RÉFLEXIONS
DE FIDEL CASTRO
LULA
(Première
partie)
C’est spontanément qu’il a décidé de visiter Cuba pour la seconde fois
en sa qualité de président du Brésil, même si mon état de santé ne garantissait
pas qu’il puisse me rencontrer.
Avant, de son propre aveu, il visitait l’île presque tous les ans. J’ai fait sa connaissance à l’occasion du
premier anniversaire de
J’y avais fait aussi connaissance avec Frei Betto, critique aujourd’hui
– mais non ennemi – de Lula, et du père Ernesto Cardenal, militant sandiniste
de gauche et aujourd’hui adversaire de Daniel. Tous deux provenaient de
J’avoue néanmoins que je voyais dans le père Ernesto Cardenal, à la
différence d’autres personnages à la tête du Nicaragua, un exemple de sacrifice
et de privations digne d’un moine médiéval. Un véritable prototype de pureté.
Je ne parle pas de certains autres qui, moins conséquents, furent à un moment
donné des révolutionnaires, voire des militants d’extrême gauche en Amérique
centrale et dans d’autres régions et qui ont ensuite rejoint, avec armes et
bagages, par appât de bien-être et d’argent, les rangs de l’Empire.
Qu’est-ce que tout cela a à voir avec Lula ? Beaucoup. Il n’a
jamais été un extrémiste de gauche, et il a accédé à la condition de
révolutionnaire non pas à partir de positions philosophiques, mais en tant
qu’ouvrier aux origines très modestes et de croyance chrétienne ayant travaillé
durement et produit de la plus-value au profit des autres. Karl Marx voit dans
les ouvriers les fossoyeurs du système capitaliste : « Prolétaires de
tous les pays, unissez-vous ! », proclame-t-il. Il le prouve par des raisonnements d’une
logique irréfutable ; il se complait à tourner en dérision les mensonges
employés pour accuser les communistes et à signaler à quel point ils sont
cyniques. Si les idées de Marx étaient
justes à cette époque-là où tout semblait dépendre de la lutte de classe et de
l’essor des forces productives, de la science et de la technique qui
permettraient de créer les biens indispensables à la satisfaction des besoins
humains, il n’en reste pas moins que des facteurs foncièrement nouveaux, tout
en lui donnant raison, contrecarrent aujourd’hui ses nobles objectifs.
De nouveaux besoins ont vu le jour qui pourraient annuler les objectifs
d’une société sans exploiteurs ni exploités. Entre autres, celui de la survie
de l’homme. On n’avait pas la moindre idée des changements climatiques du temps
de Marx. Engels et lui savaient pertinemment que le soleil s’éteindrait un jour après avoir consommé
toute son énergie. D’autres hommes naîtraient quelques années après le Manifeste, et qui iraient plus loin dans
le domaine de la science et dans la connaissance des lois chimiques, physiques
et biologiques, inconnues alors, régissant l’Univers. Aux mains de qui sont
donc passées ces connaissances ? Bien que celles-ci aient continué de se
développer, de s’approfondir, et que certaines nient et contredisent en partie
ses théories, les nouvelles connaissances ne sont pas aux mains des peuples
pauvres qui constituent de nos jours les trois quarts de la population
mondiale : elles sont aux mains d’un groupe privilégié de puissances
capitalistes riches et développées, associées à l’Empire le plus puissant qui
ait jamais existé et qui repose sur les fondements d’une économie mondialisée
régie par les lois du capitalisme que Marx a décrites à fond et par le menu.
Aujourd’hui que l’humanité souffre encore de ces réalités du fait même
de la dialectique des événements, nous devons faire face à de tels dangers.
Comment
L’unité signifie pour moi partager le combat, les risques, les
sacrifices, les objectifs, les idées, les concepts et les stratégies auxquels
l’on parvient par des débats et des analyses. L’unité signifie la lutte commune
contre les annexionnistes, les bradeurs de patrie, les corrompus qui n’ont rien
à voir avec le militant révolutionnaire. C’est à cette unité-là autour de
l’idée de l’indépendance et face à l’Empire qui marchait sur les peuples d’Amérique
que je me suis toujours référé. J’ai relu cette idée voilà quelques jours quand
le journal Granma a publié un texte
de moi à la veille de nos élections et que Juventud
Rebelde a reproduit un fac-similé du manuscrit correspondant.
Le vieux mot d’ordre d’unité d’avant
Dans notre pays soumis à l’intervention des Etats-Unis après avoir mené
en solitaire sa guerre d’Indépendance en tant que dernière colonie espagnole –
aux côtés de l’île sœur, Porto Rico dont un poème dit qu’elles sont « d’un
oiseau, les deux ailes » – les sentiments nationaux étaient très ancrés.
Les producteur de sucre réels, – autrement dit les esclaves récemment
affranchis et les paysans, dont beaucoup avaient été combattants de l’Armée de
libération, mais qui avaient été convertis en des détenteurs précaires ou alors
ne possédaient même pas le moindre lopin, et étaient contraints de couper la
canne dans les grands latifundios appartenant à des compagnies étasuniennes ou
à des propriétaires fonciers cubains qui héritaient, achetaient ou volaient la
terre – constituaient une matière première propice aux idées révolutionnaires.
Julio Antonio Mella, fondateur du Parti communiste de Cuba aux côtés de
Baliño –celui-ci avait connu Martí et fondé auprès de lui le parti qui
conduirait Cuba à l’indépendance – reprit ce drapeau, fort de l’enthousiasme
que suscitait alors
Les enfants et adolescent qui, comme moi, étudiaient dans des écoles
privées n’entendaient jamais parler de Mella. Notre origine de classe ou de
groupe social à plus gros revenus que le reste de la population nous condamnait
à être la partie égoïste et exploiteuse de la société.
J’ai eu le privilège d’aboutir à la révolution à travers les idées,
d’échapper au destin ennuyeux vers où me conduisait la vie. J’ai expliqué
pourquoi à d’autres moments. Je le rappelle juste dans le contexte de ce que
j’écris.
La haine de Batista, à cause de sa répression et de ses crimes, était
telle que nul ne fit cas des idées que j’exprimais quand je me défendais devant
le tribunal de Santiago de Cuba. Alors que j’étais encore jugé aux côtés des
autres accusés survivants durant les premières séances, les magistrats
présentèrent comme preuve à charge un ouvrage de Lénine imprimé en URSS – que
j’avais acheté à la librairie de la rue Carlos III de
On ne comprendrait pas bien ce que je viens de dire si l’on oublie qu’au
moment où nous avons attaqué la caserne Moncada, le 26 juillet 1953, une action
menée au terme de plus d’une année d’efforts d’organisation et en ne comptant
que sur nous-mêmes, la politique de Staline, mort soudainement quelques mois
avant, se maintenait en URSS. Staline, un militant honnête et dévoué, avait
toutefois commis de graves erreurs l’ayant conduit à adopter des positions
extrêmement conservatrices et prudentes. Si une révolution comme la nôtre avait
alors triomphé, l’URSS n’aurait pas fait pour Cuba ce que firent ensuite les
dirigeants soviétiques, désormais délivrés de ces méthodes sombres et
tortueuses, et enthousiasmés par la révolution socialiste qui avait éclaté dans
notre pays. Je l’ai très bien compris, malgré les justes critiques que j’ai
faites à Khrouchtchev à un moment donné pour des faits que tout le monde
connaît.
L’URSS possédait l’armée la plus puissante de tous les pays belligérants
durant
Selon ce que me racontèrent les dirigeants soviétiques eux-mêmes quand
je visitai ce grand pays en avril 1963, les combattants révolutionnaires
russes, blanchis sous le harnois de la lutte contre l’intervention étrangère
déclenchée pour liquider la révolution bolchevique qui resta ensuite soumise à
un blocus et à l’isolement, avaient noué des rapports et des échanges
d’expériences avec les officiers allemands, élevés dans la tradition militaire
prussienne et humiliés par le traité de Versailles qui avait mis fin à
Les services de renseignements de S.S. intriguèrent contre beaucoup
d’officiers dont l’immense majorité était loyale à la révolution. Dans les
années qui précédèrent
Ces graves erreurs coûtèrent à l’URSS d’énormes destructions et plus de
vingt – d’aucuns disent : vingt-sept – millions de vies.
C’est en 1943 que les nazis déclenchèrent en retard leur dernière
offensive de printemps contre le fameux et tentateur saillant de Koursk, employant
En 1945, les soldats soviétiques avancèrent d’une manière irrésistible
jusqu’à la coupole de la chancellerie de Berlin, y hissant le drapeau rouge
baigné du sang de tant de morts.
J’observe un moment la cravate rouge de Lula et lui demande :
« C’est un cadeau de
Chávez ? » Il sourit et me répond : « Je vais lui envoyer
quelques chemises, parce qu’il se plaint que le col des siennes est très dur,
et je vais aller les chercher à Bahía pour lui en faire cadeau. »
Il me demande quelques-unes des photos que j’ai prises de lui.
Quand il m’a commenté qu’il était très impressionné par mon état de
santé, je lui ai répondu que je me consacrais à penser et à écrire. Jamais je
n’avais autant pensé dans ma vie. Je lui ai raconté qu’au retour de ma visite à
Córdoba, en Argentine, où j’avais assisté à une réunion de nombreux dirigeants,
dont lui-même, j’avais participé ici à deux meetings pour l’anniversaire du 26
juillet. J’étais en train de réviser le livre de Ramonet, aux questions de qui
j’avais répondu sans y attacher trop d’importance. Je croyais que ce serait
quelque chose de très rapide, comme les entretiens avec Frei Betto et Tomás
Borge. Ensuite, je me suis asservi à cet ouvrage de l’écrivain français, qui
était sur le point de voir le jour alors que je n’avais pas eu le temps de
réviser une partie de mes réponses prises au vol. Ces jours-là, je ne dormais
pratiquement pas.
Quand je suis tombé gravement malade dans la nuit du 26 au 27 juillet,
j’ai pensé que c’était la fin. Tandis que les médecins luttaient pour me
maintenir en vie, j’ai exigé que le chef de cabinet du Conseil d’Etat lise le
texte et je dictais les corrections pertinentes.
Fidel Castro Ruz
22 janvier 2008