RÉFLEXIONS DE FIDEL CASTRO
LE VOL DES CERVEAUX
J’ai mentionné ce point et donné un exemple dans mes dernières
Réflexions : « Bush, la santé et l’éducation », que j’ai dédiées
aux enfants. Dans celles-ci, que j’adresse à la première promotion issue de l’Université
des sciences informatiques (UCI),
j’aborderai un peu plus à fond cette question épineuse.
Ces étudiants ont été les pionniers, et j’en ai beaucoup appris de
l’intelligence et des valeurs de nos jeunes quand on les cultive avec soin. J’ai aussi beaucoup
appris de son magnifique corps enseignant, dont une grande partie a fait ses
études à
Je ne saurais oublier non plus l’exemple des travailleurs sociaux, dont
la capacité d’organisation et l’esprit de sacrifice ont enrichi mes
connaissances et mon expérience, ni les milliers d’éducateurs tout récemment
diplômés qui ont permis de concrétiser le projet de diminuer à quinze la
quantité d’élèves par classe dans le premier cycle du second degré : ils
ont tous entamé presque en même temps des études universitaires, dans l’enthousiasme
des idées surgies et appliquées au cours de la bataille que nous avons livrée
pour obtenir la restitution d’un enfant de six ans séquestré à sa famille et à
sa patrie et pour lequel nous étions prêts à tout.
Dans deux jours, l’UCI diplômera 1 334 ingénieurs en sciences
informatiques de tout le pays qui avaient décroché la bourse correspondante par
leur conduite exemplaire et leurs connaissances. De ce total, 1 134 ont déjà
été assignés aux ministères qui prêtent d’importants services à la population
et aux organismes qui gèrent des ressources économiques fondamentales. Reste
une réserve centralisée de deux cents jeune triés sur le volet et appelée à
augmenter d’année en année. Sa destination sera multiple. Formée de diplômés de
toutes les provinces du pays à raison de 56 p. 100 de garçons et de 44 p. 100
de filles, elle sera logée à l’UCI même.
L’UCI ouvre ses portes à des jeunes des cent soixante-neuf communes du
pays. Elle ne repose pas sur le modèle de l’exclusion et de la concurrence
entre les gens que prônent les pays capitalistes développés.
La réalité du monde semble avoir été conçue pour semer l’égoïsme,
l’individualisme et la déshumanisation de l’homme.
Une dépêche de l’agence Reuters, datée du
Au Malawi, « seuls 5 p. 100 des postes de médecins et 65 p. 100 des
postes d’infirmiers sont couverts. Dans ce pays de 10 millions d’habitants, un
médecin doit s’occuper de 50 000 personnes. »
Citant textuellement un rapport de
« La fuite des cerveaux est un double coup pour les économies
faibles qui non seulement perdent leurs meilleures ressources humaines et
l’argent investi dans leur formation, mais doivent ensuite payer environ 5,6
milliards de dollars par an pour employer les expatriés. »
L’expression « fuite des cerveau » a fait florès dans les
années 60 quand les Etats-Unis accaparèrent les médecins du Royaume-Uni. La
spoliation avait lieu en l’occurrence entre deux pays développés, l’un qui
émergeait de la seconde guerre mondiale en 1944 avec 80 p. 100 de l’or en
lingots, et l’autre fortement touché et privé de son empire durant le conflit.
Un rapport de
Ces quarante dernières années, plus de 1 200 000 spécialistes
latino-américains et caribéens ont émigré aux USA, au Canada et au Royaume-Uni.
Une moyenne de plus de 70 spécialistes par jour a émigré d’Amérique latine
pendant quarante ans.
Des 150 millions de personnes participant dans le monde à des activités
scientifiques et technologiques, 90 p. 100 se concentrent dans les sept nations
les plus industrialisées.
Plusieurs pays, surtout les petits pays d’Afrique, des Caraïbes et
d’Amérique centrale, ont perdu par la migration plus de 30 p. 100 de leurs
diplômés de l’enseignement supérieur.
Les Antilles, presque toutes anglophones, connaissent la fuite des
cerveaux la plus élevée au monde, au point que dans certaines îles, 8 diplômés
universitaires sur 10 sont partis.
Plus de 70 p. 100 des programmateurs de logiciels de la société
étasunienne Microsoft Corporation viennent d’Inde et d’Amérique latine.
Les intenses mouvements migratoires qui se sont produits, à partir de la
disparition du camp socialiste, de l’Europe de l’Est et de l’Union soviétique,
vers l’Europe de l’Ouest et l’Amérique
du Nord méritent une mention à part.
Selon l’Organisation internationale du travail (OIT), la quantité de
scientifiques et d’ingénieurs qui abandonnent leurs pays d’origine pour des
nations industrialisées équivaut à près du tiers de ceux qui y restent, ce qui
provoque une diminution importante du capital humain indispensable.
Selon l’analyse de l’OIT, la migration des étudiants est un phénomène
précurseur de la fuite des cerveaux.
D’après l’Organisation de coopération et de développement économiques
(OCDE), au début du millénaire actuel, un peu plus de
« 1 500 000 étudiants étrangers faisaient des études supérieures
dans les Etats membres, dont plus de la moitié provenait de pays non membres.
De ce total, presque
De 1960 à 1990, les USA et le Canada ont accueilli plus d’un million de
spécialistes et de techniciens provenant du Tiers-monde. Les chiffres
traduisent bien mal la tragédie.
Ces dernières années, favoriser cette émigration est devenu une
politique publique officielle dans plusieurs pays du Nord, à partir de
stimulants et de procédés spécialement conçus à ces fins.
« The American
Competitiveness In The Twenty-First Century Act », adopté par le Congrès des Etats-Unis en
Le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Canada et l’Australie ont adopté des
mesures similaires. L’Australie a donné la priorité depuis 1990 à l’immigration
de travailleurs hautement qualifiés, essentiellement dans les secteurs de la
banque, des assurances et de ce qu’on appelle aujourd’hui l’économie de la
connaissance.
Dans presque tous ces pays, le critère de sélection est la qualification
élevée, la connaissance de la langue, l’âge, l’expérience et les résultats
professionnels. Le programme britannique accorde des points supplémentaires aux
médecins.
Ce pillage continu des cerveaux du Sud désarticule et affaiblit les
programmes de formation des ressources humaines indispensables pour sortir du
sous-développement. Il ne s’agit pas seulement de transfert de capitaux, mais
de l’importation de la matière grise, ce qui revient à couper à la racine
l’intelligence et l’avenir des peuples.
De 1959 à 2004, Cuba a diplômé
Néanmoins, même l’élite des travailleurs immigrants ne peut compter sur
des conditions d’emploi et de salaires égales à celles des Etatsuniens. Afin
d’éviter les procédures compliquées qu’impose la législation du travail et le
coût des démarches d’immigration, les Etats-Unis en sont arrivés au comble de
créer un navire-usine de logiciels qui maintient des esclaves hautement
qualifiés ancrés dans des eaux internationales, espèce de variante des usines
de sous-traitance (maquilas) pour
produire toutes sortes d’appareils numériques : dans le cadre du projet
SeaCode, un navire ancré à plus de trois milles des côtes californiennes (eaux
internationales) héberge 600 informaticiens venus d’Inde qui travaillent douze
heures par jour en permanence pendant quatre mois.
Les tendance à la privatisation des connaissances et à l’internalisation
de la recherche scientifique dans des compagnies subordonnées au grand capital
ont fini par créer une sorte d’ « apartheid scientifique » pour la
grande majorité de l’humanité.
Le groupe USA/Japon/Allemagne représente un pourcentage de la population
mondiale similaire à celui de l’Amérique latine, mais l’investissement en
recherche-développement y est de 52,9 p. 100 face à 1,3 p. 100. Le fossé
économique d’aujourd’hui fait prévoir jusqu’où il pourra se creuser demain, si
ces tendances ne sont pas inversées.
Un tel avenir est déjà installé parmi nous. Ce qu’on appelle la nouvelle
économie déplace chaque année d’énormes flux de capitaux. Selon le rapport Digital Planet 2006 de
Toujours plus de personnes sont connectées à Internet – presque 1,4 milliard
de cybernautes en juillet 2007 – mais dans une bonne partie des pays, y compris
dans de nombreux pays développés, les citoyens qui n’y ont pas accès restent la
majorité. L’écart numérique se traduit par des différences dramatiques, dans la
mesure où une partie de l’humanité fortunée et en communication dispose de plus
d’informations qu’aucune autre génération antérieure.
Pour avoir une idée de ce que cela signifie, il suffit juste de comparer
deux réalités : plus de 70 p. 100 de la population a accès à Internet aux
USA, mais seulement 3 p. 100 en Afrique. Les fournisseurs d’accès à Internet se
trouvent tous dans des pays à revenus élevés où ne vit que 16 p. 100 de la
population mondiale.
Il est urgent de faire face à la situation d’indigence que connaît notre
groupe de pays dans cet univers de réseaux mondiaux d’information, d’Internet
et tous les moyens modernes de transmission d’informations et d’images.
On saurait qualifier à peine d’humaine une société où les êtres sont en
trop par millions, où le vol des cerveaux des pays du Sud devient une pratique,
et où le pouvoir économique et l’utilisation des nouvelles technologies se
perpétuent en quelques mains. Sortir de ce dilemme est aussi vital pour le sort
de l’humanité que solutionner la crise des changements climatiques sur la
planète, tous ces problèmes étaient d’ailleurs absolument interdépendants.
J’ajoute pour vous en guise de conclusion :
Quiconque a un ordinateur dispose de toutes les connaissances publiées,
ainsi que de sa mémoire privilégié.
Les idées naissent des connaissances et des valeurs morales. Une part
importante des problèmes est réglée technologiquement ; l'autre part, il
faut la cultiver sans répit. Sinon, les instincts les plus primaires
s’imposeront.
La tâche qui attend les diplômés de l’UCI est grandiose. J’espère qu’ils
l’accompliront, et j’en suis convaincu.
Fidel Castro Ruz