révolution va établir les
contrôles qui seront nécessaires.
Beaucoup
de gens étaient aux anges. C’était le cas, par exemple, de ceux qui
distribuaient clandestinement de l’essence aux taxis privés ou qui recevaient
de l’argent des nouveaux riches qui ne voulaient même pas payer l’essence
qu’ils consommaient.
Vous
savez bien que ce que je vous dis est réel. Le désordre était général, pas
seulement dans ce domaine, non. Mais dans ce domaine, en tout cas, on peut
chiffrer les pertes à plusieurs dizaines de millions de dollars, peut-être
quatre-vingt millions – et quatre-vingt millions, c’est un tas de millions !
– ou peut-être même cent soixante, ou deux cent millions. Vous savez ce que
sont deux cent millions de dollars ? Vous avez étudié les maths. Mais vous
avez entendu parler des universités du pays, n’est-ce pas ? Oui ou
non ? Vous êtes des dirigeants universitaires, et tous les étudiants sont
inscrits dans une catégorie ou un autre : des cours réguliers de jour, des
cours du soir, des étudiants pour ci, des étudiants pour ça. Et vous savez
combien il y a d’étudiants dans notre pays ? Si vous ne le savez pas, je vous
le dis, parce que je suis entré ici, j’ai demandé le chiffre, et on m’a dit
360 000 étudiants, comme conséquence de l’universalisation de
l’enseignement supérieur.
Vecino
Allegret doit sûrement le savoir. Ne vous fâchez pas, Vecino, si je vous le
demande, et si vous ne le savez pas, eh bien ce n’est pas grave.
Combien
y a-t-il d’étudiants des cours réguliers de jour dans tout le pays, y compris
les écoles militaires ? Si Vecino ne le sait pas, quelqu’un doit le
savoir.
(On lui dit : 230 000.)
Enrique,
ça coïncide avec tes chiffres ?
(Enrique explique comment les étudiants
sont composés.)
Oui,
500 000, mais il faut continuer d’ajouter.
Ce
sont les chiffres de l’universalisation, tous ceux des cours réguliers de jour,
ces deux chiffres donnent un total de 500 000.
Mais
il existe d’autres catégories, je les ai ici.
(Enrique précise qu’on a inclus les
professeurs auxiliaires, soit 75 000, et les 25 000 professeurs
universitaires, soit un total proche de cent mille.)
J’ai
ici les chiffres par catégorie. « 141 0oo étudiants des cours réguliers de
jour. »
Nous
sommes d’accord là-dessus ?
« 141
000 étudiants des cours de travailleurs. »
Ce
sont les mêmes ? Ils sont inclus dans les 360 000 du programme
d’universalisation ? Oui ou non ?
(Enrique explique que c’est indépendant,
qu’il y a les cours réguliers de jour, les cours de travailleurs et
l’universalisation.)
Des
cours réguliers de jour, dis-tu ? (On
lui précise que c’est le chiffre actuel.)
Il
existe des cours de travailleurs qui sont déjà à l’université. Quand ils
entrent en l’université, je suppose qu’ils entrent dans le concept des
360 000. Il y a 32 000 étudiants par télé-enseignement, ceux-là, dans
quelle catégorie sont-ils ? Dans celle des 360 000 ? Ils ne
suivent pas les cours réguliers de jour, ils ne suivent pas les cours de
travailleurs, et ils sont pourtant étudiants dans le cadre de cet enseignement
à distance.
Bien,
nous allons prendre les chiffres les plus bas, qui suffisent pour ce que je
veux prouver.
Actuellement
il y a plus de 500 000 étudants.
Vous
savez aussi qu’il existe 958 collèges universitaires. Ce n’est pas pour rien
que vous, de la FEU, vous êtes allés en
province où l’on étudie quarante-cinq carrières universitaires qui augmentent
tous les ans ; il existe 169 collèges universitaires municipaux, rattachés
au ministère de l’Enseignement supérieur, 130 collèges universitaires Alvaro
Reynoso, dont 84 dans des sucreries et dont beaucoup apparaissent dans les
chiffres précédents ; il existe 18 sièges dans les prisons, accueillant
594 étudiants de licences socio-culturelles, ce qui n’est pas beaucoup ;
il existe 240 collèges universitaires rattachés à l’INDER, dont 19 dans des
prisons avec 579 inscrits, et 200 qu ont conclu la première année. Ça aussi,
c’est nouveau, ces collèges universitaires dans des prisons. On compte aussi
169 collèges universitaires de santé publique, 1 352 dans des
polycliniques, des centres de santé et des banques du sang, où les études
concernent des matières ayant à voir avec la santé publique.
Il
existe presque cent mille professeurs universitaires et auxiliaires, parce que
beaucoup de ceux qui faisaient partie de l’administration des sucreries et
ailleurs qui font classe à titre de professeurs auxiliaires. La quantité de
professeurs a donc augmenté. Ce qui fait un total, entre étudiants et
professeurs, - je ne parle pas des autres travailleurs des universités –
d’environ 600 000 personnes, dont presque 90 000 faisaient partie de
ceux qui ne travaillaient pas ni n’étudiaient, des jeunes, dont beaucoup sont issus
de milieux modestes et qui ont d’excellents résultats universitaires.
Je
pose des questions ou je donne plus ou moins les chiffres que j’ai ?
J’ai
demandé presque jusqu’au dernier moment quel était le budget des établissements
d’enseignement supérieur. Carlitos m’a donné un chiffre, de 830, je crois.
Vecino doit le savoir, parce qu’il connaît tous ces chiffres. Tu te souviens du
chiffre, Vecino ?
(Vecino dit que l’an dernier, le budget
a été de 230 millions de pesos.)
Non,
ce serait un rêve. C’est un chiffre que quelqu’un doit connaître.
Ça,
c’est le ministère des Finances. Celui-ci, c’est le chiffre de l’an 2004, mais je demande celui de cette année-ci,
2005. parce qu’il a dû augmenter énormément. Celui de l’an dernier est périmé,
Vecino.
Bon,
ça nous arrive à tous pareil, Vecino. Et c’est une question vitale. Voilà
quelques jours, je me trouvais devant deux cents spécialistes universitaires
bien préparés et je leur ai demandé : « Qui de vous sait à combien se
monte sa facture d’électricité ? » Combien, selon vous, m’ont
répondu ? Faites un calcul, selon la logique.
Qu’est-ce
que tu en penses, toi, qui a pris la parole ici ? Vous êtes tous
intelligents, mais certains ont plus de facilité de parole que d’autres. À ton
avis, combien de ces deux cents spécialistes universitaires ont répondu à ma
question ? (Il repond : cent.)
Qu’en
penses-tu ? Et toi, tu sais combien tu consommes ? (Il répond qu’il a une idée.) Et combien
est ton idée ? En pesos, en kilowatts ? (Rires.) Non, attends, je vais te le dire, si tu me dis combien
d’ampoules incandescentes tu as, de quelle marque est ton réfrigérateur, quel
téléviseur tu as, en blanc et noir ou en couleurs et de quelle année, quel
ventilateur tu as, combien d’eau tu fais bouillir par jour, dans quoi tu la
fais bouillir, avec du gaz de ville, du butane ou du pétrole lampant… Non, non,
je ne vais pas vous poser la question à vous, tout ce que je vous ai demandé,
c’est me dire combien de ces universitaires à votre avis savaient à combien se
montait leur facture d’électricité.
Toi qui
ris, dis-moi un chiffre approchant, 50, 70, 120… (Il lui répond : le tiers.) Et toi ? (Il lui répond : moins de cent.) Tu dois essayer de te
rappeler quelle est ta facture, de peur que je te le demande, mais je ne vais
pas le faire (rires).
Savez-vous
combien de ces deux cents ont répondu à ma question ? Savez-vous
combien ? Zéro à l’infini. Vous avez étudié les maths, vous pouvez
comprendre. Aucun, absolument aucun !
Je
pense que tous nos compatriotes devraient réfléchir là-dessus.
Puis-je
vous poser une question ? Pourquoi ce genre de chose arrive-t-il ?
Allez, réfléchissez. Nous avons dit qu’il faut changer le monde, qu’il faut le
sauver, que le monde vit une heure critique, s’approche d’une fin tragique, et
je n’exagère pas pour vous impressionner. Vous êtes plus jeunes que moi et ça
arrive. Je parle pour vous et pour vos enfants, et pour vos frères, plus grands
ou plus petits. C’est la première fois qu’on peut l’affirmer dans l’histoire
brève de l’homme, non dans l’histoire
sauvage d’avant, quand il était déjà un homme et qu’il avait développé une
capacité mentale, même s’il ne vivait pas encore en société, ni n’avait mis au
point une écriture ni même une technique rudimentaire.
Pourquoi ?
Vous êtes obligés de penser. Quels dirigeants universitaires êtes-vous
donc ? Carlitos, d’où est donc sortie cette troupe qui n’est pas capable
d’avoir une idée des raisons pour lesquelles deux cents spécialistes
universitaires ne peuvent répondre à une question relative à leur facture
d’électricité ? Combien de temps voulez-vous pour réfléchir ? Une
minute vous suffit ? (L’un d’eux
explique que c’est parce que la famille cubaine peut payer, que c’est différent
d’autres endroits où elle doit être au courant de cette situation.) Et toi,
que penses-tu ? (Il dit que c’est parce qu’aucun universitaire n’a à
aller chercher de quoi payer la facture d’électricité.)
Et
toi, qu’en dis-tu ? (Il dit que ça
arrive parce que les tarifs sont dérisoires.) Et toi ? (Il estime que la Révolution subventionne le
plus gros des dépenses de la population et qu’économiser ne doit être une
préoccupation.)
Je
vais maintenant vous poser une autre question. Vous vous approchez de la raison
exacte, du moins telle que je la vois, et pas seulement dans ce domaine.
Certaines questions peuvent être un peu plus compliquées, mais il faut faire
penser les gens et lancer un appel à tous nos compatriotes honnêtes et même les
malhonnêtes, parce qu’il peut y en avoir un qui dise : « Oui, c’est
la vérité. » De fait, l’électricité, nous en faisons quasiment cadeau. Et
je peux le démontrer.
On
peut aussi poser d’autres questions. Combien gagnons-nous ? Et à partir de cette question, on
commencerait à comprendre le rêve que chacun vive de son salaire ou de sa très
juste pension.
Ajoutez-y
un tout petit peu : quand vous pensez à deux sœurs dont l’une était
institutrice. Maintenant, elles sont ensemble, elles ont des problèmes, des
difficultés. Elles avaient une pension de quatre-vingts pesos, parce qu’avant
les salaires étaient plus bas, et des périodes sont arrivées. « Je te paie
pour un horaire anormal, je te paie parce que tu viens l’après-midi, je te paie
plus parce que c’est la nuit, je te paie plus parce que tu as dû venir un
dimanche », mais rien de tout n’influait sur le salaire de base, ça influait
sur les revenus individuels, mais pas sur le salaire de l’instituteur, et les
pensions étaient fonction de lois dont certaines étaient très vieilles. Nous
devions donc commencer à les liquider, et je peux vous assurer que nous avons
pris conscience et que toute la vie est un apprentissage, jusqu’à la dernière
seconde, et bien des choses, vous commencez à les voir en un moment. Et parmi
les millions de question auxquelles vous pensez, vous vous distrayez, vous ne
vous rendez pas compte d’un phénomène, à savoir que presque toutes les
augmentations de revenus, quand la Période spéciale est arrivée, se sont faites
à travers ces normes, et non par une hausse du salaire de base. Voilà pourquoi
nous n’avons absolument pas hésité, récemment, à élever la pension minimale du
travailleur à cent cinquante pesos. Et la femme gagnait quatre-vingts
pesos ; la pension minimale était de cinquante pesos dans une catégorie,
de cent quatre-vingt-dix dans une autre et de deux cent trente dans une autre.
Alors, imaginez un peu cet instituteur, ou cette institutrice qui a travaillé
pendant quarante ans, avant que n’apparaisse le marché agricole libre et que
les intermédiaires n’assaillent la République ! Oui, parce que tout le
monde sait que le paysan ne va pas se rendre sur ce marché pour y vendre un
kilo et demi de riz. Le paysan n’est pas un commerçant, c’est un producteur. Et
alors quelqu’un possède un camionnette, qu’il a volée ou qu’il a achetée, ou
parce qu’il a volé et qu’il y a installé un moteur... Des tas de choses comme
ça.
Non,
ce n’est pas dire du mal de la Révolution. Au contraire, c’est en dire du bien,
parce qu’elle peut justement parler de tout ça et qu’elle peut attraper le
taureau par les cornes mieux qu’un torero de Madrid. Il y a en un qui brandit
une étoffe rouge, et puis un autre arrive qui ferme les yeux, et qui lui plante
des banderilles, ce qui rend le taureau furieux, mais il lui faut attraper le
taureau par les cornes pour recevoir la récompense.
Je ne
suis pas un aficionado, bien que j’aie lu Hemingway, mais j’allais de temps à
autre à la corrida à Mexico. Et le beau torero recevait la queue, l’oreille.
Celui qui le faisait parfaitement avait droit aux deux oreilles. La fête
romaine du taureau. Mais je ne veux pas me mêler de ça.
Je me
rappelle qu’au début de la Révolution, je ne sais qui d’entre nous s’est mis à
parler des corridas, parce que nous en avions vu à Mexico et que ça pouvait
attirer le tourisme. Voyez un peu combien nous étions savants et nous nous
croyions très révolutionnaires !
Vous
riez, et je m’en réjouis, parce que ça me pousse à vous raconter d’autres
choses.
J’ai
tiré une conclusion au bout de bien des années : parmi les nombreuses
erreurs que nos avons tous commises, la plus grosse a été de croire que
quelqu’un savait ce qu’était le socialisme, ou comment on fait le socialisme.
Ça semblait une science toute mâchée, autant que le système électrique conçu
par certains qui s’estimaient des experts en la matière. Quand ils vous
disaient : « C’est la formule », tout était dit. Un peu comme
devant le médecin. Vous n’allez pas discuter avec le médecin d’anémie, de
problèmes intestinaux. On ne discute jamais devant le médecin. Vous pouvez
croire qu’il est bon ou mauvais, vous pouvez l’écouter ou non, mais en tout cas
vous ne discutez pas. Qui de nous va discuter devant un médecin ou un
mathématicien ou un expert en histoire, en littérature ou en n’importe quelle
matière ? En tout cas, nous sommes des idiots si nous croyons, par
exemple, que l’économie – et que les dizaines de milliers d’économiste de notre
pays me pardonnent – est une science exacte et éternelle, qu’elle remonte à
Adam et Ève.
Vous
perdez tout votre sens de la dialectique si vous croyez que cette économie
d’aujourd’hui est la même qu’il y a cinquante ans, ou cent ans ou cent
cinquante ans, qu’elle est pareille qu’à l’époque de Lénine ou à celle de Karl
Marx. Je suis à mille lieues d’être un révisionniste, je rends un vrai culte à
Marx, à Engels et à Lénine.
J’ai
dit un jour : « C’est dans cette université que je suis devenu
révolutionnaire. » Et c’est justement parce que je suis entré en contact
avec leurs ouvrages. De toute façon, avant de les rencontrer, de moi-même et
sans jamais avoir lu un seul de ces livres, je mettais en cause l’économie
politique capitaliste, parce que, dès cette époque, elle me semblait
irrationnelle. On étudiait l’économie politique dès la première année, le cours
de Portela, neuf cents pages ronéotées, extrêmement ardu, au point que tout le
monde ou presque collait. Ce prof était une vraie terreur.
Le
cours expliquait les lois du capitalisme, mentionnait les différentes théories
sur l’origine de la valeur, et mentionnait aussi les marxistes, les utopistes,
les communistes. Bref, il passait en revue les différentes théories
économiques. Et c’est en étudiant l’économie politique du capitalisme que j’ai
commencé à avoir beaucoup de doutes, à remettre en question ceci et cela, parce
qu’en plus j’avais grandi au milieu de latifundios et que je me souvenais de
certaines choses. J’avais des idées spontanées, comme tant d’utopistes dans le
monde.
Après, j’ai
découvert que j’étais un communiste utopique, parce que toutes mes idées
avaient pour point de départ : « Ceci n’est pas bien, ceci est
mauvais, ceci est insensé… Comment les crises de surproduction peuvent-elles
arriver, et la faim, quand il y a plus de charbon, plus de froid, plus de
chômeurs, puisqu’il y a justement plus de capacités de créer des richesses. Ne
serait-il pas plus simple de leur produire et de les distribuer ? »
Il semblait à
cette époque, tout comme il semblait à Karl Marx dans son Programme de Gotha, que les limites de l’abondance sociale
reposaient dans le système social, qu’à mesure que les forces productives se
développaient, les hommes pouvaient produire quasiment sans limites tout ce
dont ils avaient besoins pour assouvir ses besoins essentiels de type matériel,
culturel, etc.
Vous avez tous
lu ce Programme qui est assurément
très respectable : il établissait clairement quelle était la différence
entre distribution socialiste et distribution communiste, même si Marx n’aimait
pas prophétiser l’avenir. Là-dessus, il était extrêmement sérieux et il ne
s’est jamais risqué à ça.
Quand vous
lisez des livres politiques comme Le
18-Brumaire ou Les luttes civiles en
France, vous vous rendez compte que vous êtes devant un génie, que ses
interprétations étaient extrêmement claires. Son Manifeste communiste est un grand classique. Vous pouvez
l’analyser, et vous pouvez être plus ou moins d’accord avec telle ou telle
chose, mais vous êtes bien forcés de le reconnaître.
Je suis passé
du communisme utopique à un communisme qui se fondait sur des théories
sérieuses du développement social comme le matérialisme historique et, du point
de vue philosophique, sur le matérialisme dialectique. Beaucoup de
philosophies, beaucoup de rivalités et de disputes. Il faut toujours prêter
l’attention requise, bien entendu, aux différents courants philosophiques.
Tout stratège
et tacticien révolutionnaire doit concevoir une stratégie et une tactique qui
conduise à l’objectif clef : changer ce monde réel, parce qu’il faut le
changer. Mais aucune tactique ou stratégie qui désunisse n’est bonne.
J’ai eu le
privilège de connaître certains théologiens de la Libération au Chili, quand
j’ai rendu visite à Allende en 1971. J’y ai rencontré de nombreux prêtres et
des représentants de différentes religions, et leur idée était de joindre des
forces et de lutter, indépendamment de leur foi religieuse.
Le monde a
désespérément besoin d’unité, et si nous n’en obtenons pas un minimum, nous
n’aboutirons nulle part.
Je disais hier
au cours d’une réunion avec le représentant du Saint-Siège dans notre pays,
pour le soixante-dixième anniversaire des relations ininterrompues entre Cuba
et le Vatican, qu’une des choses que j’appréciais beaucoup de Jean-Paul II,
c’était son esprit œcuménique. En effet, j’ai fait toutes mes études dans des
écoles religieuses chez les frères des Ecoles chrétiennes et chez les jésuites,
et il fallait aller à la messe tous les jours. Je ne critique pas celui qui
veut y aller, mais je m’oppose en revanche à ce qu’on vous oblige, comme moi, à
y aller tous les jours. J’ai donc conversé hier avec les évêques de beaucoup de
ces questions, d’une façon respectueuse et dans un bon esprit. Au sujet de
l’oecuménisme, donc, je me rappelle qu’à mon époque, les différentes religions
se livraient une lutte à mort, la catholique contre la judaïque, la
protestante, la musulmane, etc. Elles ne se parlaient pas entre elles.
Des années
plus tard, j’ai constaté avec surprise qu’après le Concile Vatican II, les
choses s’arrangeaient, qu’un esprit œcuménique fortement influencé par ce
concile affleurait et que chaque religion respectait mieux les autres.
Et ce sont de
puissantes religions, le catholicisme, l’ensemble des autres Eglises
chrétiennes, l’islam… J’observe des choses extrêmement intéressantes que
j’ignorais au sujet, par exemple, des cultures, des croyances et des coutumes
religieuses très fortes des musulmans. Nos médecins sont à pied d’œuvre dans un
pays musulman en train de sauver des vies, et on les traite avec beaucoup
d’affection et de respect. Ce sont là des choses qui touchent. Oui, il existe
plusieurs religions très fortes, dont certaines remontent à deux mille ou trois
mille ans, d’autres à deux mille et d’autres encore à des centaines d’années.
C’est un bon
exemple, parce que, quelles que soient les idées morales ou les valeurs
morales, les objectifs que poursuivent les religions, elles n’y arriveront
jamais si elles luttent entre elles et se repoussent les unes les autres. Et il
y a des dizaines d’·Eglises.
Si je pense à
ça, c’est qu’il y a pour moi une idée très claire : les valeurs morales
sont essentielles ; sans valeurs morales, il n’y a pas de valeurs
révolutionnaires.
Je ne sais
pourquoi on a imputé aux communistes cette philosophie selon laquelle la fin
justifie les moyens, et je me demande même pourquoi les communistes ne se sont
pas plus défendus contre cette accusation. Je me l’explique même pour des
raisons historiques, du fait de l’énorme influence exercée par le premier Etat
socialiste et par la première véritable révolution socialiste, la première de
l’Histoire, surgie dans un pays féodal, aux us et coutumes en grande partie
féodales, avec une population majoritairement analphabète. La première
révolution prolétarienne surgie à partir des idées de Marx et Engels,
développée par cet autre grand génie que fut Lénine.
Lénine a
surtout étudié les questions de l’État ; Marx n’avait pas parlé de
l’alliance ouvrier-paysan parce qu’il vivait dans un pays à grand essor
industriel. Lénine, lui, a connu le monde sous-développé, a vu ce pays où de 80
à 90 p. 100 des gens étaient paysans, même s’il y existait une puissante force
ouvrière dans les chemins de fer et dans certaines industries ; et il a
constaté avec une clarté absolue la nécessité de cette alliance entre les
ouvriers et les paysans, ce dont personne n’avait encore parlé. Tout le monde
avait philosophé, mais personne n’en avait parlé. Et c’est dans un immense pays
semi-féodal, semi-sous-développé qu’éclate la première révolution socialiste,
la première tentative véritable de créer vraiment une société égalitaire et
juste, puisque aucune des précédentes – esclavagiste, féodale, médiévale ou
antiféodale, bourgeoise, capitaliste – même si la société bourgeoise a beaucoup
parlé de liberté, égalité et fraternité, ne s’est jamais proposé de fonder une
société juste.
Le premier
effort de l’homme tout au long de l’Histoire pour créer une société juste date
de moins de deux cents ans : c’est en 1850, je crois, que Marx et Engels
ont écrit le Manifeste communiste. Il
manque donc encore quarante-cinq ans pour faire ces deux cents ans. Et la
pensée révolutionnaire a continué d’évoluer.
On ne serait
jamais arrivé à une stratégie en faisant preuve de dogmatisme. Lénine nous a
beaucoup appris à cet égard. Marx nous a appris à comprendre la société ;
Lénine nous a appris à comprendre l’État et son rôle.
Tous ces
facteurs historiques ont eu une puissante influence sur la pensée
révolutionnaire, même si on a constaté ensuite des pratiques abusives et
parfois répugnantes. Ce sont elles qui
ont nourri cette imputation calomnieuse selon laquelle, pour un communiste, la
fin justifie les moyens.
J’ai beaucoup
pensé au rôle de la morale. Quelle est la morale d’un révolutionnaire ?
Toute pensée révolutionnaire débute par un peu de morale, par un peu de
valeurs. À cet égard, les parents, les professeurs jouent un grand rôle. Le
révolutionnaire n’a pas ces idées infuses, pas plus qu’il ne naît en sachant
déjà parler. Quelqu’un doit le lui apprendre. L’influence de la famille est
aussi très grande.
Quand, dans le
cadre de la Bataille d’idées, nous avons commencé à faire toutes sortes
d’études sociales et à étudier les cas des jeunes de vingt à trente ans en
prison, nous avons évalué leur origine, les niveaux culturels de leurs parents,
pour nous rendre compte que ceux-ci avaient une influence décisive et que la
délinquance à Cuba était étroitement associée au niveau culturel et au statut
social des parents. Ainsi, le taux d’enfants délinquants de professions libérales,
d’universitaires et d’intellectuels était incroyablement bas. Tout comme était
incroyablement élevé le taux de ceux provenant de familles modestes sans base
culturelle. Un autre problème influe aussi beaucoup : le divorce dans une
famille modeste à bas niveau culturel. Certains enfants ne restaient ni avec le
père ni avec la mère, mais avec une tante, une grand-mère ayant des problèmes
de santé ou autres. Ceci exerce une influence notable sur la destinée de
l’enfant.
C’est alors
que nous avons utilisé ces brigades universitaires pour se rendre dans les
quartiers les plus pauvres, et que nous avons décidé un jour de mobiliser sept
mille étudiants auxquels j’ai remis ensuite un diplôme, un à chacun… Je les ai
signés en avion en rentrant d’Afrique, je ne sais combien j’ai passé d’heures
du trajet à les signer tellement j’attachais d’importance à leur travail. Je
leur ai rendu visite en cours de travail… Si vous saviez combien nous avons
appris ! Il fallait voir ce qu’il se passait dans la société. Nous croyons
savoir beaucoup de choses, nous croyons savoir comment les gens vivaient, et
nous ne le savions pas.
C’est alors
que nous avons découvert, par exemple, qu’une maman pouvait travailler, toucher
un salaire et avoir aussi un enfant à arriération mentale sévère, devant être
alité et ayant besoin de soins continus, parce qu’il fallait tout lui faire.
Quelqu’un de la famille restait avec lui, tandis que la maman travaillait. Un
beau jour, ce quelqu’un partait ou mourait, et la pauvre femme se retrouvait à
devoir choisir entre le travail qui le faisait vivre et son enfant.
C’est devant
des faits de ce genre que nous avons pris la décision que toute maman dans ces
conditions devait pouvoir choisir, en fonction de son emploi, en fonction du
besoin et de l’importance de son travail pour la société, soit de toucher un
salaire pour s’occuper de son enfant, soit de recevoir de l’État une allocation
pour payer le salaire d’une personne qui s’en occuperait tout le temps qu’elle
serait au travail. C’est là un exemple parmi bien d’autres.
Les
brigades étudiantes ont aussi contribué à sauver des vies, par exemple des gens
qui voulaient se suicider à cause d’une maladie mentale ou d’une dépression.
Comme nous avons découvert de choses ! Il y avait, je ne sais, de vingt à
trente mille personnes de plus de soixante ans qui vivaient seules et dont
beaucoup ne disposaient même d’une sonnerie pour avertir quelqu’un si elles
souffraient tout d’un coup d’une forte douleur de poitrine ou d’un autre
problème de ce genre. C’était la société.
Nous
avons analysé les revenus que chaque citoyen touchait par la pension ou
l’assistance sociale. Bien des chiffres n’apparaissaient sur aucune
statistique, sur aucun recensement. Et nous sommes mis à découvrir, à
découvrir, à découvrir… et à faire des choses, à générer des idées. C’est ainsi
que nous avons fini par mettre en place plus d’une centaine de programmes
sociaux, dont beaucoup sont en route depuis déjà pas mal de temps. Nous n’avons
pas claironné sur les toits ce que nous faisions. Oui, des jours glorieux que
ceux où, partant essentiellement des cadres de l’Union des jeunes communistes
et avec le soutien du parti et de toutes les institutions, la Bataille d’idées
a commencé à se dérouler autour du retour du petit Cubain kidnappé aux
Etats-Unis !
Nous
devrons être reconnaissants toute la vie aux circonstances qui ont accéléré à
ce point notre connaissance de la société et notre apprentissage, car, si nous
n’avions pas vécu cette expérience, nous ne serions peut-être pas en train de faire
ce que nous faisons aujourd’hui.
Nous
avons ouvert le premier cours pour travailleurs sociaux. Il a fallu savoir
quels étaient les salaires minimums. Sachez que leur hausse a été décidée après
une étude dans tout le pays. L’assistance sociale, elle, n’était alors que le
tiers de la prestation payée maintenant, quand elle a été élevée à cent
vingt-neuf pesos en moyenne. Les pensions de retraite ont été élevées encore
plus, puisque le minimum a passé à cent cinquante pesos, celle de la seconde
catégorie à cent quatre-vingt-dix et celle de la troisième à deux cent trente.
Le salaire minimum a aussi été fortement élevé.
Je
parlais donc de l’importance du facteur moral. Et je cherchais à comprendre les
raisons pour lesquelles on associait aux communistes l’idée que la fin justifie
les moyens. Je pense que des événements internationaux ont dû influer. Des
événements bien difficiles à accepter et j’en ai parlé plusieurs fois :
même s’il est avéré que les deux plus grandes puissances coloniales et impérialistes
de l’époque, l’Angleterre et la France, tentaient de lancer Hitler contre
l’URSS, ça ne peut justifier en aucun cas le pacte de Staline avec Hitler. Un
pacte bien difficile à avaler, si bien que les partis communistes, qui se
caractérisaient par leur discipline, ont été contraints de défendre le pacte
Molotov-Ribbentrop et à se discréditer politiquement parlant.
Avant
ce pacte-là, la nécessité d’union dans la lutte antifasciste avait conduit les
communistes cubains à s’allier à Batista, qui avait déjà réprimé la fameuse
grève d’avril 1934 après son coup de main contre le gouvernement provisoire de
1933, un gouvernement incontestablement révolutionnaire issu en grande partie
de la lutte héroïque du mouvement ouvrier et des communistes. Avant cette
alliance antifasciste, Batista avait assassiné on ne sait combien de gens, il
avait volé on ne sait combien d’argent, mais l’ordre est venu de Moscou :
organiser les fronts antifascistes. Autrement dit, pactiser avec le diable.
Ici, les communistes ont pactisé avec l’ABC, un parti fasciste, et avec
Batista, un fasciste d’un autre genre, un criminel, un pillard des deniers
publics.
Ce
sont des événements très difficiles à comprendre. Et ils se sont succédés. Et
les partis communistes les plus disciplinés du monde – je le dis avec un
respect sincère – étaient ceux d’Amérique latine, entre autres celui de Cuba
dont j’ai toujours eu une idée très élevée.
Aujourd’hui,
nous pouvons parler de ces questions parce que nous marchons vers de nouvelles
étapes.
Les
militants du Parti communiste cubain étaient les citoyens les plus disciplinés,
les plus honnêtes et les plus dévoués de ce pays ; les législateurs du
parti lui reversaient une part de leurs émoluments, c’étaient les gens les plus
honnêtes de ce pays, indépendamment de la ligne erronée que Staline avait
imposée au mouvement international. Comment les en accuser ? Ils se
retrouvaient devant le dilemme d’accepter quelque chose qui est de mon point de
vue absolument correct : l’union de tous les communistes – « Prolétaires
de tous les pays, unissez-vous ! » - ou de rompre ouvertement, dans
de telles circonstances, avec la discipline.
Je
ne suis pas de ceux qui se mettent à critiquer des personnages historiques
satanisés par la réaction pour faire plaisir aux bourgeois et aux
impérialistes, mais je ne suis pas non plus assez idiot pour ne pas oser dire
ce qu’il faut dire en un jour pareil. Nous devons avoir le courage de
reconnaître nos erreurs, car ce n’est qu’ainsi qu’on peut atteindre l’objectif
désiré. Eh bien, oui, on a vu s’imposer ce vice terrible de l’abus de pouvoir,
de la cruauté, en particulier l’habitude d’imposer l’autorité d’un pays, d’un
parti hégémonique aux autres pays et aux autres partis.
Voilà
maintenant plus de quarante ans que nous avons des relations avec le mouvement
révolutionnaire latino-américain, des relations extrêmement étroites, et il ne
nous est jamais venu à l’idée de lui dire ce qu’il devait faire. D’autant que
nous avons fini par découvrir combien chaque mouvement révolutionnaire défend jalousement
ses droits et ses prérogatives.
Je
me souviens de moments cruciaux, et je ne vais en évoquer ici qu’une petite
partie, quand l’URSS s’est effondrée et que bien de gens se sont retrouvés
seuls, entre autres nous, les révolutionnaires cubains. Mais nous savions ce
que nous devions faire, quels étaient nos choix. Les autres mouvements
révolutionnaires continuaient de se battre à bien des endroits. Et certains –
je ne vais pas dire lesquels, mais il s’agissait de mouvements très sérieux –
nous ont demandé s’ils devaient continuer de se battre ou s’ils devaient
négocier dans cette situation désespérée avec leurs adversaires à la recherche
de la paix, alors que tout le monde savait où menait cette paix.
Je
leur disais : « Vous ne pouvez pas nous demander notre opinion, car
c’est vous qui vous battez, c’est vous qui mourez, pas nous. Nous savons ce que
nous ferons et nous sommes prêts à le faire, mais vous êtes les seuls à pouvoir
en décider. » Nous avons fait preuve du plus grand respect envers les autres
mouvements, nous n’avons jamais tenté, profitant de notre expérience et de nos
connaissances et de l’immense respect qu’ils sentaient envers notre Révolution,
de leur imposer nos points de vue. À un moment pareil, nous ne pouvions pense
aux avantages ou aux inconvénients que les décisions qu’ils prendraient
auraient pour Cuba. « Décidez vous-mêmes », leur disions-nous. Et
chacun a suivi sa ligne à ces moments décisifs.
Nous
sommes un petit pays des Caraïbes, à cent cinquante kilomètres de l’Empire et à
quelques pouces de sa base illégale, nous sommes mille fois plus faible que ne
l’était l’URSS quand elle a signé son pacte avec Hitler, ou quand elle donnait
des ordres aux dirigeants des partis communistes.
L’Allemagne
vivait alors ce qu’on a appelé la République de Weimar, née après la première
guerre mondiale. La crise économique incroyable qu’elle traversait, fruit du
Pacte de Versailles imposé par l’Angleterre, la France et les Etats-Unis, avait
renforcé le mouvement révolutionnaire d’une part et les forces nationalistes
réactionnaires de l’autre.
Hitler
remporte les élections face à des partis bourgeois libéraux et face à des
forces communistes combatives et révolutionnaires. De fait, le terrible
ressentiment du peuple allemand à cause des conditions léonines imposées par
les vainqueurs a joué davantage dans cette situation. C’est ainsi qu’Hitler
monte au pouvoir. Il avait écrit noir sur blanc, dans un livre, qu’il
avait besoin d’un espace vital en URSS
au profit de la race allemande, et aux dépens des Russes qui étaient, selon
lui, une race inférieure. Tout était écrit noir sur blanc. Et le mouvement
communiste, de son côté, s’était éduqué dans des idées et des concepts très
clairs contre le nazi-fascisme.
Dans
notre pays où tant de révolutionnaires étaient tombés, alors que les
communistes étaient les plus conscients, les meilleurs militants, les gens les
plus honnêtes, le parti marxiste-léniniste avait pourtant été poussé à cette
alliance avec Batista, qui avait tant réprimé les étudiants et le peuple en
général. Les ouvriers, qui voyaient que les dirigeants communistes ne cessaient
de défendre leurs intérêts, restaient fidèles au parti, mais il existait en
revanche, et à juste titre, une très forte opposition à Batista chez les jeunes
et dans de vastes secteurs populaires.
Je
pense que l’expérience du premier État socialiste – qu’il aurait fallu
arranger, et non détruire – a été très amère. N’allez pas croire que je n’ai
pas pensé très souvent à ce phénomène terrible par lequel l’une des plus grande
puissances au monde, qui avait réussi à équilibrer ses forces avec celles de
l’autre superpuissance, le pays qui avait payé de la vie de plus de vingt
millions de ses citoyens sa victoire sur le fascisme, le pays qui avait écrasé
celui-ci, a fini par s’effondrer comme il s’est effondré.
Les
révolutions sont-elles vouées à l’effondrement, ou est-ce que ce sont les
hommes qui peuvent les faire s’effondrer ? Les hommes peuvent-il empêcher
ou non, la société peut-elle empêcher ou non les révolutions de s’effondrer ?
Je pourrais ajouter tout de suite une autre question : croyez-vous que
cette Révolution socialiste-ci puisse s’effondrer ? (Exclamations de : « Non ! ») Y avez-vous pensé
une fois ? Y avez-vous pensé en profondeur ?
Connaissiez-vous
toutes ces inégalités de notre société dont je vous parle ?
Connaissiez-vous certaines habitudes généralisées ? Saviez-vous que
certains gagnaient tous les mois de quarante à cinquante fois plus qu’un
médecin, de ceux qui font partie du contingent Henry Reeve et qui soignent dans
les montagnes guatémaltèques ? Ou même encore plus loin, en Afrique, ou à
des milliers de mètres d’altitude, sur les contreforts de l’Himalaya, et qui
sauvent des vies ? Et qui gagnent 5 ou 10 p. 100 de ce que gagne un de ces
gangsters qui vendent de l’essence aux nouveaux riches, qui détournent des
ressources des ports par camions entiers et par tonnes entières, qui volent
dans les magasins vendant en devises, qui volent dans les hôtels cinq étoiles,
au mieux en remplaçant une bouteille de très bon rhum par une autre de bien
moindre qualité et vendant ensuite au prix fort son contenu au détail, par
verres.
Combien
de façons de voler existe-il dans ce pays ? Je lis tous les jours les
états d’opinion, et beaucoup se demandent quand les jeunes travailleurs sociaux
vont se rendre dans les magasins vendant en devises, dans les pharmacies, et à
d’autres endroits… Ces jeunes travailleurs sociaux issus de milieux très
modestes et bien formés ont forcé l’admiration et la sympathie.
Je
les ai dévisagés, eux, comme je peux vous dévisager, vous, et les visages
disent plus que n’importe que livre, que n’importe quel article, que n’importe
quel cliché. Vous savez très bien que depuis que la civilisation existe, depuis
que la propriété privée existe, les différences de classe existent aussi, et
que le monde n’a connu jusqu’ici que la société de classe. La préhistoire,
quoi.
Comment
puis-je savoir que vous êtes issus de secteurs modestes ? Aucun de vous
n’est entré à l’université parce qu’il est le fils d’un gros propriétaire
foncier qui possède de grandes étendues de terres.
Prenez
mon cas, puisque vous m’avez fait l’honneur de me placer ici. Qui de vous a un
père qui possède mille ou dix mille hectares ? Je ne vais pas vous le
demander à chacun, il me suffit de vous regarder… Fils d’une profession
libéral, peut-être, ou des classes moyennes. Vous avez applaudi, parfait, parce
que je sais très bien d’où vous venez. Et vous savez aussi que plus personne ne
coupe la canne à la main maintenant. Et quels étaient ceux qui la
coupaient ?
On
peut aussi s’expliquer pourquoi nous ne coupons plus la canne à la main
aujourd’hui. De leur côté, les lourds engins détruisent les plantations. De
plus, à quoi bon la couper, puisque les abus et les subsides du monde développé
ont fait chuter les cours du sucre sur le marché mondial à des niveaux
dérisoire, tandis que l’Europe le paie à ses agriculteurs deux ou trois fois
plus cher.
Quand
l’URSS nous payait notre sucre de canne à vingt-sept ou vingt-huit centimes en
échange de pétrole, ça lui coûtait moins cher que de produire elle-même du
sucre de betterave d’une manière presque artisanale, parce que son économie
avait grandi non d’une manière intensive, mais d’une manière extensive, si bien
qu’elle n’avait jamais assez de force de travail et que l’industrie
betteravière occupait beaucoup de gens.
Donc,
nous devons nous poser cette question – en tout cas, moi, je me la suis posée
depuis bien longtemps – de l’effondrement d’une révolution face à l’Empire
hyperpuissant qui est à l’affût, qui nous menace, qui a mis au point des plans
de transition politique et des plans d’action militaire dans l’attente d’un
moment déterminé.
Ces
gens-là attendent un phénomène naturel et absolument logique : un décès.
En l’occurrence, ils me font l’honneur considérable de penser à moi. C’est
avouer en tout cas qu’ils n’ont pu rien faire depuis bien longtemps ! Si
j’étais vaniteux, je pourrais être fier que ces sinistres individus soient
obligés d’avouer qu’ils doivent attendre ma mort. Ils attendent donc que je
meure, ce qui ne les empêche pas d’inventer tous les jours quelque chose :
Castro a ceci, Castro a cela. Leur dernière invention, c’est que Castro a la
maladie de Parkinson…
Oui,
j’ai fait une très forte chute, et je suis toujours en train de me rétablir de
ce bras (il le signale) et je vais
mieux. En fait, je devrais me réjouir de cette fracture du bras parce qu’elle
m’a contraint à encore plus de discipline, à encore plus de travail, à
consacrer plus de temps, presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre, à mon
travail. Si je le faisais avant, je lui consacre maintenant chaque seconde et
je me bats plus que jamais. Et puis, par bonheur, je me sens mieux que jamais,
parce que je suis plus discipliné et que je fais plus d’exercices (applaudissements).
J’ai
donc la maladie de Parkinson, selon ces gens-là. Je me rappelle que, le
lendemain de ma chute, les médecins m’ont parlé de fissures multiples à la
partie supérieure de l’humérus, et que c’est quand j’allais l’écrire pour en
informer la population qu’ils m’ont précisé que des fissures multiples
équivalaient à une fracture. Et je n’ai pas eu d’autres solutions que de
dire : « Mettez donc fissure, et j’expliquerai ensuite à la
population qu’il s’agissait non d’une fissure, mais de plusieurs fissures. »
Je l’aurais dit, parce que je ne crains l’ennemi en aucune circonstance. Mais
je croyais être en possession de toutes mes facultés, qu’il s’agissait d’un
simple accident, que ma tête n’avait pas heurté le sol – si ç’avait été le cas,
je ne serais sûrement pas ici – et je suis donc monté dans l’ambulance et je
suis rentré à La Havane. Ici, on m’a fait une rotule nouvelle à partir des huit
fragments de l’antérieure et toutes les autres choses. Ceux qui m’ont tué tant
de fois devaient jubiler sans doute, mais ils vont de déceptions en déceptions.
En tout cas, cet accident m’a contraint à travailler dur en matière de
rétablissement, et tous les jours, pour faire fonctionner la rotule. D’autant
que deux litres de sang s’étaient épanchés dans l’épaule et dans le haut du
bras, qui n’apparaissaient pas aux rayons X.
J’ai
fait des efforts et je continue. Ce que j’ai appris, c’est que je vais faire
des exercices presque jusqu’à la dernière seconde. Je ne néglige rien, et j’ai
plus de volonté que jamais pour manger ce qu’il faut et pas un gramme de plus
qu’il ne faut.
On
dit donc que la CIA a découvert que j’avais la maladie de Parkinson. Exactement
comme la crapule qui a découvert que j’étais l’homme le plus riche du monde.
Quelle crétinerie ! Mais je lui réserve un chien de ma chienne. Je n’en ai
parlé parce que je n’ai pas un espace de libre à la télévision ces derniers
temps : entre Posada Carriles d’un côté, les bandits de l’autre, des tas
de choses. Mais je me réserve d’aborder cette histoire à dormir debout. Et la
crapule et tous ceux qui l’ont soutenue vont passer un mauvais moment, vous
pouvez le croire, pour avoir commis une bourde pareille. Mieux vaudrait qu’ils
rectifient.
Je
souffre donc de la maladie de Parkinson, dit-on. Quand vous faites des exercices,
le bras finit par se renforcer muscle après muscle. Combien de personnes
n’ai-je dû pas saluer ? Des milliers, et certains vous arrachent presque
le bras. Vous devez faire comme certains qui, lorsque vous les touchez là,
durcissent l’épaule pour que vous faire croire qu’elle est très costaud,
qu’elle est d’acier. Je le fais chaque fois qu’on me donne la main. Et
maintenant celui-ci est plus fort que celui-là (il indique le bras droit). Qu’est-ce que vous en dites ?
Donc,
la CIA a découvert que j’avais le Parkinson. Et qu’importerait, après
tout ? Le pape l’avait, et il a passé je ne sais combien d’années à
visiter le monde, il avait une grande volonté, il a été victime d’attentats… Je
me suis dit : « Voyons voir comment va mon Parkinson, laissez-moi
viser (il vise de l’index, sans
trembler ; applaudissements et exclamations). Je dis alors :
« C’est la droite. »
J’ai
toujours bien visé, heureusement, et je vise toujours bien, sans lunette
télescopique, bien entendu.
Le
lendemain de l’accident, on vous sort de l’hôpital où on vous a mis, on vous
conduit ailleurs, vous ne protestez pas, mais vous savez tout ce qu’on fait de
vous. Avec moi, en tout cas, les médecins ont dû discuter de l’opération, et
qu’est-ce qu’ils allaient faire du genou et comment ils allaient le faire, et
qu’est-ce qu’ils allaient faire au bras. Je leur ai dit : « V0us me
faite une anesthésie locale », parce que si, vraiment, je ne me sens pas
en conditions de faire ceci ou cela, j’en informe le parti : « Écoutez, je
ne suis pas en conditions de faire ceci ou cela… » Et si j’ai fait
quelques critiques aux médecins, c’est d’avoir diminué un peu la gravité de
l’accident. Je leur ai dit : « Le genou, chirurgie ; l’épaule,
physiothérapie. » Et j’ai ajouté : « De toute façon, je ne vais
pas être lanceur au prochain championnat de baseball ni participer aux Jeux
olympiques. » C’était bien plus risqué de me soumettre à une opération
avec des clous et des tas de choses comme ça. Vous pouvez et devez le faire à
quelqu’un de vingt ou vingt-cinq ans. Bref, il fallait faire ce qui était
correct. Si vous savez que vous n’êtes pas en conditions de remplir votre
devoir, vous devez dire : « Il m’arrive ceci ou cela, s’il vous plaît
que quelqu’un prenne le commandement, je ne peux pas dans ces circonstances. »
Si je dois mourir, eh bien, soit ; si je ne meurs pas et que je recouvre
mes facultés, j’ai encore un peu d’expérience, j’ai encore une certaine
autorité, et pas gagnée à coups de mensonges et de malhonnêteté. Je devais me
préoccuper de ces choses à ce moment-là.
J’ai
dit une fois que le jour où je mourrai pour de bon, personne n’allait le croire
et que je pourrai continuer de faire comme le Cid Campeador, qui, bien que
mort, continuait de gagner des batailles à cheval.
Il
ne faut pas faire confiance à l’impérialisme, jamais ; il est traître et
capable de n’importe quoi : des tortures à Guantánamo ; des tortures
dans les prisons iraquiennes ; des prisons à tortures dans d’anciens pays
socialistes ; du phosphore blanc. Et après il vous affirme : « C’est
la plus innocente et la plus légitime des armes. »
On peut
supposer que quelqu’un dans mon cas possède une arme en toutes circonstances et
qu’il est en mesure de s’en servir. Je respecte ce principe. J’ai une Browning
de quinze balles. J’ai beaucoup tiré dans ma vie.
La première
chose que j’ai voulu vérifier, c’est si mon bras était encore assez fort pour
manier cette arme que j’ai toujours utilisée. Elle est toujours près de moi.
J’ai mis le chargeur, j’ai fait passer une balle, j’ai mis le cran de sûreté,
je l’ai ôté, j’ai retiré le chargeur, j’ai enlevé la balle et je me suis
dit : Parfait. C’était le lendemain. J’avais assez de force pour tirer.
Nous avons
prévu et pris des mesures pour qu’il n’y ait pas de surprises, et notre peuple
doit savoir exactement quoi faire dans chaque cas. Ecoutez bien : il faut
savoir quoi faire dans chaque cas.
Nous n’allons pas lui raconter bien entendu quelles mesures nous avons prévues. Je peux lui dire en tout cas : « Ecoutez bien, monsieur Bûche, vous allez au casse-pipe, à moins qu’on ne vous ait flanqué avant un bon coup de pied et mis à la porte pour avoir violé les lois des Etats-Unis. »
Oui, parce que
tout le monde est en train de s’insurger là-bas, et qu’on ne cesse de découvrir
des crimes, des crimes, des crimes…
Je ne veux pas
aujourd’hui – et j’espère ne pas avoir à le faire – suggérer à la CIA, au lieu
d’enquêter sur mon état de santé et sur mon prétendu Parkinson, de faire un
certain nombre d’enquêtes au sujet de l’empereur.
Ne voyez pas
là des offenses personnelles. Tout ce que je dis reflète tout simplement le
mépris que nous éprouvons, indique que nous sommes très conscients de leur
médiocrité, de leur stupidité et bien d’autres choses encore. Mais je ne veux
pas aborder certains points, même si je dispose de tout un tas de choses. Et je
peux donc suggérer à la CIA – qui est furieuse, soit dit en passant, parce
qu’on l’a ignorée, parce qu’on l’a humiliée – quelques recherches sur la santé
de l’empereur.
Bien entendu,
la CIA n’a pas non plus dit un traître mot de la façon dont Posada Carriles est
entré aux USA. Personne, d’ailleurs, absolument personne !
Je vous ai
posé une question, compañeros
étudiants, que je n’ai pas oubliée, tant s’en faut, et je prétends que vous ne
l’oubliiez jamais non plus, parce que c’est une question qui se pose toute
seule face aux expériences historiques que nous avons connues. Oui, je vous
demande à tous, sans exception, d’y réfléchir : une révolution peut-elle
être ou non irréversible ? Quelles seraient les idées ou quel serait le
degré de conscience qui rendrait impossible la régression d’une
révolution ? Que faire et comment le faire quand ceux qui ont été parmi
les premiers, les vétérans, disparaîtront et céderont la place à de nouvelles
générations de leaders ?
De fait, nous
avons été témoins nous-mêmes de nombreuses erreurs et nous ne nous en sommes
pas rendu compte !
Il est énorme,
le pouvoir d’un dirigeant quand il jouit de la confiance des masses, quand
celles-ci confient en ses capacités. Mais elles sont terribles, aussi, les
conséquences d’une erreur de la part de ceux qui ont le plus d’autorité, et
c’est arrivé plus d’une fois dans les révolutions.
Ce sont là des
choses sur lesquelles on réfléchit. On étudie l’histoire : que s’est-il
passé ici, ou là, ou là encore, on réfléchit sur ce qui est arrivé aujourd’hui
et sur ce qui arrivera demain, on se demande où va chaque pays, où ira le
nôtre, comment il marchera, quel rôle jouera Cuba…
Notre pays a
connu des limitations de ressources, énormément de limitations, mais il faut
dire qu’il les a gaspillées, tout simplement, alors qu’on vous distribuait tous
les mois une savonnette sans aucun parfum et du dentifrice pour que vous
brossiez les dents, je ne sais combien… Quoiqu’on ait abandonné dans certaines
écoles des activités données qui avaient permis à nos jeunes d’exhiber cette
excellente denture… Oui, il y a même des abandons de ce genre.
Certains ont
cru qu’on pouvait mettre en place le socialisme avec des méthodes capitalistes.
C’est une des grandes erreurs historiques. Je ne veux pas en parler, je ne veux
pas théoriser, mais j’ai une foule d’exemples qui prouvent qu’on a fait des
gaffes dans un tas de choses qu’on a faites, de la part de ceux qu’on supposait
des théoriciens, qui s’étaient gavés jusqu’à la moelle des livres de Marx,
d’Engels, de Lénine et de tous les autres.
Voilà pourquoi
j’ai dit que l’une de nos plus grandes erreurs au début et bien souvent tout au
long de la Révolution a été de croire que quelqu’un savait comment on édifiait
le socialisme.
Aujourd’hui, à
mon avis, nous avons des idées assez claires de la façon dont on édifie le
socialisme, mais nous avons besoin de beaucoup d’idées bien claires et bien des
questions vous sont adressées à vous qui sont les responsables de la façon dont
on peut préserver ou dont on préservera à l’avenir le socialisme.
Quelle serait
donc notre société si, quand nous nous réunissons dans un endroit comme
celui-ci, en un jour comme celui-ci, nous ne savions pas un minimum de ce que
nous devons savoir afin que cette île héroïque, ce peuple héroïque, ce peuple
qui a écrit des pages que nul autre n’a encore écrites dans l’histoire de
l’humanité, préserve sa Révolution ? Ne pensez pas que celui qui vous
parle est un vaniteux, un charlatan, un bluffeur.
Quarante-six
ans se sont écoulés, et on connaît l’histoire de ce pays. En tout cas, ses
habitants la connaissent. Et celle, aussi, de cet Empire voisin, sa grandeur,
son pouvoir, sa force, sa richesse, sa technologie, sa domination sur la Banque
mondiale, sa domination sur le Fonds monétaire, sa domination sur les finances
mondiales, cet Empire qui nous a imposé le blocus le plus rigoureux et le plus
incroyable, que les Nations Unies viennent de repousser une fois de plus par
cent quatre-vingt-deux voix, s’exprimant librement malgré les risques
qu’entraîne un vote déclaré contre l’Empire. Voilà ce que cette petite île est
capable d’obtenir, et nous ne sommes plus à l’époque où elle bénéficiait du
soutien du camp socialiste, qui a disparu, tout comme l’URSS.
Non seulement
nous avons fait et maintenu cette Révolution à nos risques et périls pendant
tout un tas d’années, mais nous étions même convaincu à un moment donné que si
les Etats-Unis nous attaquaient un jour directement, ce camp socialiste ne
lutterait jamais pour nous et que nous ne pouvions même pas le lui
demander ! Compte tenu du perfectionnement des techniques modernes, il
était naïf de penser que cette grande puissance – ou de le lui demander ou de
l’attendre – lutterait contre l’autre si celle-ci intervenait dans la petite
île se trouvant à cent cinquante kilomètres, et nous sommes arrivés à la
conviction absolue que ce soutien ne nous serait jamais accordé. Bien mieux,
nous le lui avons demandé un jour directement, plusieurs années avant sa
disparition : « Dites-le-nous franchement. » La réponse a été
celle que nous attendions : non. Dès lors, nous avons accéléré plus que
jamais le développement de notre conception et nous avons perfectionné les
idées stratégiques et tactiques à partir desquelles notre Révolution avait triomphé
et vaincu, alors qu’elle ne pouvait disposer au départ que de sept hommes
armés, un ennemi qui pouvait compter sur quatre-vingt mille hommes, entre
marins, soldats, policiers, etc., sur des chars, des avions et sur tout
l’armement moderne de l’époque. Oui, la différence entre nos armes et celle de
ces forces armées, entraînées par les USA, soutenues par les USA, équipées par
les USA, était infinie. Donc, après cette réponse de l’URSS, nous nos sommes
confortés plus que jamais dans nos convictions, nous les avons enrichies et
nous nous sommes renforcés à tel point que nous pouvons affirmer aujourd’hui
que notre pays est du point de vue militaire invulnérable. Mais pas grâce à ses
armes de destruction massive !
Eux, ils ont
des chars à ne savoir qu’en faire ; nous, nous n’en avons aucun de trop.
Aucun ! Toute leur technologie s’effondre, comme de la glace à midi au
milieu d’un parc en plein soleil. Avant, nous n’avions que sept misérables
fusils et quelques balles ; aujourd’hui, nous avons bien plus de sept
fusils : nous avons tout un peuple qui a appris à manier les armes ;
tout un peuple qui, malgré nos erreurs, possède un tel niveau de culture, de
connaissances et de consciences qu’il ne permettra jamais que son pays
redevienne leur colonie.
Ce pays-ci peut
s’autodétruire ; cette Révolution-ci peut se détruire. Ceux qui ne peuvent
pas la détruire, ce sont eux ; nous, en revanche, nous pouvons le faire,
et ce serait notre faute.
J’ai eu le
privilège de vivre longtemps. Ce n’est pas un mérite, bien entendu, mais ça
m’offre l’occasion exceptionnelle de vous dire ce que je viens de vous dire, de
le dire à tous les dirigeants de l’Union des jeunes communistes, à tous les
dirigeants des organisations de masse, à tous les dirigeants du mouvement
ouvrier, à ceux des Comités de défense de la Révolution, de la Fédération des
femmes cubaines, des paysans, de l’Organisation des combattants de la
Révolution organisés partout, aux combattants qui durant tant d’années, par
centaines de milliers, ont rempli de glorieuses missions internationales, aux
étudiants comme vous, intelligents, bien formés, en bonne santé, organisés qui
êtes partout, dans chacun des neuf cents et quelque collèges universitaires et
dans chacune des deux mille et quelque que nous ouvrirons sans retard, au point
que nous compterons plus de cinq cent ou six cent mille étudiants, et s’ils ne
sont pas plus nombreux, c’est que beaucoup concluront leurs études chaque
année… Et ceux qui les concluront étudieront tous, comme nos médecins au
Venezuela, à partir d’ordinateurs, des magnétoscopes et de cassettes, à partir
des moyens audiovisuels nécessaires, à la recherche d’un titre scientifique,
d’une maîtrise ou d’un doctorat en sciences médicales. Tous. Cent pour cent.
On peut parler
aujourd’hui de dizaines de milliers de spécialistes en médecine générale
intégrale, et on devra parler demain, même si on ne veut pas, de dizaines de
milliers de titres de maîtrise et de doctorat en sciences médicales, pour ne
parler que d’une seule branche. N’oubliez pas que nous nous sommes retrouvés
avec seulement trois mille médecins, et sans professeurs universitaires, parce
qu’un bon nombre de cette université, par exemple, sont partis. Et pourtant on
peut dire maintenant que nous compterons dans quelques années cent mille médecins.
Et quand il en faudra cent cinquante mille, nous les aurons. Et certains seront
professeurs universitaires, de la même manière que nous aurons des dizaines de
milliers de programmeurs et de concepteurs de programmes et de chercheurs dans
de nombreux domaines, parce que nous devons savoir beaucoup de choses à la
fois, bien plus que la quantité de titres que nous obtiendrons.
Je vous
parlais d’une bataille, je vous en demandais le coût. N’allez pas croire que
ces vingt-huit mille travailleurs sociaux vont suer et perdre leur temps. Je
vous ai dit comment je m’étais rendu compte qu’ils faisaient partie des
secteurs les plus modestes de la population, je le voyais sur leurs visages.
Sans le vouloir, j’ai pris l’habitude de deviner même de quelle province viennent
nos compatriotes. J’ai dit en blaguant aux travailleurs sociaux – et je le dis
aux médecins qui partent en mission – que chacun d’eux appartient à une
micro-tribu. Je sais reconnaître ceux qui viennent de Manzanillo, par exemple,
ou de La Havane, ou de Guantánamo, ou ceux de Santiago. Que c’est
impressionnant de voir les secteurs sociaux les plus modestes de ce pays
convertis en vingt-huit mille travailleurs sociaux et en des centaines de
milliers d’étudiants ! Quelle force ! Et nous verrons bientôt en
action ceux qui ont reçu leur diplôme voilà pas longtemps à la Cité des sports.
La Cité des
sports nous enseigne au sujet du marxisme-léninisme ; la Cité des sports
nous enseigne au sujet des classes sociales ; la Cité des sports a réuni
voilà peu environ quinze mille médecins et élèves de médecine et certains
élèves de l’Ecole latino-américaine de sciences médicales, et d’autres qui sont
venus de Timor de l’Est pour faire des études de médecine. Un spectacle
inoubliable ! Je ne crois pas que ce soit mon seul sentiment.
Cette
société-ci n’oubliera jamais ce spectacle des quinze mille blouses blanches qui
se sont réunis là le jour où les élèves de médecine ont reçu leur titre, le
jour de la création du contingent Henry Reeve dont une bonne quantité de membres
sont déjà partis à des endroits où ont eu lieu des catastrophes
exceptionnelles, et ce bien plus tôt que nous ne l’aurions pensé.
Peu après,
nous avons remis leurs titres à plus de trois mille jeunes animateurs
culturels, la seconde promotion, car la première avait eu lieu à Santa Clara.
Trois mille nouveaux, déjà sur le terrain, et les trois mille autres de
dernière année de cours sont aussi déjà sur le terrain. Ils vont se multiplier,
et nous réunirons un jour au moins la moitié des travailleurs sociaux qui sont
en train de mener une des tâches les plus capitales qu’un groupe de jeunes
spécialiste en matières sociales ait jamais réalisée, de concert avec de jeunes
étudiants.
Que
pourra-t-il découler du travail de ces jeunes gens ? Eh bien, que nous allons
mettre un terme à de nombreux vices : des vols, des détournements de
ressources et de nombreuses sources alimentées par l’argent des nouveaux
riches.
Quelqu’un
pense-t-il que nous allons confisquer l’argent ? Non, l’argent est
sacré : l’argent placé dans une banque est intouchable.
C’est donc du
nouveau : nous allons combattre une série abondante de vices, de vols, de
détournements, un par un, dans un ordre que personne ne sait. Ils le
soupçonnent ? Eh bien, tant mieux.
Mais que
certains vices sont profondément enracinés ! Nous avons commencé par Pinar
del Río pour voir ce qu’il se passait dans les stations-service qui vendaient
de l’essence en devises. Et on a tôt fait de découvrir que la quantité volée
était au moins aussi grande que celle qui entrait. On en volait presque la
moitié et à certains endroits plus de la moitié.
Que se
passe-t-il à La Havane ? Vont-ils s’amender ? Eh bien, non, ils sont
aux anges… Ils ont peut-être pensé que ces travailleurs sociaux étaient des
gamins et des gamines un peu niais. Car, et c’est un point intéressant, 72 p.
100 des travailleurs sociaux sont des femmes – je ne sais si on n’a jamais vu
quelque chose de pareil – tout comme le sont les médecins qui sont en train de
couvrir notre pays de gloire, lui obtenant un énorme prestige et frayant des
voies pour qu’il puisse déployer son capital humain, qui vaut bien plus que le
pétrole. Je le répète : qui vaut bien plus que le pétrole ou l’or. Tout
pays qui a du pétrole se dit : « Quelle chance que je possède
cette ressource naturelle qui s’épuise ! » Nous aussi, nous en avons,
et nous allons en augmenter la production, bien entendu. C’est une chance de ne
l’avoir pas découvert avant, pour ne pas le gaspiller.
Le capital
humain n’est pas un produit non renouvelable : il est non seulement
renouvelable, mais aussi multipliable. Il augmente toujours plus chaque année,
et bénéficie de ce qu’on appelait à mon époque des intérêts composés : il
vaut ce qu’il vaut et il touche des intérêts pour ce qu’il valait, de sorte que
ce qu’il gagne en cinq ans par exemple est bien supérieur. Alors, pensez en
cent ans !
Je dois vous
dire que le capital humain est – ou du moins le devient à toute allure – la
ressource la plus importante du pays, bien supérieur à presque toutes les
autres ensemble. Je n’exagère pas.
Je demandais
combien coûtaient toutes nos universités.
Rien qu’avec
les nouveaux revenus des stations-service – bien entendu, vous n’allez pas y
être tout le temps, n’imaginez pas ça – d’ici à trois mois, et si l’an prochain
vous étiez la moitié de plus, ils encaissent ce qu’il faut en quatre mois. Rien
qu’en obligeant les nouveaux riches à payer l’essence qu’ils consomment, on
pourrait en une année payer au moins quatre fois ce que coûtent les six cent
mille étudiants et leurs professeurs. C’est déjà quelque chose, n’est-ce
pas ?
Vous savez ce
que c’est que la ñapa ? Ceux de
Santiago le savent. Quand vous achetiez chez l’épicier, celui-ci vous donnait
en prime une petite pâtisserie de coco ou quelque chose dans ce genre. C’était
ça, la napita. Eh bien, les
travailleurs sociaux paient les frais universitaires avec une simple ñapita de ce qu’ils encaissent.
Ils sont
arrivés à La Havane, et tout d’un coup, les stations-service ont commencé à
encaisser le double. Et les vendeurs d’avant, ils n’encaissaient pas
plus ? Eh bien, non, il a fallu que les travailleurs sociaux s’en
chargent. Je me suis dit : « Sapristi, ils ne vont donc prendre un
peu peur, rectifier d’eux-mêmes ? »
En fin de
compte, ceux qui ne veulent pas comprendre vont devoir se corriger eux-mêmes,
mais d’une autre manière : oui, ils vont s’enfoncer dans leurs propres
ordures.
Que se
passait-il entre temps à Matanzas et dans la grande banlieue de La
Havane ? Les recettes n’ont augmenté qu’un tout petit peu, 12 p. 100, 15
p. 100, 20 p. 100. Mais la situation était pareille qu’en Pinar del Río et à La
Havane avant que les stations-service ne passent sous contrôle.
Dans la grande
banlieue de La Havane, beaucoup de gens ont appris à voler à tire-larigot.
Aujourd’hui,
les travailleurs sociaux sont dans les raffineries de pétrole, ils grimpent sur
un camion-citerne de vingt ou trente mille litres, pour voir en gros où il va
et s’il change d’itinéraire. En effet, on a découvert des stations-service
clandestines alimentées de l’essence qu’apportaient des chauffeurs de
camion-citerne !
On sait en
tout cas que beaucoup de camionneurs publics vont où ils veulent, et celui qui
en fait le moins va rendre visite avec à un parent, à un ami, à la famille, à
la petite amie.
Je me souviens
d’une anecdote datant de bien avant la Période spéciale : je roulais sur
la 5e avenue quand j’ai vu passer à toute allure une rétrochargeuse
Volvo flambant neuf, qui valait à cette époque de cinquante à soixante mille
dollars. Je suis piqué par la curiosité et je demande à mon garde-corps :
« Freine-le et demande-lui où il allait à une telle allure. Qu’il réponde
franchement. » Et l’homme a avoué qu’il allait rendre visite à sa fiancée,
sur ce Volvo qui roulait à toute allure sur la 5e avenue…
Ah,
si les pierres pouvaient parler !
Oui,
des choses de ce genre se passaient. En règle générale, nous savons tout. Et
beaucoup se disaient : « La Révolution ne peut rien faire, c’est
impossible qu’on puisse arranger ça. » Eh bien, moi je vous dis que c’est
le peuple qui va arranger ça, que c’est la Révolution qui va arranger ça.
Comment ? Est-ce seulement une question d’éthique ? Oui, c’est avant
tout une question d’éthique, mais c’est aussi une question économique vitale.
Nous
sommes un des peuples de la Terre qui gaspillent le plus d’énergie combustible.
On vient de le prouver ici, et vous l’avez dit très honnêtement, ce qui est
très important : personne ne sait ce que coûte l’électricité, personne ne
sait ce que coûte l’essence, personne ne sait leur valeur sur le marché. Et
c’est très triste, parce que la tonne de pétrole peut atteindre maintenant
quatre cents dollars et celle d’essence cinq cents, ou six cents, ou sept
cents, et parfois jusqu’à mille dollars, et que c’est un produit dont les cours
ne vont pas descendre, sauf dans certaines circonstances données et pas pour
longtemps, parce que c’est un produit qui s’épuise physiquement, tout
simplement, tout comme de nombreux minéraux vont s’épuiser un jour ou l’autre.
Nous le voyons
dans nos mines de nickel, qui nous laissent de grands trous là où il y avait
avant beaucoup de minerai. La même chose arrive avec le pétrole ; on
découvre de moins en moins de grands gisements. C’est une question à laquelle
nous avons dû beaucoup penser.
Savez-vous par
exemple combien un camion russe Zil-130 fait de kilomètres au litre ? Un
kilomètre six cents ! Qu’il transporte de la canne à sucre ou le goûter
des lycéens… Quand on a demandé au ministère de l’Industrie sucrière combien il
avait de camions en trop pour aider le ministère de l’Industrie alimentaire à
distribuer le goûter des lycées, qui touche maintenant quatre cent mille
élèves, une collation gratuite, avec yaourt, le pain, etc., vous savez ce qu’il
a fait ? Il a fourni les camions qui dépensaient le plus, les camions à essence !
Si vous
remplacez ce Zil-130, avec son 1,6 km au litre, un autre qui ait au moins la
taille requise : le Zil est un 5 tonnes, et il vaut mieux bien entendu
utiliser un camion de deux tonnes ou même une camionnette de 1,2 t, eh bien
vous commencez déjà à économiser. C’est ce dont nous avons commencé à nous
rendre compte lors d’une discussion avec l’entreprise électrique qui a soulevé
la question des camions utilisé pour réparer les câbles aériens :
« Nous devons changer quatre cents engins soviétiques gros consommateurs
d’essence, nous consommons tant et tant… » Et on a donc analysé la
consommation en détail, cas par cas, et analysé par quoi il fallait les
substituer. Il a fallu discuter pas mal, n’allez pas croire, car les directeurs
de nos entreprises n’ont pas beaucoup l’habitude de la discipline. Et ils ne
sont pas tous ravis, croyez-moi, mais c’est mon devoir de les en avertir parce
que la lutte va être dure. Aucun n’a protesté à ce jour. Il y avait, si j’ai
bonne mémoire, environ trois mille sociétés qui disposaient elles-mêmes de
leurs devises convertibles et décidaient assez librement de ce qu’elles
faisaient de leur profits, si j’achète ceci ou cela, si je repeins l’immeuble,
si j’achète une meilleure voiture pour remplacer la vieille bagnole… Nous nous
sommes rendus compte que, dans les conditions de notre pays, il fallait
supprimer tout ça, et les choses ont commencé à changer après une réunion avec
les principales entreprises.
Si vous êtes
en guerre et que vous avez beaucoup de balles, peu vous importe que les fusils
tirent plus ou moins ; mais pas si vous avez peu de balles, ce qui nous
arrivait toujours durant la guerre ; il nous fallait connaître les balles
de chaque fusil et jusqu’aux marques des balles, parce que, même si elles étaient
du même calibre, certaines fonctionnaient mieux que d’autres avec des fusils
déterminés, tandis que d’autres s’enrayaient. Parfois même, pour économiser les
balles, il fallait interdire de tirer, sauf si l’ennemi venait vous enlever
votre tranchée. Il n’y a rien de pire dans ce sens qu’une arme automatique pour
gaspiller des balles. Telle était notre situation.
Nous avons
d’excellentes institutions bancaires. Aujourd’hui, les ressources pour toutes
les dépenses du pays sont gérées et assignées par les banques en fonction d’un
programme préétabli. Aucun directeur de banque ne va déjeuner avec le
représentant d’une puissante société, pas plus qu’il n’accepte son invitation
au restaurant, ou à se rendre en Europe pour loger chez le patron de la société
ou dans un hôtel de luxe… En fin de compte, certains de nos fonctionnaires
faisaient des achats pour des millions de dollars, et vous pouvez supposer
qu’avec des achats pour des millions de dollars, d’une part, et, de l’autre,
l’art de corrompre que pratiquent de nombreux capitalistes, plus subtils qu’un
serpent et parfois pires que les rats, qui sont des animaux capables de vous
anesthésier à mesure qu’ils vous dévorent, si bien que vous ne vous rendez même
pas compte qu’ils vous ont emporté un morceau de chair durant votre sommeil…
Pareil pour la Révolution : ils l’endormaient et lui arrachaient la chair.
Les fonctionnaires dans ce cas n’étalaient pas leur corruption en plein jour,
bien entendu, mais ça finissait par se savoir ou par se suspecter à cause du
niveau de vie : on change de voiture, ou alors on la repeint, ou alors on
lui met des enjoliveurs et des gadgets partout, parce que les gens deviennent
vaniteux… Combien de fois n’avons-nous pas entendu parler de ça ? Et il
fallait prendre des mesures. Mais ce n’était pas facile à régler.
Donc, des
détournements de ressources dans les stations-service. Nous avions donné
différentes facultés aux dirigeants pour distribuer de l’essence à telle ou
telle personne dont la voiture pouvait être utile à l’entreprise. Mais allez savoir
si cette personne n’est pas votre grand copain… Il existe des dizaines de
manières de ce genre de gaspiller o de détourner des ressources, et si les
contrôles obligatoires ne fonctionnent pas, ce phénomène se répète tant que
nous n’avons pas découvert la vraie manière d’y mettre un terme.
Notre pays est
en mesure d’économiser plus d’énergie que n’importe quel autre. Il compte en
effet deux millions quatre cent mille réfrigérateurs familiaux obsolètes qui
dépensent de quatre à cinq fois plus d’électricité par heure, et ce,
vingt-quatre heures sur vingt-quatre.
Un petit
chiffre, pour que vous n’oubliiez pas : Pinar del Río compte 143 000
réfrigérateurs, dont 136 000 sont de l’INPUD, de fabrication nationale,
donc, de l’URSS (des Minsk et d’autres marques de ce pays), de Frigidaire et
d’autres marques capitalistes, et ces réfrigérateurs consomment au moins 20 p.
100 – d’autres chiffres donnent des taux plus élevés, mais je vais me borner à
celui-ci – de l’électricité que les centrales électriques produisent pour cette
province aux pics de consommation.
Je vous ai
parlé avant des Zil. Et des camions comme ça, nous en avons des milliers et des
milliers. Il y a des choses pires : de nombreux organismes conservent
encore leurs camions sans les utiliser, tandis que l’administration centrale de
l’Etat s’est habituée de son côté à négocier avec les ministères.
L’administration centrale de l’Etat n’a pas à négocier avec un ministre ! Elle
doit lui donner des ordres, un point c’est tout : « Combien de camions
as-tu ? » Elle doit analyser les problèmes à fond et prendre des
décisions.
L’industrie
sucrière produisait autrefois huit millions de tonnes de sucre, et elle en
produit aujourd’hui à peine un million un demi. Il a fallu en effet arrêter
radicalement les labours et les semailles quand les cours du pétrole étaient à
quarante dollars le baril et que c’était la ruine du pays, à plus forte raison
quand vous ajoutiez des cyclones de plus en plus fréquents ou des sécheresses
plus prolongées. De plus, avec les engins lourds, les champs de canne ne
duraient que quatre ou cinq ans, contre quinze ou plus auparavant. Quand les
cours du sucre sur le marché mondial étaient à sept cents la livre, je me rappelle avoir demandé un jour à une société
de commercialisation de ce produit quels étaient les cours du sucre et quelle
avait été la production fin mars : eh bien, cette société ne savait même
pas combien de sucre on produisait par mois, et personne n’a pu me dire combien
la production d’une tonne de sucre coûtait en devises. On ne l’a su qu’un mois
et demi après.
Il fallait
tout simplement fermer des sucreries et nous allions nous engloutir dans la
fosse de Bartlett. Le pays comptait de nombreux économistes, beaucoup, et je ne
veux pas les critiquer, mais, avec la même franchise avec laquelle je parle des
erreurs de la Révolution, je peux leur demander pourquoi nous n’avions pas
découvert qu’il était impossible de maintenir cette production, alors qu’il y
avait belle lurette que l’URSS avait disparu, que le pétrole valait quarante
dollars le baril et que les cours du sucre étaient au plus bas. Comment
n’avions-nous pas découvert qu’il fallait rationaliser cette industrie et qu’il
était insensé de semer presque deux cent soixante-dix mille hectares de terre
chaque année, en vue de quoi il fallait labourer avec des tracteurs et des
charrues lourdes, semer une canne qu’il fallait ensuite nettoyer avec d’autres
machines, fertiliser avec de coûteux engrais, ou des herbicides tout aussi
coûteux, etc. ? Aucun économiste de notre pays ne semblait s’en être rendu
compte. Et il a fallu tout simplement donner des instructions, quasiment un
ordre, d’arrêter ces labours. Si vous on dit : « Le pays est
envahi », vous ne pouvez pas répondre : « Un moment, je dois me
réunir trente fois avec des centaines de personnes. » C’est comme si nous
avons dit au moment de Playa Girón : « Nous allons nous réunir et
discuter trois jours des mesures à prendre contre les envahisseurs. »
Or, je vous
assure que la Révolution a été, tout au long de son histoire, une vraie guerre,
tandis que l’ennemi est constamment aux aguets, constamment prêt à frapper
chaque fois que nous lui en donnons l’occasion.
En fait, j’ai
fait venir le ministre et je lui ai dit : « Combien d’hectares as-tu
déjà labourés ? » Il m’a répondu : « Quatre-vingt
mille. » Je lui ai dit : « N’en laboure pas un de plus. »
Ce n’était pas mon rôle, mais il ne me restait pas d’autre solution, vous ne
pouvez pas laisser les gens couler le pays…
Nous avons
fait des choses de ce genre, à en faire pleurer les pierres ! Ce n’est pas
votre faute, mais je me demande : que nous arrivait-il ? Pourquoi ne
nous rendions-nous pas compte ? Quelles choses mauvaises étions-nous en
train de faire ? Que devions-nous rectifier ? Il y avait belle
lurette que l’URSS s’était effondrée, que nous nous étions retrouvés du jour au
lendemain sans carburants, sans matières premières, sans aliments, sans
articles d’hygiène, sans rien. Peut-être a-t-il fallu que ça nous arrive,
peut-être a-t-il fallu que nous souffrions ce que nous avons souffert, tout en
étant prêts à nous donner notre vie cent fois plutôt que livrer la patrie ou de
livrer la Révolution à laquelle nous croyions.
Peut-être tout
ça a-t-il été nécessaire, parce que nous avons commis de nombreuses erreurs,
des erreurs que nous essayons de rectifier ou, si vous voulez, que nous sommes
en train de rectifier.
L’une des
grandes rectifications engagées par le parti et par le gouvernement a été de
mettre fin à la prérogative de trois mille citoyens de gérer les devises du
pays. S’ils contractaient des dettes, personne ne savait s’ils pouvaient les
rembourser ou non ; il pouvait s’agir d’un investissement inutile ou
insensé ou subjectif, et l’État devait alors rembourser. Et si l’État ne le
faisait pas, son crédit en souffrait d’autant.
Ce n’est plus
le cas. Je tiens à vous dire que le pays rembourse jusqu’au dernier centime,
sans prendre une seconde de retard, et son crédit ne cesse de s’élever. On ne
jette plus l’argent par les fenêtres, comme c’était le cas de cette colossale stupidité
qu’était l’industrie sucrière.
Que
penseriez-vous si je vous disais que, selon les inventaires, ce ministère
possède de deux à trois mille camions de plus que lorsqu’il produisait huit
millions de tonnes de sucre ! C’est dur à dire, mais je dois le dire. Et
je le dirai autant de fois qu’il le faudra. Et je le ferai en public, parce que
je n’ai pas peur d’assumer les responsabilités que je dois assumer, parce que
nous ne pouvons continuer d’être si coulants. Qu’on m’attaque, qu’on me
critique, je sais très bien comment vont les choses. Beaucoup doivent se sentir
un peu froissés : des rois, des tsars, des empereurs…
Est-ce que
tous nos ministres sont comme ça ? Non. Certains de nos ministres ont été
déficients, et même bien déficients. Et, de notre côté, nous avons été parfois
coulant avec des fonctionnaires qui occupent des postes importants. Mais j’ai
une vieille habitude : travailler d’ordinaire avec les compagnons qui ont
commis des erreurs ; je l’ai fait bien souvent tout au long de ma vie,
tant que je constate des qualités en eux ; bien souvent, les qualités
existent, mais les orientations ne sont pas correctes ; ou alors il s’agit
bien souvent de cécité, même si le pays dispose de tous les mécanismes et de
toutes les institutions nécessaires pour se défendre, pour lutter, pour
combattre honnêtement, sans abus de pouvoir. Ecoutez bien : sans abus de
pouvoir ! Rien ne justifierait jamais l’abus de pouvoir de la part de l’un
d’entre nous. En revanche, nous devons oser, nous devons avoir le courage de
dire la vérité. Mais pas toutes les vérités : parce que vous n’êtes pas
obligés de les dire toutes à la fois. Les batailles politiques se livrent selon
une tactique, selon des informations adéquates. Je ne vais pas tout vous dire,
je vais vous dire juste l’indispensable. Peu importe ce que les bandits diront
demain ou après-demain, ou alors les dépêches. Rira bien qui rira le dernier.
À propos de
dépêches, certaines affirment que Castro a lancé une offensive, que Castro a
lancé les travailleurs sociaux, que nous renonçons aux avancées progressistes
acquises… Les avancées progressistes, c’est qu’on vous vende une livre de riz à
quatre pesos ! Qu’on escroque le citoyen ! Quel retraité peut acheter
à ce prix ? Un retraité, d’une part, quatre-vingts pesos, cinq petites
livres de riz sur le livret d’approvisionnement… A La Havane, non, elle était
privilégiée, avec six livres, une livre de plus, ainsi que Santiago,
d’ailleurs. Les autres provinces, c’étaient cinq livres. Il faut les peser une
par une. Aujourd’hui, tout le pays reçoit deux livres de plus de riz. J’espère
qu’un jour la production nationale suffira. Et ce moment n’est pas très très
loin, à moins qu’on en alimente les poulets. Oui, le moment n’est pas loin où
la production nationale suffira.
Mais nous sommes
aussi en train de créer les conditions pour faire disparaître le livret
d’approvisionnement. En effet, ce qui avait été indispensable dans des
conditions données devient maintenant une gêne. Et quiconque voudra acheter
plus de riz et moins de sucre pourra le faire, ou alors plus d’une chose et
moins d’une autre, sans avoir à choisir entre l’un ou l’autre, entre haricots
noirs et haricots rouges, par exemple. Je vous avertis : vous allez devoir
prêter beaucoup d’attention à la cuisine, et vite.
Certains
parlaient aussi du chocolat en poudre vitaminé, le fameux chocolatín. « Je le croirai quand je le verrai »,
disaient-ils. C’était la même chose avec l’autocuiseur. Qui a maintenant des
millions de croyants ! D’autres disaient à propos du chocolatín : « C’est comment ? Combien
vaut-il ? Huit pesos ! Pour un produit du livret, c’est pas
donné ! » Moralité : tout ce qui est du livret doit être donné,
comme l’électricité… Ça revient à combien, en dollars, après la revalorisation
du peso ? Trente-deux centimes. Et que contient le chocolatín ? C’est un paquet de deux cents grammes : tous
les onze grammes, sept de lait entier en poudre – les méfiants, qu’ils aillent
à un laboratoire pour le faire analyser – et quatre de cacao, qui est très
fort, aussi fort que salutaire, et Cuba est peut-être aujourd’hui le pays du
monde à plus forte consommation de cacao par habitant. L’enfant en prend, mais
le papa aussi, de la même manière que le papa prend le café de l’enfant. Comme
l’enfant est né et inscrit sur le livret, alors il a droit automatiquement à un
sachet de café, de cinq pesos ! Du café pour de bon. « Pour un
produit du livret, c’est pas donné! » Disons alors : c’est moins
donné.
La voie pour
atteindre ce que je disais : que le travailleur gagne plus et quiconque
travaille gagne plus, et que tout retraité touche plus, ce n’est pas celle du
livret. Celle que nous disons, c’est plus de revenus et plus de produits.
Il y a en deux
ici, devant moi, et ils ne sont pas mauvais. Certains découvrent d’ailleurs le chocolatín. Je sais que nos médecins,
là-bas, au Cachemire, en prennent tous les soirs, de ce petit sachet qui
« n’est pas donné », et ils peuvent y ajouter du lait. Celui de
l’enfant, vous pouvez d’ailleurs lui ajouter de l’eau, ou du lait. Il contient des
protéines.
Je peux vous
assurer que nous calculons les protéines que contiennent chaque haricot et
chaque œuf. Une grande partie du pays en reçoit cinq. La Havane, huit. Plus de
cent communes en reçoivent dix, et chacun des nouveaux a reçu une augmentation.
Si vous multipliez : 5 x 9 fait 45. Soit 4,50, plus cinq pour 15 centimes,
75. Autrement dit, avec 5,25 centimes, vous achetez dix œufs. Celui qui touche
le moins, celui de l’assistance sociale, touche 50 pesos et peut donc acheter
cinq nouveaux œufs pour 4,5. Exact.
Oui, mais
après est venu le chocolatín, et il
faut ôter 8, ou le cafetín, et il
faut ôter 5, plus 8, soit 13 ; plus 5,25, égal 18,25.
Il y a deux
livres de riz, à 90 centimes la livre, soit un peu moins de quatre centimes de
dollar. Oui, c’est en plus, et le pays a dû dépenser quarante millions de
dollars pour ces deux livres de riz, et il n’a pas hésité à le faire. Et celui
auquel vous avez augmenté les revenus de cinquante pesos, bien entendu, il lui
en reste un petit peu moins. Mais vous pensez alors combien vous allez
augmenter tout de suite la pension du retraité pour qu’il puisse acheter ceci
ou cela, et vous faites en sorte que l’argent soit garanti avant de le
distribuer. Il n’est pas question d’imprimer des billets sans contrepartie en
marchandises ou en services, parce que alors nos illustres intermédiaires vont
faire payer cinq pesos le riz au lieu de trois, et des choses de ce genre.
N’oubliez pas que ces gens-là sont des pirates, ils peuvent se faire payer
n’importe quoi. Même une livre de haricot à huit pesos, si ça leur chante.
Je tiens à
dire que tous ceux qui dans notre pays recevaient dix onces – soit dix millions
de personnes – en reçoivent désormais vingt, et que tous ceux qui en recevaient
vingt en reçoivent trente, et que ceux qui recevaient dix et ensuite vingt vont
en recevoir trente. Soit le triple de la quantité de haricots, ou de grains,
comme on dit maintenant, sans inclure le riz ou le maïs. Cinq millions, le
triple, et le reste, 50 p. 100 de plus.
Ça aussi, ça
nous a coûté quelques dizaines de millions de dollars. Je ne vais pas vous
demander d’où nous les sortons ou comment nous nous débrouillons, parce que les
grands théoriciens le discutent : « Ce n’et pas beaucoup. » Bien
entendu, l’idéal serait le triple. Et d’où on le sort ? Vous pouvez me
dire, mon cher monsieur, d’où on le sort ? Qui il faut agresser pour
ça ? Ou est-ce que nous allons vous prendre pour des niais en vous donnant
bien plus que ça pour que vous vous retrouviez grugé à la fin ?
Il y a un
certain nombre de petites questions à poser aux sots. Ceux qui ont des opinions
ne sont pas tous des sots, bien entendu, mais beaucoup de sottises proviennent
de l’ignorance : c’est cher, c’est pas donné, tout est cher…
Les
appartements, nous en avons fini par en faire cadeau. Certains en sont devenus
propriétaires en payant cinquante pesos par mois, ou quatre-vingts. Si l’argent
leur arrivait de Miami, au change ça leur coûtait trois dollars ! D’autres
les vendaient, à quinze ou vingt mille dollars, alors qu’ils ne leur avaient
coûté en fin de compte que cinq cents.
Le pays
peut-il régler la question du logement en faisant cadeau des
appartements ? Et qui en bénéficiait d’ailleurs, le prolétaire, les petits
gens ? De fait, bien des petites gens qui avaient reçu un appartement
quasiment donné le revendaient au nouveau riche. Combien le nouveau riche
pouvait-il payer pour un appartement ? C’est du socialisme, ça ?
Ça a pu être
une nécessité à un moment donné, mais ça a pu être aussi une erreur. Le pays a
reçu un coup dévastateur, quand la grande puissance s’est effondrée du jour au
lendemain et nous a laissés seuls, absolument seuls, et que nous avons perdu
tous les marchés de notre sucre et que nous avons cessé de recevoir des vivres,
du carburant, et jusqu’au bois pour enterrer chrétiennement nos morts. Et tout
le monde se disait : « Ça va s’effondrer. » Et une bonne
quantité de crétins continuent d’ailleurs de croire que ça va s’effondrer, si
non maintenant, du moins demain. Et plus ils se font des illusions, et plus
nous devons, nous, réfléchir et plus nous devons tirer des conclusions, pour
que la défaite ne soit jamais le lot de notre glorieux peuple qui nous a tant
fait confiance à tous (applaudissements).
Qu’il n’y ait
jamais ici d’URSS, ni de camps socialistes dissous, éclatés ! Que l’Empire ne
vienne pas ici installer des prisons secrètes pour torturer les hommes et les
femmes progressistes du reste du continent qui se dresse aujourd’hui décidé à
atteindre son seconde et définitive indépendance !
Mieux vaut
qu’il ne reste même pas l’ombre du souvenir d’aucun de nous et d’aucun de nos
descendants plutôt que de recommencer à vivre une vie si répugnante et si
misérable.
Je vous disais
que nous étions toujours plus révolutionnaires. Pourquoi ? Parce que nous
connaissons toujours mieux l’Empire, parce que nous savons toujours mieux de
quoi il est capable. De fait, auparavant, nous étions sceptiques au sujet de
certaines choses qu’il pouvait faire et qui nous semblaient impossibles.
Ils ont trompé
leur monde. Ils ont profité des médias pour s’emparer des esprits et ils ont
gouverné non seulement à coups de mensonges, mais encore de réflexes
conditionnés. Un mensonge est une chose, un réflexe conditionné en est une
autre : le mensonge trouble la connaissance ; le réflexe conditionné
trouble la capacité de penser. Et ce n’est pas pareil d’être désinformé et
d’avoir perdu la capacité de jugement parce qu’on vous a inculqué des
réflexes : « Ceci est mauvais, ceci est mauvais ; le socialisme
est mauvais, le communisme est mauvais », et tous les ignorants et tous
les pauvres et tous les exploités ressassent : « Le communisme est
mauvais. »
« Cuba
est mauvaise, Cuba est mauvaise », leur dit l’Empire. Il le leur dit à
Genève, il le leur a dit à des tas d’endroits différents, et tous les exploités
de ce monde, tous les analphabètes et tous ceux qui ne reçoivent pas de soins
médicaux ni d’éducation, qui n’ont pas un emploi garanti, qui n’ont absolument
rien de garanti, en fait, ressassent : « La Révolution cubaine est
mauvaise, la Révolution cubaine est mauvaise. » On a beau leur dire :
« Oui, mais la Révolution a fait ceci et cela... Oui, mais il n’y a pas
d’analphabète… Oui, mais la mortalité infantile est à ce niveau-là… Oui, mais
tout le monde sait lire et écrire… Oui, mais il ne peut pas y avoir de liberté
sans culture… Oui, mais il ne peut y avoir de libre choix sans
connaissance… »
Est-ce la
faute de l’analphabète ? Comment peut-il savoir si le Fonds monétaire est
bon ou mauvais, ou alors que les intérêts sont plus élevés, ou que le monde est
soumis à un pillage permanent à travers les milliers de méthodes de ce
système-là ? Il ne le sait pas.
Ce système-là
n’apprend aux masses à lire et à écrire. Il est capable de dépenser un billion
de dollars tous les ans en publicité. Et ce n’est pas seulement ce qu’il
dépense, mais à quoi il le dépense : il le dépense à créer des réflexes
conditionnés, pour que vous achetiez Palmolive, et l’autre Colgate et l’autre
encore Cadum, tout simplement parce qu’on vous l’a répété cent fois, que vous
l’a associé à une photo bien léchée, qu’on vous a fourré ça dans le crâne. Eux,
qui parlent tant de lavage de cerveau, ce sont eux qui vous sculptent le
cerveau, qui vous le modèlent, qui lui donnent une forme, qui vous enlèvent
votre capacité de penser. Et encore sils enlevaient sa capacité de penser à
quelqu’un qui sort d’une université et qui peut au moins lire un livre, ce
serait moins grave. Mais l’analphabète, que peut-il donc lire ? Comment
va-t-il savoir qu’on le berne ? Comment apprend-il que le plus gros mensonge
de ce monde-ci, c’est de dire que c’est de la démocratie, le système pourri qui
règne dans ce pays-là et dans la plus grande partie des autres pays qui l’ont
copié ? Tout ceci fait un mal terrible.
Et alors vous
ne cessez de prendre toujours plus conscience, jour après jour, jour après
jour, et vous sentez toujours plus de répugnance, toujours plus de mépris,
toujours plus de haine, toujours plus de condamnation, toujours plus d’envie de
vous battre. C’est ce qui explique que vous pouvez finir par devenir au fil du
temps bien plus révolutionnaire que vous l’étiez quand vous ignoriez bien de
ces choses-là et que vous ne connaissiez que les facteurs de l’injustice et de
l’inégalité.
En vous disant
tout ce que je vous dis, je ne fais pas de la théorie, même s’il le faut. Nous
sommes en train d’agir, nous sommes en marche vers un changement total de notre
société. Il nous faut changer de nouveau, parce que nous avons traversé une
époque très difficile qui a donné naissance à ces inégalités, à ces injustices.
Et nous allons changer sans commettre le moindre abus, sans ôter un peso à
personne. Pour nous, en effet, la confiance de la population dans une banque
vaut plus que tout. Et nous le pourrons parce que la Révolution est en train de
créer des richesses, qu’elle va créer de grandes quantités de richesse qui ne
viendront pas de la canne à sucre ou de choses de ce genre, mais qui viendront
essentiellement de notre capital humain, de l’expérience aussi, parce que
savoir ce qu’il faut faire est très important.
Si je vous
racontais l’histoire de toutes les stations-service de la capitale, vous seriez
étonnés. Il y en a deux fois plus que de raison. Un vrai chaos. Chaque
ministère a voulu avoir les siens, et on vous distribue par ci et on vous
distribue par là… Dans les organes du pouvoir populaire, le désastre est
universel, le chaos, et ils en ont plus récupéré les camions les plus vieux,
ceux qui dépensent le plus d’essence, etc. Quand il semblait qu’on avait
rationalisé l’utilisation des camions, on hypothéquait en fait à jamais
l’avenir du pays.
Peut-on avoir
la même conduite quand le carburant coûte deux dollars que quand il en coûte
dix ou vingt, ou quarante ou même soixante ?
L’une des
pires choses qui nous soient arrivés, c’est justement ça : avoir cru les
stratèges des systèmes électriques. Vous vous posiez une question, et puis une
autre et encore une autre, jusqu’au jour où vous découvriez que le problème
clef, c’est qu’on appliquait une conception qui correspondait à l’époque où le
carburant valait deux dollars, et que notre politique en matière de canne à
sucre correspondait à cette même époque.
Aujourd’hui,
les cours du pétrole n’obéissent à aucune loi de l’offre et de la
demande ; ils obéissent à d’autres facteurs, à la rareté, au gaspillage
colossal des pays riches, sans le moindre rapport avec la moindre loi
économique. Rareté face à une demande extraordinaire en augmentation constante.
J’ai appris
une nouvelle ce matin : la demande quotidienne pour l’année prochaine
s’élèvera de deux millions de barils pour atteindre plus de 84 millions de
barils, et les USA, le principal territoire de l’Empire, en consomment à eux
seuls 8,6 millions par jour. C’est là un des points clefs.
Nous invitons
toute la population à coopérer à une grande bataille, qui n’est pas seulement
celle du carburant et de l’électricité, mais celle contre tous les vols, de
toute sorte, où que ce soit. Je le répète : contre tous les vols, de toute
sorte, où que ce soit.
Combien coûte
l’énergie totale que le pays consomme, aux cours du pétrole actuel ?
Environ trois milliards de dollars.
Bien entendu,
les économies ne vont pas être la seule source d’augmentation de nos revenus,
il y en aura plusieurs autres, et qui pèsent lourd. Je suis presque sûr – les
chiffres finals pourront être un peu plus ou un peu moins, quoique je préfère
généralement les chiffres les plus bas – que le pays, compte tenu des données
en notre possession, peut économiser en peu de temps les deux tiers de
l’énergie qu’il consomme, de toute l’énergie : électricité, essence,
diesel, fuel-oil, etc. de toute façon, les cours mondiaux peuvent baisser un
peu par rapport aux cours actuels, et ensuite repartir en flèche. Cela
équivaudrait à plus de 1,5 milliard de dollars. Vous me demanderez : et
que fait le pays aujourd’hui de ce 1,5 milliard ? Je vous réponds :
une partie est volée, une autre partie est gaspillée et une autre partie encore
se jette.
Comme nous
sommes en pleine marche, en pleine offensive et en pleine action, je ne peux
pas vous donner tous les chiffres, mais je pense que le travail de ces jeunes
travailleurs sociaux doit apporter au pays, en dix ans, peut-être vingt
milliards de dollars par économie d’énergie. Vous avez bien entendu ? Vous
savez ce qu’est un million, n’est-ce pas, et vingt millions, et un milliard en
devises convertibles.
Carlitos vient
de me passer un petit papier : « Dépenses totales de
l’éducation : 4 117 000 000 de pesos ; dépenses de
l’enseignement supérieur : 886 millions. Information offerte par le
ministère de l’Economie et de la Planification, en consultation avec le
ministère des Finances et des Prix, le 17 novembre 2005. »
Donc, 886
millions. 700 millions équivalent à peu près à 35,4 millions de dollars. Je
répète : une petite partie du carburant volé ou détourné, moins de 20 p.
100. Voilà donc ce que coûtent les universités, selon ces chiffres.
Un milliard de
dollars économisé équivaut à vingt-cinq milliards de pesos. La masse salariale
de notre pays, au change international – qui est extrêmement arbitraire par
rapport à Cuba – se monte à environ 14 milliards de pesos, qui ont dans notre
pays un pouvoir d’achat vraiment très supérieur. Le taux de change a été
réévalué et peut l’être de nouveau.
Je dois peser
chaque mot que je vous dis. Ne croyez pas que j’improvise ; j’ai beaucoup
réfléchi sur toutes ces données et je les ai en tête. Je dois peser les mots
par ci par là : ceci, je peux le dire ; cela, non, parce que notre
ennemi tente de faire échouer tout ce que nous faisons et de tromper son monde.
Par exemple, en nous accusant de porter atteinte à la sacrosainte liberté de
commerce. Mais ils se gardent bien, par exemple, de se demander tout ce qu’on
peut faire ici avec un dollar envoyé de là-bas par l’un de ceux qui sont
peut-être devenus des professionnels ici, sans avoir payé un seul centime, vous
le savez bien.
Ceux qui sont
partis d’ici après le triomphe de la Révolution ne sont pas partis
analphabètes. D’ici, tous les ans, ceux qui partaient étaient ceux qui
savaient. Les premiers à partir ont été ceux qui étaient issus des secteurs les
plus riches, et tout au long de plus de quarante ans, l’Empire nous a volé des
dizaines de milliers de diplômés universitaires et des centaines de milliers de
travailleurs qualifiés, qu’il s’efforce maintenant d’empêcher d’envoyer ici de
l’argent comme fonds familiaux.
Quelle
tristesse que le jour où l’on a ouvert des magasins en devises où les prix
étaient élevés pour récupérer une partie de cet argent que ces gens-là
envoyaient et pouvoir ensuite le redistribuer aux autres qui ne recevaient
rien, alors que le pays se trouvait dans une situation très difficile !
Que fait-on
aujourd’hui avec un dollar ? On vous l’envoie ici… Je ne sais pas si
quelqu’un (il s’adresse à une personne de
l’assistance) t’envoie de l’argent. J’ai de la famille à laquelle on en
envoie. Je n’ai rien à voir avec.
Nous avons
fait un jour une enquête. Dans certaines provinces, de 30 à 40 p. 100 de la
population reçoit quelque chose. Mais c’est vraiment une si bonne affaire que
d’envoyer des dollars ici - une si bonne affaire ! - qu’ils pourraient
parfaitement nous ruiner en envoyant des dollars, compte tenu de l’énorme
pouvoir d’achat dont ils disposaient dans un pays soumis au blocus, avec des
produits rationnés extrêmement subventionnés et des services gratuites ou
extraordinairement bon marché.
Prenons
l’exemple de l’électricité. Savez-vous combien il coûte à notre pays en devises
convertibles de produire un kilowatt, avec notre système qui a tant de
problèmes, avec la centrale Guiteras, avec celle de Felton et d’autres qui sont
les causes de coupures de panne et de bien d’autres difficultés ?
Savez-vous combien il nous coûte, ce kilowatt ? Environ quinze centimes de
dollar. Mais si toi, qui es si intelligent, qui as si bien parlé, tu recevais
un dollar, par exemple, que pourrais-tu faire avec ? Tu as déjà reconnu
que les tarifs de l’électricité étaient bon marché, quasiment donnés. Si nous
en faisons quasiment cadeau au retraité, au travailleur, c’est un bon
cadeau ; le hic, c’est que nous faisons aussi cadeau à celui qui vit du
système D, au type qui se fait payer jusqu’à mille pesos pour transporter
quelqu’un à Guantánamo, ou qui touche le double du salaire d’un médecin pour le
conduire de La Havane à Las Tunas, en utilisant par-dessus le marché de
l’essence obtenu en corrompant le vendeur de la station-service…
Je n’ai rien
contre personne en particulier, mais je n’ai rien non plus contre la vérité. Et
que celui-ci qui se vexe parce que je dis la vérité, eh bien, qu’il se
vexe ! Je suis désolé, mais je l’avertis d’avance qu’il va perdre la
bataille, sans commettre la moindre injustice ou le moindre abus de pouvoir.
Oui, de fait, nous faisons quasiment cadeau de l’électricité à celui qui revend
la livre de haricots à huit pesos. Et n’arrêtez pas de la vendre, je vous en
prie, n’allez pas commencer à ne plus la revendre et m’en accuser. Vendez-la
donc, nous n’allons pas l’interdire. Mais je voudrais bien savoir en tout cas
ce qu’ils vont faire quand il y aura plus de haricots. Je ne sais s’ils vont
baisser leur prix ou non. Toujours est-il que la moitié de la population en
reçoit maintenant trois fois plus, et l’autre moitié en reçoit 50 p. 100 de
plus. J’imagine qu’ils vont devoir diminuer un peu leur prix. Il arrivera au
mieux, grâce à l’argent que nous économiserons, ou à l’énergie que nous
économiserons, que nous pourrons un jour allouer dix onces de plus, et le
moment viendra où, quand l’honnêteté de tous les distributeurs sera garantie,
quand pas un seul grain de haricot ne se perdra, quand celui qui ne sera pas
acheté sera rendu, car il n’y aura plus moyen de le détourner, ni aucune raison
de le détourner ni aucune condition pour le détourner, le spéculateur finira
par ne plus rien revendre du tout ou devra le consommer tout.
Le paysans
producteur consomme ce dont il a besoin et vend ses excédents. Le spéculateur
vole et ne produit rien. Une dépêche de la Reuters affirme que le gouvernement
s’en prend aux « avancées progressistes » découlant de la Période
spéciale. Pour elle, les « avancées progressistes », ce sont toutes
ces choses-là !
La Reuters ne
dit rien de ce genre de bandit. Ce n’est pas forcément un bandit, d’ailleurs,
c’est peut-être tout simplement un veinard qui a la chance de recevoir de
l’argent des Etats-Unis… Tiens, tu reçois un dollar. D’un autre côté, tu ne
dépenses presque rien en électricité, parce que ta consommation est inférieure
à cent kW, si bien que tu n’as payé tes cent kW que neuf pesos cubains. C’est
exact ? Alors, divise 24 par 9 (il
fait le calcul).
Le dollar que
tu as reçu de là-bas te fait 2 400 centimes, et tu n’as dépensé que 900
centimes pour tes cent kW. Même pas la moitié de ton dollar. Il te reste encore
1 500 centimes. Car tu es un garçon très économe, qui éteins les lumières
inutiles, qui n’a pas d’ampoules incandescentes, toutes celles que tu as sont
de néon, ton réfrigérateur consomme moins de 40 W-h, car ce n’es pas un vieux
Frigidaire que tu as hérité de ta grand-mère. Le garçon parfait, quoi ! (Rires.)
Bon, mais
supposons tout de même que tu consommes 150 kW. Ça va te coûter un tout petit
peu plus cher, parce que ces 50 kW supplémentaires valent vingt centimes
au lieu des neuf d’avant. Soit dix pesos. De sorte que tes 150 kW de
consommation te coûtent 19 pesos. Tu vois, tu n’as pas encore dépensé tout ton
dollar, parce que tu ne vis pas en Floride, tu vis à Cuba. Celui de la Floride
est un grigou sans cœur ; lui, il paie là-bas quinze centimes de dollar,
mais il t’envoi un dollar pour que tu puisses payer, avec moins d’un dollar,
150 kW.
Mais supposons
maintenant que tu n’es pas si économe que ça, que tu as beaucoup d’appareils,
peut-être un peu obsolètes, ou alors un appareil de climatisation, etc., et que
tu consommes 300 kW. Alors, tu fais tes calculs : les cent premiers kW,
neuf pesos ; les deux cents suivants, quarante pesos. Total, donc,
quarante-neuf pesos. Pour payer tes 300 kW, tu as dépensé 1,9 dollar, soit 0,63
centime de dollar par kilowatt d’électricité cubaine. Quelle merveille !
Le dollar en
question, tu ne l’as pas gagné, ou alors le peso, en travaillant, ce n’est pas
non plus un dollar gagné par un intermédiaire qui a revenu la livre de haricots
à huit pesos. Non, c’est un dollar qu’on t’a envoyé de là-bas, envoyé par
quelqu’un qui est parti d’ici en bonne santé, qui n’a pas payé un sou pour
faire toutes ses études, qui n’est pas malade, parce qu’il n’y pas d’émigrants
en meilleurs santé que les émigrants cubains, qui bénéficient par ailleurs des
avantages que leur offre la Loi d’ajustement cubain et qui n’ont pas non plus
le droit d’envoyer de l’argent à leur famille.
Pour produire
ces 300 kilowatts qu’il fait payer moins de deux dollars, le pays a dû
débourser, lui, 44 dollars. Ce qui revient en fait à subventionner ce dollar
envoyé des USA… Quel noble pays que le nôtre, qui subventionne les dollars de
ceux qui sont là-bas et qui, au lieu de t’aider noblement, te disent :
« Tiens, je vais t’envoyer deux dollars pour payer ton électricité, mais
n’en dépense pas tant, je t’en prie, économise, éteins des lumières. Tiens, je
vais t’envoyer aussi un réfrigérateur ou je vais t’envoyer l’argent pour que tu
l’achètes à la shopping. » Et le
généreux pourvoyeur de dollars poursuit : « Ne te tracasse pas, je
vais t’envoyer ce dont tu as besoin, je suis bon, je suis noble, je vais au
ciel, je te garantis les trois cents kilowatts que tu coûtes à cette idiotie
d’Etat socialiste qui se dit révolutionnaire et qui dit qu’il va lutter jusqu’à
la mort pour défendre la Révolution. » Le citoyen peut penser que nous
sommes bons, mais il peut aussi penser à juste titre que nous sommes idiots, et
il peut même avoir raison en partie…
Maintenant,
pour ramasser quarante-cinq dollars, je dois ramasser quatre mille cinq cents
centimes. Auprès de vous. Combien êtes-vous dans cette salle ? (On lui répond : 405.) Quatre cent
cinq ? Eh bien, avant de partir, faites bien attention, laissez onze
centimes, c’est vous qui payez, cet argent par lequel l’Etat paie est votre
argent, autrement dit du peuple cubain. Laissez tous onze centimes pour
subventionner les dépenses d’électricité de ce jeune homme pour un mois. N’oubliez
pas ! Nous allons mettre quelqu’un à la sortie pour qu’il vous surveille
et vous fouille en plus (rires).
Est-ce vrai ou non ?
Quant au riz,
eh bien, avec un dollar, même diminué puisque nous avons réévalué notre peso,
tu peux acheter cent livres de riz…
Bien entendu,
tu n’as pas dépensé un centime de ce dollar qu’on t’a envoyé en médicaments,
puisque les médicaments à l’hôpital ne coûtent rien; et si tu les as achetés
dans une pharmacie – ceux qu’on n’a pas détournés pour les revendre ailleurs – comme
ils sont subventionnés, ils ne t’ont coûté que 10 p. 100 de leur valeur en
devises. Si on t’a hospitalisé et que, va savoir, on t’ait opéré du genou, ou
même du cœur, tu n’as pas dépensé un sou, alors que ton opération aux USA peut
valoir mille ou deux mille ou dix mille dollars. Si tu as un infarctus et qu’on
te pose une valve, ce qui est arrivé à l’un des fonctionnaires de notre Section
des intérêts à Washington, alors, tu vas devoir débourser quatre-vingt mille
dollars. De toute façon, on n’a jamais cessé de te fournir des soins ; on
a pu être plus ou moins aimable avec toi, mais en tout cas, est-ce qu’on t’a
refusé quelquefois l’entrée dans un hôpital ?
Bien entendu,
notre système n’avait pas encore l’organisation qu’il commence à avoir et qu’il
aura bientôt, il ne disposait pas encore des équipements dont il commence à
disposer et dont il dispose déjà pour une bonne partie, des équipements de
pointe et standardisés, et donc à maintenance bien plus facile, ou un scanner à
soixante-quatre couches, parmi les meilleurs au monde, que nous avons achetés
et payés et qui commencent à arriver. Comment les avons-nous payés ? Grâce
aux économies et aux revenus du pays qui commencent à augmenter. Bref, tout ça
ne te coûte rien.
Depuis que tu
es entré à la maternelle jusqu’au jour où tu reçois ton glorieux diplôme de
docteur en sciences agricoles, ou en sciences physiques ou en sciences
médicales, tu n’as pas déboursé un centime pour tes études. Tu as reçu un
appartement, si tu as eu de la chance, quoique le plus probable soit que tu
n’aies pas eu ce genre de chance, à moins que ton père l’ait reçu en tant que
participant aux microbrigades du bâtiment, mais en tout cas tu ne paies pas
d’impôt sur le logement. Au mieux, tu es peut-être un petit débrouillard et tu t’aies
dit : « Je vais le louer à des visiteurs, et en devises
convertibles. » Dans ce cas-là, on te fait payer un impôt de
30 centimes par dollar de revenu. Donc, on t’a fait cadeau de ton
appartement, puisqu’il ne t’a coûté que cinq cents dollars : en le louant,
tu touches huit cents dollars par mois, tu en reverses deux cent quarante à
l’Etat, et voilà, tu as donc gagné plus de cinq cents dollars. Soit 12 500
pesos.
Et maintenant,
tu peux, en vertu de ce sacro-saint droit de liberté de commerce, aller sur un
marché agricole et payer trois pesos pour un livre de riz, ou tu peux aller
voir le distributeur d’essence et lui dire : « Je viens d’acheter une
vieille voiture américaine à Machin ou à Truc, je le lui ai acheté en pesos
cubains ou en devises convertibles, et j’ai que quelqu’un qui me garantis
l’essence, parce que j’ai trois cents kilomètres à faire pour aller rendre à
mes trois petites amies… » Et elle attirante, sa vieille bagnole
américaine, avec les problèmes de transport que nous connaissons ? Moi,
avec une veille américaine, je drague n’importe qui ! (Rires.)
Je peux
encore, chers étudiants, ajouter que ceux qui consomment trois cents kilowatts
consomment 40 p. 100 de l’électricité résidentielle du pays, un taux qui
représente au bas mot environ quatre cent millions de dollars que l’Etat,
généreux et bienfaiteur, fournit à tous ceux qui consomment le plus. Et quels
sont ceux qui consomment le plus ? Allez rendre visite à un nouveau riche
et vérifiez combien d’appareils électriques il possède.
Je me
rappelle, quand nous étions en train d’analyser cette question de la
consommation électrique et des prix, que nous avons découvert un paladar, un restaurant privé, qui
consommait onze mille kilowatts, et ce crétin d’Etat subventionnait le patron
en question, auquel les bourgeois aimaient tant amener les visiteurs pour
qu’ils voient quel bon goût avaient la langouste et la crevette issues du
miracle de l’initiative privée, des produits bien entendu tous volés de
Batabanó allez savoir par qui ! Quatre ou cinq chaises. Et, bien entendu,
cet Etat totalitaire, abuseur, est un ennemi du progrès parce qu’il et ennemi
du pillage… Cet Etat-là, donc, subventionnait le restaurant privé en question à
raison de plus de mille dollars par mois !
Je l’ai appris
parce que j’ai demandé combien il dépensait pour l’électricité qu’il
consommait. Je crois qu’une fois dépassés les trois cents kilowatts, le
kilowatt coûte trente centimes de peso. Tu ne le sais pas ? Aucun de vous
ne sait rien. (On lui dit quelque chose.)
Non, n’invente pas, j’ai vérifié tout ça, parce qu’on a désinformé bien des
fois. L’excès, c’est trente centimes. Pour onze mille kilowatts, ce monsieur
payait trois mille pesos. Et l’Etat s’en mettait plein les poches, pensez un
peu ! Lui, il payait trois mille pesos cubains, soit cent vingt
dollars ; et l’Etat, ça lui coûtait… L’autre fois, j’avais fait le calcul
à raison de dix centimes de dollar le kilowatt, mais maintenant, il coûte
quinze centimes de dollar… Faites le calcul. Nous allons devoir faire une collecte
supplémentaire ici… Je ne sais pas si vous avez de l’argent en poche ; en
tout cas, ce paladar, il vous faut le
subventionner. Voyons voir : lui, ça lui coûte cent vingt dollars par
mois ; et l’Etat, ça lui en coûte mille deux cent cinquante… Comme vous
êtes quatre cents dans cette salle, vous avez devoir laisser à la sortie, non
plus seulement les vingt centimes d’avant, mais bel et bien en gros trois
dollars… Comme ça, vous aidez l’Etat à subventionner l’électricité que consomme
le paladar de ce monsieur. Parce que,
nous serine-t-on, la liberté de commerce, le progrès, le développement,
l’avancée, c’est ça !
Nous allons
leur apprendre, nous, ce que c’est que le progrès, ce que c’est que le
développement, ce que c’est que la justice, ce que c’est que mettre un terme
aux vols. Et je vous avertis : avec le soutien le plus décidé du peuple.
Nous savons ce que nous faisons, à partir de l’arithmétique et des chiffres.
Nous savons ce que vaut chacune des choses que nous allons économiser. Je ne
veux pas parler de ce que nous sommes en train d’acheter ni en dire bien plus,
au sujet des milliards… Et vous pouvez être sûrs en plus que les coupures de
courant vont se terminer, croyez-moi.
Nous avons
déjà importé environ deux millions et demi d’autocuiseurs électriques à
thermostat. Pas seulement les autocuiseurs de riz. Mais nous allons aussi avoir
de petits appareils qui économisent 80 p. 100 de l’énergie que vous dépensez
pour faire bouillir un litre d’eau.
Je vais vous
poser une question et je suis sûr que vous allez pouvoir y répondre : que
ceux qui n’utilisent pas d’eau tiède en août pour se doucher lèvent la main.
Soyez honnêtes. (Une jeune fille lève la
main.) Tu n’as jamais utilisé d’eau tiède ? (Elle dit non.) Et en hiver ? (Elle dit non.) Je te félicite. Tu fais partie d’environ 10 p. 100
de la population. Et toi, en hiver ? (Un
jeune homme dit oui.) Bon, tu es quelqu’un de sérieux (rires).
Tenez, j’ai
posé la même question à d’autres personnes, pas comme ici, à des étudiants,
mais à des travailleuses. Je leur ai aussi demandé de lever la main. C’était le
jour de mon anniversaire, en plein été, le 13 août. Je leur ai donc demandé
lesquelles d’entre elles ne chauffaient pas de l’eau pour se doucher, et aucune
des dix n’a pu lever la main ! Ça, c’est pour la douche. Mais on fait
aussi bouillir l’eau pour les parasites, pour le petit bébé en été. Le jour où
il fait bien froid, je voudrais bien savoir qui d’entre nous se douche sans eau
tiède ! (Rires.)
Vous savez
aussi ce que font les internes pour chauffer l’eau, pas vrai, avec une
résistance dans un petite boîte… Vous le savez, n’est-ce pas ? (Exclamations.) Alors, pourquoi vous ne
vérifiez pas combien d’électricité ça consomme ? En tout cas, moi, je peux
vous dire qu’il y a des procédés pour chauffer l’eau qui consomment quarante
fois plus l’énergie. Quarante fois !
Dites-moi un
peu honnêtement : aucun de vous n’a jamais utilisé à la maison un réchaud
électrique artisanal quand le gaz se termine ? Je ne parle pas de ceux qui
ont le gaz de ville, qui est le plus économique. Je parle de ceux qui ont le
butane ou le pétrole lampant… Aucun de vous n’a jamais utilisé un réchaud
bricolé pour faire de la cuisine ? Que ceux qui ne l’ont jamais fait
lèvent la main.
Qui
donc ? Toi, jeune fille ? Viens ici, s’il te plaît. Oui, toi qui as
levé la main. Viens donc ici. Réponds-moi bien : tu me dis la vérité,
n’est-ce pas ? (Elle dit oui.)
Tu ne l’as jamais fait, donc. Et où vis-tu ? (Elle dit à Santa María.) Il y a l’électricité ? (Elle dit oui.)
Je voulais
découvrir la citoyenne idéale, celle qui n’a jamais utilisé un réchaud
électrique bricolé !
Dis-moi, tu
n’as jamais eu chaud là-bas ? Dis-moi encore : tu as un ventilateur,
parce qu’il y a sûrement des moustiques. Quel type de ventilateur as-tu ?
Quel moteur ? Aurika ? (Rires.
Elle dit que non, que son ventilateur est un Sanyo à moteur électrique
efficace.)
Tu es fille
d’agriculteurs, n’est-ce pas ? (Elle
dit oui.) Mais tu ne vends rien sur le fameux marché, pas vrai ? (Rires.) Tu es honnête, tu as un peu
plus de ressources…
Tu n’as aucune
ampoule incandescente ? (Elle répond
qu’elle en a.) Combien ? De combien de watts ? (Elle répond : deux de 60 watts.)
Tu vois bien avec ? (Elle dit oui.)
Combien d’heures sont-elles allumées par jour ? (Elle répond qu’un certain nombre d’heures.) Cinq, six ? (Elle précise qu’une ampoule reste allumée
toute la nuit.) Toute la nuit… Pour qu’il n’y pas d’obscurité… Douze, dix
heures ? (Elle répond : douze.)
Douze heures, parfait. Et l’autre ? (Elle
dit qu’elle reste allumée de six heures de l’après-midi à dix heures et
quelque.) Disons alors : quatre heures. Donc, douze et quatre, ça fait
seize heures. 16 par 60 : 960 watts. Alors, au lieu de dépenser 960 watts,
on va te faire cadeau de deux ampoules fluorescentes qui consomment sept watts
chacune. Si tu les maintiens autant d’heures allumées, autrement dit seize
heures, tu ne consommeras que cent douze watts et tu verras mieux.
Tu veux faire
un petit cadeau au pays ? Tu veux ? Je suis sûr que oui. Tu vis
là-bas ? Je n’ai pas voulu te le demander, mais le problème est réglé. Je
vais te dire combien tu vas donner au pays très bientôt, dès demain si tu veux.
Enrique,
envoies-lui deux ampoules de sept watts, ou si tu veux de quinze ou de vingt,
et vous allez voir mieux qu’avec les ampoules incandescentes, et moins de
voleurs viendront rôder autour de chez vous. Ces deux ampoules de néon de sept
watts, j’avais calculé qu’elles consomment au total 112 watts, que je soustrais
des 960 que consomment les ampoules incandescentes : 960 moins 112, 858 watts,
multiplié par les 365 jours de l’année, soit 313,170 kilowatts, divisé par
mille égale à 313,17 kilowatts ; multiplié par 15 centimes, leur coût de
production en devises, donne 46 dollars et 97 centimes.
Merci
d’avance : tu vas faire cadeau au pays – attends, ne pars pas – du
paiement que tu dois faire maintenant, puisque tu vas faire cadeau à Cuba de
12,7 centimes par jour, en cent jours tu va lui faire cadeau de 12,7 dollars,
et l’an prochain tu feras cadeau à tous de 46,45 dollars pour pouvoir acheter un
peu plus de haricots ou de n’importe quoi d’autre. Et en plus tu verras mieux.
Donc, rien qu’en changeant ces deux ampoules, tu vas nous faire cadeau à tous
de 46,45 dollars. Nous n’allons pas te faire payer, ni toi ni les autres, les
deux ampoules, qui durent cinq fois plus que les ampoules incandescentes et qui
donnent moins de chaleur, si bien que tu devras moins utiliser ton ventilateur
Sanyo.
Voyez donc un
peu par cet exemple. Alors, imaginez qu’au lieu de deux ampoules, c’en soit
quinze millions ! Pas seulement dans les foyers, qui en ont plus que selon
les calculs, mais encore ceux des écoles, des magasins, etc. Quinze millions.
Elle, elle n’en a que deux, et les utilise pas mal. D’autres les utilisent
moins longtemps et d’autres encore bien plus, on ne peut extrapoler si
facilement.
En tout cas,
rien qu’en quelques heures, on doit pouvoir économiser vraisemblablement de
deux à trois centrales électriques de cent mille kilowatts, en puissance, en
plus des frais de carburant et autres pour produire l’électricité qui se
gaspille, une puissance nécessaire pour que les ampoules restent allumées une
heure.
De quoi
riez-vous ? (On lui indique le
plafond du Grand Amphi, d’où pendent des lustres avec un grand nombre
d’ampoules incandescentes.) Ah ! non, je suis prêt à payer pour les
maintenir comme ça, c’est très beau. Ça, ce n’est pas du gaspillage, il s’agit
d’une décoration traditionnelle, historique, et en plus on n’y faisait pas des
cérémonies tous les jours et à toute heure. En tout cas, le coupable, c’est
moi, parce que la salle reste éclairée tout le temps que je suis à cette
tribune.
Bon, un grand
merci.
(Il s’adresse à une jeune fille de
Ciego de Avila qui est restée debout à côté de la précédente de La Havane.) Une
petite question : tu as un réfrigérateur chez toi ? (Elle lui répond qu’il est en panne.) En
panne ? On ne lui a remplacé les joints et le thermostat ? (Elle dit oui.) Et pourquoi il est donc
tombé en panne ? (Il dit que le
moteur a grillé.) Quand ? (Elle
dit : depuis un certain temps.) Quelle marque ? (Elle dit : russe.) Russe. Minsk,
ou fabriqué avec des moteurs russes par l’INPUD de Santa Clara. En panne donc.
Ta consommation, alors, est bien supérieure à celle des deux ampoules d’avant.
Supposons que
ton réfrigérateur ne soit pas tombé en panne. Qu’allons-nous faire de
toi ? Il faut qu’on te change ton réfrigérateur, parce qu’il consomme trop
de courant.
Avant-hier,
j’ai eu une réunion avec des travailleurs sociaux qui partaient s’occuper des
camions et des tracteurs. Ils partaient vérifier où ils se trouvaient, où
vivaient les chauffeurs, comment ils s’appelaient, quel était leur plaque
minéralogique, combien de carburant ils dépensaient, combien de diesel par
heure, combien de kilomètres au litre, etc. En tout cas, il ne faut pas être malin
pour savoir que ton réfrigérateur en panne, ton Minsk, consomme énormément
d’électricité. Combien ? Tu ne te rappelles pas ? Il doit consommer
environ trois cents watts par heure. Toi, oui, tu nous coules la
République ? Ton frigo défectueux doit consommer à lui seul au moins sept
kilowatts par jour. Alors, si tu le remplaces par un nouveau, qui consomme
moins de quarante watts heure, tu pourrais… Je vais te dire combien tu
économiserais, en calculant rien que deux cents watts par heure… Ça fait 4,8 kilowatts
par jour. Apprenez à multiplier, parce que vous allez devoir le faire. (Il fait des calculs.) À 15 centimes le
kilowatt, tu vas nous faire cadeau de… 15 et 15, 30 et 30, environ 72 centimes
par jour. Tu vas avoir ton réfrigérateur. Nous allons le noter, n’est-ce pas,
Enrique ?
Tu n’as pas de
frigo maintenant ? (Elle dit qu’on
est en train de le réparer.) Et d’où tu vas trouver le moteur,
dis-moi ? (Elle dit qu’on enroule
les bobines de la dynamo.) Attends un peu, comme ça tu vas élever sa
consommation d’au moins 30 p. 100, parce que ces bobines enroulés sont un
désastre ! Enrique, les frigos à bobines enroulés, combien ils
consomment ? C’est ce que font bien des gens, le moteur tombe en panne, et
les gens recourent à cette solution, parce qu’il n’y en pas d’autres, ce n’est
pas leur faute. C’est l’Etat qui es fautif. En tout cas, je peux te garantir
que d’ici six mois tu auras un réfrigérateur qui ne consommera pas plus de
quarante watts par heure. Je te parle de ce qui se gaspille, de ce qui se jette.
Grâce à toi, nous devons économiser au moins deux cents watts par heure.
Dommage que nous venions de distribuer les cent cinquante réfrigérateurs que
nous avions en réserve. Peut-être en reste-t-il encore sept, Enrique, on
pourrait peut-être aller faire un essai là-bas. Nous sommes en train de faire
cent cinquante essais en ville, nous allons avoir une réunion avec les
représentants d’Arroyo Naranjo où environ trente mille personnes cuisinent au
butane.
Enrique,
combien de travailleurs sociaux sont-ils allés rendre visite aux habitants
d’Arroyo Naranjo, qui compte environ cinquante mille familles ? (Enrique dit que 1 098 travailleurs
sociaux sont partis aujourd’hui rendre visite aux cinquante-cinq mille
familles, que la moyenne par travailleur social est de vingt foyers par jour,
si bien qu’il calcule qu’ils ont dû rendre visite aujourd’hui à environ vingt
mille foyers.)
Ils auront
donc visité tous les foyers en deux jours. Prenant note de tous les articles
électroménagers de la commune. Nous sommes en train de mener à bien de solides
expérimentations sociales. Nous allons changer le gaz. Peut-être ces habitants
qui sont les plus pauvres de la capitale m’écoutent-ils : on leur a
installé le gaz butane. Prix du butane : plus de sept cents dollars la
tonne ; 30 000 x 10 = 300 000 kilos. La consommation
mensuelle d’Arroyo Naranjo est au minimum de trois cents tonnes de butane. Soit
trois millions de dollars par an. A supposer que ce ne soit vraiment que trente
mille consommateurs.
Nous
allons mener une importante expérimentation, en collectant toutes les données,
en nous réunissant avec tous les représentants directs des îlots, des conseils
populaires, des syndicats, des organisations de masse, soit environ mille cinq
cents personnes parmi les plus proches des voisins, pour discuter avec eux
l’expérimentation que nous proposons. Je suis sûr que ce sera un succès, rien
que pour les économies de dépense énergétique.
Nous
allons analyser la consommation en hiver, nous allons voir ce qu’économisent
les ampoules que nous distribuerons d’ici fin décembre ; nous allons
remplacer les ventilateurs bricolés, qui se montent à un million, à quoi va
s’ajouter une quantité égale de chauffe-eau électriques manuels, simples mais
efficaces, qui réduisent considérablement la dépense énergétique.
Nous
disposerons de quatorze millions d’appareils en décembre et nous les
distribuerons peu à peu : des autocuiseurs de riz, des autocuiseurs
électriques, des chauffe-eau. Je n’inclus pas dans cette quantité les ampoules
de néon qui remplaceront les ampoules incandescentes.
Nous
verrons aussi ce que nous ferons de certains véhicules, après que chaque
chauffeur ait conversé avec les travailleurs sociaux, et quels sont ceux qu’il
faudra définitivement désaffecter. Quand
chaque ministère aura les camions qu’il doit avoir et pas plus, et qu’on
exigera qu’au moins 90 p. 100 soit en état de marche, et que tous les véhicules
auront la carte grise, les économies de carburant par ce moyen seront
étonnantes.
À
vrai dire, nous avons des idées que je ne veux pas expliquer : nous savons
exactement à quel moment il ne restera plus un seul de ces camions à essence et
autres équipements dévoreurs d’énergie.
J’ai
parlé d’économiser les deux tiers de l’énergie du pays. Nous pensons économiser
en matière d’électricité, d’ici fin 2006, non moins d’un million de
kilowatts-heure, que nous produisons et qui se gaspille, et nous serons en
conditions de produire, avec de nouveaux équipements, au moins 1,4 million de
kW-h, sans parler des groupes
d’électrogènes d’urgence. C’est plus sûr que les choses qui ont été annoncées
et qui ont été faites, et que celles dont on n’a même pas parlé mais qui ont
été faites aussi.
Inutile
de s’appesantir. De toute façon, il y a des idées que nous commençons à
appliquer en masse. Nous profiterons du fait qu’en hiver, la consommation
d’électricité diminue de 15 p. 100, car chaque appareil que nous mettrons en
circulation doit pouvoir être assuré de disposer de l’électricité requise, et
que la famille puisse même faire la cuisine si le courant vient à manquer. Il
existe encore de nombreux problèmes, mais tous sont étudiés minutieusement et
surtout, comme dirait Marx, d’une façon consciente.
Je
ne vais pas m’appesantir plus. Je peux revenir à tout moment et nous en
reparlons.
J’ai
abordé un certain nombre de questions. Nous devons être conscients : soit
nous liquidons toutes ces déviations et nous renforçons la Révolution, en
détruisant les illusions que l’Empire peut encore se faire, ou bien encore,
soit nous réglons une bonne fois pour toutes ces problèmes soit nous
mourons ! Il faut réitérer à cet égard le mot d’ordre de : la patrie
ou la mort ! C’est là quelque chose de très sérieux, et nous allons jeter
dans la bataille toutes les forces nécessaires, si besoin était les vingt-huit mille
travailleurs sociaux. Ainsi donc, que ceux qui détournent de l’essence, mieux
vaut qu’ils restent tranquilles, pour que nous n’ayons pas à les découvrir l’un
après l’autre, parce que dix mille travailleurs sociaux sont d’ores et déjà
prêts. La Havane est en train de se convertir en une école spectaculaire où
l’on apprend ce qu’il faut faire. Les travailleurs sociaux apprennent de plus
en plus, et nous sommes prêts à jeter dans cette bataille les vingt-huit mille
déjà diplômés et les sept mille qui font encore des études.
Et
si les vingt-huit mille ne sont pas suffisants, dont une partie travaille
maintenant à la création de cellules anticorruption autour de chaque point à
surveiller, des cellules composées de membres de l’UJC, des organisations de
masse, de Combattants de la Révolution, exactement ce que j’avais évoqué à la
Cité des sports.
Les
problèmes découverts sont attaqués sérieusement. Vous ne pouvez pas imaginer
l’enthousiasme des jeunes travailleurs sociaux. Je n’avais jamais vu dans ma
vie tant d’enthousiasme, tant de sérieux, tant de dignité, tant d’orgueil, tant
de conscience du bien qu’ils vont faire au pays.
J’ai
parlé du carburant, de l’énergie en général, ce qui sera la chose la plus
importante, mais pas la seule. Combien a-t-on volé jusqu’ici dans les usines,
dans des laboratoires qui produisent par exemple des médicaments. C’est le cas
d’une usine de La Lisa où il fallu licencier le directeur et bien des
travailleurs, presque une centaine au total, parce que l’administration et une centaine
de travailleurs étaient impliquées dans les vols de médicaments ! Le
remplacement de personnel ne suffit pas en soi, et ce ne sera pas la seule
solution.
Et
ensuite ? Il faut recourir à tous les moyens techniques à notre portée.
Nous avons acheté une quantité importante de nouvelles pompes pour le tiers
environ des stations-service qui resteront en fonctionnement dans tout le pays,
tout bien mesuré, ainsi qu’un certain nombre de nouveaux camions-citernes qui
ne bloquent pas les rues ni ne provoquent des embouteillages ou des accidents.
Ils rouleront la plupart de nuit, aux heures de moindre circulation. Combien de
morts ne se produisent-elles par accident !
Et
un jour, sachez-le bien, la Révolution disposera des instruments développés par
des techniques de pointe pour savoir où se trouve chaque camion, à quel
endroit, dans quelle rue. Personne ne pourra plus disparaître pour aller voir
sa tante ou sa petite amie. Non que ce soit mal d’aller voir sa famille, son
ami ou sa fiancée ; ce qui est mal, c’est de le faire avec le camion
destiné au travail ; le crime est pire quand le monde connaît la crise
énergétique qu’il connaît ; ou quand on donne aux gens des savonnettes
sans parfum…
On
en donne un tout peu plus maintenant, on a augmenté la quantité, et nous
prenons les mesures pour l’augmenter encore : le savon, la dentifrice,
chacune de ces choses essentielles. Nous le ferons chaque fois que nous le
pourrons.
Nous
avons acheté mille cars. Mais non pour faire cadeau des trajets. Une partie
sert à régler des problèmes vitaux, comme ceux que j’ai signalés ici ; les
autres arriveront dans les prochains mois.
Le
transport peut recevoir quelques subventions, mais pas à 90 p. 100, car ce
serait ruineux. Les subventions doivent plutôt être minimes. Nous devons
rationaliser au maximum les salaires, les prix, les pensions et les retraites.
Zéro gaspillage. Rien ne nous y oblige. Nous ne sommes pas un pays capitaliste
où tout est laissé au hasard.
Subventions
et gratuité, uniquement pour les choses essentielles, les choses vitales. Les
services médicaux, l’éducation et d’autres services similaires resteront
gratuits. Il faut faire payer le logement. On verra combien. Il peut y avoir
une subvention, certes, mais ce qu’on paie en un certain nombre d’années doit être
approchant du coût. Vous vous direz : avec quoi paierons-nous ces
coûts ? Une part importante, avec ce que nous gaspillons aujourd’hui et ce
qu’on vole, et avec les revenus non négligeables que le pays touchera en
toujours plus grandes quantités. Tout est à notre portée, tout appartient au
peuple. La seule chose non permissible, c’est de gaspiller des richesses d’une
manière égoïste et irresponsable.
Je
n’avais vraiment pas l’intention de me lancer dans une conférence sur des
questions si sensibles, mais ç’aurait été un crime de laisser filer cette
occasion de dire un certain nombre de choses relatives à l’économie, à la vie
matérielle du pays, au sort de la Révolution, aux idées révolutionnaires, aux
raisons pour lesquelles nous avons lancé cette bataille, à la force colossale
que nous avons aujourd’hui, au pays que nous sommes aujourd’hui et que nous
pouvons continuer d’être et que nous pouvons faire meilleur.
Je
n’oserais jamais revenir ici si je mentais, ou si j’exagérais. J’aime mieux
faire que promettre. De toute façon, je ne fais rien, parce qu’on ne fait rien
seul. Je profite de l’expérience ou de l’autorité que je peux avoir parmi mes
compatriotes pour les inciter à livrer des batailles. Des millions de Cubains
sont préparés à la guerre du peuple tout entier.
J’ai
dit que nous avions atteint l’invulnérabilité militaire, que cet Empire ne
pourra pas payer la quantité de vies qu’il lui faudrait payer, peut-être autant
ou plus qu’au Viet Nam, s’il tentait de nous occuper. Et la société étasunienne
n’est plus disposée à concéder à ses dirigeants le crédit de dizaines de
milliers de vie pour des équipées impériales. En Iraq, les morts se chiffrent
déjà à deux mille. Arrivera-t-on aux trois mille ? Et les nouvelles qui
arrivent d’Iraq pour les fauteurs de guerre sont chaque fois pires.
Et
nous allons bien voir le sort que courra cette cochonnerie de blocus, parce que
de nombreux Étasuniens sont furieux que leurs autorités n’aient pas accepté
notre offre de médecins cubains après le Katrina. La plupart les voulait, et
encore plus les autorités locales.
Oui,
nous allons bien voir, parce que nous leur prouverons qu’il vaudrait mieux
qu’ils lèvent cette cochonnerie : avec ça, ils ne détruiront jamais la
Révolution. Et nous pouvons dire aussi à l’Europe : gardez pour vous votre
aide humanitaire, hypocrites, gardez-la toute, nous n’en avons pas besoin. Quel
bonheur de pouvoir dire que nous n’avons pas besoin de l’Europe, et que nous
n’avons pas besoin de l’Empire ! Levez le blocus quand ça vous chante. Que
vous le leviez ou non, ça nous est égal : parce que, comme ça, vous nous
avez appris, vous nous avez trempés, nous avons appris à économiser, nous avons
appris à penser, nous avons appris à grandir, nous avons appris à multiplier
nos forces pour être à la hauteur de la stature colossale de l’adversaire.
Je
vous ai parlé avec toute la confiance possible. Je vous ai parlé de chacune des
tâches principales des brigades de travailleurs sociaux et de leur action
impressionnante. Elles ont dû parfois agir par surprise, en faisant preuve de
rapidité, de discipline et d’efficacité. À La Havane, ils étaient des milliers,
et des milliers étaient mobilisés comme réserves.
Elles
réalisent de nombreuses tâches. Si elles ne suffisent pas, combien d’étudiants
compte cette Université ? Je vous dis dès à présent ce que je leur ai dit
à eux : si vingt-huit mille ne suffisent pas, nous organisons une réunion
avec vous, les étudiants de la glorieuse Fédération des étudiants, et vous en
cherchez vingt-huit mille autres (applaudissements)
qui oeuvreront en tandem avec les travailleurs sociaux qui sont entrain de
prendre de la bouteille. Et s’il faut les mobiliser tous, eh bien, nous le
ferons. Et si les cinquante-six mille ne suffisent pas, nous organisons une
réunion avec vous et vous en cherchez cinquante-six mille autre de renfort.
Savez-vous
qui va les héberger ? La population, comme partout. La population qui a
une grande estime pour ces jeunes gens. Il ne doit plus y en avoir beaucoup qui
disent : « C’est impossible à régler », ou « On n’en sort
jamais. » Et, à vos côtés, aux côtés du peuple, nous prouverons que oui,
c’est possible ! Je crois que nous allons avoir bien plus de ressources,
non seulement pour répondre à des besoins, mais encore pour notre développement,
parce que nous nous gérons mieux. Bien des choses que nous faisons, nous les
faisons avec les ressources que nous avons économisées. Et nous sommes déjà en
train d’économiser des centaines de millions de dollars, et les économies
dépendront du rythme et de l’efficacité avec lesquels nous ferons chaque chose.
Des
idées nouvelles apparaissent chaque jour, et ce que nous économisons en énergie
se convertit aussitôt en ressources. Les centrales thermiques qui marchent le
moins bien et consomment le plus seront de trop dans le pays. Nous ne les
désaffecterons pas, bien entendu, pour les avoir en disponibilité en cas
d’imprévu.
Rien
qu’en production d’électricité, le pays dépense 3,8 millions de tonnes de
pétrole par an. Mais notre système électrique n’a un taux de rentabilité que de
60 p. 100.
On
ne construira plus de centrale thermique. On construira des centrales qui
utiliseront le gaz accompagnant le pétrole, des centrales à cycle combiné qui
s’amortissent en quatre ou cinq ans en faisant payer l’électricité à dix centimes
– celle, par exemple, que les hôtels peuvent payer, et permettent de produire
ensuite le kilowatt à deux centimes de dollar.
On
ne construira jamais plus une centrale thermique comme la Guiteras. C’était de
la folie, et il fallait être saturé de dogmatisme et de schématisme quand on la
fait. Dans un système qui devait produire environ deux millions de kilowatts,
acheter une centrale de 330 000 kW, c’était concentrer en une seule
centrale plus de 15 p. 100 de la capacité de production réelle ! Quand votre
centrale tombe en panne, ou que la foudre la frappe, comme cela lui est arrivé
voilà quelques semaines, c’est la panne de courant qui frappe durement la
population et l’économie nationale. Jusqu’à quand la Révolution allait-elle
résister à la conception erronée et insane qui existait en matière de
développement du système électrique ? Une conception qui n’était pas le
seul fait de Cuba, je vous l’assure, et nous sommes aujourd’hui le premier pays
au monde à le découvrir, et les autres devront venir voir ce que nous faisons.
Je
ne veux rien ajouter de plus, parce que je risque de dire des choses
extrêmement capitales.
Nous
allons cesser d’être un pays d’idiots pour laisser tous les autres à la traîne.
Sachez que les autres commettent la même erreur et que le bât les blesse au
même endroit.
Non,
je ne veux pas énumérer. Je vous promets de vous raconter un jour l’histoire, à
vous les dirigeants étudiants, et peut-être aussi à ceux qui sont ici. Pas
aujourd’hui. Aujourd’hui, je dois me taire parce que parler peut alerter
l’ennemi et le mettre en garde. De toute façon, il y a des choses que celui-ci
ne peut plus freiner, comme les deux millions et demi d’autocuiseurs
électriques qui sont déjà dans le pays ou en route. Et quand je dis « en
route », ça veut dire en provenance de Chine. Et la Chine, ce n’est pas un
petit îlot, c’est l’un des plus grands pays au monde, devenu aujourd’hui le
principal moteur de l’économie mondiale, c’est un pays qui produit beaucoup de
choses, et nous sommes en négociations qui vont à bonne allure pour d’autres
achats et d’autres mesures d’échange.
Je
vous disais aussi que le crédit de notre pays s’élève. Notre pays peut
mobiliser des milliards de dollars, nous le disons à Bûche, pour qu’il se ronge
les sangs un peu plus, si ça lui chante, et à tous les autres intrigants.
Qu’ils disent ce qui leur plaît demain de ces « petits pauvres », de
ces gens « si nobles » qui volaient « si peu », ceux qui
font payer au peuple n’importe quoi pour n’importe quoi. Eh bien, à ces
gens-là, je leur dis à vos côtés : « Payez l’essence que vous
consommez ! » Pourquoi serions-nous donc contraints de faire des
cadeaux au petit futé débrouillard, au bandit des grands chemins, ou au radin
d’ici, ou à l’égoïste qui veut que l’Etat lui donne quinze centimes pour chaque
kilowatt qu’il paie, lui ? Quelle loi de l’économie mondiale nous oblige
donc à ça ? Et qu’ils se préparent, d’ailleurs, parce que nous avons tout
bien calculé. Nous avons déjà dévalué le dollar, mais celui-ci continue de
bénéficier de trop de privilèges.
Hélas
pour eux, ni ce dollar ni les voleurs ne disposent d’un institut de
météorologie, ne disposent d’un Rubiera. Parce que je vous assure que des
cyclones sont en train de souffler, mais personne ne sait où ils vont, s’ils
vont direction ouest, ou nord-est, et trois degrés d’inclination vers le nord
ou vers le sud, ou encore si les vents sont de telle ou telle force. Sachez en
tout cas que ce cyclone-ci est catégorie cinq ! (Rires.) Une catégorie cinq, c’est un cyclone qui ne laisse rien debout.
Mais, une fois encore, sans abus, sans tuer personne de faim. Uniquement à
partir de principes tout à fait simples : le livret d’approvisionnement
doit disparaître ; ceux qui travaillent et produisent recevront plus,
achèteront plus ; ceux qui ont travaillé pendant des décennies recevront
plus et auront plus. Le pays aura bien plus, mais il ne sera jamais une société
de consommation : il sera une société de connaissances, de culture, au
développement humain le plus extraordinaire qu’on puisse concevoir,
développement de la culture, des arts, de la science, et non en vue de mettre
des points des armes chimiques, doté d’une liberté pleine que personne ne
pourra restreindre. Nous le savons, ce n’est même pas la peine de le proclamer,
même s’il est bon de le rappeler.
Nous
avons gagné le droit de faire ce que nous allons faire, de disposer de presque
un million de professionnels, d’intellectuels et d’artistes, de disposer de
cinq cent mille étudiants, dans toutes les branches de la science, des
étudiants capables de se qualifier et de se requalifier, de passer d’une
activité à l’autre, et capable de bien des choses.
Sachez
que notre société va être en fait une société absolument nouvelle. Et dans
cette course de fond, nous devançons de loin ceux qui sont les plus proches de
nous. Ce n’est pas un mérite. La raison en est cet Empire, parce que ses
menaces étaient bien trop risquées, ou alors le défi qu’il nous lançait. En
fait, le mérite lui en revient. Tout ce qu’a fait notre peuple noble, généreux,
courageux et intelligent, c’est riposter. Et il riposte aujourd’hui avec la
grande force de nombreuses intelligences développées.
Les
cinq cent mille dont je parlais, nous y sommes arrivés en très peu de temps, en
trois ans à peine. Combien y en aura-t-il demain ?
Bien
mieux, nous aurons des dizaines de milliers d’étudiants latino-américains dans
des écoles de médecine. Notre pays devra former à lui seul, dans les dix
prochaines années, cent mille médecins. Nous sommes en train de nous battre
pour créer le meilleur capital médical du monde, pas seulement pour nous – et
nous continuerons d’en former pour nous – mais encore pour les peuples
d’Amérique latine et d’autres peuples du monde qui nous demandent déjà que nous
leur formions des médecins. Nous avons de quoi les former et personne ne peut
mieux les former, parce que nous avons mis au point des méthodes pédagogiques
dont nous ne rêvions même pas. Nous le verrons, et vite.
Il
n’y aura pas seulement douze mille élèves de médecine à l’Ecole
latino-américaine de sciences médicales ; il y a déjà ici deux mille
bacheliers boliviens, en plus de ceux de l’ELAM, dont un certain nombre sont à
Cienfuegos, logés dans les familles, des familles sérieuses, dotées d’une bonne
formation professionnelle et culturelle, dont on a étudié le profil
psychologique, de même qu’on a étudié celui de l’élève et de sa famille. Une
expérience nouvelle et unique en son genre.
J’en
parlais hier avec différentes personnes. C’est la solidarité convertie en
richesse infinie. Comment pourriez-vous autrement héberger cent mille
étudiants ? Et nous savons ce que coûte chacun, ce qu’il coûte de le
nourrir, de le loger…
Nous
avons bâti dans une première étape de la Révolution des centaines d’écoles
secondaires, mais nous avons maintenant moins de la moitié des lycéens que nous
avions dans les années 70. Nous savons ce qu’il coûte de les réparer et en
combien de temps ça peut se faire. Nous disposerons donc de nombreuses écoles
de médecine pour quatre ou cinq cents étudiants, dotées d’excellentes conditions
matérielles, de l’équipement nécessaire aux études, des moyens audiovisuels,
des programmes informatiques. Le compañero
Machado a dit que s’il avait eu ces ressources durant ces cinq années d’études,
il aurait pu les acquérir en un an. Ça ne veut pas dire, bien entendu, que nous
allons former un médecin en un an, mais qu’un médecin acquerra en six ans les
connaissances qu’il aurait mis vingt ans à acquérir par les méthodes
traditionnelles. Je pense à la qualité, à la qualité, toujours plus présente.
Nous
savons ce que font nos compatriotes partout dans le monde, nous sommes
constamment en communication avec eux, avec ceux du contingent Henry Reeve et
bien d’autres. C’est une très belle histoire qui est en train de s’écrire, sans
précédent non seulement dans la vie de notre Révolution, mais aussi dans
l’Histoire.
Je
me sens vraiment bien, spirituellement et physiquement, en un jour pareil, jour
de l’Etudiant, un jour que vous avez choisi, comme tant d’autres fois, comme
date mobile pour fêter le soixantième anniversaire de mon entrée dans cette
Université. Et je suis heureux de vous rencontrer. Bien des choses me venaient
à l’esprit, et j’ai dû mettre de l’ordre dans mes souvenirs d’hier et dans mes
idées d’aujourd’hui, en faisant bien attention à ne pas dire ce qu’il ne faut
pas dire, mais à tout dire de ce qu’on doit dire.
Je
pense – et j’en discutais avec les autres – que nous devrons adopter certaines
mesures ce mois-ci, sans perdre une minute, parce que des choses sont en train
d’arriver.
Nous
devons de toute urgence décourager un peu le gaspillage d’électricité. Un peu,
ai-je dit. Ce n’est pas encore la formule définitive. Mais maintenant que nous
commençons à distribuer massivement un certain nombre d’équipements, plus nous
économiserons et plus nous pourrons en distribuer. Et plus nous pourrons
distribuer d’équipements, et plus nous économiserons d’énergie et plus d’argent
nous commencerons à récupérer dès la fin de ce mois-ci et au début de l’an
prochain. En tout cas, il est indispensable d’établir dès décembre une certaine
limite au gaspillage colossal d’électricité.
Pas
un centime de hausse pour ceux qui consomment jusqu’à cent kilowatts ; une
petite hausse pour ceux qui consomment de cent cinquante à trois cents. Celui
qui consommera trois cents kilowatts devra sans doute payer un peu plus, mais
pas trop. Ceux qui gaspillent devront débourser peut-être quatre dollars au
lieu de deux pour trois cents kilowatts. Mais ne gaspillez pas plus, éteignez
les lumières, éteignez le ventilateur, ne laissez pas la téléviseur allumé. A
propos, j’avais oublié de dire que nous attendons un million de
téléviseurs : quarante mille sont déjà ici, et les autres sont en route,
qui consomment cinquante watts, et pour qu’il ne reste plus un seul téléviseur
en noir et blanc…
Tout
ça fera encore des économies. Tout un tas d’économies, une à une. Nous avons
testé en laboratoire ce que consomme chaque appareil, tout est mesuré, et tous
les calculs sont inférieurs aux calculs officiels. Nous passons tout au peigne
fin. Nous faisons tous les jours de nouvelles expérimentations. Nous allons en
faire une aujourd’hui dans une commune complète, la plus pauvre, et c’est là
que les travailleurs sociaux se sont rendus aujourd’hui ; à Cienfuegos,
aussi, pour substituer les ampoules.
Enrique,
quand vont-ils s’occuper des stations-service de cette province-là ? Peu
importe que les voleurs le sachent, ils doivent bien se l’imaginer… (Enrique explique que ça se fera à partir de
samedi, que 158 000 ampoules ont été remplacées à Cienfuegos et que le
reste se conclura demain. Quelqu’un remet ensuite à Fidel Castro deux ampoules
fluorescentes pour l’étudiante de La Grande Havane.)
Eh,
dis donc, Enrique, ce n’est pas ça ! Tu nous fais prendre du retard et
dépenser de l’électricité en plus ! (Il
s’adresse à la jeune fille.) Ah, tu es là ? Mais ça, c’est une ampoule
de sept watts. (Enrique précise que l’une
est de sept et l’autre de quinze.) Oui, mais elle a deux ampoules de
soixante watts chez elle. Tu ne vas pas laisser cette pauvre enfant dans le
noir… ne lui éteins pas toute la maison ! J’avais dit de lui en donne deux
de quinze. Tiens. Non, pas toi, elle. Donne-les-lui. (On remet à la jeune fille deux ampoules de quinze.)
Nous savons
maintenant ce que nous économisons chaque année. Et ce n’est pas peu (applaudissements).
On va le lui
décompter de ce qu’elle doit payer pour subventionner le gros consommateur...
Combien
d’ampoules va-t-on changer à Cienfuegos ? (Enrique lui répond qu’il faut en changer 207 000.)
Vous en avez
découvert combien de plus ? (Enrique
lui dit qu’il faut en envoyer là-bas cent mille de plus.)
On avait parlé
de cent cinquante mille de La Havane. (Enrique
explique qu’elles sont en route, qu’on en a changé 158 000, que quatre
cents travailleurs sociaux travaillent à ça, aidés par un renfort de trois cent
soixante. Il lui ratifie que l’opération commencera samedi dans les
stations-service.)
Parfait.
Après-demain, donc, les stations-service. Qu’ils se préparent. De toute façon,
on va découvrir ce qu’achètent les gens, et après on disposera de pompes à
essence parfaites et le pays saura où se trouve chacune.
On saura
combien de carburant dépense chaque engin, pas seulement les camions, mais
aussi les rétrochargeuses, combien dépensent les tracteurs du ministère du
Sucre, tous les tracteurs agricoles, dont des dizaines de milliers servent en
fait de jeeps, tout bonnement, combien dépensent ceux qui, faute de pétrole
lampant, qui est le combustible de l’immense majorité, utilisent du diesel pour
faire la cuisine. Ce sont des centaines et des centaines de milliers.
À part ça –
sachez-le – des machines absolument nouvelles à capacité de forage, à nouvelle
sismique, très moderne, forant partout où il faut forer et utilisant le gaz
d’accompagnement pour pouvoir créer des centrales à cycle combiné afin de
remplacer une bonne fois pour toutes la Guiteras ou ces centrales monstrueuses
de Santiago de Cuba qui consomment le demi-million de tonne de diesel que
produit la raffinerie de la ville, dépensant de trois cents à trois cent cinquante
grammes de fioul par kilowatt d’électricité produit, ou alors ces dévoreuses de
diesel de San José de las Lajas qui,
pour produire 60 000 kW aux pics de demande, en consomment quatre cents
grammes par kilowatt. Ne vous étonnez donc pas si je vous dis un jour :
elles sont définitivement désaffectées. Nous ne le ferons pas tant qu’il
restera le danger d’un déficit, car nous devons assurer. Et même là où on
remplacera un carburant par un autre, l’ancienne restera tant que la nouvelle
ne sera pas assurée. Ce seront de gros changements.
Je vous ai dis
que nous disposons déjà de mille autobus pour les longues distances, et le
tarif sera en conséquence. Pas encore maintenant, parce que nous préférons
attendre. Il vaut mieux parfois attendre pour qu’on comprenne mieux quelque
chose, pour qu’on comprenne bien, par exemple, une mesure. Ce dont la
Révolution a toujours besoin, c’est de compréhension et de soutien du peuple
aux mesures qu’elle prend, parce que je peux vous assurer, je le répète, que
tout le peuple travailleur recevra plus, tous ceux qui ont travaillé pour le
pays et pour la Révolution recevront aussi davantage, de nombreux abus vont
disparaître, et on va supprimer le bouillon de culture de bon nombre de ces
inégalités, les conditions qui les permettent. Quand nous ferons en sorte de ne
plus subventionner ceux qui ne le méritent pas, alors nous aurons progressé
considérablement dans notre marche vers une société juste et digne, justement
ce que demande un socialisme véritable et irréversible.
L’Empire a
rêvé que bien de plus de paladares
allaient s’ouvrir à Cuba. Eh bien, il se peut bien qu’il n’en reste
aucun ! Ou croit-on alors que nous nous sommes convertis au
néo-libéralisme ? Aucun de nous ne l’est devenu. De toute façon, nous
allons leur démontrer irréfutablement que leurs théories sont en crise, de même
que nous leur avons prouvé le fiasco de leur blocus, de leurs agressions, de
leurs déstabilisations.
Il se peut
qu’il y ait encore moins d’abstentions l’an prochain lors du vote de la
résolution contre le blocus aux Nations Unies, et qu’il ne reste plus aux USA
que leur allié fasciste et génocide qui vote toujours sans le moindre scrupule
aux côtés de l’Empire.
Le monde devra
livrer une bataille.
Personne ne
doit avoir le droit de fabriquer des armes nucléaires. Encore moins le droit
privilégié qu’a imposé l’impérialisme d’établir sa domination hégémonique et
d’enlever aux peuples du tiers monde leurs ressources naturelles et leurs
matières premières. Nous l’avons dénoncé mille fois, mais ce n’est pas la
solution. La première solution pour un pays du tiers monde, c’est de n’en avoir
absolument pas peur, comme nous l’avons toujours fait, au point que l’Empire
commence à se démoraliser.
Nous
défendrons bec et ongles, à toutes les tribunes du monde, le droit des peuples
de produire du combustible nucléaire à des fins pacifiques et nous n’aurons
absolument pas peur, nous le disons (applaudissements).
C’en est assez
de tant de crétinisme, de tant d’abus, de tant de règne de la force et de la
terreur dans le monde. Ce règne disparaît face à l’absence totale de peur, et
nous sommes toujours plus nombreux, comme peuples, à avoir toujours moins peur,
les rebelles seront toujours plus nombreux et l’Empire ne pourra plus continuer
de maintenir le système infâme qu’il soutient encore.
Salvador
Allende a parlé un jour de « tôt ou tard ». Eh bien, je pense que cet
Empire se désintégrera plus tôt qu’on ne le croit et que le peuple étasunien
aura plus de liberté que jamais, qu’il pourra aspirer à plus de justice que
jamais, qu’il pourra utiliser la science et la technique à son profit et à
celui de l’humanité, qu’il pourra se joindre à ceux qui luttent pour la survie
de l’espèce, qu’il pourra se joindre à ceux qui luttent pour offrir une chance
à l’espèce humaine à laquelle il appartient.
Il est tout à
fait juste de lutter pour ça. Voilà pourquoi nous devons consacrer toutes nos
énergies, tous nos efforts, tout notre temps à faire en sorte que des millions
ou des centaines de millions ou des milliards de personnes puissent dire avec
nous : Il vaut la peine d’être nés ! Il vaut la peine d’avoir
vécu ! (Ovation.)