RÉFLEXIONS DE FIDEL CASTRO
LULA
(Troisième partie)
Quand l’Union soviétique a implosé, ce qui a été pour nous comme si le
soleil avait cessé de se lever,
La chute graduelle de
notre Produit intérieur brut se chiffra à 35 p. 100. Quel pays aurait résisté à
un coup pareil? Nous ne défendions pas
nos vies : nous défendions nos droits.
Maints partis et
organisations de gauche se découragèrent après avoir vu l’URSS s’effondrer au
terme de soixante-dix années d’efforts titanesques pour bâtir le socialisme.
Les réactionnaires
déversaient de toutes les tribunes et dans tous les médias des tombereaux de
critiques féroces. Mais nous n’allions pas, nous, faire chorus avec les
apologistes du capitalisme et donner le coup de pied de l’âne. Aucune statue
des créateurs ou des partisans du marxisme ne fut démolie à Cuba. Aucune école
ou usine ne fut débaptisée. Nous avons décidé d’aller de l’avant avec une
fermeté inébranlable. Nous nous l’étions promis dans
l’hypothèse de circonstances si incroyables.
On n’avait jamais
pratiqué non plus dans notre pays le culte de la personnalité, interdite de
notre propre initiative dès les premiers jours de la victoire révolutionnaire.
Dans l’histoire des
peuples, les facteurs subjectifs ont fait avancer ou rétrocéder les
dénouements, indépendamment des mérites des dirigeants.
J’ai parlé à Lula du
Che, lui faisant une brève synthèse de sa vie. Il avait discuté avec Carlos Rafael Rodríguez des avantages
comparés du système d’autofinancement et du système budgétisé, un débat auquel,
plongés dans la lutte contre le blocus étasunien, les plans d’agression, avec
des épisodes tels que
Le Che avait étudié les
présupposés des grandes sociétés yankees dont les fonctionnaires administratifs,
mais non les propriétaires, vivaient à Cuba. Il avait tiré des idées claires
des agissements impérialistes et de ce qu’il se passait dans notre société, ce
qui enrichit ses conceptions marxistes et lui fit aboutir à la conclusion que
Cuba ne pouvait utiliser les mêmes méthodes que l’URSS pour bâtir le
socialisme. Ce n’était pas une guerre à coup d’insultes : il s’agissait
d’échanges de vues honnêtes qui voyaient le jour dans une petite revue sans la
moindre intention de créer des schismes ou des divisions entre nous.
Ce qui est survenu
ensuite en URSS n’aurait pas surpris le Che. Tant
qu’il occupa des postes importants et exerça des fonctions, il fut toujours
précautionneux et respectueux. Son langage se durcit quand il se heurta dans
l’ancienne colonie du Congo belge à l’horrible réalité imposée aux êtres
humains par l’impérialisme.
Homme de passion,
studieux et profond, il mourut en Bolivie entouré d’une poignée de combattants
de Cuba et d’autres pays latino-américains qui se battaient pour la libération
de Notre Amérique. Il ne put connaître le monde d’aujourd’hui, en proie à des
problèmes inconnus alors.
Tu ne l’as pas connu,
ai-je dit à Lula. Il était conséquent avec le travail bénévole, les études, sa
conduite. Modeste, désintéressé, il donnait l’exemple dans les centres de
production et au combat.
Je pense que, dans la
construction du socialisme, plus les privilégiés reçoivent et moins les plus
nécessiteux recevront.
Je redis à Lula que le
temps mesuré en année s’écoulait maintenant à toute allure, que chacune se
multipliait. On peut presque dire pareil de chaque minute. Des nouvelles ne
cessent de paraître au sujet de points en rapport avec des situations prévues
dans ma rencontre du 15 avec lui.
Tâchant d’aller plus
loin dans les arguments économiques, je lui ai expliqué qu’à la victoire de
Le pire fut le manque
de scrupules et les méthodes dont fit preuve l’Empire pour nous imposer sa
domination : il introduisit des virus dans notre pays et liquida nos
meilleurs plantations de canne à sucre ; il attaqua notre café, il attaqua
notre pomme de terre, il attaqua aussi nos porcs. Ainsi,
Quand, pour des raisons
de cette nature, nous ne pouvions tenir nos engagements envers l’URSS et leur
livrer les quantités de sucre prévues, les Soviétiques n’ont jamais cessé de
nous envoyer les marchandises stipulées par contrat. Je me rappelle avoir
négocié avec eux chaque centime du cours du sucre, découvrant dans la pratique
ce que je ne connaissais qu’en théorie : l’échange inégal. Je m’explique.
Ils nous garantissaient des cours supérieurs à ceux du marché mondial, en
fonction d’accords fixés pour cinq ans : or, si tu leur envoyais au début
du quinquennat tant de tonnes de sucre en échange des marchandises qu’ils te
livraient, il se pouvait très bien qu’à la fin du quinquennat la valeur de
leurs produits aux cours internationaux ait augmenté de 20 p. 100. Mais ils ont été toujours généreux durant les
négociations : un jour, les cours du sucre sur le marché mondial se sont
élevés pour des motifs conjoncturels à 19 centimes la livre anglaise ;
nous nous sommes accrochés à ce prix et ils l’ont accepté. Tout ceci a servi
ensuite de base à l’application d’un principe socialiste : que les plus
développés économiquement devaient soutenir les moins développés dans la
construction du socialisme.
Lula me demande quel
était le pouvoir d’achat de cinq centimes. Je lui explique qu’une tonne de
sucre permettait alors d’acheter sept tonnes de pétrole ; aujourd’hui,
alors que les cours du pétrole léger de référence se chiffrent à cent dollars,
tu ne peux plus acheter qu’un baril. Le sucre que nous exportons ne nous
permettraient aujourd’hui, aux cours actuels, de n’acheter du carburant que
pour vingt jours de consommation. Pour les carburants d’une année entière, nous
devrions débourser environ quatre milliards de dollars.
Les Etats-Unis
subventionnent leur agriculture à hauteur de dizaines de milliards de dollars
par an. Pourquoi ne laissent-ils pas entrer librement l’éthanol que vous, les
Brésiliens, vous produisez ? Ils le subventionnent d’une manière brutale, privant
le Brésil de revenus se montant à des milliards de dollars par an. Les autres
pays riches font pareil avec leur production de sucre, d’oléagineux et de
grains destinées à l’éthanol.
Lula
analyse des chiffres tout à fait intéressant des productions agricoles
brésiliennes. Ainsi me dit-il, selon une étude réalisée par la presse de son
pays, la demande mondiale de soja augmentera de 2 p. 100 par an jusqu’en 2015,
ce qui veut dire qu’il faudra en produire 189 millions de tonnes de plus qu’aujourd’hui ;
la production brésilienne devrait s’accroître de 7 p. 100 par an pour pouvoir
satisfaire la demande mondiale.
Quel est le
problème ? De nombreux pays ne disposent plus de terres arables. C’est le
cas de l’Inde, par exemple ;
J’ai ajouté à son
explication le fait que de nombreux pays latino-américains disposaient, eux, de
millions de citoyens touchant des salaires de famine pour produire à bas prix du
café, du cacao, des légumes, des fruits, des matières premières et des
marchandises destinés à satisfaire la société étasunienne qui n’épargne plus et
consomme plus qu’elle ne produit.
Lula m’explique que
Voilà trente ans,
Fidel, cette région de Brasilia, le Mato Grosso, le Goias était considérée comme un endroit du pays où rien ne
poussait, semblable à la savane africaine ; trente ans après, elle est
devenue la plus grosse productrice de grains du Brésil ; je pense que
l’Afrique possède une partie très semblable à cette région de notre pays, et
c’est pour ça que nous avons ouvert ce bureau de recherches au Ghana et que
nous voulons constituer aussi une société avec l’Angola.
Le Brésil, me dit-il, a
une situation privilégiée : nous comptons 850 millions d’hectares de
terres, dont 360 millions reviennent à l’Amazonie, 400 millions sont de bonnes
terres agricoles, la canne à sucre n’en occupant que 1 p. 100.
Le Brésil, commenté-je
à mon tour, est par ailleurs le plus gros exportateur de café au monde. Il
touche pour une tonne de ce produit autant qu’en 1959 : environ 2 500
dollars. Oui, mais aux Etats-Unis, une tasse de café express à l’italienne
coûtait alors dix centimes, et maintenant elle en coûte cinq dollars ou plus.
Ça, c’est du PIB là-bas.
L’Afrique ne peut pas
faire ce que fait le Brésil.
Une grande partie de
l’Afrique est couverte de déserts et de zones tropicales et subtropicales où il
est difficile de faire pousser du soja et du blé. Les productions de grains
n’abondent que dans la zone méditerranéenne,
dans le Nord – où tombent plusieurs centaines de millimètres par an ou
alors on irrigue avec les eaux du Nil – sur les hauts plateaux et dans le Sud,
des terres que se sont appropriées ceux de l’apartheid.
Les poissons de ses
eaux froides – qui baignent surtout sa côte occidentale – arrivent sur les
tables des pays développés dont les chalutiers balaient les gros et petits
exemplaires des espèces qui se nourrissent du plancton des courants en
provenance du Pôle sud.
L’Afrique, qui fait
presque le quadruple du Brésil en superficie (
Les virus et les
bactéries qui touchent la pomme de terre, les agrumes, la banane, la tomate, le
bétail en général, les fièvres porcine, aviaire, aphteuse, la maladie de la
vache folle et d’autres encore qui frappent en général le bétail dans le monde,
abondent en Afrique.
J’ai parlé à Lula de
Le correspondant de
presse qui le divulgue ajoute, ravi : « La propagande officielle qui convoque les Cubains à voter cite plus
souvent
Il s’agit là de l’appel
sans fard du capitalisme impérial à l’égoïsme individuel, prêché voilà presque
deux cents quarante ans par Adam Smith comme le
fondement de la richesse des nations : tout mettre aux mains du
marché qui engendrerait des richesses illimitées dans un monde idyllique.
Je pense à l’Afrique et
à son presque milliard d’habitants, victimes des principes de cette
économie-là. Les maladies qui volent à la vitesse des avions se propagent au
rythme du sida, tandis que d’autres maladies, vieilles et nouvelles, s’abattent
sur sa population et ses cultures sans qu’aucune des anciennes puissances
occidentales ne soit vraiment capable de lui envoyer des médecins et des
scientifiques.
J’ai parlé avec Lula de
toutes ces questions.
Fidel Castro Ruz
26 janvier 2008