Tribune ouverte de la jeunesse et des étudiants réunie en table ronde d'information au sujet de la manipulation de la Commission des droits de l'homme de Genève et d'Elián González, le petit Cubain séquestré aux Etats-Unis.
Carmen Rosa Báez. Chers téléspectateurs, la tribune ouverte de la jeunesse et des étudiants continue de se réunir en table ronde dans les studios de l'Institut cubain de radio et de télévision, dans le cadre de cette bataille anti-impérialiste que nous livrons depuis presque cinq mois pour la libération de notre enfant Elián González Brotons, de cette bataille anti-impérialiste pour la dignité et la vérité.
Permettez-moi de vous présenter les participants. Reynaldo Taladrid, qui a déjà participé à ces tables rondes aussi bien comme intervenant que comme intervieweur téléphonique de différentes personnalités étrangères, et Eduardo Dimas, de la télévision; Nidia Díaz, Arsenio Rodríguez et Pedro de la Hoz, du journal Granma; Lázaro Barredo de Trabajadores; Marina Menéndez et Rogelio Polanco, journaliste et directeur respectivement de Juventud Rebelde.
Les tables rondes précédentes ont duré plus longtemps que prévu, et nous nous en excusons, mais nous estimons que la bataille que nous livrons pour cet enfant est aussi une bataille pour tous les enfants cubains, et que les faits que nous apportons au sujet de Genève sont extrêmement importants pour notre peuple.
Entrons donc dans le vif du sujet. Je vous propose d'abord de connaître certaines répercussions en République tchèque de la marche de protestation devant l'ambassade de ce pays de notre peuple indigné par le résolution présentée par le gouvernement tchèque à la Commission des droits de l'homme de Genève. Je vais vous lire des extraits d'une dépêche de presse de l'agence espagnole EFE, d'aujourd'hui même.
Le premier ministre tchèque, le social-démocrate Milos Zeman, a affirmé ironiquement qu'il avait autant d'estime pour M. Fidel Castro que pour Augusto Pinochet, réagissant dans une interview publiée aujourd'hui dans le journal Pravo aux critiques des représentants cubains contre la République tchèque.
« J'estime que, M. Castro n'étant pas un intellectuel, il est inutile de commenter ses déclarations contre un intellectuel comme [le président tchèque] Vaclav Havel », a ajouté Zeman, faisant allusion aux déclarations des représentants cubains selon lesquelles le président tchèque est un contre-révolutionnaire professionnel dont les Etats-Unis ont fait une légende pour le hisser au pouvoir.
Le premier ministre tchèque a affirmé qu'il aimerait améliorer les relations bilatérales, mais pas au prix de devoir servir des dictateurs, qu'ils soient de droite ou de gauche.
« J'estime que nous sommes maintenant un pays libre et démocratique, et que nous avons l'obligation de nous acquitter de cette dette aussi vis-à-vis de Cuba », a conclu le premier ministre tchèque [la dette ayant été d'avoir été un pays socialiste et d'avoir le système qu'il avait avant].
Par ailleurs, le ministère tchèque des Affaires étrangères a repoussé les accusations cubaines, faisant savoir par son porte-parole, Ales Pospisil, que les diplomates tchèques à La Havane ne menaient aucune activité anticubaine.
Il a ajouté que la République tchèque s'efforce d'élever le statut diplomatique de sa représentation au niveau d'ambassadeur, et non de simple chargé d'affaires.
Le premier ministre tchèque préfère sans doute que nous lui montrions les vidéos et les photos prouvant tout ce qui s'est dit ici à la table ronde précédente, mais nous estimons vraiment que ce n'est pas la peine de dépenser de la poudre pour si peu de choses. Je préfère vous lire le message que nous a adressé la Société d'amitié tchéco-cubaine :
« La Société d'amitié tchéco-cubaine proteste contre la décision du gouvernement tchèque de présenter une fois de plus, cette année-ci, la résolution condamnant Cuba pour violation des droits de l'homme devant la Commission de Genève. Nous considérons le jour où cette résolution a été adoptée sous des pressions évidentes comme un jour de honte pour la diplomatie tchèque. Tel un laquais obéissant, la République tchèque a joué le rôle que tous les Etats latino-américains, autrement les voisins directs ou proches de Cuba, avaient refusé d'assumer. Jusqu'aux Etats-Unis, les vrais auteurs de la résolution, n'ont pas eu le courage moral de demander la condamnation d'une nation à laquelle ils imposent un blocus illégal qui s'est converti, depuis quarante ans, en un crime de génocide.
« Notre société, conformément à ses statuts, stimule les liens d'amitié entre les peuples tchèque et cubain dans tous les domaines de la vie sociale. Compte tenu des longues relations économiques, culturelles, scientifiques, techniques et sportives entre nos pays, nous estimons incompréhensible et inadmissible que la République tchèque s'efforce à tout prix de les rompre. Cette politique-là est une insulte pour les fiers patriotes cubains qui, pendant des dizaines d'années, ont remercié notre pays de son aide désintéressée à un moment de crise après la Révolution, mais aussi pour les patriotes d'Amérique latine et du monde entier qui apprécient l'héroïsme du peuple cubain et demandent le respect de son droit à l'autodétermination et à la vraie indépendance.
« Nous comprenons pleinement la juste indignation du peuple cubain que prouve la manifestation de cent mille personnes devant notre ambassade à La Havane. Nous sommes décidés à lutter même dans ces conditions et par tous les moyens possibles pour rétablir la confiance du peuple cubain envers le peuple de notre pays et prouver que la trahison n'est pas le fait de la majorité absolue de notre population. »
C'est aussi un peu une réponse au premier ministre tchèque. J'ai ici une déclaration du Comité central du Parti communiste tchécoslovaque :
« Le Parti communiste tchécoslovaque, en union des Tchécoslovaques honnêtes, condamne catégoriquement - tout en s'en distançant totalement - l'action anticubaine ayant consisté en une résolution de condamnation de Cuba au sujet des droits de l'homme. Cette résolution, présentée le 18 avril 2000 par la diplomatie tchèque, constitue une utilisation abusive de l'ONU. Le Parti communiste tchécoslovaque, conscient de l'expérience douloureuse qu'a vécu le pays voilà dix ans par suite de l'effort censément honnête de l'Occident en matière de droits de l'homme et des libertés sociales en Tchécoslovaquie, souligne que les milieux réactionnaires du capital, conduits par l'administration nord-américaine, ne poursuivent pas non plus le bien du peuple cubain, mais qu'il s'agit d'un jeu sordide à l'échelle internationale qui a pour but de déstabiliser, d'isoler les régimes progressistes et de les annihiler, même par des opérations militaires, tout ceci sous le drapeau de la mondialisation. Il est impossible de détruire Cuba par l'embargo économique, même dans une situation qui a contribué à liquider le socialisme en Europe et en Union soviétique, et cette incapacité inquiète les milieux réactionnaires du capital international.
« Les communistes tchècoslovaques, amis de Cuba, soutiennent pleinement les actions des dirigeants cubains pour garantir les programmes économiques et sociaux de Cuba qui ne poursuivent que la prospérité de la majorité et l'exercice du droit de l'homme fondamental, le droit à la vie.
« Il est tout à fait condamnable que cette initiative inamicale contre Cuba soit partie précisément de la République tchèque. Il est plus qu'évident que la Résolution ne poursuit des thèmes concrets, mais qu'elle a des visées nettement politiques. Ceci corrobore une fois de plus que la République tchèque est devenue en Europe un régime fantoche aux mains des Etats-Unis. Et cette position porte atteinte aussi aux droits sociaux et économiques de la plupart des citoyens de la République tchèque. Aujourd'hui, dix ans après la contre-révolution préparée à l'échelle internationale sous le thème des droits de l'homme et de la démocratie, les citoyens tchèques connaissent maintenant le chômage, la dégradation de leur dignité humaine, les drogues, l'effondrement économique, les carences sociales, la criminalité, résultat de la lutte pour les droits de l'homme menée par les Etats-Unis et leurs alliés par le biais des dits dissidents voilà dix ans, des laquais qui empoisonnent maintenant le climat autour de Cuba. Le vrai auteur de la résolution, ce sont les Etats-Unis.
« Le Parti communiste tchécoslovaque est convaincu que Cuba sait bien ce qu'elle fait et pourquoi elle le fait. Nous sommes du côté de la République de Cuba, du peuple cubain, et nous soutenons les mesures prises par les dirigeants du parti et du gouvernement. La résolution présentée à Genève ne reflète pas l'opinion du peuple tchécoslovaque. Elle porte préjudice aux perspectives du monde futur et aux efforts de collaboration économique internationale. Elle est nocive et inacceptable.
« Nous exprimons notre solidarité avec la République de Cuba.
«Misoslav Stephan
Secrétaire général du Comité central
Parti communiste tchécoslovaque.»
Ceci fait donc partie des répercussions qu'ont eues la marche et l'indignation de notre peuple pour le vote à la Commission des droits de l'homme.
Voilà deux jours, des spécialistes de notre pays ont analysé toutes ces questions en table ronde. D'abord, le fonctionnement de cette Commission. Ensuite, les antécédents du traitement du thème Cuba en son sein. Puis, l'analyse des pays qui ont présenté cette résolution contre Cuba, en premier lieu le gouvernement tchèque, et les Etats-Unis, et aussi le gouvernement polonais qui l'a parrainée. Enfin, l'intervention de notre ministre des Relations extérieures qui a expliqué nos positions et la façon dont Cuba défend les droits de l'homme, non seulement ici, mais aussi dans le tiers monde. Nous avons vu alors comment s'était déroulé le vote : pour, contre et abstentions. Nous allons y revenir maintenant par région. D'abord, le groupe des pays de l'Europe de l'Ouest : Allemagne, France, Italie, Luxembourg, Norvège, Portugal, Espagne, Royaume-Uni, plus les Etats-Unis et le Canada. À ce groupe, se joignent normalement la Nouvelle-Zélande et l'Australie, qui traditionellemente ont voté contre, mais ne font pas partie cette année de la Commission.
Il faut que vous sachiez que c'est ce groupe-ci qui a modifié peu à peu le caractère même de la Commission, la convertissant en une espèce de tribunal de l'Inquisition contre le tiers monde, en un facteur de diktats, de pressions et de chantage.
Passons au groupe des pays d'Europe de l'Est : la Tchéquie, la Lettonie, la Pologne et la Roumanie, tous anciens pays socialistes, qui ont tous voté pour la résolution, plus la Russie, qui a voté contre.
Maintenant, l'Amérique latine, qui intéresse beaucoup nos téléspectateurs : ont voté pour la résolution l'Argentine, le Chili, El Salvador, le Guatemala. Contre : Cuba, bien entendu, le Pérou et le Venezuela. Abstention : le Brésil, la Colombie, l'Equateur et le Mexique.
Ensuite, l'Asie. Pour la résolution : le Japon et la Corée du Sud. Contre : le Bhoutan, la Chine, l'Inde, l'Indonésie et le Pakistan. Abstention : le Bangladesh, le Népal, les Philippines, le Qatar et Sri Lanka.
Enfin, l'Afrique : pour la résolution, le Maroc. Contre : le Burundi, le Congo, le Libéria, Madagascar, le Niger, le Nigéria, le Soudan, la Tunisie et la Zambie. Abstention : le Botswana, Maurice, le Rwanda, le Sénégal et le Swaziland.
Nous allons tâcher aujourd'hui d'analyser ce vote de l'intérieur.
D'abord l'Europe de l'Ouest. S'il est vrai que ce groupe a voté contre nous, il n'en reste pas moins que les pays n'agissent pas tous pareil. Ainsi, l'Espagne, la France, l'Italie et le Portugal - il faut le reconnaître - n'exercent pas de pressions anticubaines sur les autres pays au sein de la Commission et ne parrainent pas de résolutions contre nous.
Je crois alors qu'il serait bon d'analyser le modèle que ces pays européens veulent nous vendre. Comme ces miroirs qu'on tendait aux Indiens non pour qu'ils s'y voient, eux, tels qu'ils sont, mais à la ressemblance de ceux qui les leur tendaient.
Existe-t-il là une «double morale », un « fais ce que je dis, mais pas ce que je fais » dans cette Europe cultivée ? Je demande donc à Eduardo Dimas, qui est commentateur de politique internationale à la télévision : devons-nous accepter tout ça de ce groupe d'Europe de l'Ouest ?
Eduardo Dimas. Bien sûr que non ! Pour la bonne raison que si tu analyses l'histoire des nations européennes, d'une part, et les faits les plus récents, ceux de l'an dernier, d'autre part, tu te rends compte que ces gouvernements sont loin de respecter les droits de l'homme.
Pensons un peu à ce qui s'est passé en Yougoslavie. Qui est le responsable direct des bombardements de soixante-dix-huit jours contre la Serbie et le Kosovo ? Les pays européens, bien entendu, l'OTAN qui comprend aussi les USA et le Canada, et ce sont justement les USA qui ont dirigé les opérations.
Le prétexte utilisé - de plus en plus - a été celui de prétendues violations massives et flagrantes des droits de l'homme de la population albano-kosovar du Kosovo. On a fait autour de ça un battage énorme pour magnifier les faits. Je ne dis pas que les faits ne soient pas arrivés. Je dis que ces faits n'ont pas eu l'ampleur ni le volume suffisants pour parler de génocide et pour faire du président yougoslave, Slobodan Milosevic, un monstre, le méchant du film. En fait, l'Europe l'a « satanisé », comme on avait « satanisé » avant Noriega au Panama pour envahir le pays, et Saddam Hussein en Iraq.
En fait, l'agression contre la Yougoslavie visait d'autres objectifs. D'abord, finir d'atomiser ce pays, qui ne comprend plus que la Serbie et le Monténégro, après la division survenue au début des années 90. Ensuite, supprimer totalement ce qu'il restait de l'influence russe dans les Balkans et, par contrecoup, y renforcer celle des USA et de l'OTAN.
Il suffit de voir comment l'Europe a manipulé les prétendues négociations pour se rendre compte qu'elle visait à interdire tout règlement du problème albano-kosovar. La Commission de médiation a fait l'impossible pour obliger la Yougoslavie à ne pas accepter les points qui auraient vraiment été justes. Et aux conversations de Rambouillet qui sont venues ensuite, l'Europe a posé une série de conditions inacceptables, dont l'autonomie du Kosovo. De plus les USA et l'OTAN ont soutenu lArmée de libération du Kosovo, qu'ils avaient qualifiée jusque-là, en 1995 ou 1996, de ramassis de contrebandiers, de trafiquants de drogues, armés, entraînés et financés par les mafias albanaises, entre autres par celle du Monténégro qui se consacrait au trafic de drogues, à la traite des Blanches. Et l'OTAN a fait de ces gens-là, du jour au lendemain, une armée de libération qu'elle a soutenue et financée, et qu'elle a de plus assise face à la délégation yougoslave à Rambouillet. Bien entendu, cette prétendue Armée de libération a accepté tout ce que demandait l'Europe, si bien que la Yougoslavie a dû forcément repousser les accords de Rambouillet.
C'est dans cette conjoncture-là qu'ont commencé le 23 mars les bombardements qui visaient censément à détruire l'armée yougoslave et l'obliger à se retirer du Kosovo. En fait, les bombardements ont détruit pratiquement toutes les usines, les noeuds ferroviaires, les dépôts d'aliments et de combustibles, les ponts sur le Danube, autrement dit pratiquement l'infrastructure économique du pays, mais pas l'armée !
L'intéressant de ces bombardements, c'est ce nouveau concept de «dommages collatéraux » inventé par le centre d'information de l'OTAN, pour parler des victimes civiles ! Plus de 2 000 morts et plus de 6 000 blessés, si je me souviens bien.
Finalement, après soixante-dix-huit jours, le gouvernement yougoslave doit accepter. Je crois que s'il avait résisté quelques jours de plus, le problème aurait pu se régler différemment, mais passons. Il accepte donc, avec la médiation de la Russie : l'armée yugoslave se retire du Kosovo, sans avoir essuyé pratiquement aucune perte. Les pertes ont été civiles, avec des cas comme le fameux train bombardé ou un convoi de tracteurs.
Revenons-en maintenant au prétexte de ces bombardements de la Serbie et du Kosovo : violation flagrante et massive des droits de l'homme. Et l'OTAN s'est donc mise à chercher ces énormes quantités de morts dont elle parlait. Et elle a trouvé des Albano-Kosovars morts, c'est certain, mais pas assez pour pouvoir créer un grand scandale international. Si bien que le prétexte initial n'était pas valide, autrement dit sauver les Albano-Kosovars de la méchanceté des Serbes. En fait, il faut toujours créer un bon et un méchant : ici, les bons étaient les Albano-Kosovars, et les mauvais, les Serbes. Tout comme on avait fait en Bosnie-Herzégovine, où les musulmans et les Croates étaient les bons, et les Serbes, les méchants.
Bref, au Kosovo, l'OTAN n'a pas trouvé cette quantité énorme de morts, de fosses communes pour se justifier. D'où, que je sache, ce manteau de silence qui est tombé sur l'affaire. Personne n'en parle. De temps à autres, trois morts à un endroit, quatre à un autre. Il faudrait d'ailleurs vérifier s'il ne s'agit pas de Serbes assassinés par les Albano-Kosovars.
Carmen Rosa Báez. Quand on parle de « fais ce que je dis, mais pas ce que je fais », on pourrait se demander comment on défend les droits des « dommages collatéraux ».
Eduardo Dimas. Surtout que l'OTAN a utilisé ce prétexte des droits de l'homme pour justifier une action qui était éminemment politique : finir d'atomiser la Yougoslavie et liquider le reste d'influence de la Russie dans les Balkans.
Carmen Rosa Báez. Nidia me demande la parole. Pendant toute la guerre de Yougoslavie, vous avez tous les deux écrit des articles et suivi de près la question. Il est bon de rappeler un peu tout ce qui s'est passé et comment on peut l'interpréter à la lumière de ce qui s'est passé à la Commission des droits de l'homme. Parce que l'important, c'est ça : rappeler qui sont ces pays et ce qu'ils ont fait. Comme fil conducteur de notre table ronde.
Nidia Díaz. En plus de ce qu'a signalé Dimas, il faut dire que les USA visaient, non seulement à liquider l'influence russe dans les Balkans, mais encore de s'y installer eux-mêmes concrètement, ce qui va au détriment de la souveraineté des pays européens qui les ont accompagnés dans cette guerre génocide.
Oui, qui sont ces pays ? J'ai vu tout récemment une dépêche et je me suis demandé : comment se fait-il qu'une information de ce genre ne fasse pas la une des journaux du monde entier ? Le général allemand à la retraite, Heinz Locke, a affirmé catégoriquement dans une interview à un journal grec, du 4 avril, que le document invoqué par l'OTAN pour bombarder la Yougoslavie était un faux. Selon lui, le rapport selon lequel les autorités yougoslaves préparaient l'annihilation des Albanais du Kosovo a été préparé par les services secrets bulgares et manquait de toute crédibilité. Locke, qui travaille actuellement à l'Organisation de la sécurité et de la coopération en Europe, a affirmé que ce faux avait été utilisé par l'OTAN pour lancer les bombardements contre la Yougoslavie et obtenir l'approbation de l'opinion publique européenne. Il a précisé que toutes les personnes impliquées dans ce jeu devaient assumer la responsabilité historique de cette agression, y compris le ministère allemand de la Défense. Selon lui, personne n'a jamais cherché à vérifier la véracité de ce rapport, préparé perfidement dans le but délibéré de justifier les bombardement de l'OTAN sur la Yougoslavie. Je vous ai lu une dépêche de Prensa Latina, datée d'Athènes.
Ce qui ne veut pas dire que ce soit là le seul rapport faux. Il existe de prétendus rapports basées sur des photos aériennes indiquant la présence de charniers d'Albano-Kosovars. Il y a eu beaucoup d'informations fausses autour de cette agression. Toujours est-il que les services secrets bulgares ont accepté de préparer un rapport mensonger en faveur de l'OTAN. Tout comme la République tchèque a accepté voilà quelques jours de collaborer au jeu des Etats-Unis contre Cuba. De toute évidence, la Bulgarie et la République tchèque ont bien baissé de niveau : du socialisme à activistes de l'impérialisme !
Le cas du Kosovo a été fabriqué selon ce critère hypocrite de la double morale qui caractérise ce groupe des pays riches, ce groupe de l'OTAN, ce groupe dirigé par les Etats-Unis qui contrôle ou tente de contrôler le monde. On affirmait alors que les Albano-Kosovars étaient réprimés, étaient victimes d'une épuration ethnique aux mains des Serbes. Or, un rapport du Haut Commissaire des Nations Unies aux réfugiés a révélé que 85 p. 100 des presque 860 000 personnes qui ont émigré du Kosovo ne l'ont pas fait durant le prétendu nettoyage ethnique, mais justement pendant les soixante-dix-huit jours de bombardement sur le pays et sur cette province en particulier.
Il faut savoir que le Kosovo comptait 1 800 000 Albanais et plus de 200 000 habitants d'autres nationalités, dont des Serbes. Un an avant, quand toute cette question était en train de se préfabriquer avec l'épuration ethnique, le génocide censément commis par les Serbes, plus de 170 000 Albanais-Kosovars avaient émigré. Pourtant, pendant la guerre, selon le Haut-Commissariat, plus de 860 000 personnes, la plupart des Albanais du Kosovo, ont émigré pendant les bombardements et par peur de la guerre. Bref, cette histoire de l'épuration ethnique, cette question de l'émigration des Albanais qui ne pouvaient continuer de vivre au Kosovo à cause de la répression dont ils étaient victimes, est de l'hypocrisie, une question préfabriquée par ceux-là même qui certifient en Amérique latine de la bonne ou de la mauvaise conduite de nos pays, de ceux qui traitent Cuba pour qu'elle se transforme à leur manière.
Dimas a parlé de 2 000 morts et de 6 000 blessés. Mais il faut dire que les incursions aériennes se sont montées à presque 36 000 pendant ces soixante-dix-huit jours d'agression. Et pour prouver une fois de plus l'hypocrisie de cette Europe et de cette OTAN civilisées, de ces Etats-Unis censément épris de paix, épris des valeurs morales, des valeurs religieuses, qui s'érigent en bastions, je dois rappeler que la guerre a commencé le 23 mars et que la journée des bombardements les plus intenses a été le 2 avril, qui était, tenez-le-vous bien, le Jeudi saint ! Attaque d'adduction d'eau, attaque d'une usine, les plus gros raids aériens sur Belgrade, avec deux morts et six blessés, tous des civils, alors que, selon les rapports de guerre de cette Sainte-Alliance de mort, l'OTAN attaquait des « installations militaires ». Un Jeudi saint !
On nous accuse, nous, de violer les droits de l'homme parce que ce pays ne connaît pas censément la liberté de culte, la liberté dexpression et toutes ces choses-là. Mais l'Europe chrétienne et les Etats-Unis chrétiens choisissent pourtant un jour saint, un jour de recueillement, un jour qui devrait être une journée de paix et d'amour, pour réaliser les plus forts bombardements contre des cibles civiles yougoslaves ! Cela dit éloquemment ce que sont ces gens-là et quels sont les vrais objectifs politiques qu'ils poursuivent contre ceux qui ne se plient pas, pour une raison ou pour un autre, à leurs intérêts conjoncturels ou stratégiques.
Marina Menéndez. Pour résumer un peu ce qu'ont dit Dimas et Nidia, je tiens à signaler que la fausseté de nos accusateurs de Genève n'a pas consisté seulement, dans le cas de la Yougoslavie, à avancer comme prétexte, comme justification, comme excuse, la prétendue violation des droits des Kosovars d'origine albanaise, mais encore - que les faits d'épuration ethnique aient été vrais ou non, selon leurs accusations - à avoir violé, au nom de la défense de ces droits, les droits de milliers de civils pas seulement de Kosovars d'origine serbe, mais encore d'Albanais qui ont été victimes de leurs bombes.
Là-dedans, l'intoxication a joué à fond dès le début, dès le moment où on a commencé à préparer l'opinion publique en vue de cette intervention et de cette occupation sur laquelle s'est terminée en fin de compte cette opération au Kosovo et en Yougoslavie, dès qu'on a commencé à « sataniser » non seulement Milosevic, mais aussi le peuple serbe qui est chaque fois le seul cloué au pilori, que ce soit pendant la guerre de Bosnie-Herzégovine qu'ensuite au Kosovo. Oui, tout a été manipulation, intoxication, depuis cet argument de la prétendue intervention humanitaire jusqu'à cette hypocrisie, ce mensonge de qualifier de « dommages collatéraux » ce qui a été en fait une agression patente contre la population civile, serbe et kosovar, et, en fin de compte, la destruction de l'infrastructure économique yougoslave.
Des « dommages collatéraux » qu'Eduardo Galiano, toujours si percutant, a qualifiés, lui, dans son article « Liste derrata » publié dans Juventud Rebelde, de « bénéfices collatéraux ». Sans parler de toute la série d'expressions qu'on a commencé à utiliser. Comme cette manière de qualifier d' « erreurs » les destructions et les dommages causés à l'infrastructure économique et à la population civile par les missiles censément intelligents, qui sont vraiment assez demeurés, comme l'a indiqué aussi Galiano. Nidia a mentionné certaines de ces « erreurs ». En voici d'autres : le 5 avril, les dix-sept morts d'Aleksinac, au sud de la Serbie, alors que la cible était censément militaire; le 12 avril, cinquante-cinq morts, dont un enfant de onze mois, quand plusieurs missiles ont détruit un train qui traversait un pont; le 8 mai, attaque de l'ambassade chinoise à Belgrade, qui a tué trois journalistes et blessé une vingtaine de personnes.
L'observateur nord-américain Jaime Petras, professeur de sociologie - Dimas dit, lui : d'éthique politique - a résumé tout ceci en parlant de la kyrielle de faussetés, de mythes fabriqués par les agresseurs, par ces Etats-Unis et cette Europe qui nous accusent aujourd'hui pour matérialiser leur agression contre la Yougoslavie, censément sous couvert d' « aide humanitaire » aux victimes prétendues ou réelles - ce n'est pas le moment d'en discuter - de l'épuration ethnique. Et Petras cite un certain nombre de mythes : 1) le président Milosevic présenté comme dictateur qu'il faut donc « sataniser »; 2) Ce même Milosevic qui refuse de négocier, de transiger, daccepter une force de paix internationale au cours des conversations de Rambouillet, dont Dimas a parlé; 3) l'Albanie et l'Europe aident les réfugiés kosovars; 4) Milosevic est coupable de génocide; 5) l'Armée de libération du Kosovar constitue le plus grand espoir de la démocratie et des droits de l'homme. Petras réfute ces cinq mythes, ainsi que le sixième. Sur ce dernier, il affirme : « La stratégie des Etats-Unis est de sauver les Kosovars des opérations serbes. Résultat : les bombardements des USA ont contraint des centaines de milliers d'Albano-Kosovars et de Serbes à fuir. Les attaques de l'OTAN au Kosovo ont détruit des localités, des magasins, des foyers, des usines, ont tué des dizaines de civils et blessé des centaines. Plus de 90 p. 100 des réfugiés ont fui une fois commencés les bombardements. La destruction de son économie a converti le Kosovo en un terrain vague qui sera incapable de faire vivre la population à son retour. La proposition de paix mensongère de Washington, fondée sur l'occupation du Kosovo par l'OTAN, n'a rien à voir avec une mission humanitaire : elle vise à étaler le pouvoir militaire des Etats-Unis et à imposer la pax americana en Europe. »
Tout ceci est assez éloquent et jette un petit plus de lumière sur tous ces mensonges avancés pour justifier l'agression contre la Yougoslavie. Cuba avait d'ailleurs, avec beaucoup de clarté, alerté au sujet de ce danger et de ce que ça pouvait représenter pour les pays du tiers monde, où l'Europe cherche toujours la paille sans jamais voir la poutre qu'elle a dans l'oeil.
Carmen Rosa Báez. Merci beaucoup, Marina. À propos, le comédien José Antonio Rodríguez me disait voilà quelques jours qu'il aurait été très utile à l'époque d'avoir ces tables rondes pour pouvoir éclaircir un certain nombre de choses pour la population. Notre pays dit que la justice finit toujours par s'imposer. Eclaircir les faits contribue à la venue de cette justice, parce que cela permet de mieux interpréter et d'analyser d'un oeil critique le monde où nous vivons.
Dimas me demande la parole, et Lázaro, et un invité du public, aussi. Alors, Dimas d'abord, et Nidia qui me la demande aussi. On verra ensuite.
Eduardo Dimas. On ne doit pas oublier ce qui a suivi le retrait du Kosovo des troupes yougoslaves. Au début, le Kosovo est resté aux mains de la fameuse Armée de libération, dont nous avons vu en quoi elle consistait réellement. Ensuite, les troupes de l'OTAN sont entrées, sous le couvert, comme toujours, des Nations Unies, qui devaient envoyer un corps de policier qui n'a jamais été complété. Depuis le retrait des troupes yougoslaves, l'Armée de libération a commis des tas de crimes - dont la presse a dû forcément parler - sous les yeux mêmes de ces forces d'intervention de l'OTAN, nord-américaines, européennes, italiennes et même russes; elle s'est emparée des biens des Serbes, de leurs terres, de leurs foyers, si bien que plus de 26 000 Serbes ont dû s'enfuir. Rappelons que cette population avait déjà été victime des bombardements pendant soixante-dix-huit jours, et ce pour prétendues violations des droits des Albano-Kosovars aux mains des Serbes. Je me demande : ce que font les Albano-Kosovars aux Serbes ne sont-elles pas des violations massives et flagrantes des droits de l'homme ? On est de nouveau en présence du « deux poids deux mesures ». On pourrait dire bien d'autres choses, mais je préfère m'arrêter là pour ne pas employer des mots trop crus.
Nidia Díaz. Juste pour préciser ce que dit Dimas. Les chiffres les plus récents, de cette semaine-ci, donnent un total de cinquante mille Serbes qui ont dû abandonner le Kosovo, parce que victimes d'atrocités : on parle de défenestrations, d'incendies de logements avec les personnes dedans... Et tout ça sous les yeux de ces Européens qui représentent les prétendues forces de paix !
J'ai déjà dit que quand on a fabriqué le cas du Kosovo, on a parlé de 170 000 Albanais qui avaient fui la prétendue épuration ethnique, mais qu'on avait en fait incité à le faire pour donner corps à l'agression contre la Yougoslavie. Eh bien, de ces 170 000 Albano-Kosovars, les Etats-Unis n'en ont reçu que 0,7 p. 100. Les autres se retrouvent dispersés dans cette Europe qui les a stimulés à partir pour pouvoir utiliser leur situation comme un cas d'épuration ethnique, dont il est prouvé maintenant que, si elle a eu lieu, elle n'a jamais atteint les dimensions que la propagande occidentale lui a données. Ce n'est d'ailleurs pas le premier cas dans le monde de gens incités à fuir pour justifier ensuite des interventions et se retrouvant ensuite sans aide de personne. En tout cas, je le répète, des 170 000 Albano-Kosovars incités à fuir avant la guerre, seuls 0,7 p. 100 ont été accueillis aux Etats-Unis. Cela dit bien avec quelle hypocrisie on a fabriqué ce cas.
Carmen Rosa Báez. Je vous ai dit qu'un invité avait demandé la parole. Il s'agit de Fernando Rojas, président de l'Association Hermanos Saíz, qui regroupe, vous le savez, de jeunes artistes. Rojas est intervenu hier à la Tribune anti-impérialiste José Martí. Et si nous avons voulu l'inviter, c'est parce que, pendant la guerre du Kosovo, il a eu l'occasion de visiter différents pays européens et d'échanger avec des intellectuels de là-bas. Alors, il me semble que ce serait intéressant qu'il nous parle un peu de cette expérience.
Fernando Rojas. Oui, je voudrais vous raconter mon expérience de lecteur de journaux et de téléspectateur à cette époque-là, pour dénoncer une violation flagrante des droits de l'homme : la manipulation des consciences qui a eu lieu dans l'Europe de l'Ouest censément si cultivée pendant la guerre de Yougoslavie. Et je vais commencer par là.
Pendant toute cette période, dans les journaux, dans les conversations de tous les jours, dans les réunions, à la télévision, la guerre s'appelait La Guerre du Kosovo. Ceux qui travaillent dans ce milieu connaissent l'importance des intitulés et des appellations pour déclencher une réponse. Eh bien, dans ce cas, on passait tout simplement sous silence ce qui arrivait ailleurs que dans cette province yougoslave : les bombes tombaient sur Belgrade, et on continuait de vous parler de La Guerre du Kosovo; les avions décollaient d'Europe de l'Ouest pour bombarder Belgrade, et encore et toujours c'était La Guerre du Kosovo.
On a eu droit aussi à une resucée de ce qui s'était passé dans la Guerre du Golfe, autrement, la « mise en télévision de la guerre », pour ainsi dire, cette chose si macabre, et si frivole aussi, de voir la guerre à la télé et d'écouter les bilans dressés par les autorités militaires. Bien entendu, ces bilans concernaient les succès des opérations militaires de l'OTAN contre l'armée de l'ogre Milosevic et contre d'autres objectifs militaires et, aussi, dans un recoin du journal, à un petit moment du bilan, dans une petite annonce de télévision, une référence minime aux dommages collatéraux qui sont, vous le savez, les victimes civiles et les cibles civiles détruites. Sur ces dommages collatéraux, pas d'article de journal, pas de reportage télévisé. Juste l'idée macabre de « profiter du spectacle ». Et ça ne dit rien de bon de cette Europe qui se vante de sa culture.
Vous lisiez des tas de reportages sur ce qu'avaient fait ou ce que faisaient les Serbes, toujours très exagérés. J'ai même constaté qu'on ne parlait pas des racines internes de ce conflit, qu'on ne les analysait pas, alors qu'il s'agit en fait d'un conflit séculaire. Il s'agit en effet d'une région d'Europe multinationale, multi-ethnique, où la coexistence sous des systèmes de domination d'ethnies différentes, de nations différentes, est entraînée de nombreux conflits au cours des siècles. Pour comprendre vraiment ce qu'il se passait, les journaux, les journalistes, les intellectuels auraient dû analyser rigoureusement cette histoire, ces racines. Mais jamais personne ne le faisait.
La manière dont on expliquait les origines du conflit était directement liée à l'objectif d'intoxication qu'on poursuivait : autrement dit, présenter la Yougoslavie comme l'agresseur, comme l'empire du mal, présenter Milosevic comme une espèce de nouvel Hitler, manipuler les sentiments antifascistes bien connus des Européens et aussi - dans une moindre mesure, certes, mais c'était réel - manipuler les sentiments anticommunistes des citoyens de ces pays-là, à savoir, comme le disait Dimas, l'influence russe dans les Balkans. Bref, on identifiait le redoutable agresseur aussi comme une espèce de fasciste hitlérien que comme les restes macabres de terrible communiste de l'Europe de l'Est, et la presse, la télévision allaient constamment dans ce sens, sans jamais raisonner, sans jamais faire la moindre analyse et surtout, ce qui était le plus notable, avec une unanimité incroyable.
Cette histoire de la presse libre, de la liberté de la presse, c'est une histoire à dormir debout. Tous les médias disaient pareil, allaient dans ce sens que je vous ai expliqué. Pas de raisonnement, pas d'explications, pas d'analyses. L'OTAN, l'Europe étaient les sauveurs, ceux qui réglaient le conflit. C'était un leitmotiv. D'ailleurs, il n'était pas difficile de couvrir son relent de racisme dans l'approche de la question, quand ils parlaient d'un Serbe, d'un Albanais, d'un Bosniaque, d'un Croate, vis-à-vis desquels ils se présentaient en sauveurs. Au point que tous les médias présentaient l'intervention de l'OTAN comme une réponse à une demande de la communauté internationale, comme une espèce de nécessité, et vous aviez donc les bons marines, les bons soldats, qui venaient enfin régler un embrouillaminis d'individus incapables de vivre en paix entre eux et qui passaient leur temps à s'entretuer.
Evidemment, cette manière de présenter les choses vivait un objectif bien défini: faire accepter cette conception de la souveraineté nationale limitée. Quand la communauté internationale estime qu'il existe quelque part une violation flagrante des droits de l'homme, elle a le droit d'intervenir, au mépris de quelque chose d'aussi essentiel que le principe de la souveraineté d'un Etat.
Je passe maintenant au thème des réfugiés, censément accueillis ailleurs, alors que ce n'est pas vrai. Comment les médias manipulaient-ils la question ? Eh bien, quand un groupe de réfugiés arrivait dans un camp d'accueil, on avait droit à des reportages à n'en plus finir à la télévision, dans les journaux. Ceux qui n'étaient pas accueillis, ceux qui souffraient des rigueurs de la guerre, on n'en parlait pas. Et tous les médias, je le répète, allant dans la même direction, avec la même unanimité, chantant dans la même tessiture, et pas seulement des journalistes et des reporters, mais aussi des intellectuels éminents d'Europe, s'en tenant exactement à ce schéma selon lequel les « bons soldats » de l'OTAN allaient liquider l'empire du mal. Oui, il fallait liquider la Yougoslavie, la détruire. Et vraiment, sans rares exceptions, on ne trouvait guère de nuances ou une prise de position un peu démarquée.
Tenez, pour vous donner un exemple, je me suis à réviser la presse en bibliothèque pour chercher une opinion un peu différente de cette unanimité, et la seule condamnation de ce qui se passait hors du Kosovo, autrement dit des bombardements sur Belgrade et le reste de la Serbie, je l'ai trouvée dans un journal d'un petit parti communiste et dans un bulletin paroissial ! Tout le reste, c'était l'unanimité la plus absolue. Bref, ça n'avait rien à voir avec la fameuse liberté de la presse dont ils se targuent tant.
Conclusion : les médias de ces pays dont les gouvernements nous ont condamné à Genève ont été tout simplement au service des intérêts de l'empire, des intérêts de l'OTAN. Et n'est-ce pas une violation des droits de l'homme que de se faire les complices de la manipulation des consciences, de l'idée de souveraineté limitée d'un Etat, et de manipuler soi-même les consciences ? D'ailleurs, comment s'en étonner quand on sait que ces mêmes médias et ces mêmes gouvernements se sont consacrés, pendant le Sommet ibéro-américain qui s'est tenu à La Havane, à exalter la figure de ces mercenaires qu'ils appellent, eux, des dissidents ?
Je crois qu'il est important que notre population connaisse ces choses-là pour pouvoir dénoncer en connaissance de cause ceux qui ont voté en faveur de la résolution anticubaine à la Commission des droits de l'homme.
Carmen Rosa Báez. Merci beaucoup. Lázaro, tu as la parole pour conclure sur ce thème.
Lázaro Barredo. Comme te le disait ce grand comédien cubain, la vérité finit toujours par percer, et les gens apprendront peu à peu ce qui s'est passé dans toute cette barbarie. J'ai sous les yeux un article publié par une revue nord-américaine, Covert Action, spécialisée dans les opérations secrètes et les sales guerres. Un long article intitulé « Un prétexte extrêmement suspect ». Je vais en lire juste trois paragraphes pour que vous sachiez comment les Etats-Unis et leurs alliés européens utilisent la mafia, car il en existe une aussi en Europe :
Les bombardements brutaux de l'OTAN sur Belgrade et Pristina ne font pas que violer le droit international. Alors qu'on « satanise » Milosevic et qu'on le présente comme un dictateur impitoyable, on présente l'Armée de libération du Kosovo comme un mouvement nationaliste respectable qui lutte pour les droits de l'ethnie albanaise.
« Le fait est que cet armée de libération se maintient grâce au crime organisé avec l'approbation tacite des Etats-Unis et de leurs alliés.
« Le trafic de drogues multimillionnaire dans les Balkans a joué un rôle décisif dans le financement du conflit au Kosovo en fonction des objectifs économiques et militaires stratégiques de l'Occident. »
La revue explique - ce que nous avons déjà dit ici - comment les Etats-Unis et leurs alliés ont converti ces gens de terroristes en alliés politiques. Exactement ce que les USA avaient fait avec les terroristes cubano-américains des années 60 et 70 qu'ils ont transformés dans les années 80 en partenaires politiques de la Fondation nationale cubano-américaine. La revue ajoute :
« C'est pour obtenir l'assentiment des Albanais au plan de paix qu'Albright, secrétaire d'Etat nord-américaine, a offert un stimulant pour prouver que Washington est ami du Kosovo : des officiers de l'Armée de libération s'entraîneraient aux Etats-Unis pour se transformer celle-ci de groupes de guérilleros en une force policière ou en une entité politique au service de leurs intérêts. »
« Le modèle appliqué au Kosovo est semblable à celui d'autres opérations secrètes de la CIA en Amérique centrale où les « combattants de la liberté » ont été financés par le blanchiment de l'argent de la drogue. »
« Dans le cadre de la guerre froide, les services de renseignements nord-américains et ceux de leurs principaux alliés européens ont noué des relations complexes avec le trafic illégal de drogues. Cas par cas, l'argent de la drogue blanchi dans le système bancaire international a financé des opérations secrètes.
Je crois que cette revue offre assez d'éléments pour dénoncer les sauvageries de ces gens qui se disent défenseurs des droits de l'homme.
Eduardo Dimas. Un petit complément très bref sur ce point. 90 p. 100 des bombes et des armes utilisées en Yougoslavie étaient nord-américaines. Autrement dit, les USA se sont chargés de détruire la Serbie et une bonne partie de Kosovo, mais ils ont laissé la reconstruction aux bons soins de l'Europe ! Oui mais celle-ci - avec un cynisme que nous devrions qualifier d'habituel - a conditionné la reconstruction de la Serbie non seulement, et tout d'abord, à la disparition - peu importe qu'on le tue, qu'on l'ôte du pouvoir, qu'on l'arrête - de Slobodan Milosevic, mais même à la position qu'adopteraient les dirigeants des différentes communes. Autrement dit, si le maire de tel endroit est un opposant de Milosevic, il reçoit une aide; sinon, pas d'aide. Voilà où on en est arrivé !
Carmen Rosa Báez. Je vous remercie de tous les faits et les explications que vous avez apportés au sujet de la Yougoslavie. Je donne la parole à Polanco pour qu'il aborde un autre aspect de cette politique de l'Europe de l'Ouest : fais ce que je dis, mais pas ce que je fais.
Rogelio Polanco. Oui, je voudrais aborder un autre thème, parce qu'une bonne partie de ce qui s'est passée l'an dernier au Kosovo s'était passée quelques années avant lors de l'invasion de l'Iraq, un pays qui demeure d'ailleurs une preuve flagrante du pharisaïsme de l'Occident, de ce « deux poids deux mesures » en matière de droits de l'homme.
Il y a dix ans maintenant que l'Iraq est soumis à un blocus économique brutal imposé par les Nations Unies à travers le Conseil de sécurité, un blocus qui n'a aucune justification et qui a été condamné par la communauté internationale, qui l'empêche de faire du commerce, y compris d'aliments et de médicaments. Ce blocus cruel a été imposé - bien qu'on ait avancé bien des prétextes et des justifications - pour permettre en fait aux Etats-Unis et à leurs alliés, en particulier la Grande-Bretagne, d'établir leur hégémonie dans une région qu'ils considèrent vitale pour leurs intérêts, notamment de contrôler des réserves pétrolières dont dépendent de nombreux rivaux économiques du Japon et d'Europe, et d'utiliser cette région comme une base d'opérations vers le Caucase et l'Asie centrale.
Venons-en au blocus. Ses conséquences accusent directement l'Occident, notamment les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, dont le gouvernement se plie docilement aux intérêts nord-américains, d'autant que ce blocus a sensiblement aggravé les conséquences des dévastations infligées au peuple iraquien durant la guerre du Golfe.
Soit dit en passant, cette guerre a été un reality show, une guerre télévisée, tout comme celle du Kosovo, une guerre annoncée à grand renfort de publicité comme l'avènement du Nouvel Ordre mondial faisant suite à la chute du camp socialiste. Et il est important de donner quelque chiffres. Plus de 140 000 tonnes sont tombées sur l'Iraq, dotées d'une puissance huit fois supérieures à celles dHiroshima et de Nagasaki. Quelle Commission des droits de l'homme a-t-elle condamné les pays qui ont commis ce génocide. Qui plus est, les avions ont largué un million de projectiles revêtus d'uranium appauvri. D'ailleurs, selon le département nord-américain de la Défense, il existe encore dans le Sud de l'Iraq quarante tonnes de ce matériau radioactif, ce qui explique pourquoi il y a des villages entiers où les enfants naissent aveugles, ou souffrant de déformation du coeur ou du poumon congénitales, ou pourquoi le nombre de femmes qui avortent à un stade avancée de la grossesse a augmenté. Je redemande : quelle commission des droits de l'homme a condamné les pays qui ont fait ça ?
De fait, l'Iraq s'est converti en un champ de tir pour tester des matériaux non expérmentés et inconnus à ce jour.
Selon l'Unicef, à cause du blocus, le taux de mortalité infantile chez les enfants de jusqu'à cinq ans est passé en dix ans de 56 pour 1 000 naissances vivantes à 136, et celui d'enfants de moins d'un an de 17 p. 1 000 à plus de 100, et la pénurie de médicaments et d'aliments empêche d'améliorer cette situation. Selon d'autres sources, les décès par maladies diarrhéiques sont passés en dix ans de 106 par mois à 1 811; les décès d'enfants par pneumonie, de 93 à 1 507; les décès d'enfants par malnutrition, de 73 à 2 051; les enfants naissant avec un bec de lièvre, par exemple, sont passés de 1 pour 1 200 à 1 pour 600, autrement dit le double. Ce blocus a causé la mort de plus de 1 200 000 personnes, et de plus de 6 000 enfants par mois.
La responsabilité des pays qui continuent d'imposer ce blocus criminel à l'Iraq et à son peuple saute aux yeux. Et pourtant quelle commission des droits de l'homme les a condamnés ? Et de quel droit nous accusent-ils ?
Nidia Díaz. Je voudrais abonder dans ce sens, parce que s'il y a un cas qui, tout comme celui de Yougoslavie, prouve ce « deux poids deux mesures » pour jauger les droits de l'homme, c'est bien celui de l'Iraq. Parce que ça continue de se passer, et sous nos yeux ! Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne sont parvenus à imposer le silence au sujet des bombardements systématiques qu'ils réalisent, jour après jour, depuis décembre sur le territoire iraquien.
À quoi il faut ajouter ce blocus qui empêche ce pays de satisfaire aux besoins de sa population. Et voilà pourquoi, comme l'a dit Polanco, dix mille Iraquiens sont morts en juillet dernier, dont sept mille enfants. De quel droit les Etats-Unis et la Grande-Bretagne bombardent-ils ce pays, réalisent-ils cette agression économique contre l'Iraq ? La seule réponse est l'arrogance d'un empire qui tient à assurer son hégémonie mondiale et les prétentions coloniales auxquelles, semble-t-il, la perfide Albion ne veut pas renoncer.
Pourquoi les membres du Conseil de sécurité n'adoptent-ils pas de
mesures pour mettre fin à cette tragédie de l'Iraq, alors qu'on ne cesse d'y parler de
ce
thème ? Voilà quelques jours, devant tant d'enfants iraquiens morts de faim et de
maladies, des figures publiques des Nations Unies, de hauts fonctionnaires, ont eu l'idée
géniale de dire que, pour pallier à cette situation, on pourrait distribuer des biscuits
vitaminés aux enfants. Vrai, si ce n'était pas si tragique, ça donnerait envie de rire
! Des biscuits vitaminés pour une population qui perd en un mois sept mille enfants et
trois mille adultes...
Voilà aussi quelques jours, justement à cause de cette situation, le Conseil de sécurité a analysé la possibilité d'élargir les clauses aux termes desquelles l'Iraq a le droit de vendre une partie de sa production pétrolière pour payer ainsi sa dette envers le Koweït et envers d'autres pays - à cause de son invasion, on le sait - et pour acheter des aliments. De toute façon, des aliments dont l'achat est bloqué d'une part, et qui, de l'autre, ne suffisent pas. Toujours est-il que le Conseil de sécurité en discutait. Et quand tout semblait aller pour le mieux et qu'un accord allait être atteint, les cours de pétrole ont commencé à fluctuer, et alors le Conseil de sécurité a estimé qu'il n'était pas bon de permettre à l'Iraq de vendre davantage de pétrole parce que ça allait influer les cours à la baisse. Et on retrouve encore une fois cette approche immorale des pays qui ne voient que leurs propres intérêts, des pays qui sont non seulement responsables de notre sous-développement, mais encore de tous ces conflits ethniques dans nos pays. Et qui, par-dessus le marché, osent nous attaquer !
Savez-vous pourquoi les USA et leur allié au petit pied, la Grande-Bretagne continuent d'attaquer l'Iraq ? Tout simplement parce qu'ils ne sont pas parvenus à susciter un mouvement de résistance intérieur qui renverse le gouvernement. Un gouvernement qui, en nationalisant le pétrole, a porté préjudice aux intérêts stratégiques et commerciaux des USA. Mais ils l'attaquent aussi parce que l'Iraq leur sert de champ de tir, de terrain d'essai. Ce qui permet aux USA de coller sur leurs bombes et leurs armes l'étiquette de Testé au combat, autrement dit le meilleur label pour une arme sur le marché, qui devient ainsi très compétitive, même au détriment de leurs propres alliés.
De quel droit ces gens-là commettent-ils de telles horreurs ? Comment osent-ils nous accuser de violer les droits de l'homme quand ce sont eux qui le font ? Quelle violation se produit-elle dans notre pays ? Au contraire, dans notre pays, l'éducation, l'alimentation des enfants, par exemple, sont garanties. Nous sommes un peuple qui est même un exemple de coopération avec les pays du tiers monde. Bref, cette accusation contre Cuba est absolument immorale.
Je voudrais enfin vous lire une dépêche de l'agence IPS qui indique bien les choses qui se passent dans ces pays dont les gouvernements nous ont condamné à Genève :
Un gros scandale a éclaté en avril de l'an dernier en Grande-Bretagne quand on a révélé que les universités les plus prestigieuses, les institutions de charité les plus sensibles et les principaux hôpitaux investissaient les fonds de pension de leurs employés dans l'industrie d'armements. Les responsables ont expliqué qu'ils plaçaient l'argent dans les entreprises qui donnaient le plus de bénéfices. Un porte-parole de l'Université de Glasgow a affirmé textuellement: « Nous ne faisons pas de distinguos moraux. Ce qui nous intéresse, c'est que les placements soient rentables, non qu'ils soient éthiques. »
Si j'étais Taladrid, je dirais : que chacun tire ses propres conclusions. Mais comme je ne suis pas lui, je dis : c'est tout bonnement immoral.
Rogelio Polanco. Je crois qu'il est important de répéter quelque chose pour faire écho à ce qui disait Nidia : la souveraineté de l'Iraq est limitée non seulement à cause de l'embargo et des bombardements, mais aussi parce que les Etats-Unis, la Grande-Bretagne et la France y ont établi unilatéralement des zones d'exclusion aérienne à partir desquels ont lieu précisément ces bombardements de villes et de civils. Ça fait partie des nouvelles conceptions que l'impérialisme utilise pour limiter la souveraineté des pays du tiers monde. À ce sujet, je voudrais vous lire une dépêche de l'agence Reuters d'hier :
L'Iraq a signalé ce jeudi que les attaques d'avions occidentaux au Nord et au Sud ont fait 295 morts et 860 blessés depuis décembre 1998.
La semaine dernière, des fonctionnaires iraquiens ont fait état de 15 morts et de 18 blessés après que des avions occidentaux ont attaqué des cibles au Sud du pays.
Autrement dit, cette violation flagrante des droits de l'homme du peuple iraquien se poursuit tous les jours sous les yeux du monde. Et quelle résolution de la Commission des droits de l'homme a-t-elle condamné les USA et la Grande-Bretagne pour ces morts et ces blessés ?
Mais ces nations occidentales, impérialistes, ne font que violer les droits de l'homme en Iraq. Elles violent ceux de leurs propres citoyens. Rappelez-vous la maladie connue comme le syndrome du Golfe, qui reste une énigme pour la médecine et qui touche au moins cent mille soldats nord-américains, et un nombre considérable, mais non déterminé, de soldats canadiens et britanniques, à partir du moment où les troupes se sont retirées d'Iraq en 1991. C'est là quelque chose dont les médias ont parlé : il est évident que les citoyens nord-américains et de nations européennes ont été utilisés non seulement comme chair à canon, mais encore comme cobayes. Mais ça n'a pas été assez étudié. J'ai ici une dépêche sur le rapport de 385 pages que la Rand Corporation, un centre de recherche de Californie, a rédigé après deux années d'études financées par le Pentagone : selon lui, le bromure de pyridostigmine, connu comme Pb, pourrait être la cause du syndrome du Golfe qui provoque la chute des cheveux, des problèmes neurologiques, digestifs, etc.
The New York Times a assuré que de 250 000 à 300 000 soldats nord-américains ont reçu du Pb comme antidote contre les gaz neurotoxiques, avant la guerre du Golfe au cours de laquelle Washington a déployé 700 000 soldats.
Beatrice Golomb, universitaire de San Diego, qui a rédigé le rapport de la Rand Corporation, a découvert des similitudes entre les symptômes du syndrome du Golfe et les effets secondaires du bromure de pyridostigmine. Cette conclusion est renforcée par une étude israélienne qui prouve que cette substance, utilisée depuis les années 50, pénètre facilement dans le cerveau quand elle est administrée à un individu en état de stress, et qu'elle augmente l'activité musculaire, la réflexion et les fonctions respiratoires et digestives.
Il ne fait pas de doute que se préparer à entrer dans une guerre et y être est une situation hautement stressante. On pouvait donc prévoir que cette substance engendrerait des séquelles immédiates.
Le Pentagone a administré ces comprimés aux troupes dépêchées dans le Golfe, administration suivie de piqûres et de compléments médicamenteux pour garantir ses effets préventifs. Les troupes devaient prendre ces comprimés de 30 milligrammes trois fois par jour pendant la durée du traitement.
Au sujet du syndrome du Golfe, d'autres choses curieuses permettent de mettre en cause la façon d'agir du Pentagone avec ses propres hommes, et même avec des femmes, puisque celles-ci se sont trouvées sur le théâtre d'opérations.
Le département nord-américain de la Défense n'a rien fait pour accélérer les études sur cette maladie, car, quoique celle-ci soit apparue dès la fin de la guerre, ce n'est qu'en 1994 qu'il a financé les recherches.
Il a mis ensuite plus d'un an à admettre qu'environ cent mille soldats nord-américains avaient été exposés aussi à des doses minimes de gaz neurotoxiques pendant la destruction d'un dépôt de substances de l'industrie chimique iraquienne.
Le Pentagone conteste que cette destruction ait pu avoir des conséquences pour les soldats.
Ce n'est que maintenant que les études entreprises par le Pentagone étaient les soupçons sur les causes éventuelles de cette maladie.
On a appris aussi que, durant la guerre du Golfe, les soldats avaient été exposés à des pesticides, à des répulsifs et à d'autres agents nerveux administrés en vue de protection. De toute évidence, comme le dit une Canadienne qui a participé à la guerre du Golfe : « Nous sommes comme des champignons maintenus dans l'obscurité. Voilà comment nos gouvernements nous traitent. »
Une résolution d'une commission des droits de l'homme aurait dû condamner ces nations, qui ont condamné Cuba, pour avoir fait des choses de ce genre.
Carmen Rosa Báez. Je me souviens que voilà deux ou trois jours à peine, le journal télévisé a informé des dénonciations de l'Iraq au sujet des bombardements a l'uranium appauvri et des conséquences qu'ils causaient dans la population civile. Le comble, c'est que ça n'a pas empêché cette même Commission de Genève de condamner l'Iraq pour violation interne des droits de l'homme ! Oui, c'est vraiment le comble de l'hypocrisie !
Jusqu'ici, nous avons parlé d'interventions dans d'autres pays - qui ont commencé à proliférer ces derniers temps - de la part de ceux qui nous ont condamné à Genève, et qui sont - il est bon de le répéter - l'Allemagne, le Canada, l'Espagne, les Etats-Unis, la France, l'Italie, le Portugal et le Royaume-Uni, tous membres de l'OTAN. Alors, je crois qu'il serait bon d'analyser l'Alliance atlantique de l'intérieur et de donner la parole à Arsenio, qui a suivi cette question dans Granma, pour qu'il nous en offre les tenants et les aboutissants.
Arsenio Rodríguez. Avant d'entrer dans le vif du sujet, je dois dire que, si notre peuple s'est indigné à juste titre en apprenant le vote de la Commission, il doit l'être encore plus maintenant en écoutant toutes ces informations. Parce qu'il est évident que cette condamnation répond à une intention délibérée des USA et de leurs acolytes, alors qu'il s'agit d'un point que le Cubain ne peut accepter pour de nombreuses raisons convaincantes.
L'OTAN comprend donc les USA et le Canada, différents pays de l'Union européenne, ainsi que la marionnette dont il est inutile de dire le nom et deux autres aspirants capitalistes de l'Europe de l'Est. Le père de tout ça, c'est bien entendu les Etats-Unis.
Soit dit en passant, le fait que jamais les Nations Unies ne condamnent ce genre de choses que fait l'OTAN, que la presse censément très informée n'en parle pas, prouve la confusion qui règne dans notre monde en cette fin de siècle.
En tout cas, nous retrouvons là les pays qui disent ce qu'il faut faire et qui tentent d'imposer à l'humanité pour le nouveau millénaire les règles qui devront régir le monde. Quels sont donc ces pays, quel rôle jouent-ils dans la communauté internationale et comment expliquer ce « deux poids deux mesures » en vertu duquel toutes ces atrocités dont nous avons parlé peuvent passer comme une lettre à la poste?
On retrouve parmi eux les anciennes métropoles, celles qui ont détruit nos cultures, nous ont colonisés, nous ont soumis à l'esclavage, celles qui ont déclenché deux guerres mondiales et allez savoir combien d'agressions et d'interventions militaires contre des nations souveraines, celles qui, en plus, sont les principaux fabriquants et exportateurs d'armes, les créanciers du gros de l'humanité et aussi, ce qui est le comble, les défenseurs des droits de l'homme. Je parle bien entendu des pays de l'Europe de l'Ouest, parce que les autres d'Europe de l'Est suivent docilement les têtes de file.
En plus d'être membres de l'OTAN, ils occupent aussi des sièges privilégiés au Conseil de sécurité des Nations Unies où ils ont le droit de veto. Ils font aussi partie du Groupe des Sept, ils prédominent à la Commission des droits de l'homme, ils sont les maîtres des principaux médias et les théoriciens de la mondialisation néolibérale. Et je n'indique là qu'une partie du pouvoir qu'ils exercent sur la planète.
Oui, qui sont-ils ? Eh bien, des agresseurs qui se disent défenseurs de la paix; des créanciers impitoyables qui se disent des âmes charitables préoccupées du développement du tiers monde où vivent six milliards de personnes, la majorité de la population du globe.
J'en reviens à l'OTAN. Cette organisation militaire a fêté son cinquantième anniversaire non avec des feux d'artifice mais par le lancement massif de missiles et de bombes sur la Yougoslavie. Comme l'ennemi contre lequel elle avait été créée, l'URSS et le communisme, ont disparu, elle a tout simplement cherché et trouvé d'autres ennemis pour pouvoir faire étalage de son pouvoir de destruction. Car elle possède le plus gros arsenal de l'histoire, capable de détruire plusieurs fois notre planète. N'empêche que ce sont ces gens-là qui ont le toupet de s'inquiéter des armes modestes dont nous disposons, nous, les pays pauvres et sous-développés, pour nous défendre !
À un des sommets de l'OTAN, tenu à Madrid en juillet 1997, William Cohen, secrétaire nord-américain de la Défense, a affirmé que la doctrine militaire de son pays - et donc, bien entendu, de l'OTAN - reposait sur le principe fondamental d'une attaque rapide. À cette époque-là, le secrétaire général de l'Alliance atlantique était l'Espagnol Javier Solana qui, selon la presse de son pays et d'Europe, s'était converti d'une douce colombe à un faucon, de pacifiste à dirigeant d'une alliance militaire. Fin 1998, Solana affirmait que sa tâche et celle de son organisation était d'en mettre au point la nouvelle conception stratégique, mais il n'avait pas donné beaucoup de précisions à ce sujet.
Après la Yougoslavie, il a été remplacé par George Robertson, ancien ministre britannique de la Défense, qu'on définit comme un défenseur de l'identité européenne en matière de défense, qui est une vieille aspiration des Européens. N'empêche que, quand il a occupé son poste, il a déclaré tout de go que la politique clef de l'organisation était de maintenir les très fortes relations existant dans ce domaine avec les Etats-Unis. Bref, l'Europe veut sa propre défense, mais continue de dépendre inévitablement de la puissance des Etats-Unis. Il faut rappeler d'ailleurs que, pendant l'agression contre la Yougoslavie, c'étaient les Nord-Américains qui lançaient les missiles, qui donnaient les ordres, et que tout le monde suivait. Certains observateurs européens ont signalé que ce monsieur accédait à ce poste de secrétaire général comme récompense de son attitude belliqueuse pendant l'agression en Yougoslavie. On le considère comme un pragmatique, peu adonné à l'argumentation politique. La reine Elizabeth II l'a anobli, parce qu'il est né dans une famille de policiers. Et comment pense cet individu ? Eh bien, il a déclaré : « Ma première priorité est la capacité militaire; ma seconde priorité et ma troisième priorité sont la capacité militaire, parce que la crédibilité de l'Alliance dépend de sa capacité militaire. » Voilà l'individu chargé de mettre en pratique la nouvelle conception stratégique de l'OTAN.
Carmen Rosa Báez. De la Hoz me demande la parole. C'est sans doute pour nous parler de Solana l'intellectuel ?
Pedro de la Hoz. Oui, hélas. L'Espagnol Javier Solana a été secrétaire général de l'OTAN à un moment terrible. Et c'est un personnage vraiment curieux, qui incarne cette aspiration d'une partie des milieux de pouvoir européens à devenir, dans le cadre de l'OTAN et sous l'égide des Etats-Unis, des gendarmes mondiaux. Et ces gens se sont proposés, d'une manière tout à fait sérieuse et dangereuse, d'imposer des pratiques barbares qui démentent les traditions culturelles de ce continent.
Le travestisme de Solana est tout à fait éloquent à cet égard. À un moment donné de sa vie, il s'était opposé avec ténacité - et sincèrement, je crois - à l'entrée de l'Espagne à l'OTAN. Et pourtant, il s'est retrouvé catapulté secrétaire général de l'Alliance ! Un virage d'autant plus accusé qu'il avait été justement ministre de la Culture, ce qui implique défendre un certain nombre de valeurs, ce qu'il avait fait d'ailleurs en signalant fortement les dangers que représentaient l'invasion par les moyens audiovisuels de la sous-culture nord-américaine en Europe.
Et pourtant, vous le retrouvez ensuite à la tête de l'OTAN, inaugurant une étape terrible, défendant des idées qui sont à des milliers d'années-lumière des valeurs culturelles d'avant, devenant le fer de lance des faucons yankees et devenant faucon lui-même ! Inaugurant cette nouvelle étape génocide de l'OTAN, le doigt sur la gâchette.
García Márquez, signalant ce travestisme de Solana, manifestait avec ironie sa stupeur dans une chronique - qui a d'ailleurs fait le tour du monde - merveilleusement écrite au sujet de cet homme qui a viré casaque si facilement.
C'est en tout cas pour moi un exemple lamentable qui résume l'inconsistance et la bassesse morale de ces cercles de pouvoir qui tournent autour de l'OTAN. Cette même inconsistance et bassesse morale que révèle la résolution anticubaine adoptée par la Commission de Genève.
Carmen Rosa Báez. Arsenio, vous avez parlé de la nouvelle conception stratégique de l'OTAN. Il serait sans doute bon d'analyser un peu plus.
Arsenio Rodríguez. Assurément, d'autant qu'elle ne concerne plus seulement les pays qui étaient encore tout récemment sous son influence, mais le monde entier, et je vais expliquer pourquoi. Au fond, il s'agit d'officialiser la doctrine du droit à l'intervention partout et pour de multiples prétextes. Cette doctrine a été rendue publique pour le cinquantième anniversaire de l'OTAN. Sur quoi se fonde-t-elle, quels sont les prétextes qu'avancent les atlantistes pour l'appliquer. Je lis : « Afin de renforcer la paix et la stabilité en Europe et dans un contexte plus large, les Alliés européens développent leurs possibilités d'action, notamment en augmentant leurs capacités militaires. » Un peu plus loin : « La sécurité de l'Alliance reste exposée à des risques militaires et non militaires très divers, qui viennent de plusieurs directions et sont souvent difficiles à prévoir. Ces risques comprennent l'incertitude et l'instabilité dans la région euro-atlantique et alentour, et la possibilité de voir se produire à la périphérie de l'Alliance des crises régionales, susceptibles d'évoluer rapidement. » On utilise des concepts tels que celui-ci : « Les intérêts de sécurité de l'Alliance peuvent être mis en cause par d'autres risques à caractère plus général. » « Les forces militaires combinées de l'Alliance... doivent également être prêtes à contribuer à la prévention des conflits et à conduire des opérations de réponse aux crises ne relevant pas de l'Article 5. » Bref, ça concerne tout. « La taille, le niveau de préparation et de disponibilité, et le déploiement des forces militaires de l'Alliance refléteront son attachement à la défense collective et à la conduite d'opérations de réponse aux crises, parfois sur court préavis, loin de leurs bases nationales, y compris au-delà du territoire des Alliés. » « Les forces de l'OTAN peuvent être appelées à opérer au-delà des frontières de la zone de l'OTAN. » Attention, je ne vous lis pas le même paragraphe : c'est que cette idée se répète jusqu'à plus soif tout au long de ce document. L'OTAN peut agir partout.
Et pour couronner cette virtuelle déclaration de guerre contre tout ce qui, selon l'interprétation des Atlantistes, met en danger leur sécurité, elle affirme qu'il est plus que probable que les menaces éventuelles à la sécurité de l'Alliance proviennent de conflits régionaux ethniques ou d'autres crises au-delà du territoire des Alliés, ainsi que de la prolifération d'armes de destruction massive et de leurs vecteurs.
Bref, à bon entendeur salut !
En quoi consiste exactement cette nouvelle politique atlantique, ce nouveau concept stratégique ? L'OTAN les a inaugurées en Yougoslavie - une nation souveraine attaquée sans la moindre déclaration de guerre - ce qui a marqué, selon Solana, « la transition d'une Alliance préoccupée surtout de la défense collective à une Alliance qui défendra les valeurs démocratiques aussi bien dans ses frontières qu'au-delà ». L'OTAN se convertit par là en une alliance à caractère offensif qui opérera aussi à la périphérie euro-atlantique, comme elle dit : tout simplement n'importe quelle partie du monde, bref, nos pays du tiers monde. Le nouveau concept stratégique signale que l'OTAN opérera face aux « menaces globales » qui comprennent la possession illégale d'armes de destruction massive, le trafic de drogues, le terrorisme, les violations flagrantes et massives des droits de l'homme et les conflits internes des Etats. L'OTAN s'arroge le droit d' « intervention humanitaire », qui n'est rien d'autre que le droit d'intervenir dans n'importe quel pays du tiers monde sous des prétextes humanitaires ou autres. Cette définition est très claire.
Nous sommes donc à la merci de l'interprétation de ceux qui peuvent décider d'attaquer à un moment donné sous un prétexte ou un autre, en se justifiant par le Conseil de sécurité qu'ils dominent, et en faisant ensuite les bons apôtres en aidant économiquement à la reconstruction des dégâts à une réunion du Groupe des Sept, ou du FMI ou de la Banque mondiale. Parce que, comme je l'ai déjà dit, ce sont les mêmes qui bombardent, ce sont les mêmes qui impose un veto pour imposer ou non des sanctions, ce sont les mêmes qui te donnent ensuite de l'argent pour reconstruire ce qu'ils ont eux-mêmes détruit. Qui t'en donnent ou ne t'en donnent pas, c'est selon, parce que bien souvent l'aide n'arrive jamais.
Ce groupe qui constitue l'élite belliqueuse de la planète, notamment les Etats-Unis, décide donc de tout. Les USA ne se bornent plus à certifier de la bonne conduite des pays selon qu'ils les aident ou non dans la lutte contre la drogue pour leur octroyer ensuite des prêts : ils veulent s'imposer comme les maîtres du monde, comme les juges du monde, des juges qui ont le pouvoir des armes et dont le verdict est sans appel. Et ils sont toujours accompagnés dans leurs équipés militaires par l'Europe cultivée, qui considère pourtant comme des gens en retard, d'un niveau inférieur, non seulement les immigrants en provenance de pays sous-développés, les Noirs, les mulâtres, les Indiens, les métis, les gitans, etc., mais même les Blancs eux-mêmes d'Europe de l'Est, celle qui était socialiste et qui tente maintenant d'être capitaliste, et que l'autre Europe considère comme des citoyens de seconde classe.
Je voudrais rappeler l'intervention de Fidel à la première séance de travail du Sommet entre l'Amérique latine et les Caraïbes et l'Europe, à Rio de Janeiro, le 28 juin 1999.
Il est une question politique extrêmement importante que je ne peux manquer de signaler au sujet du nouveau concept stratégique de l'OTAN. J'en extrais quatre paragraphes :
1) « Afin de renforcer la paix et la stabilité en Europe et dans un contexte plus large, les Alliés européens développent leurs possibilités d'action, notamment en augmentant leurs capacités militaires. »
2) « La sécurité de l'Alliance reste exposée à des risques militaires...très divers... Ces risques comprennent l'incertitude et l'instabilité dans la région euro-atlantique et alentour, et la possibilité de voir se produire à la périphérie de l'Alliance des crises régionales... »
3) « Davantage d'éléments de force seront disponibles à des niveaux appropriés de préparation pour soutenir des opérations prolongées, à l'intérieur ou à l'extérieur du territoire de l'Alliance. »
4) Il est plus que probable que les menaces éventuelles à la sécurité de l'Alliance proviennent de conflits régionaux ethniques ou d'autres crises au-delà du territoire des Alliés, ainsi que de la prolifération d'armes de destruction massive et de leurs vecteurs.
Je tiens à faire trois réflexions et à poser trois questions très brèves :
1) J'aimerais qu'on me précise, si tant que cela soit possible, si les pays latino-américains et caribéens font partie ou non de la périphérie euro-atlantique définie par l'OTAN.
2) L'Union européenne a, au terme de bien des débats, donné son soutien à une déclaration de notre Sommet qui affirme textuellement : « Cette association stratégique repose sur le plein respect du droit international et sur les objectifs et principes consacrés par la Charte des Nations Unies, sur les principes de non-ingérence, de respect de la souveraineté, de l'égalité des Etats et de l'autodétermination. » Cela veut-il dire que les Etats-Unis s'engagent à leur tour à respecter les principes contenus dans cet accord de leurs alliés ? Comment l'Europe réagira-t-elle si les Etats-Unis décident pour leur compte de commencer à lancer des bombes et des missiles sous n'importe quel prétexte sur un des pays latino-américains et caribéens réunis ici ?
3) Tout le monde sait, par exemple, qu'Israël possède des centaines d'armes nucléaires fabriquées avec l'aide de certains pays occidentaux au sujet desquelles on a fait un silence curieusement hermétique. Cela voudrait-il dire que l'OTAN, partant du point 4 susmentionné, pourrait, compte tenu non seulement de la prolifération clandestine d'armes de destruction massive, mais aussi d'une production massive de ces armes, commencer à lancer des milliers de bombes sur Jérusalem, Tel-Aviv, sur des villes israéliennes et palestiniennes, détruire des systèmes électriques, des usines, des routes et tous les moyens de vie essentiels de ces peuples, tuer directement des dizaines de milliers de civils innocents et menacer l'existence du reste de la population ? Ceci peut-il être un règlement civilisé de ce genre de problèmes ? Pourrait-on garantir que ceci ne conduirait pas à un conflit nucléaire ? Où nous mènerait cette nouvelle doctrine insoutenable de l'OTAN ?
Après n'avoir exprimé qu'une partie minime de mes idées au sujet de ce thème délicat, je n'ai rien à ajouter. Et je vous prie de m'excuser.
Le président brésilien, Fernando E. Cardoso, qui présidait cette première séance, avait affirmé que ces questions étaient très importantes et qu'il espérait qu'il y serait répondu à la réunion privée qui devait se dérouler ensuite entre les chefs d'Etat. Or, selon des sources diplomatiques, aucun représentant de l'Union européenne ni d'aucun pays de l'OTAN n'a dit un traître mot à ce sujet, alors que la réunion a duré deux heures. Voilà les commentaires que je voulais faire.
Carmen Rosa Báez. Cette réunion s'est tenue en juin 1999. Et je ne sache pas que quelqu'un ait répondu aux questions posées par Fidel. Quand vous dites, Arsenio, que ce nouveau concept stratégique de l'euro-atlantique concerne le tiers monde, c'est nous qui donnons une réponse, pas eux.
Arsenio Rodríguez. Bien entendu. Ceux qui ont conçu ce nouveau concept de l'OTAN sont précisément ceux qui, en guise de revanche ou comme une manière de réponse, ont promu et soutenu cette résolution, ce que font de fait traditionnellement les politiciens en faveur des Etats-Unis. Mais ça semblerait être de fait une réponse à Fidel : comme ils n'ont pas de réponse, eh bien, ils se vengent en proposant ce genre de résolution et de condamnation.
Carmen Rosa Báez. Je crois qu'ils nous répondent tous les jours, mais que c'est à nous de savoir les interpréter. Ils nous répondent à la Commission des droits de l'homme, ils nous répondent par leurs actions dans d'autres pays, ils nous répondent en nous traitant toujours par-dessous la jambe, sans se rendre compte qu'il existe des pays qui ont une très grande dignité qui sont capables de les dénoncer s'ils ne sont pas capables, eux, de rectifier. C'est justement la bataille que livrent aujourd'hui nos diplomates à cette Commission, comme le signalait notre ministre des Relations extérieures voilà quelques jours.
Nous avons assez parlé jusqu'ici d'agressions, de violences, d'hypocrisie. Et, à propos d'hypocrisie, je crois que l'Europe a aussi d'autres choses quotidiennes qui, même si elles ne semblent pas d'une grande envergure, finissent par s'accumuler et faire beaucoup. Qui veut en parler ? Lázaro ?
Lázaro Barredo. Je voudrais d'abord parler, non de l'Europe, mais l'un de ses alliés stratégiques, membre de l'OTAN, qui est une extension des Etats-Unis vers le Nord, son voisin, le Canada. Quand la question de l'Alliance a été discutée au Conseil de sécurité des Nations Unies, ce sont bien entendu les Etats-Unis qui ont fait des pieds et des mains, car ce sont eux qui ont le plus d'intérêt à entraîner l'Europe et à la soumettre. Soit dit en passant, nous payons, nous, le prix d'oser de ne pas rendre à cette unipolarité, parce que jusqu'aux Européens se rendent, comme on pourrait le prouver de bien des façons. Je disais donc que deux pays ont soutenu à fond les USA au sujet de l'Alliance : le Canada et les Pays-Bas. Qui se sont mis à dire au Conseil de sécurité que ce nouveau concept stratégique ne pouvait être freiné par les concepts de souveraineté, qui était une idée désuète, et qu'il fallait réviser tous les principes du droit international et même la Charte des Nations Unies. Voyez un peu où ils sont arrivés dans ce concept de gouvernement mondial !
Je disais donc que le Canada s'est bien mobilisé dans ce sens. Et alors, j'aimerais poser trois questions, compte tenu de la situation de ce pays. Le Canada est-il à l'écart d'un conflit interne, quand on connaît les graves problèmes séparatistes qu'implique le Québec ? Que se passerait-il si un grave conflit éclate entre les francophones et les anglophones et met en danger la sécurité nationale des Etats-Unis et les intérêts stratégiques de l'Alliance ? Le Canada accepterait-il que l'OTAN intervienne sur son territoire ?
Oui, il faudrait voir si cette mesure est la même pour tout le monde... Comme ils ne répondent pas, comme ils n'éclaircissent pas les doutes du tiers monde, et surtout des petits pays, à cet égard, je crois intéressant de poser ce genre de questions pour voir si quelqu'un lui répond.
Carmen Rosa Báez. Des Canadiens et de l'OTAN.
Lázaro Barredo. Des deux à la fois. Le Canada font partie intégrante de l'Alliance, ce sont des alliés de première ligne des Etats-Unis et des européens dans toute cette conception stratégique.
Carmen Rosa Báez. Posons des questions pour voir si les réponses arrivent. Mais nous en étions au quotidien européen. Et j'aimerais bien que Taladrid nous en parle.
Reynaldo Taladrid. Oui, pour utiliser le langage otanesque, passons de la périphérie au centre. À l'Europe de l'Ouest, en particulier aux pays qui ont voté contre Cuba.
L'histoire joue toujours un rôle, et les gouvernement de ces pays sont dans une plus ou moins grande mesure le produit de leur histoire. Il faut donc savoir que l'Europe est le continent où, par rapport à la population, l'Etat a tué le plus de gens. Tenez, combien de personnes l'Inquisition espagnole a-t-elle brûlées. On me dira que l'Inquisition est une coproduction italo-espagnole à très force composante religieuse, c'est vrai, mais je crois qu'on peut parler sans se tromper d'Inquisition espagnole. On me dira aussi que les statistiques d'alors n'étaient pas ce qu'elles sont maintenant. Tout à fait d'accord. N'empêche qu'un roi comme Henri VIII d'Angleterre a tué - je dis tué, parce que c'est l'Etat qui les exécutait - plus de personnes que l'Inquisition espagnole. Il a même tué une de ses huit épouses. Ceux qui connaissent un peu d'histoire savent qu'il a exécuté sa femme pour régler un problème légal de type religieux.
En Suède, ou plutôt, dans la péninsule scandinave, on a brûlé plus de femmes sous l'accusation de sorcellerie que partout ailleurs. Et c'est bien délicat de tuer une femme. Et que dire des procès qui se déroulaient à l'époque en France et dans le Sud, dans la partie méditerranéenne, où, sans la moindre preuve, on vous crevait les yeux si on vous accusait de vol.
Tout ceci dans une Europe où, je le répète, l'Etat a tué plus de personnes que partout ailleurs dans l'histoire de l'humanité, par rapport à sa population.
Passons donc aux temps modernes. Il y a bien des façons de violer les droits de l'homme, mais je voudrais me concentrer sur une seule : l'assassinat. Autrement dit, les exécutions sans autre forme de procès qu'ont commises et commettent les pays qui nous ont accusés à la commission de Genève. Des personnes que l'Etat tue sans les avoir jugées. Commençons donc par le Sud, l'Espagne et la France, qui nous ont condamnés à Genève.
Un petit peu d'histoire. L'Espagne est un pays de plusieurs nationalités, où l'on parle même trois langues - le catalan, l'espagnol et le basque - et ce facteur a été utilisé de différentes manières au cours de l'histoire dans ce pays. Mais j'en viens à l'Espagne moderne, économiquement adaptée à l'Europe, entrée dans l'OTAN, en train de sortir de ce que les gens appelaient son retard. Et cette Espagne-là doit faire face à l'essor des groupes extrémistes à motivations politiques. Comment s'y est-elle prise ? Vous savez que le pays basque est divisé entre l'Espagne et la France. Eh bien, la police française et la police espagnole ont signé en juin 1984 un pacte secret dit de la Castellana, du nom de l'avenue de Madrid où ça s'est fait, en vertu duquel la France s'engageait à fournir toute la logistique et à coopérer matériellement à toutes les actions contre les Basques, en échange de quoi - parce qu'il a toujours des histoires de sous au milieu - l'Espagne s'engageait à lui acheter des armes pour 130 millions de pesetas.
Et c'est alors que les Espagnols créent les fameux GAL, autrement dit les Groupes antiterroristes de libération. Si les sophistes grecs revivaient, ils pâliraient d'envie de voir l'usage qu'on fait de nos jours du langage ! Et je vais vous dire ce qu'on fait ces GAL depuis 1984 en coopération avec les autorités et la police françaises. On connaît plus de cent cas de tortures. La pose de quatre bombes dans des établissements où se trouvaient des militants basques. Ils ont enlevé - pas en Argentine ou au Chili, pas sous Pinochet ou Videla - mais en Europe, dix-sept personnes, et on compte aujourd'hui presque une dizaine de disparus. Oui, en pleine Europe, et il n'y a pas de mères de la place de Bilbao, par exemple, parce qu'on ne peut pas dire qu'on en parle beaucoup. Oui, une dizaine de disparus. Enfin, l'assassinat - ou, plutôt, pour ne pas me convertir à mon tour en un sophiste - l'exécution extrajudiciaire de quarante et une personnes, toutes des Basques.
Je vais vous raconter trois des cas les plus connus. Premier cas. Un commando des GAL est entré dans le bar Hendayis pour tuer deux militants basques. Comment? Tout simplement en mitraillant la salle. Les deux Basques sont morts, mais dix autres personnes innocentes ont été grièvement blessées. Second cas. 1985. Dans l'Espagne otaniste, moderne, intégrée, ayant surmonté tous ses complexes d'infériorité, ses complexes racistes, selon lesquels l'Afrique finissait aux Pyrénées : les GAL ont torturé à mort un militant basque dans un commissariat de Madrid - ce Madrid modernisé, plein d'enseignes lumineuses et de choses tout à fait européennes. Ils n'ont pas su arrêter à temps. Ils auraient pu apprendre quelques leçons des militaires argentins et chiliens qui savaient y faire, eux. Bref, le militant est mort dans ce commissariat, ça s'est su et les choses se sont compliquées. Je peux même vous donner le nom de ce militant, au cas où vous auriez des doutes : il s'appelait Joxe Arregi. Troisième cas. En 1989. Dans un restaurant de Madrid. Cinq députés, dont quatre Basques, et d'autres personnes. Les GAL entrent dans le restaurant et mitraillent. Bilan : un député mort et deux autres blessés, avec leur immunité parlementaire et tout le reste. Voilà comment agissaient les GAL en Espagne et en France.
Passons à un autre accusateur de Cuba, l'Allemagne. Là aussi, dans les années 70 - en tant que séquelle de la grande vague contestataire de la jeunesse européenne des années 60 contre le système, et je dis bien le système, parce qu'on ne parlait pas alors de changer un gouvernement ou un parti, mais bel et bien le système, ce qui est beaucoup plus difficile - on a vu surgir toute une série de faits, depuis ceux qui se sont pliés au système et se sont transformés en ceux-là même qu'ils avaient critiqués jusqu'à ceux qui ont adopté des positions extrémistes. Et plusieurs groupes de ces derniers ont vu le jour en Allemagne. Qu'a donc fait le gouvernement de la RFA ? Rappelez-vous qu'il y avait deux Allemagne à l'époque, et la RFA est prétendument la partie libre, celle de l'OTAN, la bonne Allemagne... Eh bien, il a créé des prisons de haute surveillance. Tout à fait typiques. Dont l'une s'appelait Foyer de pierre. Ça vous rappellera sans doute une époque bien déterminée de l'histoire allemande. Dans cette prison, donc, tout était peint en blanc, si bien que le prisonnier ne voyait que du blanc, et ce prisonnier passait parfois des mois sans parler à personne, parce que le gardien lui introduisait la nourriture par un système qui lui permettait de ne pas lui parler.
Et qu'a fait le BND, qui était alors le nom de la police secrète ouest-allemande? Elle était parvenue à arrêter un certain nombre de militants, mais d'autres dirigeants étaient encore en liberté et elle ne parvenait pas à leur mettre la main dessus. Alors, elle a organisé elle-même une fugue en profitant de militants qu'elle avait achetés, qui ont fait un trou avec des explosifs. Des militants non compromis se sont donc enfuis, et la police secrète les a pris en filature pour qu'ils les conduisent vers ceux qui étaient toujours en liberté. Je vais vous raconter ce qui est arrivé à deux des dirigeants qu'elle a réussi à repérer. À la gare de Baden. Le commando de la police secrète est arrivé - ce sont des policiers de l'Etat, ne l'oubliez pas, ils touchent un salaire, ils sont contrôlés, ils dépendent d'un autorité donnée - il a cerné l'homme et l'a abattu. Le hic, c'est que quelqu'un a pu filmer la scène avec une petite caméra amateur - à la fin des années 70, il n'y avait pas encore de ces caméscopes actuels si perfectionnés - et encore mieux, filmer aussi quand les policiers en civil donnent le coup de grâce au type abattu. En pleine gare de Baden ! Ce film est passé à la télé allemande, au cas où certains auraient mauvaise mémoire.
Bien entendu, personne n'en a parlé à Genève cette année-là, personne n'a été sanctionné en RFA qui était alors le bastion dans la lutte contre l'empire du mal, comme l'appelait Reagan.
Qu'est-il arrivé à ceux que la police secrète est parvenue à arrêter, qu'elle n'a pas abattus en pleine rue ? Je vais vous le dire, pour rafraîchir la mémoire historique de l'Europe. Il y avait pas mal de femmes dans ces groupes. Elle a arrêté Margrit Shillen qu'elle a accusée d'association criminelle et de possession d'armes, parce qu'elle n'avait pas de preuves pour lui imputer des chefs d'accusation plus graves. Ecoutez un peu ce qui est arrivé à cette femme en prison, selon le livre que j'ai sous les yeux : on l'a mise dans une cellule solitaire, on lui passait les menottes dans le dos quand elle sortait de la cellule une heure par jour, la lumière était allumée jour et nuit dans la cellule, qui était d'ailleurs vide, sans le moindre mobilier, et elle-même ne portait que l'uniforme de la prison sans aucun autre effet personnel et la nuit elle devait dormir nue.
J'aimerais bien savoir si quelqu'un a dénoncé ou condamné l'Allemagne à l'époque devant une commission des droits de l'homme !
Autre cas fameux, celui d'Ulrike Meinhof, une dirigeante d'un de ces groupes que la police secrète parvient à repérer selon le système que je vous ai expliqué. Un beau jour, elle apparaît morte dans sa cellule. Toujours selon ce même livre, elle s'est censément pendue en nouant plusieurs serviettes ensemble. Les autorités allemandes n'ont pas laissé voir le cadavre et ont affirmé que ce suicide se devait à des tensions dans le groupe. Curieux, n'est-ce pas ? Elle est isolée dans une cellule, et on nous parle de tensions dans son groupe ! Il n'y avait qu'une seule serviette dans la cellule, et on nous parle de plusieurs attachées ensemble !
Mais ça continue. En 1972, la police secrète arrête Andreas Baader, Gudrun Ensslin et Jan-Karl Raspe. On les retrouve tous les trois morts dans leurs cellules le même jour d'octobre 1977. Leurs corps portaient des traces de balles tirées à bout portant. Selon les autorités, Raspe avait un revolver dans la main. Quant à Ensslin, elle s'était censément pendue dans sa cellule avec un câble de radio. Or, aucune cellule n'avait la radio. Officiellement, les trois prisonniers s'étaient suicidés et jamais aucune enquête n'a été menée ensuite.
Je voudrais conclure sur un pays qui a été actif dans la condamnation de Cuba, qui a fait du lobbyisme, qui a exercé des pressions, et dont les discours sont très militants. Un pays où les sophistes grecs pourraient aussi se perdre dans la quantité d'appellations qu'on lui donne: Royaume-Uni, Grande-Bretagne, Angleterre... D'autres préfèrent l'appeler la Perfide Albion. Et on va voir pourquoi. En tout cas, quel que soit le nom que vous lui donnez, c'est un pays qui a sur le dos un sérieux problème : l'Irlande, divisée en deux : la plus grande partie est catholique et indépendante; l'autre partie, plus petite, au Nord, est occupée par les Anglais et elle est protestante.
Qu'est-ce que l'Irlande du Nord ? J'ai parlé avec plusieurs personnes qui ont été les témoins oculaires de ce que je vais vous raconter. L'Irlande du Nord est tout simplement un pays occupé. Dans les rues, vous trouvez des caméras de télévision qui balaient par zones. Les Anglais ont installé un système qui permet de clôturer un quartier entier avec des barrières de fer énormes, et vous vous y retrouvez tout d'un coup prisonnier, et vous êtes victimes des descentes de la police qui peut faire ce qu'elle veut. Ah ! J'oubliais les hélicoptères qui vous survolent. Certaines personnes qui ont connu la guerre du Viet Nam disent qu'elle se sentent un peu pareil en Irlande du Nord.
Que se passe-t-il donc en Irlande du Nord. J'ai apporté beaucoup de documents, mais je ne les utiliserai pas tous, rassurez-vous. En 1998 - il y a à peine un an et quelque - l'armée a fait un raid, a bloqué Garvahy Road à la recherche de gens de l'Armée républicaine irlandaise, l'IRA, et a tiré sans pitié. Et elle a tué entre autres un prêtre et plusieurs enfants en pleine rue. Et pourtant, pas une seule enquête n'a été ouverte, personne n'a été accusé. Alors, une avocate, Rosemary Nelson, a tenté de présenter des accusations contre les responsables de la tuerie. Eh bien, vous savez ce qu'il lui est arrivé, à Rosemary Nelson ? Dans un pays où il n'existe pas de général Contreras, ni les contre-révolutionnaires de Miami ni Oméga 7 ? En pleine Angleterre? Un matin, elle a ouvert sa voiture, elle a mis les clefs de contact et sa voiture a fait explosion, la tuant et détruisant tout ce qu'il y avait alentour. Et on attend toujours l'ouverture d'une enquête sur cette explosion et sur la tuerie dans la rue.
Mais ce n'est pas là une chose isolée ou l'affaire de groupes isolés. Souvenez-vous de ce qui s'est passé en 1982 quand un groupe de prisonniers de l'Armée républicaine irlandaise a refusé qu'on les traite comme des droits communs et exigent d'être traités comme des prisonniers politiques. Je voudrais m'arrêter un instant sur les prisons anglaises, car c'est un thème - autrement dit les conditions carcérales, la situation des détenus, etc. - dont on parle beaucoup à Genève. Donc, ces prisonniers irlandais veulent être reconnu comme des prisonniers politiques et même comme des prisonniers de guerre. Thatcher qui est alors première ministre refuse. Ils commencent alors une grève de la faim. Eh bien, croyez-le ou non - je dis surtout cela pour les plus jeunes - le gouvernement anglais les a laissés mourir en prison tous les dix !
Vous pouvez me rétorquer : ils ont fait la grève de la faim volontairement. D'accord, mais à n'importe quel endroit du monde, quand une personne qui fait la grève de la faim devient inconsciente, vous en profitez pour la nourrir artificiellement afin qu'elle ne meure pas. Eh bien, non, le gouvernement anglais les a laissés tout bonnement mourir ! Je vous laisse juge.
J'ai ici quelques autres informations. « De 1983 à 1991, le gouvernement britannique a fait l'objet de plus d'accusations qu'aucun autre à la Commission européenne des droits de l'homme. En 1971, les autorités anglaises ont utilisé contre quatorze personnes interrogées des appareils permettant de priver les gens de toute sensibilité comme technique de torture. » Je tiens à préciser à cet égard que l'Angleterre est l'endroit où on a inventé le plus de dispositifs ayant à voir avec la torture, ou encore les balles en plastique. Pour ça, ils ont de l'imagination à revendre. Donc, dans quatorze cas, il a été prouvé que les personnes ont été soumis à un appareil qui vous ôte la sensibilité, peut-être par suppression d'un conduit nerveux. Je ne sais pas. Ça doit être quelque chose d'assez tordu.
« De 1971 à 1975, plus de deux mille personnes ont été incarcérées sans procès en Irlande du Nord. De 1969 à 1974, un total de 357 personnes ont été tuées [le mot employé ici est bel et bien killed, et non le mot exécuté] par la police et les soldats britanniques, et 911 ont été tuées par les assassins favorables aux Britanniques. » Quand vous dites à quelqu'un : escadron de la mort, il pense aussitôt à Roberto D'Aubuisson en El Salvador, à la Triple A en Argentine, etc., par la force de l'habitude. Oui mais - et là je suis convaincu que le racisme joue - les Anglais ont créé des escadrons de la mort en Irlande et personne n'en parle ! Ils portent un autre nom, un autre sigle, mais, pour plus de commodité, je vais les appeler des escadrons de la mort. Et ils sont efficaces, comme vous pouvez le constater : je ne connais pas le chiffre exact, mais je n'ai jamais entendu dire que la Triple A argentine ait tué 911 personnes comme l'ont fait les Anglais.
En 1972, on a eu droit au Dimanche sanglant où ces escadrons de la mort ont tué treize personnes à Derry en Irlande du Nord. Personne n'a jamais été jugé pour cette tuerie. Des civils, pas des militants de l'IRA. Sans doute y a-t-il une erreur, peut -être du MI-6, je ne sais. Les services secrets internes s'appellent MI-5, et les extérieurs, le MI-6.
En 1989, un soldat de l'armée anglaise - pas un policier - tue une femme par balle, dans le dos. Le soldat a été jugé et condamné à une amende, et il a repris son service comme si de rien n'était. En 1989, l'année où commencent les attaques contre Cuba à la Commission de Genève.
Un autre cas : un soldat nommé Brian Nelson se convertit en partie intégrante de cet escadron de la mort qui porte le nom d'un sigle anglais, l'UDA. Il est incarcéré pour avoir séquestré et torturé un catholique. Après avoir purgé une très légère peine, il réintègre l'UDA et, à la demande du contre-espionnage britannique, le MI-5, il commence à travailler en 1980 comme directeur des renseignements des escadrons de la mort, chargé de choisir les cibles qui devaient être assassinées.
De 1988 à 1994, les escadrons de la mort favorables aux Britanniques ont tué plus de deux cents Irlandais. En plein coeur de l'Europe !
Pedro a parlé de l'Europe cultivée. Je n'aime pas beaucoup le terme, parce que je ne suis pas sûr qu'elle le soit plus que dans les années 60. Elle voit plus de télévision nord-américaine, c'est sûr, mais je ne suis pas convaincu qu'elle soit plus cultivée pour autant.
Alors, pourquoi dit-on la Perfide Albion ? Bon, Albion, c'est une référence culturelle, historique. Quant à perfide, je crois qu'après ça, il n'y a pas besoin de beaucoup d'explications...
Carmen Rosa Báez. Pedro de la Hoz veut dire quelque chose de plus ?
Pedro de la Hoz. Oui, le thème est si vaste qu'il y aurai bien des choses à rajouter. On constate des nuances toutes très perfides et perverses dans cette manipulation des droits de l'homme que font les pays qui ont voté pour la résolution anticubaine, alors qu'aucun d'eux n'a le moindre droit moral d'accuser Cuba quand on voit leurs très graves problèmes internes.
Taladrid a replacé la question dans sa perspective historique, autrement dit que la violence et la répression sont inhérentes à l'histoire européenne et solidement enracinées dans le devenir social des peuples d'Europe de l'Ouest. Nul n'ignore, par exemple, comment les mouvements ouvriers, les manifestations étudiantes, n'importe quelle flambée de soulèvement social ont été réprimés avec une brutalité terrible. Il s'agit d'une brutalité passée et actuelle qu'il faut dénoncer, sur laquelle il existe une vaste documentation, mais qui ne fait pourtant pas l'objet d'un suivi ni, encore moins d'une condamnation. Notre peuple doit savoir que beaucoup de ces pays qui ont voté contre Cuba ont exercé tout au long de l'histoire la répression, la brutalité, ont incarcéré des gens sans raison.
La situation des prisons, on ne la trouve pas seulement en Grande-Bretagne, parce qu'ailleurs, elle laisse aussi fortement à désirer.
Ainsi, dans le cas de l'Ulster, il y a énormément de cynisme. Le gouvernement britannique a recouru à des instruments de répression toujours plus perfectionnés, et c'est devenu une industrie dans laquelle les Anglais se sont fait une spécialité macabre. Par exemple, les fameuses balles de plastique. Selon un rapport que j'ai sous les yeux, la quantité de personnes ayant souffert de lésions à la tête et à la partie supérieure du corps de ce fait a battu un record en 1998. Ce rapport provient d'une de ces fameuses organisations des droits de l'homme - dont on ne sait jamais trop s'il s'agit de droits ou de « tordus » - qui affirme que ces balles doivent être tirées en dessous de la taille pour ne pas causer des dommages durables. Diable ! Une balle de ce genre fait du mal n'importe où. Le simple fait de concevoir une balle de ce genre est d'un raffinement criminel qui est inacceptable.
Reynaldo Taladrid. Si vous voulez savoir, les balles de plastiques sont faites de pierre dure dans une enveloppe de PVC. Elles mesurent presque neuf centimètres de long et peuvent atteindre 250 km/h. Selon l'armée des Etats-Unis, elles peuvent causer des blessures et des lésions incurables, et peuvent faire éclater le foie. On a dénombré déjà dix-sept morts et des milliers de blessés. Or, aucun membre des forces de sécurité anglaises n'a été condamné pour ces faits.
Pedro de la Hoz. Quand elle te frappe la rotule, elle te la brise en morceaux, et si elle t'atteint à l'aine, tu peux imaginer ce que ça cause. Alors, recommander de tirer en dessous de la taille, c'est vraiment cynique !
Il y aurait bien d'autres choses à dire au sujet de la brutalité policière au Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d'Irlande du Nord.
Reinaldo Taladrid. Ou la Perfide Albion.
Pedro de la Hoz. Ou la Perfide Albion. Des faits parfaitement vérifiés dont on ne parle quasiment jamais à Genève. A dire vrai, il existe aux Nations Unis une commission qui s'occupe de ces problèmes-là, mais comme elle n'a pas de mécanismes de suivi, tout ceci reste très nébuleux, et l'opinion publique internationale ne le sait pas.
Je vais parler de deux cas pour voir comment sont manipulés la loi et la répression chez les Britanniques. En 1997, le rapporteur spécial des Nations Unies sur l'indépendance des juges et des avocats a conclu que la police d'Irlande du Nord avait réalisé des activités qui constituaient une intimidation, une entrave et un harcèlement des avocats défenseurs des patriotes irlandais. Il a recommandé d'enquêter sur ces pratiques et d'ouvrir une instruction au sujet de la mort suspecte d'un avocat en 1989 - un peu comme l'avocate dont tu as parlé, Taladrid. L'investigation a commencé, mais elle n'a jamais conclu. Par contraste, le ministère de la justice britannique n'a formulé aucun chef d'accusation contre les sept policiers qui avaient falsifié des preuves ayant donné lieu à une grave erreur judiciaire dans le cadre de la lutte contre ces groupes extrémistes. Bref, nous avons là un conduite hypocrite, une double morale inacceptable.
En 1998, la commission des Nations Unies sur la torture a exprimé son inquiétude devant le nombre de décès survenus entre les mains de la police britannique et devant le fait que l'Etat ne semblait pas avoir établi de mécanismes efficaces pour enquêter sur les dénonciations contre les abus commis par les policiers et les gardiens de prison. Là encore, aucune réponse concrète. Dans les prisons, on dénonce par ailleurs une surpopulation et des tortures dans la plupart des pays européens qui nous ont condamné à Genève.
Le Portugal, en tant que président en exercice de l'Union européenne, a présenté l'explication de vote de ces pays à Genève. Le Portugal n'a pas parrainé la résolution anticubaine, mais il a en tout cas voté pour. J'estime pourtant - et justement parce qu'il préside en ce moment l'Union européenne - qu'il aurait dû être un peu plus décent, parce que le président portugais, Jorge Sampaio, a décrit, voilà moins d'un an, la situation carcérale du pays comme « un vrai scandale national ». La situation dans la prison de Porto, dont certains médias ont parlé, se caractérise par la surpopulation, la corruption, les mauvais traitements.
Oui, je crois qu'il faudrait faire preuve d'un peu plus de pudeur, après ça, quand on soutient une résolution qui tente de jeter le doute sur les conditions humaines dans les prisons cubaines. Nos prisons ont été visitées par des personnes de différentes religions, de différents philosophies, qui ont témoigné qu'il y existait une situation diamétralement opposée de celle que nous avons dénoncé ici dans tous ces cas. Et les preuves de la situation dans les prisons cubaines existent, des films, des vidéos.
Je voudrais enfin opposer cette brutalité policière, cette répression si courante contre les personnes et les groupes sociaux dans ces pays-là à ce qui se passe réellement dans le nôtre. Et je voudrais rappeler les faits du 5 août 1994, quand un groupe de vandales, encouragés par l'impérialisme, par les campagne anticubaines et par la mafia de Miami, ont tenté de causer des désordres pour déstabiliser la Révolution. Pour remettre de l'ordre, on n'a pas eu besoin de policiers à cheval, de gaz lacrymogène, des balles en plastiques, des fusils ni des chars dans les rues. Fidel, qui était alors dans son bureau, a ordonné aussitôt, quand il a appris la situation, de n'employer aucune force de police ou militaire et s'est dirigé lui-même sur les lieux des troubles, suivi du chef de son bureau, Felipe Pérez Roque, et de sept hommes de son escorte auxquels il a interdit catégoriquement d'utiliser leurs armes. Il a été rejoint en route par Carlos Lage. En arrivant, Fidel est descendu de voiture, et tous les gens se sont aussitôt joints à lui et les désordres ont cessé. Pas un seul coup de feu, pas un seul coup de matraque. Une foule enthousiaste a suivi Fidel jusqu'à l'esplanade de la Punta, à l'entrée de la baie de La Havane. Et plus aucun trouble n'est survenu à partir de ce moment-là. Il a suffi pour cela de la morale d'un peuple et d'un dirigeant respecté et sérieux.
Face à une situation de ce genre, en Europe on aurait envoyé les forces anti-émeutes qui auraient commencé à tabasser les gens. J'ai toujours en mémoire la répression contre les étudiants en mai 68 à Paris et dans d'autres capitales européennes cette année-là. Et ce sont des images indélébiles pour moi, tout comme le sont les images du 5 août 1994. Oui, il serait bon de ne pas perdre la mémoire.
Carmen Rosa Báez. Sur cette question de ne pas perdre la mémoire, ce n'est pas la peine d'aller très loin en arrière. Je me souviens qu'en 1993, un groupe d'organisations de gauche... Je ne sais pas si Polanco s'en rappelle, il se trouvait alors à Prague, il nous représentait à l'Union internationale des étudiants. Donc, un groupe de dirigeants étudiants cubains, dont je faisais partie, s'est rendu en Europe en mai 1993. Et en Allemagne, il y avait des protestations contre une loi en cours de discussion et qui prétendait accuser les immigrants des problèmes économiques que connaissait l'Allemagne. Un groupe important d'organisations étudiantes, de jeunes, de solidarité avec le Nicaragua, avec Cuba, d'organisations sociales se sont mobilisés devant le Parlement le jour où la loi se discutait pour protester et pour empêcher l'entrée des parlementaires.
Je me souviens que la police est arrivé très tôt dans la matinée, montée sur des chevaux - nous disions en blaguant qu'on aurait dit des éléphants -, avec les chiens, des hélicoptères, et des policiers avec des uniformes qui les faisaient ressembler à des extraterrestres. La manifestation a commencé à six heures du matin. Et vers cinq heures de l'après-midi, quand notre délégation a pu sortir du Parlement - où nous étions allés pour une rencontre où nous devions discuter du problème du blocus, parce que c'était l'époque de la névropathie qui avait touché la population, et nous étions allés en Europe pour dénoncer le blocus et chercher à mobiliser la solidarité avec Cuba - donc, quand nous sommes sortis du Parlement pour retourner à l'ambassade, nous avons vu la façon terrible dont les manifestants étaient tabassés par les forces de l'ordre. Incroyable ! Après, nous avons vu les images à la télévision. Et le soir, nous avons rencontré un certain nombre d'étudiants et de jeunes que nous connaissions déjà et qui avaient été frappés, réprimés, arrêtés. Et pourtant il s'agissait d'une protestation pacifique pour protester contre une loi injuste contre les immigrants, une loi raciste, xénophobe. Ça fait partie des nombreuses choses dont nous avons parlé au sujet de l'Europe prétendument cultivée.
Nidia Díaz. Tu as parlé de l'Allemagne en 1993. Mais, voilà à peine quelques mois, à Seattle, le monde a été témoin de la brutalité avec laquelle la police nord-américaine a réprimé les manifestants contre cette réunion ministérielle de l'Organisation mondiale du commerce. J'ai personnellement été témoin de la façon dont ces matraques en plastique de la police s'abattaient sur le visage des manifestants. Et ça, voilà seulement quelques mois.
Marina Menéndez. Et, pour actualiser encore plus cette information, voilà à peine quatre ou cinq jours, à Washington, durant la réunion conjointe de la Banque mondiale et du FMI, on a vu se répéter cette même répression. Soit dit en passant, la République tchèque a déjà annoncé qu'elle avait étudié la manière de faire face à ces protestations, parce que la prochaine réunion se tiendra à Prague. Ça se passe de commentaires.
Nidia Díaz. À Washington, les manifestants se sont protégés de tuyaux en plastique pour éviter les coups. Eux aussi, ils tirent des leçons de leurs expériences.
Marina Menéndez. Les fonctionnaires de la Banque mondiale et du FMI affirment que les manifestants veulent interdire la réunion, mettant en cause la justesse de ces protestations. Ceux que veulent les manifestants, en fait, comme l'a reconnu d'ailleurs un fonctionnaire, c'est que ces réunions ne passent plus inaperçues, c'est qu'elles cessent d'adopter des décisions sans que personne n'en sache rien et sans que les gens aient l'occasion de se prononcer contre leurs politiques.
Carmen Rosa Báez. Taladrid a souhaité parler de questions intérieures de l'Europe et s'est arrêté aux exécutions sans procès. Pedro de la Hoz a parlé des brutalités de la police. Et nous en sommes arrivés sans le vouloir aux Etats-Unis et à des choses que les Cubains connaissent bien. Mais je vous propose de revenir à l'Europe vis-à-vis de l'étranger, de son hypocrisie dans ce domaine, sinon nos analyses seraient incomplètes.
Dimas, je vous ai entendu plusieurs fois parler de l'Indonésie. J'en parle comme d'un exemple qui est très symptomatique à cet égard.
Eduardo Dimas. Alors il faut parler pour commencer de plus d'un million de morts en quarante-huit ou soixante-douze heures.
Un peu d'histoire, d'abord. En 1956, le général Sukarno a signé les accords de Bandoeng qui ont donné naissance ensuite au Mouvement des pays non alignés. C'était quelqu'un de prestigieux en Asie, quelqu'un qui avait le soutien d'une bonne partie des Indonésiens. En 1962-1963, il était évident que la Central Intelligence Agency et des services de renseignements européens s'efforçaient de renverser Sukarno. D'où, en 1965, le coup d'Etat du général Suharto qui coûte la vie à plus d'un million de personnes, des militants communistes pour la plupart. Il faut dire que le Parti communiste indonésien était le parti le plus fort, le plus nombreux d'Asie à ce moment-là. Plus d'un million de victimes ! On raconte que les déversoirs d'un barrage proche de la capitale ont été bloqués par l'énorme quantité de têtes de militants décapités. Et les proches de ces militants devaient se présenter toutes les semaines aux commissariats de police. Le régime du général Suharto a reçu aussitôt le soutien de l'Occident, du gouvernement nord-américain, des prêts du FMI, de la Banque mondiale. Un régime très corrompu, mais qui a duré jusqu'à 1999 où il a été liquidé par la crise économique asiatique et par les protestations de la population.
Mais quand on parle de l'Indonésie, il faut forcément parler du cas de Timor de l'Est. Vous vous souvenez sans doute que le gouvernement portugais issu de la fameuse révolution des oeillets avait décidé en 1975 de liquider ses colonies, dont celle de Timor. Le Portugal s'en est donc retiré d'une façon un peu cavalière, ce dont les troupes du général Suharto profitent pour occuper ce petit pays. Plus de deux cent mille soldats.
Les gouvernements occidentaux, les USA, l'OTAN, ont été très heureux de cette occupation, parce qu'il existait à Timor de l'Est un front de libération, le FRETILIN, qui avait des liens avec la gauche mondiale, avec des partis communistes, avec des organisations qui n'étaient pas du goût, bien entendu, de ces pays qui ont même vu avec plaisir l'invasion indonésienne.
J'ai ici une résolution de l'Assemblée générale des Nations Unies, datée du 2 décembre 1975, selon laquelle celle-ci exprime sa profonde inquiétude devant la situation critique découlant de l'intervention militaire des forces armées indonésiennes au Timor portugais, invite instamment tous les Etats à respecter le droit inaliénable du peuple est-timorais à l'autodétermination, à la liberté et à l'indépendance; invite instamment la puissance administrante, autrement dit le Portugal, à continuer de faire tout ce qui est à sa portée pour trouver un règlement pacifique, par des conversations avec tous les partis politiques du territoire; et regrette profondément l'intervention militaire des forces armées indonésiennes à Timor portugais et exhorte l'Indonésie à s'abstenir de toute nouvelle violation de l'intégrité territoriale de Timor portugais et à retirer ses forces armées sans retard.
Bref, c'est un condamnation de l'ONU. La résolution a été adoptée par 69 pour, 11 contre et 38 abstentions. Parmi les pour, Cuba, bien entendu. Parmi les abstentions, les USA, l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique, le Canada, le Danemark, la Finlande, la France, la Norvège, la Nouvelle-Zélande, le Royaume-Uni, etc. C'est là une preuve irréfutable que ces pays pensaient en 1975 que le mieux pour ce pays - ou plutôt ce qu'il leur convenait le mieux à eux - était qu'il soit sous la domination indonésienne au lieu d'accéder à l'indépendance, parce que le FRETILIN était une organisation de gauche, une organisation révolutionnaire, comme l'étaient les autres mouvements dans les colonies portugaises d'Afrique, la Guinée-Bissau, l'Angola, le Mozambique et le Cap-Vert.
Je pourrais poursuivre jusqu'à maintenant, mais il me semble que cet épisode est très éclairant. Maintenant, il y a eu de grands massacres à Timor de l'Est, en 1999, après un référendum convoqué par les Nations Unies au cours duquel 78 p. 100 de la population s'est déclaré en faveur de l'indépendance. C'est alors que les groupes favorables à l'Indonésie et l'armée indonésienne elle-même ont commencé à réprimer, à tâcher par tous les moyens de maintenir leur domination, si bien que les Nations Unies expédient une force d'intervention, basée surtout sur l'Australie qui a déclaré avoir un grand intérêt dans la région, et constituée surtout de soldats portugais. Or, le Portugal est l'ancienne puissance coloniale.
En tout cas, Timor de l'Est n'est toujours pas indépendant et tout semble indiquer qu'il existe des tentatives de lui escamoter son indépendance tant que le pouvoir ne sera pas pris par les individus les plus alliés aux intérêts européens et nord-américains.
Carmen Rosa Báez. Nous avons fait jusqu'ici une analyse des pays qui ont voté contre Cuba à la Commission des droits de l'homme de Genève. Et je crois qu'il serait bon de nous en arrêter là. Nous n'avons pas conclu, bien entendu, il nous reste encore à dire bien des choses. Mais je vous propose d'en finir là avec toutes ces informations désagréables pour pouvoir réfléchir sur ce que nous avons dit et que chacun en tire ses propres conclusions.
Quand nous étions en train de préparer cette table ronde et parlions de l'attitude de ceux qui nous ont condamnés vis-à-vis de problèmes tels que la Yougoslavie, l'Iraq, l'Indonésie, etc., et des points que Taladrid a abordés par exemple, nous nous sommes demandé lesquels des droits de l'homme avaient été violés dans tous ces cas et nous avons dressé une liste de vingt-cinq qui l'ont été assurément par ceux qui se targuent tant de les défendre. En voici quelques-uns :
1. Le droit à la vie.
2. Le droit à la liberté.
3. Le droit à la sécurité personnelle.
4. Le droit à la santé.
5. Le droit à la paix.
6. Le droit à l'égalité et à la protection contre toutes les formes de discrimination pour des motifs de race, de sexe, de nationalité, d'appartenance à un groupe social donné ou de croyance religieuse.
7. Le droit à une nationalité.
8. Le droit à l'alimentation.
9. Le droit des peuples à l'autodétermination et à leur propre système politique, ainsi qu'au développement social et culturel.
10. Le droit à ne pas être soumis à toute forme d'esclavage ou de servitude.
11. Le droit à ne pas être soumis à des tortures ou à des traitements ou peines cruels, inhumains ou dégradants.
12. Le droit de la mère et de l'enfant à des soins et à une aide spéciale.
13. Le droit à un ordre social et international juste.
14. Le droit à un niveau de vie décent.
15. Le droit des peuples à disposer librement de leurs richesses et ressources naturelles.
16. Le droit des peuples à ne pas être privés de leurs moyens de subsistance.
17. Le droit au développement.
Je crois que tous ces droits exigeraient une nouvelle table ronde qui pourrait se tenir dimanche prochain.
Permettez-moi maintenant de consacrer quelques minutes au thème Elián qui reste important. Je voudrais vous donner quelques nouvelles. Il s'agit d'un thème qui n'est pas du tout étranger, au contraire, au respect des droits de l'homme fondamentaux, en l'occurrence ceux d'un père et ceux d'un enfant.
Esther Barroso a préparé un vidéo résumant les dernières nouvelles concernant ce cas.
Esther Barroso. Juan Miguel González a lancé un appel émouvant au peuple nord-américain pour qu'il le soutienne dans sa lutte pour récupérer son petit enfant de six ans. Humblement, mais fermement. La déclaration de Juan Miguel a été retransmise par les chaînes de télévision les plus importantes des Etats-Unis.
Juan Miguel. Je suis ici, aux Etats-Unis, depuis maintenant deux semaines, et je suis venu en compagnie de ma femme et de mon autre enfant de six mois. Je suis venu ici parce qu'on m'a promis que je pourrais me réunir avec mon enfant. Deux semaines se sont passés, et rien n'est arrivé.
J'ai toujours entendu dire et je sais que les Etats-Unis sont un pays où règne le droit. Or, ce n'est pas vrai dans mon cas, parce que je n'ai toujours pas mon enfant avec moi.
C'est pour moi et pour toute ma famille une grande douleur d'avoir vu pendant ces cinq mois comment on a utilisé mon fils Elián et tous les abus qu'on a commis contre lui.
Je voudrais vraiment, par votre intermédiaire, puisque je suis le seul à pouvoir parler pour lui, je suis son père, je souhaite beaucoup être avec lui, c'est mon enfant, il m'appartient, il doit être à côté de moi, à côté de sa famille, je voudrais demander, s'il vous plaît, au peuple nord-américain, à ceux qui se sentent vraiment pères, comme ils m'ont soutenu jusqu'à présent, aussi bien le peuple nord-américain que les Latinos, les Cubains, qui ont été à côté de moi, qui ont vraiment voulu que mon fils soit avec moi, je voudrais vous demander, s'il vous plaît, de m'aider, d'adresser des messages au président de ce pays, à la ministre de la Justice de ce pays, pour qu'on agisse une fois pour toutes, pour qu'on finisse par réunir mon fils avec moi, et qu'on arrête d'abuser de mon enfant par plaisir.
J'aime beaucoup mon enfant, j'ai besoin que mon enfant soit avec moi, à mes côtés.
Je vous demande, s'il vous plaît, de m'aider, de faire que tout ceci se réalise. Je suis venu ici pour être avec mon enfant, et deux semaines se sont écoulées, et je ne suis toujours pas avec mon enfant. Ça me fait très mal de voir ce qu'on fait à mon enfant et les abus qu'on commet contre lui.
S'il vous plaît, je vous demande de téléphoner, d'écrire des lettres, de faire tout ce que vous pouvez.
Mon enfant n'a que six ans, c'est un enfant pareil que n'importe quel enfant de n'importe quel Nord-Américain, ce n'est pas un enfant différent. Je vous en supplie, que toutes les personnes qui ont des sentiments et qui savent vraiment ce que c'est que l'amour d'un père et d'un fils m'aident, qu'elles ne laissent pas la politique s'imposer par dessus tout ça. C'est tout simplement un père et son enfant. Aidez-moi. Je vous remercie.
Esther Barroso. Un peu moins de deux heures plus tard, le président William Clinton a déclaré à la presse, à la Maison-Blanche, et réitéré ce qu'il avait déjà dit plusieurs fois déjà : « Elián doit être avec son père. » Clinton a réfuté les arguments de la famille lointaine de Miami.
« Journaliste. Avez-vous un message pour Juan Miguel González et quels pas pensez-vous faire pour régler cette situation.
« Clinton. Je crois avant tout qu'il doit se réunir avec son enfant, c'est la loi, et l'argument principal de la famille de Miami pour ne pas le faire a disparu. Je veux dire, son argument principal était que si on permettait à l'enfant de revenir près de son père avec la sentence du tribunal, il pourrait rentrer à Cuba. Mais le tribunal vient de décider qu'il ne peut pas rentrer à Cuba, et le département de la Justice est d'accord et lui-même a été d'accord. Il n'existe plus aucun argument pour que le père ne puisse pas retrouver son enfant, et c'est ce que la loi a dit.
« La loi d'immigration est claire, et la décision du SIN et du tribunal fédéral est claire. Je crois donc qu'il doit retrouver son enfant de façon ordonnée et le plus vite possible.
« Journaliste. Que pensez-vous de la décision de la cour d'appel selon laquelle un enfant de six ans pourrait avoir le droit de rester où il est et de demander l'asile politique ?
« Clinton. Bien que la cour d'appel l'ait dit, ce qui signifie une prise de distance énorme par rapport à ce que stipule la loi, il faudrait engager un procès pour le déterminer. En attendant, tant que le procès en conformité avec la loi ne sera pas conclu, le SIN a décidé et un tribunal fédéral a ratifié que le père doit avoir le droit de garde. Donc, de toute évidence, il doit retrouver son enfant, et l'argument selon lequel il pourrait rentrer à Cuba avant la sentence de la cour n'est plus valable, puisque la cour d'appel a supprimé cette possibilité. »
Esther Barroso. Aujourd'hui, vendredi, les agences de presse informent qu'après ces déclarations de Clinton et une longue conversation téléphonique avec le président, Janet Reno, l'attorney general, a décidé de retirer Elián de chez Lázaro González, ce qu'elle a annoncé déjà tant de fois, et que cela pourrait avoir lieu, selon des estimations, vers le milieu de la semaine prochaine. Mais il n'y a encore rien de sûr à cet égard. Les gens qui se tiennent devant la maison où Elián est séquestré ont fêté la décision de la cour d'appel et ont exhibé une fois de plus Elián comme un trophée. Comme on peut le voir sur ces images, on l'a obligé à saluer les gens jusqu'à très tard dans la soirée.
Mais les choses ont changé. De nombreux manifestants sont apparus aujourd'hui avec ces croix que vous voyez, avec lesquelles ils semblent plutôt être à l'offensive qu'en train de prier Dieu. Ils continuent de défier les autorités.
Lázaro González. Emu de voir tous ces gens ici soutenant la cause d'Elián, très content.
« Journaliste. Et êtes-vous optimiste au sujet de ce qui va se passer ? Janet Reno dit qu'elle peut venir chercher l'enfant.
« Lázaro González. Janet Reno dit une chose et Dieu en dit une autre. T'inquiète pas. »
Esther Barroso. Les meneurs anticubains ont presque campé ici, et bien que certains médias aient fait état de manifestations de violence et de trouble de l'ordre public, des personnages aussi peu crédibles que Ninoska Pérez le nient.
« Ninoska Pérez. Bien que certains médias dénaturent les faits, il s'agit d'une communauté pacifique qui, comme tu l'as dit, est unie dans la prière pour que cet enfant ait sa journée à la cour. »
Esther Barroso. Tentant de donner une image de conciliateurs, les avocats de la famille mafieuse ont dit une fois de plus que Lázaro est prêt à une réunion familiale avec Juan Miguel, à laquelle l'enfant assisterait. Mais on note toujours des attitudes défiantes, offensives et absurdes.
« Avocat. La famille González continue de demander une réunion familiale. Bien mieux, que je sache, Lázaro a invité aujourd'hui Juan Miguel à venir ici, dimanche, pour fêter Pâques ensemble, manger avec sa famille et manger avec son fils ».
« ________. Il n'existe aucune garantie que si nous allons là-bas, on nous ouvrira les portes. Lázaro González a dit qu'il ne se rendra jamais, qu'il ne trahira jamais, qu'il ne rendra jamais Elián González sous aucun prétexte, et sans se battre. L'idée qu'enlever l'enfant de ce milieu et le remettre en contact avec son père avec qui il a vécu pendant six ans peut le troubler n'a pas de sens. Le mieux pour l'enfant est de le rendre sans délai sous la garde de son père. »
Esther Barroso. Les chaînes de télévision ont aussi fait connaître le texte de la décision des trois juges d'Atlanta. Des experts estiment que ce groupe de juges penchent en faveur de la famille lointaine de Miami, au sens qu'Elián doit avoir sa fameuse journée à la cour et sa demande d'asile politique.
« _________. Pour parler, on parlera, mais quel poids supérieur à l'opinion du père cela peut-il avoir ? »
« _________. Vous devez prouver qu'il sera probablement persécuté pour ses opinions politiques si vous l'envoyez à Cuba. Quelles opinions politiques peut avoir un enfant de six ans ? Les enfants n'ont pas la maturité, n'ont pas l'expérience suffisantes de la vie pour prendre une décision d'un tel poids par rapport à leur vie. »
Esther Barroso. Le vice-président Albert Gore, qui a quasiment servi de porte-parole de la Fondation nationale cubano-américaine, en désaccord avec son propre gouvernement et mendiant les votes de la Floride, est partisan de séparer le père de son enfant.
« Albert Gore. L'opinion du père est déterminante, normalement, dans ces cas, mais ce n'est pas toujours ainsi. Et si vous pensez à ce qui est le mieux pour l'enfant, alors il y a parfois d'autres facteurs qui entrent en jeu. »
Esther Barroso. Le psychiatre Jerry Wiener, l'un des trois spécialistes qui sont intervenus dans ce cas au nom du gouvernement nord-américain, balaie les arguments de Gore et des ravisseurs.
« Jerry Wiener. Je ne crois pas que le danger en ce sens soit imminent. Non, il est réel, réel et prolongé. Le danger, c'est qu'un énorme stress psychologique pèse sur cet enfant, attrapé au milieu d'une bataille qui a plus à voir avec des facteurs politiques et idéologiques qu'avec ses meilleurs intérêts. Voilà pourquoi je pense que le mineur doit être confié de nouveau à la garde de son père qui l'a élevé toute sa vie, avec qui il a vécu et a des rapports très étroits. Il faut rendre l'enfant à son père le plus tôt possible.
« Je ne comprends que ces gens puissent faire une chose pareille, filmer un vidéo d'un enfant de six ans et le passer ensuite à la télévision de la façon dont ils l'ont fait, et dire ensuite qu'ils cherchent le meilleur pour Elián ! »
Carmen Rosa Báez. Pour sa part, notre section d'intérêts de Washington nous a fait parvenir le rapport No. 165.
La révérende Joan Campbell, interviewée par ABC, a réitéré ses positions bien connues en faveur du retour d'Elián, et García Pedrosa, avocat de Lázaro González, a été vertement mis en cause, sur CBS, par Brian Gambed, le présentateur du programme, qui a critiqué les ravisseurs de Miami de ne pas accepter le transfert du droit de garde d'Elián et de ne pas coopérer, et qui a refusé toute crédibilité aux propositions de Lázaro González.
Réagissant aux déclarations d'hier, les avocats des ravisseurs ont réitéré leur proposition d'enfermer Juan Miguel, Elián et les ravisseurs pendant trente jours à un endroit de la Floride, tout en faisant une évaluation psychologique de l'enfant.
Des sources de Miami indiquent les principaux meneurs de la Fondation nationale cubano-américaine se trouvent derrière cette proposition qu'ils présentent à des fonctionnaires du département de la Justice.
Nous continuons de recevoir ici des lettres, des coups de fil, des courriers électroniques et des télécopies de partout aux USA et au Canada se solidarisant avec Juan Miguel et le soutenant. Nous avons reçu aujourd'hui la visite de voisins de notre Section pour témoigner de leur soutien a Juan Miguel.
Le rapport No. 166 affirme ce qui suit :
CNN a informé à midi qu'il n'existait pas de divergences entre Janet Reno et le président Clinton au sujet des prochaines mesures à prendre pour rendre Elián à son père. Selon elle, des fonctionnaires de l'ordre s'étaient rendus à Miami pour étudier la situation sur le terrain.
Le porte-parole de la Maison-Blanche, Joe Lockhart, a parlé de la frustration croissante du gouvernement devant l'attitude des ravisseurs.
Selon The Washington Post, Janet Reno a décidé d'enlever Elián aux ravisseurs et a donné des instructions à des fonctionnaires fédéraux pour qu'ils déterminent le moment le plus propice, compte tenu de différentes variables, depuis la circulation à Miami jusqu'aux conditions météorologiques. La principale inquiétude de Reno est la sécurité de l'enfant et de ceux qui réaliseront l'opération. Le journal indique que l'attorney general a censément pris sa décision après les déclarations de Clinton hier, et que les prises de position de ce dernier ont fait suite à la déclaration publique de Juan Miguel demandant de l'aider à retrouver son enfant. L'article fait référence à une lettre envoyée mercredi par l'avocat de Juan Miguel à Reno, où il réitère que les ravisseurs se sont opposés à tous les efforts pour un transfert pacifique d'Elián à son père et qu'il n'y avait plus aucune raison d'attendre une coopération de leur part et de perdre du temps à ces efforts.
J'ai aussi devant moi un résumé de la conversation soutenue entre Juan Miguel et Elián le 20 avril au soir :
L'appel a eu lieu vers sept heures du soir. Juan Miguel s'est inquiété pour la santé d'Elián, qui est enrhumé.
Au début, ils ont du mal à se comprendre, parce que des enfants parlent autour de lui et que celui-ci entend mal. Il leur dit de se taire et il semble qu'ils s'en vont.
Juan Miguel, rappelant des choses de Cuba, lui raconte qu'il a parlé aux grands-mères qui lui font savoir que les chiots ont grandi. Il lui demande s'il se souvient de leurs noms. Il répond tout d'abord que non, mais aussitôt il les lui dit.
Ils soutiennent un dialogue au sujet d'Hianny qu'Elián appelle plusieurs fois avec beaucoup d'affection : mon frérot Hianny.
Quand Juan Miguel lui demande s'il a envie de le voir, lui et son frère, il répond oui très vite.
Nersy parle aussi à Elián, et quand celle-ci lui dit qu'Hianny est très remuant et dort peu, Elian lui répond que lui aussi s'est levé tôt et qu'il est éveillé la nuit, un peu pour s'égaler à Hianny.
Quand Juan Miguel lui demande s'il a envie de porter son petit frère, il répond oui, et on entend des voix qui l'interrompent, et Elián leur crie plusieurs fois : « Laissez-moi tranquille ! »
Juan Miguel rappelle des anecdotes de l'époque où ils étaient ensemble, et Elián se rappelle effectivement de ces jeux entre eux. On écoute des cris de gens, et quand Juan Miguel le lui demande, Elián dit que ça se passe dehors. Quand Juan Miguel lui demande ce que crient ces gens, Elián baisse nettement la voix comme pour qu'on ne l'entende pas et dit : « Que je ne pars pas. » Juan Miguel lui dit de ne pas se tracasser, et Elián, parlant toujours dans un murmure à peine audible, lui parle des gens qui disent qu'il ne partira pas.
Juan Miguel se rend compte qu'il y a quelqu'un près de l'enfant et lui fait ses adieux, en lui disant de ne pas se tracasser, qu'ils seront bientôt ensemble.
J'ai aussi une dépêche de l'AP :
L'attorney general, Janet Reno, a eu une réunion aujourd'hui avec le père d'Elián González, mais a refusé de s'engager à un type d'action particulier ou de fixer un chronogramme pour enlever l'enfant de chez ses parents éloignés de Miami.
La réunion, qui s'est tenu au département de la Justice, a duré un quart d'heure, et Juan Miguel González et son avocat ont refusé de faire des commentaires. Reno a toutefois donné une déclaration écrite où elle affirme ne pas pouvoir s'engager à une action déterminée ni à une date fixe. Reno a affirmé que le père, qui veut ramener son enfant à Cuba, avait manifesté une profonde inquiétude et demandé de retrouver son enfant au plus tôt, que celui-ci avait passé cinq mois depuis qu'il avait survécu à un naufrage près des côtes de la Floride au cours duquel sa mère était morte.
« L'amour évident de M. González pour son fils m'a profondément émue - a dit Reno. Je l'ai assuré que je continuerai de travailler en vue de lui faire retrouver son enfant. Je tâche d'arranger ça, a dit Reno aux journalistes. J'explore toutes les possibilités pour que ça se fasse d'une façon pacifique, prompte et adéquate. »
Quand on lui a demandé si elle se disposait à ordonner aux autorités de la police d'enlever l'enfant de la maison de Miami, elle a répondu : « Si j'allais faire quelque chose de ce genre, je ne vous le dirai pas, bien entendu. »
A la Maison-Blanche, le porte-parole Joe Lockhardt a affirmé que la remise de l'enfant à son père devait se faire d'une façon rapide et ordonnée. Il a ajouté que de nombreux appels favorables à la réunion du père et de l'enfant étaient arrivés sur la ligne des commentaires de la Maison-Blanche.
Dans son rapport No. 167, notre Section d'intérêts de Washington
affirme :
À 14 h 30, le correspondant de la CNN au département de la Justice a informé qu'une brève réunion venait de conclure entre l'attorney general Janet Reno et Juan Miguel González. Il a ajouté que le père d'Elián lui avait réitéré son désir de retrouver son fils au plus tôt.
[Le rapport se réfère ensuite à la dépêche que je vous ai lue.]
De 14 h 15 à 14 h 35 environ, six contre-révolutionnaires sont apparus sur le trottoir de la Section d'intérêts filmant avec un caméscope tous ceux qui entraient et sortaient, notamment les fonctionnaires, dans une attitude carrément provocante. Le service secret a été alerté.
Des membres du Congrès favorables au retour d'Elián ont téléphoné à la Section pour nous faire part de la vaste répercussion que les déclarations de Juan Miguel hier ont eues parmi leurs électeurs. Ils ont ajouté avoir reçu de nombreux appels dans leurs bureaux de district respectifs.
Le sénateur Patrick Leahy a déclaré avoir été satisfait par les prises de position du président Clinton selon lesquelles Elián devait être rendu à son père. Il a signalé que si une action était en marche pour atteindre cet objectif, il se sentait satisfait, et que si l'attorney general n'avait pas encore pris une décision dans ce sens, alors il lui demandait de le faire.
El Nuevo Herald signale aujourd'hui que, stimulés par la décision de la cour d'appel d'Atlanta, les avocats des ravisseurs ont pris contact avec un médiateur éventuel qui aiderait à régler le cas d'Elián et que cette personne était en train de négocier avec des représentants du département de la Justice. Des spécialistes en questions légales ont signalé, selon El Nuevo Herald, n'avoir jamais entendu parler de médiateurs dans les cas d'immigration.
Des sources de Miami informent ce qui suit :
« Des rumeurs courent au sujet de réunions entre la police fédérale et les autorités de la ville pour discuter des détails d'une opération conjointe au sujet d'Elián, dont le contrôle de la circulation et la neutralisation de troubles, entre autres. Le ministère de la justice local y participe.
« Selon des informations non confirmées, la police de Miami a perquisitionné les maisons voisines de celles des ravisseurs à la recherche d'armes et d'explosifs que des contre-révolutionnaires pourraient occulter en vue de s'opposer à toute tentative de récupérer Elián.
« Des cadres de la Fondation nationale cubano-américaine font des démarches urgentes pour louer une maison en banlieue où Juan Miguel, Elián et les ravisseurs s'installeraient censément, dans une ambiance de paix et de tranquillité qui leur permettrait de parvenir à un accord sur l'avenir d'Elián. Il n'est pas confirmé que la religieuse O'Laughlin y participerait.
« Selon des informations non confirmées, un scandale a éclaté récemment quand la femme de Jorge Mas Santos a appris les rapports de celui-ci avec Marisleisys, si bien que le chef contre-révolutionnaire s'est retiré momentanément du devant de la scène. La source ajoute que la prétendue relation de la fille de Lázaro avec un gorille de Mas n'a été qu'un rideau de fumée lancé pour occulter le scandale.
La radio contre-révolutionnaire La Poderosa exhorte la communauté à passer des coups de fil à la cour d'appel d'Atlanta pour qu'Elián reste aux Etats-Unis. Elle a aussi convoqué à une manifestation, à 16 h, aux alentours de la maison des ravisseurs.
El Miami Herald écrit aujourd'hui que le maire Joe Carollo est toujours plus critiqué par la communauté à cause de son opportunisme notoire et de sa campagne anticubaine qui visent à obtenir à tout prix le soutien de vastes secteurs qui avaient soutenu avant son rival Xavier Suárez. Les critiques indiquent que les attaques contre Carollo ne représentent que le dernier chapitre d'une longue carrière de démagogie anticubaine. Selon le journal, Carollo se plaint que la télévision cubaine ait montré des vues de lui et qu'elle ait critiqué sa récente campagne contre notre pays. »
On ne sait pas ce que ces gens-là vont critiquer ou ne pas critiquer : si on n'en parle pas, ils critiquent, et si on en parle, ils critiquent aussi. Voici maintenant le rapport No. 168 de notre Section d'intérêts :
Selon le journal Sun Sentinel, plusieurs anciens membres des forces armées nord-américaines ont déclaré qu'ils restaient près de la maison des ravisseurs et qu'ils étaient prêts à sacrifier leur vie pour éviter le retour d'Elián à Cuba, même s'il leur faut pour cela faire face aux agents fédéraux quand ceux-ci viendront récupérer l'enfant. Selon l'article, ces personnes font l'objet d'une surveillance, car il existe des dénonciations qu'ils ont caché des armes alentour.
James Rubin, porte-parole du département d'Etat, a dit que celui-ci continuait d'analyser les demandes de visa pour le groupe de soutien qui participerait aux USA à la réadaptation d'Elián, une fois l'enfant rendu à son père. Il a ajouté ne pas vouloir spéculer sur ce qui se passerait dans les prochains jours, que le département d'Etat continuerait de réviser la question et qu'il tiendrait compte de tout nouveau facteur éventuel.
Selon un article du Miami Herald, et d'après l'avocate des parents éloigné de Miami, Lynne Gold Bilin, 98 p. 100 des avocats ayant participé à une réunion récente de l'Académie américaine des avocats de conflits matrimoniaux sont d'accord pour que l'enfant soit rendu à son père.
Des membres de l'Alliance pour une politique sensée envers Cuba considèrent comme très positives les déclarations de Juan Miguel hier demandant de l'aide pour retrouver son enfant.
Joe Lockhart, porte-parole de la Maison-Blanche, a indiqué que celle-ci avait reçu une quantité considérable d'appels téléphoniques pour qu'Elián soit rendu à son père.
Nous avons aussi reçu ici de nombreux coups de fil de personnes soutenant une opération éventuelle du département de la Justice pour enlever Elián de la maison où il est séquestré et le rendre à son père. Elles estiment qu'après l'appel de Juan Miguel hier, la situation est plus favorable que jamais car plus de 70 p. 100 des Nord-Américains sont pour les retrouvailles père-fils.
Je vous invite maintenant à écouter les dernières informations que donnent les dépêches de presse. A toi, Grisel.
Grisel Pérez. Oui, on ne parle plus d'un seul intermédiaire, mais de plusieurs. Voilà ce qu'informe l'AP depuis Washington :
La secrétaire de la Justice, Janet Reno, a travaillé aujourd'hui avec des intermédiaires en vue d'un accord éventuel qui permettrait le transfert immédiat du droit de garde d'Elián de ses parents de Miami à son père, selon ce qu'a déclaré un porte-parole de ce département.
Les parties continuent de travailler aux détails d'un accord, a dit la porte-parole Carole Florman. Le plan n'a pas encore été soumis à Juan Miguel. Florman n'a pas identifié les intermédiaires, se bornant à dire qu'il s'agit de membres de la communauté de Miami qui étaient en contact avec le grand-oncle Lázaro González et sa famille qui ont défié l'ordre de Reno de rendre l'enfant. Mais Florman n'a pas dit si ceux-ci avaient accepté de rendre aussitôt l'enfant à son père. Les autorités de la Justice sont prêtes à admettre un médiateur à condition que les deux parties l'acceptent, mais uniquement pour discuter de la façon dont l'enfant sera rendu à son père, et non s'il doit l'être.
On parle donc d'intermédiaire au pluriel. On ne sait pas de qui il s'agit, de quelle faction de Miami ils sont, quoiqu'on suppose - ce sont des spéculations, mais c'est possible - qu'ils font partie de la bande de Lázaro.
Entre temps, la chaîne de télévision ABC informe depuis Washington que les intermédiaires sont de la communauté de Miami, qu'ils discutent avec la famille et Janet Reno, que la condition de l'attorney general est qu'ils rendent immédiatement l'enfant à Juan Miguel et que Reno a laissé peu de marge de négociations. « Ils n'ont que quelques heures », a-t-elle dit. « Il est probable que Juan Miguel n'acceptera pas l'accord en cours de négociation et il insiste pour que le département de la Justice envoie des forces fédérales pour retirer l'enfant de la maison. Indépendamment du fait que de nombreuses personnes ont dit qu'il est peu probable que le gouvernement agisse dans les journées restantes de la Semaine sainte, il n'en reste pas moins que plusieurs fonctionnaires de la Maison-Blanche travaillent à plein temps sur ce plan. »
Selon un autre correspondant de l'ABC, Ron Claybor - l'autre était Linda Douglas « des sources de la police de Miami ont dit à l'ABC que celle-ci avait vingt-cinq policiers autour de la maison, un renfort de soixante-dix dans les environs, et une réserve de cinq cents prêts à entrer en action en cas de besoin. La police de Miami a établi deux périmètres de sécurité : le premier, autour de la maison, et l'autre, autour de l'îlot. La famille a demandé que, quand la police fédérale entrera, une équipe de télévision puisse se trouver à l'intérieur pour pouvoir filmer son comportement. »
J'ai aussi d'autres données. Les enquêtes signalent que la couverture télévisuelle du cas Elián a battu tous les records, dépassant celle de la mort de la princesse Diana et celle de la mort du fils de John Kennedy. Les trois principales chaînes, l'ABC, la CBS et la NBC, lui ont consacré 261 services jusqu'au 13 avril, contre seulement 200 à Diana et 161 au fils de Kennedy. The New York Post a publié une caricature sur l'attention obsessionnelle à ce cas, où on voit des gens jetant par la fenêtre les téléviseurs parlant d'Elián. Et pourtant, on sait que plus de sept mille personnes ont téléphoné au département de la Justice pour soutenir fermement la réunion du père et de l'enfant et que les deux tiers de la population nord-américaine sont d'accord.
Carmen Rosa Báez. Cinq mois plus tard, le moment des retrouvailles de Juan Miguel et de son fils semble enfin plus proche que jamais. Nous espérons que cela se fera. Et ce souhait n'est pas seulement le nôtre, il est aussi celui de très nombreux pères aux Etats-Unis et ailleurs.
Chers téléspectateurs, nous avons partagé avec vous, pendant presque trois heures et quart, de nombreuses informations sur ce qui se passe au jour le jour dans cette Europe si à lenvers qui nous condamne et qui nous tend un miroir pour que nous puissions nous y voir reflétés sous le maquillage de sa démocratie, de ses droits de l'homme, de son nouveau concept stratégique, qu'elle considère meilleurs. Nous nous sommes efforcés de mieux connaître ceux qui nous condamnent, parce que nous voulons ressembler à nous-mêmes, et non nous retrouver affublés des cosmétiques qu'ils veulent nous imposer, parce que nous voulons faire les choses de la manière que nous estimons la meilleure pour notre pays et dont le décide la majorité d'un peuple dont plus de cent mille membres ont défilé devant l'ambassade tchèque voilà quelque jours et dont un grand nombre s'est réuni, au nom des onze millions de Cubains, devant la Section d'intérêts des USA, à la Tribune ouverte anti-impérialiste José Martí.
Aujourd'hui, nous avons voulu faire une pause pour parler de droits de l'homme et nous avons aussi parlé du droit d'un père à être avec son enfant.
La bataille se poursuivra. Nous pouvons compter sur nos intervenants, mais nous pouvons aussi compter sur un peuple entier qui continuera cette bataille. Demain, la tribune ouverte se tiendra à la sucrerie Australie, dans la province de Matanzas, à 17 heures. Et après-demain, dimanche, autre table ronde d'information ici, à la même heures.
Je vous remercie de votre attention.