Table ronde « Quelle est la vraie démocratie ? », studios de la Télévision cubaine, le 28 mai 2002

Randy Alonso. Bonjour, chers auditeurs et téléspectateurs.

Dans son discours du 20 mai à Miami, le président nord-américain, George W. Bush, a eu le culot et l’impudeur de parler de démocratie, d’élections libres et justes, de transparence et d’observateurs internationaux, qui sont les conditions qu’il impose à Cuba, passant sous silence le scandale électoral de 2000 en Floride et méconnaissant le système démocratique que les Cubains se sont donnés.

Aussi avons-nous organisé une table ronde intitulée « Quelle est la vraie démocratie ? », à laquelle participent José Luis Toledo, doyen de la faculté de droit de l’Université de La Havane et président de la commission des questions juridiques de notre Assemblée nationale ; Rogelio Polanco, directeur du journal Juventud Rebelde ; Reinaldo Taladrid, journaliste du Système informatif de la télévision cubaine ; Francisca López Civeira, professeur d’histoire de l’Université de La Havane et docteur en histoire ; Miguel Alvarez, conseil du président de l’Assemblée nationale du pouvoir populaire ; Lázaro Barrredo et Renato Recio, journalistes de Trabajadores ; et Arnaldo Silva, professeur titulaire d’histoire de l’Université de La Havane.

Nos invités sont des membres du ministère de l’Économie et de la Planification, et de son Institut d’aménagement du territoire, du ministère des Finances et du ministère de l’Intérieur de la province de Pinar del Río.

(Video sur le thème.)

Quand le président Bush, le 20 mai, exigeait du gouvernement cubain qu’il organise des élections libres, transparentes, sans fraude, rien moins qu’à Miami, nous nous sommes tous rappelés les élections et les suffrages « démocratiques » qui avaient cours à Cub entre le 20 mai 1902 et le 1er janvier 1959. Je propose au professeur Francisca López de nous en parler.

Francisca López. Je crois qu’il serait bon de commencer par les deux élections qui se sont déroulées sous l’occupation militaire des USA : celles de l’Assemblée constituante et les élections générales, toutes deux au suffrage restreint., et non au suffrage universel.

Eh ! bien, dès ces premières élections municipales, la presse a dénoncé un certain nombre de scandales, entre autres la nomination imposée de différents candidats, ou encore les voyages du gouverneur militaire Wood en province pour favoriser des candidats donnés. Bref, le début a été assez malheureux de la part de ce gouvernement d’occupation qui était censé nous apprendre à vivre en démocratie dans une république indépendante.

En 1901, la Constitution établit toute une série de règles, entre autres le suffrage au second degré pour l’élection du Sénat, du président et du vice-président, et le vote direct pour le reste des postes.

Quel était donc le système politique mis en place ? On s’achemine graduellement vers un système bipartite. En 1905, le Parti libéral voit le jour, puis le Parti modéré, et enfin, en 1907, le Parti conservateur se constitue. Très rapidement, on assistera à une alternance les libéraux et les conservateurs, dont la clientèle n’est pas du tout fixe, autrement dit ne repose pas sur des principes, sur une plate-forme politique, idéologique, mais sur des intérêts purement électoraux.

On voit aussi se faire en place un certain caudillisme, surtout à partir de figures surgies des guerres d’Indépendance qui attirent une clientèle politique et qui utilisent les postes publics pour favoriser celle-ci, ou encore les amis, ou alors pour s’enrichir à partir des finances publiques. Cette pratique-là est un bouillon de culture de la corruption.

C’est dans le cadre de ce système politique qu’ont lieu deux réélections frauduleuses. La première en 1906, lorsqu’un cabinet dit « de combat » impose la réélection de Tomás Estrada Palma, ce qui provoque le soulèvement des Libéraux et la seconde intervention militaire nord-américaine. La seconde en 1917, quand la réélection de Menocal provoque un nouveau soulèvement des Libéraux, connu comme « La Chambelona ».

On voit aussi apparaître une institution connue comme « la bouteille », autrement dit des postes créés par les politiciens pour favoriser leurs partisans, qui touchent le salaire afférent, mais sans travailler. Et on finit d’ailleurs par parler de « carafes », tant ce système se répand. C’est tout un symbole. Il y en a un autre, le « bouc », qui caractérise l’enrichissement illicite, les magouilles, et qui devient un thème récurrent dans la presse et surtout parmi les caricaturistes. Ça fonctionne comme uns sorte de code. Vous avez encore le « copo », qui vient d’une expression des cartes à jouer et qui veut dire occuper tous les postes électoraux. Ou le « muñidor », qui est en quelque sorte l’intrigant, ou, dans un langage plus contemporain, le magouilleur. Ou bien le jambon, qui apparaît beaucoup dans les caricatures et qui symbolise le trésor public : se coller au jambon, ça voulait dire se coller au trésor public pour s’enrichir.

Ça, ce sont les symboles. Mais il y avait aussi les hommes. Ainsi, un José Miguel Gómez, un général prestigieux qui avait participé à nos trois guerres d’Indépendance, et qui change du tout au tout quand il entre en politique, au point de cesser d’être ce général connu pour devenir le requin.

Randy Alonso. Qui disait de lui-même : « Le Requin se baigne peut-être, mais en tout cas il éclabousse. »

Francisca López. Oui, mais il est d’abord le Requin tout court. C’est quand il commence à distribuer des prébendes et des postes qu’il devient celui qui «éclabousse ».

Ou encore Menocal, qui devient le « Garde-Chiourme ». Ou Zayas, qui devient « le Chinois » ou « L’homme aux pesos ». Voilà comment le peuple symbole ses hommes politiques dans le cadre de ce système corrompu.

Un autre exemple, la réélection de Menocal en 1917, que le peuple a baptisé « le changement de bouts de chandelle », parce que les magouilleurs avaient provoqué une panne de courant au ministère de l’Intérieur, au moment du dépouillement du scrutin, si bien que celui-ci s’était fait à la lueur de bougies.

C’est la Révolution de 1930-1933 qui met fin au bipartisme. Toute une série de partis créent des alliances ou des blocs au moment des élections, basés non sur des plates-formes idéologiques ou programmatiques, mais sur de simples intérêts ponctuels.

L’exemple typique en est l’alliance du Parti authentique et du Parti républicain en 1944 et en 1948.

Le second est un parti de droite, tandis que le premier constitue un grand espoir populaire. Et tous deux s’allient pourtant à deux reprises par simple intérêt électoral.

De toute façon, bipartisme ou multipartisme, on retrouve partout la corruption, les magouilles, l’usure du pouvoir, l’achat des votes, les fraudes, l’utilisation des postes politiques à son propre profit, l’incapacité de régler les grands problèmes du pays. Ce qui finit par provoquer un essor de la conscience civile face à ce spectacle et un rejet de ce genre de système politique en crise.

Randy Alonso. En voyant l’auditoire auquel le président Bush s’adressait le 20 mai, en constatant la présence d’individus des années 50 aussi funestes que Rafael Díaz-Balart, on se rend parfaitement que le modèle démocratique et le système électoral qu’il proposait à Cuba était sans aucun doute celui que Batista avait mis en place. Comment donc se déroulaient les élections à cette époque ? Quelle continuité existait-elle avec le système mis en place à partir de l’occupation militaire nord-américaine ? Le professeur Arnaldo Silva nous en parle.

Arnaldo Silva. Les années 50 marquent les funérailles de cette démocratie bourgeoise et de son système politique sur lequel reposaient la domination impérialiste et l’exploitation capitaliste. Il faut dire, parce que c’est avéré, que ce n’est pas la Révolution qui a enterré cette démocratie, mais bel et bien la tyrannie de Batista. Tout simplement, la Révolution a eu le bon sens de l’empêcher de ressusciter.

La première chose que fait Batista en faisant son coup d’Etat du 10 mars 1952, c’est déroger la Constitution de 1940 et lui substituer des statuts constitutionnels qui, entre autres choses, supprimaient l’autonomie des provinces et des communes, ce qui lui permettait de nommer par décret les maires et les gouverneurs et de casser tous ceux qui refusaient de prêter serment de fidélité à ces statuts ou, tout simplement, auxquels la dictature ne convenait pas.

Les premières élections sous la dictature ont lieu le 1er novembre 1954 en vue, justement, de la légitimer sous l’apparence d’un gouvernement constitutionnel librement élu par le peuple. C’étaient des élections pluripartites : quatre partis regroupés dans la Coalition progressiste nationale, à savoir le parti Action progressiste, dirigé par Batista en personne et composé de libéraux, de conservateurs et de républicains le soutenant le dictateur comme président. De son côté, Grau San Martín présentait le Parti révolutionnaire cubain (authentique), à la grande colère de Prío, de Tony Varona, d’Aureliano et d’autres vieilles figures du Parti authentique dont il venait d’être expulsé quelque temps auparavant. Cinq partis, donc, et deux candidats.

Mais les magouilles étaient si scandaleuses que Grau avait demandé au Conseil électoral national d’ajourner les élections, ce qu’elle avait refusé de faire sous la pression de Batista. Alors, Grau retire sa candidature la veille des élections, le 31 octobre, si bien qu’il ne reste plus qu’un candidat. Bien entendu, Batista a remporté ces élections, devant, censément, un président élu démocratiquement dans le cadre d’élections libres et pluripartites !

Les secondes élections se déroulent dans un contexte tout à fait différent, le 3 novembre 1958, quand la victoire des forces révolutionnaires rebelles est imminente et inévitable. Et le nombre d’abstention est impressionnant : le peuple se fichait pas mal de ces élections ; le peuple aspirait à cette victoire des armes rebelles conduites par Fidel Castro.

De toute façon, ce sont sept partis qui se présentent et quatre candidats : la Coalition progressiste nationale, déjà nommée, comprenant les mêmes partis, présente Andrés Rivero Agüero, qui agit comme homme de paille de Batista, pour prolonger le « batistat » sans Batista.

Grau est là de nouveau, à la tête du Parti révolutionnaire cubain. Un autre homme de paille de Batista, Alberto Salas Amaro, conduit, lui, le parti Union cubaine ; tandis que Carlos Márquez Sterling, qui s’était séparé des années avant du Parti orthodoxe, avait fondé le Parti du peuple libre  Quatre candidats, sept partis. Et le vainqueur est bien entendu le candidat officiel, Rivero Agüero.

Comment se sont déroulés ces élections ? Je vais me baser sur des sources absolument « irréprochables », que personne ne pourrait qualifier de communistes…

Voyons ce qu’écrit ensuite l’ambassadeur nord-américain, Earl Smith, dans son livre Le quatrième étage, très intéressant pour comprendre les relations entre les USA et Batista à l’époque. Smith écrit donc : « La dernière erreur de Batista a été de manquer à la parole solennelle qu’il m’avait donnée de faire des élections libres et ouvertes, acceptables pour le peuple. Si le candidat choisi par lui avait perdu et si les élections avaient été acceptables pour le peuple, une solution pacifique aurait été encore possible. Le résultat des élections lui firent perdre tout ce qu’il lui restait de partisans. Le peuple était alors tout à fait déçu et en désaccord. Il avait attendu jusqu’au bout, cherchant une solution par les élections à la violence et à la guerre civile. Si Márquez Sterling avait gagné ces élections, il aurait détourné Castro de son dessein avéré de démonter la Cuba de Batista. »

Le candidat des USA était donc Márquez Sterling. Selon les USA, les élections devaient être une sorte de baguette magique : Márquez gagne et on revient au 9 mars 1952 ! Plus de dictateur, plus de dictature, et donc plus de raison de poursuivre la guerre révolutionnaire !

Voyons maintenant ce que dit un des plus hauts fonctionnaires du gouvernement de Batista, Jorge García Montes, dans un livre publié en 1971 et intitulé Historia del Partido Comunista de Cuba. Il se réfère au Parti socialiste populaire. García Montes avait même été Premier ministre à partir de 24 février 1955. Que pense-t-il des élections de 1954 : « Le gouvernement donna malgré tout des preuves qu’il était résolu à gagner les élections coûte que coûte. Grau demanda alors l’ajournement des élections, le Tribunal supérieur électoral refusa et il décida alors de se retirer, si bien que le gouvernement gagna sans mal. Le résultat des élections découragea de nombreux partisans de la thèse électoraliste, et des membres du gouvernement firent même savoir leur irritation devant certaines fraudes commises sans raison dans le seul but de favoriser des candidats soutenus par les hauts gradés. »

Il écrit des élections de 1958 : « Les élections se déroulèrent dans un climat de violentes passions. Le gouvernement, résolu à gagner, ne lésina devant rien. Le suffrage électoral fut canalisé par le pucherazo : le gouvernement l’emporta à la suite d’une volonté absurde d’élever coûte que coûte le nombre d’électeurs. Une série de candidats frivoles furent élus, de ceux qui vivaient dans le meilleur des mondes et ne savaient même pas prononcer un mot en public. »

L’auteur, je le répète, était un très haut fonctionnaire du gouvernement.

Voilà donc les élections « démocratiques », « libres », « pluripartites », « à multicandidature » que nous propose Bush et qui sont d’ailleurs contenues dans la fameuse Loi Helms-Burton, au chapitre II, section 205, intitulée : « Conditions requises et facteurs déterminant de l’existence d’un gouvernement de transition. » De transition au capitalisme dépendant et néo-colonial, bien entendu. Que dit donc cette section relative à la mise en place du système politique qui devra régner après le renversement de la Révolution ? « La présente loi entend par gouvernement de transition à Cuba un gouvernement qui aura légalisé toutes les activités politiques, aura exprimé publiquement son engagement d’organiser des élections libres et justes en vue d’un nouveau gouvernement, avec la participation de multiples partis politiques indépendants. »

La section 296, intitulée « Conditions requises déterminant l’existence d’un gouvernement élu démocratiquement », affirme : « Qu’il émane d’élections libres et impartiales, où tous les partis auront eu le temps suffisant de se préparer et de mener leurs campagnes électorales par voie de médias. »

Voilà donc les élections que réclame Bush dans son discours de Miami du 20 mai.

Randy Alonso. Le pucherazo, autrement dit la fraude, le vol de bulletins, les recruteurs politiques, selon le modèle démocratique à la Bush.

Qui a aussi affirmé à Miami : « Je défie le gouvernement de faire de ces élections des élections libres et justes. »

Dans quelle mesure les élections et le système de participation démocratique aux USA sont-ils libres et justes ? Miguel Alvarez nous le dit.

Miguel Alvarez. Comme les USA se targuent d’être un modèle qu’ils prétendent appliquer à l’échelle universelle, je vais faire un peu l’histoire du suffrage universel et du droit de vote dans ce pays.

Dans les cinquante premières années de cette République, à partir de la naissance de la nation, seulement les Blancs possédant des biens pouvaient voter. Après la guerre de Sécession, l’amendement 15 à la Constitution reconnaissait en théorie le droit de vote aux Noirs : n’empêche que dix-huit des vingt-cinq Etats du Nord, ceux justement qui s’opposaient à l’esclavage et étaient sortis vainqueurs de la guerre, ne permettaient même pas aux Noirs de s’approcher des urnes.

A l’époque où les USA, durant l’occupation militaire de Cuba, voulaient nous apprendre à « être démocratiques », chez eux, les femmes n’avaient toujours pas le droit de vote, puisqu’elles ne l’ont obtenue qu’en 1920. Quant aux Noirs des Etats du Sud, ils ne pouvaient toujours pas voter : ce n’est qu’en 1965 que la loi du droit de vote leur accorde le droit de vote en théorie ! En théorie, parce que dans les faits ça n’a pas encore toujours réglé. A l’époque, d’ailleurs, le droit de vote était encore soumis à un impôt, en vue, précisément, de priver ces secteurs pauvres de ce droit. Ce n’est qu’en 1970 qu’un amendement élimine les tests d’analphabétisme et que l’âge électoral est fixé à dix-huit ans.

Voilà en gros l’histoire du droit électoral aux USA en deux cents ans, qui se caractérise par la lutte des secteurs populaires pour conquérir certains droits dans ce domaine, et c’est encore loin d’être acquis.

En fait, donc, il existe sur ce point toute une série de mythes qu’il faut analyser.

Par exemple, le mythe de l’élection populaire. Tout le monde sait – et l’exemple de la Floride que nous analyserons sûrement le prouve bien – que le président aux USA n’est pas élu par la population, mais par un collège électoral, si bien qu’un candidat qui n’a pas obtenu la majorité du vote populaire peut néanmoins être élu président.

Autre mythe : celui du pluripartisme. Mais deux partis, est-ce vraiment un exemple de pluripartisme ! D’autant qu’il ne s’agit en fait que d’un seul, celui des grandes sociétés qui exercent leur souveraineté sur l’individu aux USA. Vous avez donc une pyramide, à la base de laquelle on trouve plus de 80 p. 100 des citoyens qui ne verse pas un centime pour ces élections, tandis qu’au sommet, 1 p. 100, qui représente ces sociétés, contribue à coups de millions de dollars aux campagnes électorales. On calcule qu’il s’agit d’environ 253 000 personnes qui contrôlent en réalité le pays.

Prenons un exemple. Celui d’Enron, la fameuse société qui vient de faire faillite. Elle versait de l’argent à 71 des cent sénateurs des Etats-Unis et à 186 représentants de la Chambre, soit 43 p. 100 du total ! L’audit de cette société allait encore plus loin, puisqu’il versait de l’argent à 94 des 100 sénateurs et à plus de la moitié des représentants ! C’est là un exemple vraiment éloquent.

J’en prends un autre. Celui de l’industrie du tabac qui a versé, de 1987 à 1997, de trente à trente-huit millions de dollars pour les campagnes électorales. Résultat : en 1997, un amendement anonyme, d’une seule phrase de quarante-six mots, a accordé à l’industrie du tabac des exemptions se chiffrant à cinquante milliards de dollars !

Randy Alonso. Un investissement très rentable.

Miguel Alvarez. Assurément : tu débourses une trentaine de millions de dollars pour les candidats et tu récupères ensuite par la bande des sommes bien plus importantes.

Maintenant, un autre exemple plus « tropical », le cas des frères Fanjul Gómez Mena, que notre peuple connaît bien, en Floride : l’un, Alfi, est président de la commission des finances du Parti démocrate ; l’autre, Pepe, est son homologue côté républicains. Chacun verse 250 000 dollars aux candidats présidentiels, dont ils reçoivent en échange, au profit de l’industrie sucrière totalement subventionnée, des avantages pour 64 millions de dollars, un montant que provient, bien entendu, de la poche du contribuable nord-américain.

Quand je parle d’un seul parti des grosses sociétés transnationales, ce n’est pas une image. De fait, ce sont elles qui financent les campagnes électorales et qui, en fin de compte, choisissent les candidats à la présidence.

Autre mythe : la prétendue concurrence entre candidats. Une étude du Centre de politique publique constate que, aux deux dernières élections, environ quatre-vingts candidats n’avaient pas d’adversaires et n’avaient donc pas à attendre le 7 novembre pour savoir s’ils seraient élus. Et s’ils n’ont pas d’adversaires, c’est tout simplement parce que, compte tenu de l’argent qu’ils possèdent, personne ne se risque à les contrer. Aux prochaines élections législatives de novembre, seulement une vingtaine de poste sera vraiment disputée, parce que, pour une raison ou une autre, l’élu en poste soit l’a abandonné, soit est décédé, soit ne se représente pas. Mais, dans 98 p. 100 des cas, l’élu en place est sûr d’être réélu parce que c’est lui qui touche le plus d’argent, parce qu’il possède l’appareil électoral suffisant qui lui garantit constamment la réélection.

Autre mythe : la participation. Les USA comptent environ 186 millions d’électeurs, dont seulement 130 millions se sont inscrits sur les listes électorales aux dernières élections, tandis que 56 millions, tout simplement, ne l’ont pas fait, parce que cela implique toute une série de démarches qui prennent du temps.

Randy Alonso. Il faut bien souvent le faire pendant les journées ouvrables, et parfois les entreprises ne laissent pas le temps à leurs employés de le faire.

Miguel Alvarez. Ça, c’est dans le cas de ceux qui ont un emploi. Mais il existe bon nombre de chômeurs, ou tout simplement des gens qui ne croient pas à ce système politique et ne s’inscrivent pas sur les listes électorales.

Donc, 56 millions de non-inscrits. A quoi il faut ajouter 19 millions d’inscrits qui ne sont pas allés voter. Soit un total de 75 millions d’électeurs potentiels qui ne votent pas. Ajoute encore 5 millions qui ont voté, eux, mais dont le bulletin s’est perdu, ou qui ont été rayés ensuite des listes électorales ou dont le bulletin n’a pas été compté. Soit un total de 80 millions de personnes qui ne votent pas. Ça, c’est un aspect du problème.

L’autre, c’est celui des gens qui ont voulu voter et qui n’ont pas pu le faire. J’ai devant moi un rapport dans lequel la commission des droits civils nord-américaine analyse justement les dernières élections en Floride et parle des Noirs qui n’ont pas pu voter pour avoir été rayés des listes électorales, ou pour ne pas avoir eu accès aux urnes parce qu’on les empêchait de passer, ou pour n’avoir pas voté selon les normes.

Les Noirs représentent seulement 11 p. 100 des électeurs en Floride, mais ils ont constitué 54 p. 100 des bulletins annulés. Cela illustre parfaitement ce que je disais au début au sujet du vote des Noirs aux USA : c’est un problème qui est loin d’être réglé.

Mais ce n’est pas tout : l’abstention touche environ la moitié des électeurs. Qu’est-ce que ça veut dire ? Que Clinton, par exemple, a obtenu moins de 49 p. 100 des voix des électeurs ayant voté, soit 24,1 p. 100 au total des électeurs potentiels.

Je n’ai pas pris l’exemple de Bush, parce que tout le monde sait que Bush a été élu en fait à une voix de différence, autrement dit le vote de 5 contre 4 de la Cour suprême.

Je crois que je pourrais continuer d’énumérer un certain nombre de mythes, mais je pense que ceux-là suffisent : participation, concurrence, abstentionnisme, prétendu vote populaire. Ça indique en tout cas les énormes problèmes que connaît ce système électoral. Ça prouve aussi que le grand électeur est en fait l’argent, qui exerce ce droit bien plus fréquemment.

En ce moment même, sous prétexte de lutte antiterroriste, les autorités mettent en place tout un système de surveillance des citoyens, de suivi du déplacement des personnes, d’arrestation d’émigrés sans mandat d’arrêt, tous facteurs qui viennent compliquer l’exercice du droit de vote et qui entraînent par ailleurs un plus grand contrôle de la population des Etats-Unis.

Randy Alonso. C’est là un thème très intéressant dont la population discute beaucoup. Aujourd’hui, j’ai lu un rapport d’une organisation des droits de l’homme, absolument pas antiaméricaine, bien entendu, qui critique vertement ce contrôle exercé sur la société depuis le 11 septembre, ces violations de droits de l’homme qui portent aussi sur ce droit électoral.

Je vous propose de voir un extrait d’un document sur la façon dont la démocratie nord-américaine respecte les droits des citoyens.

Journaliste. Ce soir, « El ojo de América » explore les lieux les plus occultes de la guerre de la terreur. Le gouvernement surveille les Américains du commun. Il semble que quelque chose de plus se passe depuis le 11 septembre. Ceci menace-t-il notre intimité et la liberté d’expression ? John Black, de CBS, a suivi la question de près.

John Black. C’est là quelque chose de nouveau pour les Américains : la sécurité et la surveillance. Depuis des contrôles fouillés dans les aéroports jusqu’à l’utilisation d’Internet pour pister les citoyens, la police surveille ceux-ci de plus près que jamais. Mais quand le FBI a commencé à s’intéresser aux commentaires qu’il avait faits dans un gymnase, alors Barry Reingold a estimé que c’était un peu fort de café. Travailleur à la retraite de la compagnie de téléphone, il avait critiqué tout haut la guerre en Afghanistan. Quelques jours plus tard, il a reçu une visite inopinée.

Barry Reingold. J’ai demandé : "Qui est là ? » Ils ont répondu : « Le FBI. »

John Black. Reingold a dit que les deux policiers voulaient en savoir plus sur les commentaires qu’il avaient faits dans les vestiaires du gymnase. « Quelqu’un nous a dit que vous avez parlez de ce qui s’est passé le 11 septembre, du terrorisme, de l’Afghanistan. »

Le FBI insiste sur le fait que ses agents n’interrogent pas les personnes pour leurs opinions politiques, mais qu’ils doivent, depuis le 11 septembre, élargir leur réseau en quête de renseignements. D’où cette crainte chez les gens de voir revenir l’époque de J. Edgar Hoover où la police surveillait les citoyens en désaccord avec sa politique. Le directeur actuel du FBI, Robert Mueller, dit que ces recherches sont légales.

Robert Mueller. Si nous recevons une menace, nous interrogeons tous ceux qui peuvent nous en informer. Quand même un commentaire dans un gymnase déclenche un interrogatoire, cela veut dire que les agents déploient un vaste réseau.

John Black. Kate Rafael, une activite de Californie, qui participe souvent à des manifestations pacifistes, est restée stupéfaite quand un agent du FBI lui a téléphoné au sujet de certains musulmans.

Kate Rafael. Si leur boulot est de « chasser » des terroristes islamistes fondamentalistes, alors ils devraient savoir que ces gens-là ne fréquentent pas les juives lesbiennes de San Francisco.

John Black. Josh Thayer lui aussi a été surpris.

Josh Thayer. Participer aujourd’hui à une réunion devient stressant si la police te convoque ensuite.

John Black. L’agent voulait avoir des renseignements sur les systèmes informatiques dans les médias indépendants, sur un site web de gauche, où Thayer travaille en bénévole comme technicien. Savez-vous comme la police a eu votre nom ?

Josh Thayer. En fait, non, et c’est ça qui m’effraie le plus. On te surveille, tu le sais, comme si ce que tu faisais était clandestin.

John Black. De droite à gauche, la surveillance du gouvernement depuis le 11 septembre augmente la peur du secret privé.

Bob Barr (républicain). Dans ce domaine, ce qu’il vous reste d’intimité se réduit de plus en plus. Le gouvernement s’ingère toujours plus sur ce terrain.

John Black. Le conservateur Bob Barr a rejoint les démocrates libéraux pour soutenir la nouvelle loi de l’intimité.

J. Brown. C’est la liberté d’expression.

John Black. L’étudiante A.J. Brown pense que le gouvernement est allé trop loin quand les services secrets sont venus l’interroger sur des affiches, non au cours d’un meeting public, mais ceux qui se trouvent dans son appartement.

Randy Alonso. Voilà comment on respecte les droits des citoyens nord-américains. La grande démocratie du monde surveille constamment les Nord-Américains, même chez eux, pour ne parler des caméras qui les filment constamment, où qu’ils aillent. C’est dans ce cadre que se déroulent aussi les élections, ces élections de l’argent et des sociétés transnationales qui paient tel ou tel candidat en fonction de leurs intérêts.

Dès mars 1883, José Martí avait écrit dans le journal new-yorkais La América : « Les représentants sont d’ordinaire les serfs des entreprises colossales et opulentes qui décident pour ou contre, de leur poids énorme à l’heure du scrutin, l’élection du candidat. »

Je lisais aujourd’hui dans la rubrique « Lettres au rédacteur en chef » du journal Seattle Times deux lettres très intéressantes de deux lecteurs. Le premier écrit entre autres : « à de récentes réunions, George W. Bush a promis de maintenir l’embargo qui porte préjudice à l’économie cubaine tant que Fidel Castro n’aura pas réalisé des élections ouvertes. Or, nous constatons au même moment que le département de la Justice intente un procès à l’Etat de la Floride pour les violations du droit de vote qui auraient pu faire pencher la balance de la course à la présidence au plus jeune des Bush. Si le président est vraiment honnête quand il parle avec tant d’enthousiasme d’élections libres et justes, nous attendons avec impatience qu’il donne l’exemple. A quel moment d’un avenir proche pouvons-nous attendre qu’il invitera des observateurs internationaux à valider une fois pour toutes sa propre élection si controversée ? »

L’autre lecteur, Doug Nellis, écrit de son côté : « Un moment ! Ai-je bien entendu George W.Bush exiger que Fidel Castro organise des élections réelles, écoute les voix du peuple cubain et compte les votes ? Et il était en Floride quand il a dit ça ! Elle est bien bonne, celle-là, George ! »

Vrai, il faut avoir un sacré culot, une hypocrisie sans borne pour faire ce qu’a fait Bush le 20 mai : parler de fraude, parler de transparence, parler d’élections libres justement dans la ville où a eu lieu la fraude la plus scandaleuse des élections nord-américaines de tous les temps, à Miami même, entouré, qui plus est, des capos qui ont commis cette fraude !

Il y aurait bien des choses à dire de ces élections-là dans le cadre de cette « démocratie à l’américaine ». Rogelio Polanco nous offre ses commentaires.

Rogelio Polanco. Oui, il faut avoir un sacré culot, en effet, ou avoir du « courage » – comme Alarcón l’a dit récemment avec une fine ironie, la semaine dernière, ici-même, quand il analysait les deux discours de Bush à Washington et à Miami – pour venir parler de corde dans la maison du pendu, pour parler d’élections libres juste à l’endroit où le monde entier a été témoin de cette scandaleuse fraude électorale lors des élections présidentielles de 2000 ! C’est proprement inouï !

Je vais rappeler quelques-unes de choses qui se sont passées alors. D’abord, ces félicitations à l’avance reçues par l’un ou l’autre des candidats vainqueurs, les chaînes de télévision déclarant vainqueur l’un ou l’autre ; ensuite, ce scandale vraiment universel, ces trente-cinq jours écoulés sans qu’on sache qui était le nouveau président, au pays qui se targue d’être la Mecque de la démocratie et qui a tenté et tente constamment d’imposer ses points de vue sur ce que doit être la démocratie dans le reste du monde.

C’était une fraude, un vol, ce qui s’est passé en Floride. Souvenons-nous de ces journées de décompte des voix à n’en plus finir, des scrutateurs regardant les bulletins par transparence, ce comptage interminable, automatique ou manuel, des bulletins de vote, la cour suprême de la Floride en parlant à son tour, les bulletins devant arriver de l’étranger et qui changeaient le nombre d’électeurs pour l’un ou l’autre, les pourvois des candidats devant la cour de la Floride et la Cour suprême ; finalement, l’ingérence sans précédent de cette dernière pour annuler les décisions de nouveau décompte adoptées en Floride, et, pour couronner le tout, le verdict insolite de la Cour suprême qui accorde la présidence à Bush par un seul vote de différence, ce qui a prouvé une division idéologique énorme en son sein, quand on sait qu’elle est constituée en majorité de juges nommés par les secteurs les plus conservateurs, et mis de nouveau en cause son impartialité et sa crédibilité.

Miguel Alvarez nous a rappelé ce résumé du rapport de la Commission des droits civils des Etats-Unis, dont Alarcon a aussi parlé voilà quelques jours : cette Commission estimait justement que le plus significatif de ces élections a été la quantité de Noirs qu’on a empêchés de voter.

En Floride, il y avait 188 000 Noirs qui votaient pour la première fois. On sait que les Noirs, historiquement, votent en majorité démocrate. Alors, on leur a interdit de voter, de plusieurs façons : soit en les empêchant d’arriver aux bureaux de vote, soit en leur demandant une double identification ; soit en les ayant rayés des listes, soit en les obligeant à faire de longues queues qui duraient jusqu’après l’heure de fermeture des bureaux. Ou alors les bulletins de vote n’étaient pas suffisants à certains endroits, ou alors les urnes arrivaient en retard. Sans parler de cette fraude éhontée de bulletins dits papillons, conçus de telle manière qu’ils induisaient en erreur et que vous votiez pour le candidat que vous ne vouliez pas !

Randy Alonso. Les gens pensaient voter Gore et votaient en fait Buchanan…

Rogelio Polanco. Buchanan, le candidat du Parti de la réforme.

Dans d’autres cas, les électeurs ont reçu dans les bureaux de vote des indications qui les induisaient en erreur : par exemple, qu’il fallait faire un trou dans chaque bulletin. Si c’était un bulletin à deux volets, cela permettait d’annuler en fin de compte des votes favorables au Parti démocrate.

Il y a eu bien d’autres preuves apportées par les journaux, avec des choses similaires à celles qui se passaient à Cuba avant 1959 : des morts qui votent ; des prisonniers qui votent, ce que la loi nord-américaine interdit ; des votes par correspondance modifiés ; des urnes apparaissant à des endroits inouïs.

Tout ceci explique les coûts de ces élections en Floride, plus de six millions de dollars, avec ces dépouillements répétés du scrutin pendant trente-cinq jours.

Bien entendu, on a eu droit à des shows à la manière américaine. En révisant les journaux de l’époque, je suis tombé sur cette histoire du commissaire du conté de Palm Beach, Aronson, qui a annoncé quelques jours plus tard la vente aux enchères des machines de dépouillement du scrutin, celles qui ont provoqué les fraudes, ou plutôt celles sur lesquelles on a fait retomber la fraude, parce que celle-ci était bel et bien préparée d’avance. Selon cet Aronson, la vente aux enchères devait servir à payer les frais de ces élections. En fait, un an après, j’ai lu des nouvelles disant que ces enchères allaient se faire, mais pour pouvoir investir dans un système informatique pour les élections de 2004. Ce qui permettra sans doute de camoufler les fraudes « électroniquement » !

Cette même commissaire a aussi voulu vendre aux enchères le camion qui avait transporté les bulletins de West Palm Beach à Tallahassee, le chef-lieu de l’Etat. La valeur du camion passait soudain de 17 000 dollars à 67 000, rien que pour avoir été associé aux fraudes.

Un an après, il y avait toujours de nombreux rapports. Rappelons-nous celui qui allait être présenté autour du 11 septembre et qui a été ajournée à cause des attentats, comme tant d’autres choses ont été ajournées aux USA pour la même raison. Oui, il y avait des rapports de plusieurs organismes indépendants, de journaux…

J’en ai ici un du 12 novembre 2001, un an après, donc, préparé par le Washington Post et d’autres médias qui affirment ne pas savoir exactement qui a été le vainqueur. Selon ce rapport, si on a fait le nouveau dépouillement limité que réclamaient Gore et la Cour suprême de Floride, Bush aurait gagné dans cet Etat par 493 voix contre 225 ; mais si l’on avait fait ce même dépouillement dans tout l’Etat, alors Gore aurait gagné par 171 voix contre 60. Bref, un an après, les doutes persistaient pour des médias et des organismes indépendants.

Je me souviens de cet éditorial du Granma intitulé : « Une République bananière », qui affirmait que la seule manière de savoir qui avait gagné en Floride était de répéter les élections, du moins pour maintenircette fiction qu’il existait une certaine démocratie aux USA. Ça ne s’est pas fait, bien entendu, et le président n’a pas été élu, mais bel et bien nommé par une Cour suprême absolument dénuée de crédibilité et de légitimité.

Alors, on pourrait demander à Bush de quelles élections libres il parle pour Cuba ? De ces élections qu’il n’a pas remportées, qui lui ont permis d’accéder à la présidence au bout de trente-cinq jours de fraude éhontée ? De ces élections où un président est élu avec moins d’un quart de votants ? De ces élections où Gore remporte le vote populaire et Bush le celui des grands électeurs, un paradoxe qui explique pourquoi ce système électoral est si critiqué comme désuet, vieux jeu et surtout antidémocratique ? De ces élections libres décidées en fin de compte par des juges de la Cour suprême ? De ces élections ouvertement frauduleuses en Floride, qui auraient bel et bien exigé la présence d’observateurs internationaux ?

Je suis bien convaincu que si des choses pareilles étaient arrivées dans un pays du tiers monde, si ce pays s’était retrouvé sans président élu pendant trente-cinq jours, les Etats-Unis auraient réclamé au moins une invasion !

Randy Alonso. Ça aurait provoqué en tout cas, à coup sûr, des restrictions du Fonds monétaire international, de la Banque mondiale, comme les Etats-Unis l’imposent actuellement à Haïti… Ou bien, alors, ils auraient présenté le cas devant la Commission des droits de l’homme, comme on a pu le voir dans le cas du Zimbabwe, même si les autres pays membres ont empêché cette manœuvre des Européens et des Nord-Américains.

Rogelio Polanco. Voilà donc les élections libres que Bush réclame pour Cuba, qui sont les élections de la liberté de l’argent, des trois milliards de dollars qu’ont coûté en tout ces élections, les élections de la liberté d’abstentions, des deux partis uniques et du grand parti de l’abstention, de la liberté d’empêcher les Noirs de voter, de la liberté des fraudes électorales…

Pour conclure, je voudrais rappeler quelques phrases de ce président arrivé illégalement au pouvoir sur la démocratie et la stratégie politique : « Si nous n’y parvenons pas, nous courons le risque d’échouer », un lapalissade historique… Ou encore : « Je crois que nous sommes dans une tendance irréversible vers plus de liberté et plus de démocratie, mais ça pourrait changer. »

Randy Alonso. Je viens de recevoir par courriel un article du New York Times, avec d’autres âneries de Bush lors de sa tournée en Europe, mais nous laisserons ça pour un autre moment. Il vaut mieux rappeler ce qu’écrivait Martí le 9 mai 1884 dans The Century Magazine: « Au cœur même, il y a le vice, en vertu duquel la vie n’a pas d’autre objet sur cette terre que l’entassement de la fortune et le pouvoir de voter réside chez ceux qui n’ont pas la capacité de le faire. »

Martí parlait déjà à l’époque des élections nord-américaines. De toute façon, quand on voit comment elles se déroulent à Miami, on peut s’empêcher de se rappeler celles qui avaient lieu à Cuba avant 1959, les élections de la chambelona. Taladrid nous fait des commentaires à ce propos.

Reinaldo Taladrid. Quand Bush parlait, je me demandais ce qu’il nous recommandait : Cuba 1958 ou Miami 2000. Et je voudrais réfléchir un peu là-dessus, sur certaines caractéristiques de ces élections dans le conté de Dade et à Miami, qui contrôle toute la vie politique de ce conté.

Par exemple, les morts qui votent lors des élections municipales. Ou encore ceux du parti majoritaire, autrement dit les abstentionnistes, qui décident de rester chez eux ou d’aller à la pêche, et qui apprennent pourtant un jour qu’ils ont quand même voté en faveur du candidat… vainqueur, bien entendu.

Ce sont là des choses courantes à Miami. Ce n’est pas moi qui le dis, mais Xavier Suárez. Ce bonhomme, donc, très lié comme tous les politicards de Miami à la Fondation nationale cubano-américaine, se présente comme candidat à la mairie contre José Carollo, un autre individu bien connu, et gagne les élections. Le voilà donc maire. Mais il a dû démissionner quelque temps après pour ces deux raisons que je vous ai dites : le vote des morts et celui des abstentionnistes. Scandale, bien entendu, il démissionne, et c’est Carollo qui devient maire. Inutile de dire comment celui-ci a géré la ville !

Passons aux dernières élections qui portent à la mairie de Miami Manny Diaz, que vous connaissez bien, un des avocats des kidnappeurs d’Elián González.

Et là, on retrouve tous les ingrédients que signalait Alvarez : moins de 40 p. 100 des électeurs qui votent, encore moins que pour les présidentielles, et Manny Díaz est élu avec moins de 25 p. 100 du total de ces électeurs. Mais le plus curieux, c’est quand vous additionnez les voix de ceux qui ne sont pas allés voter, des Afro-Américains, des autres minorités latino-américaines, etc., vous constatez que cet individu a été élu maire de Miami avec le vote contre de la majorité des électeurs du conté de Dade ! Qui donc l’a élu ?

Mais ce cancer local a fait métastase au corps américain à l’échelle nationale, et on l’on retrouve tout ça aux élections législatives dans ce même conté. Cela mérite quelques explications.

Prenez par exemple la « grande méchante louve », Ileana Ros. Je ne sais pas si cette histoire du grand méchant loup intimide les autres candidats, toujours est-il qu’elle n’a jamais d’adversaire au poste de législateur… Quelle grande démocratie. En fait, ce n’est pas la peur qui joue, mais, une fois de plus, l’argent. Si vous voulez être candidat et que vous constatez que tout l’argent des potentats du conté va aux mains d’Ileana Ros, qu’est-ce que vous faites ? Emprunter ? Il est douteux que les banques vous prêtent. M’endetter ? Et si je perds ? Et vous renoncez, bien entendu. C’est un bel exemple de la façon dont l’argent fonctionne.

Le plus symptomatique, d’ailleurs, c’est que quand quelqu’un affirme qu’il va se présenter contre Ileana Ros, la réaction unanime est la suivante : « Esperons qu’il va se préoccuper des problèmes du conté, et pas uniquement de ceux de Cuba. » Et de fait, des problèmes dans le conté, il y en a. C’est la ville où le taux de pauvreté est le plus élevé selon les normes nord-américaines, une ville qui connaît des problèmes de délinquance, des problèmes dans l’enseignement – pensez un peu, Demetrio Pérez est chargé d’un des secteurs éducationnels ! – des problèmes avec les minorités latino et afro-américaines. Eh ! bien, croyez-le si vous le voulez, mais cette dame n’a jamais abordé aucun de ces problèmes dans ses discours électoraux…

Il y a un autre, Lincoln Díaz-Balart, le parfait batistien. Là encore, ce n’est pas moi qui le dis, mais la presse de là-bas. Demandez-lui donc s’il a renié Batista.

En tout cas, là, il y a une tentative. En 1998, Patrick M. Kusak, un avocat, a décidé de se présenter comme adversaire de Díaz-Balart au Congrès. Par coïncidence, j’ai pu rencontrer tout récemment des gens qui ont participé à sa campagne et qui m’ont autorisé à raconter certaines choses de la façon dont Díaz-Balart a été élu au Congrès.

Vous avez vu le problème des bulletins de vote « papillon » et tout le reste, et les gens qui ne savaient pas où ils devaient marquer. Dans les cas des élections avec Díaz-Balart, dans chaque bureau de vote il y avait des gens de son équipe, et vous savez ce qu’ils faisaient ? Quand un petit vieux, par exemple, entrait, ils lui disaient : « Ne vous tracassez pas », et sous prétexte de l’aider, c’étaient eux qui marquaient et qui votaient donc à sa place. Et ça, dans tous les bureaux de vote ! L’adversaire de Díaz-Balart, l’avocat, lui, n’avait pas d’argent pour disposer d’une équipe de ce genre, pour payer des observateurs, si bien que c’étaient les alliés de Díaz-Balart qui contrôlaient les bureaux de vote.

Mais ça n’a pas été la seule violation. Ecoutez un peu. Les personnages suivants : Rafael Díaz-Balart, le père de l’autre, un ancien ministe de Batista, Ileana Ros Lehtinen, Tomás Regelado et Alex Penelas, ont passé une annonce – mais sans dire que c’était de la publicité, parce que, sinon, ils auraient dû respecter des règles données – sur les stations de radio La Cubanísima et Radio Mambí, une annonce où ils disaient – rappelez-vous bien : le maire du conté, un commissaire, une représentante du Congrès et un ministre batistien – que Patrick Kusack était un type blandito. Dans l’argot local, tout le monde le sait, un type blandito, c’est un homosexuel, ni plus ni moins. Ils l’ont aussi accusé d’être un communiste avéré, qui avait même les mains tachées de sang à propos des avions de Hermanos al rescate,, parce que, comme communiste, il avait défendu Castro et son régime.

Je dois dire que c’est là une violation des règles de la Commission fédérale de communications des Etats-Unis, c’est quelque chose que vous ne pouvez pas faire à la radio nord-américaine. Si vous faites ce genre de truc dans un autre Etat, vous risquez de vous retrouver en prison, la radio doit fermer et vous avez des ennuis.

Ensuite, j’ai pu demander à la femme de ce candidat ce qu’il y avait de vrai dans tout ça. Kusack est petit-fils et fils de policier, c’est un prédicateur bénévole dans les prisons le week-end, et il est avocat d’un bureau qui s’occupe uniquement des questions qu’ont les officiers de l’armée.

Quel était son programme ? Il a déclaré : je ne veux pas qu’on parle de Cuba dans le district, je veux qu’on parle des problèmes locaux, de l’éducation, de l’emploi, des minorités, de la sécurité sociale, de tous ces problèmes. Il a ajouté que Díaz-Balart n’avait pas apporté au district un centime de financement fédéral depuis qu’il était au Congrès.

J’ai demandé à sa femme : Pourquoi donc a-t-il donc décidé de se présenter contre Díaz-Balart ? Elle m’a répondu : Bah, il est Irlandais, il est têtu et il veut sauver Miami de ces gens-là.

Et voilà comment l’autre a gagné, voilà comment on élit un représentant à la Chambre aux USA. Mais ce n’est pas tout : ce type, en plus, est un délinquant. Ce n’est pas un mauvais épithète de ma part, n’allez pas croire, non, ça répond exactement au fait qu’à deux reprises, sa campagne a fait l’objet d’une enquête du General Accouting Office, un bureau du Congrès qui a découvert que dans les deux cas, il avait violé la loi fédérale, qu’il avait commis des délits. Lesquels. Oh ! tout simplement, il avait « oublié » de déclarer plus de cent mille dollars de dons qu’il avait reçus. Bien entendu, il ne s’est rien passé, personne ne l’a jugé. Rien du tout.

Alors, je comprends très bien pourquoi Bush a tenu, le 20 mai, à souligner la présence de ce parfait batistien, des gens qui ont répliqué à Miami toutes les tares de la société cubaine de 1958. Bush a déclaré : « Je tiens à remercier deux excellents législateurs, Ileana Ros et Lincoln Díaz-Balart, de leur présence. » Telles étaient les valeurs vantées par Bush.

Randy Alonso. Feignant d’ignorer tout ces faits que nous avons dénoncés à notre table ronde d’aujourd’hui, des faits qu’ils connaît parfaitement parce que c’est lui qui a dirigé la stratégie de de la fraude électorale depuis son quartier général du Texas, Bush a osé déclaré à Miami : « Toutes les élections dans la Cuba castriste ont été de la fraude ; la voix du peuple cubain a été bâillonnée et ses votes n’ont pas le moindre sens. Voilà la vérité. »

Je propose donc au professeur Toledo de nous parler du système électoral cubain et de la participation démocratique des citoyens, ce que le sieur Bush ignore absolument.

José Luis Toledo. Je lisais ce matin des déclarations faites par Fidel Castro en 1959 : « Je ne permettrai jamais sciemment la moindre immoralité. » Cette pensée se traduisait forcement dans un principe de notre société et de la Révolution, ce qui nous conduisait à refuser cette prétendue démocratie représentative que les gouvernements nord-américains prônent comme le modèle unique, comme la condition requise pour qu’un Etat puisse être qualifié de démocratique. Et ce même principe nous a poussés à élaborer et à mettre en place un système institutionnel autochtone qui nous permettrait de développer une démocratie réelle et effective au sein du peuple cubain.

A Cuba, la teneur démocratique de la société ne se réduit absolument pas à l’exercice électoral : elle comprend une participation bien plus large, plus systématique et consubstantielle à tous les aspects de la vie sociale.

Notre système électoral se fonde spécifiquement sur le citoyen : c’est le peuple qui choisit, qui présente, qui élit, qui contrôle et révoque ses représentants. Tel est le fondement essentiel de notre système électoral.

Il faut à ce sujet citer l’article 131 de la Constitution : « Tous les citoyens ayant la capacité légale pour ce faire ont le droit d’intervenir dans la direction de l’Etat, soit directement soit par l’intermédiaire de leurs représentants élus pour constituer les organes du pouvoir populaire, et de participer dans ce but, selon les modalités que prévoit la loi, aux élections périodiques et aux referendums populaires qui se dérouleront au scrutin libre, égal et secret. Chaque électeur a droit à un seul vote. »

Ainsi, notre pays organise tous les deux ans et demi des élections partielles afin d’élire les délégués des assemblées municipales du pouvoir populaire, qui se montent à cent soixante-neuf, et tous les cinq ans des élections générales en vue d’élire non seulement les délégués aux assemblées municipales, mais encore les délégués aux assemblées provinciales, qui sont quatorze, plus l’île de la Jeunesse, et les députés à l’Assemblée nationale.

Une autre des caractéristiques fondamentales du système électoral cubain est l’inscription universelle, automatique et gratuite, de tous les citoyens sur les listes électorales, et ce dès l’âge de seize ans.

Randy Alonso. Deux ans avant que ne puisse voter un Nord-Américain, et sans tant de conditions légales et parfois fictives pour pouvoir s’inscrire.

José Luis Toledo. Avant les élections, à tous les endroits de la circonscription où se presse le plus le public, on affiche les listes électorales afin que les citoyens les révisent et vérifient que leur nom y est bien. Dans le cas contraire, il se présente à la commission électorale de son secteur et se fait inscrire sur simple présentation d’une pièce d’identité. Bien mieux, s’il constate cette absence le jour même des élections, il se présente au bureau de vote, accrédite sur présentation de sa carte d’identité sa condition de citoyen majeur résidant dans la zone correspondante, se fait inscrire et exerce son droit de vote. Autrement dit, toutes les facilités sont accordées pour que le citoyen puisse voter sans encombre.

L’autre aspect important de notre système politique est la désignation des candidats par les électeurs eux-mêmes. A aucune étape de notre système institutionnel, le Parti communiste n’indique quelles sont les personnes pour lesquelles il faut voter, ne participe aux élections. Il lui est même interdit de le faire aux termes de ses propres statuts.

Qui propose donc les délégués ? Les habitants du quartier, tout simplement, qui, au cours d’une réunion, proposent à main levée les personnes qui leur semblent les mieux qualifiées et les plus aptes à faire partie de l’assemblée municipale du pouvoir populaire qui constitue l’assise même de notre système institutionnel. Les habitants doivent en désigner un minimum de deux et un maximum de huit.

Randy Alonso. Cette réunion a d’ailleurs une importance extraordinaire, parce que les voisins du quartier proposent une personne qui peut être élue ensuite non seulement à l’assemblée municipale, mais encore à l’assemblée nationale, puisque la moitié des députés proviennent de cette base-là.

José Luis Toledo. Effectivement. Une fois proposé à la base, il doit être élu au suffrage direct et secret, et donc ratifié par cette même base.

J’ai ici quelques chiffres qui me semblent intéressants. Depuis 1976-1979 qui a constitué les premières élections de délégués aux assemblées municipales à partir de la création des organes du pouvoir populaire, 277 277 personnes ont été nommées à la base, dont 127 894 ont été élues, tandis que, de ce même chiffre, 1 377 ont été élus députés à l’Assemblée nationale du pouvoir populaire, ce qui représente 51,3 p. 100 de tous les députés élus durant ce laps de temps.

Mais il faut préciser que ces chiffres concernent les élus. En fait, ils sont bien plus nombreux, puisque les personnes désignées à la base doivent être au moins deux et au plus huit. Autrement dit, infiniment plus de personnes sont impliquées dans ces élections.

Des personnes élues, 22 376 étaient des ouvriers ; 16 416 des travailleurs administratifs ou des services ; 5 172 des paysans, 1 094 des ménagères ; 6 793 des membres des forces armées ; 3 980 des retraités ; 24 443 des étudiants et 18 126 des femmes. Ces chiffres indiquent bien une présence active du peuple comme acteur clef du système électoral.

Un autre point à signaler, c’est la très forte participation aux élections, surtout face aux problèmes signalés ici de forte abstention, d’entrave au droit de vote, etc.

Lázaro Barredo. Avant que tu n’abordes cette question, je voudrais préciser, car cela me semble important, qu’il faut être élu à la majorité des voix plus une et qu’en cas de ballottage, il y a un second tour entre les deux candidats les plus votés.

Randy Alonso. Il est donc impossible chez nous qu’un candidat puisse être élu comme monsieur Bush et les autres présidents des USA avec seulement le quart des électeurs !

José Luis Toledo. J’avais prévu d’aborder cette question dans le cadre de la transparence des élections. J’en reviens à la participation.

De 1976 à 2000, la participation minimale des électeurs aux élections aux assemblées municipales a été de 95 p. 100. Je vais prendre des exemples des trois dernières périodes : 1995-1997, 97,1 p. 100, soit 7 545 821 électeurs ; 1997-2000, 97,5 p. 100, soit 7 760 582 électeurs : 2000-2003, 98,1 p. 100, soit 7 913 112 électeurs.

Lors des élections aux assemblées provinciales et à l’Assemblée nationale de 1992, la participation a été 99,57 p. 100.

En fait, nous concevons le fait de déposer un bulletin de vote dans une urne non comme un simple geste électoral, mais encore comme une ratification et un soutien de la Révolution.

L’autre aspect marquant de nos élections, c’est l’absence de campagne électorale à l’occidentale. Personne ne peut faire du prosélytisme dans son propre intérêt. Ici, aucune transnationale ne peut donner de l’argent à un candidat pour qu’il veille ensuite sur ses intérêts. Ici, on ne verra jamais les murs des villes couverts, comme avant 1959, d’affiches des candidats.

Chez nous, on placarde tout simplement aux endroits publics la biographie du candidat avec sa photo d’identité. Aux élections générales, les responsables des élections organisent des tournées avec tous les candidats, sur des lieux de travail, des rencontres avec les citoyens dans les communautés, des visites d’écoles, etc., sans jamais la moindre allusion personnelle à tel ou tel candidat.

J’en viens maintenant à la transparence des élections. Lazaro Barredo a rappelé le pourcentage de voix nécessaires pour être élu et le second tour en cas de ballottage.

Mais cela va bien plus loin. Rappelons-nous qui surveille les urnes : nos enfants, nos petits pionniers, les seuls à le faire dans tous les bureaux de vote dans tout le pays. Qui forme les présidences des bureaux de vote ? Les habitants de la circonscription. Comment se fait le dépouillement des voix ? Au début de la journée, on montre l’urne à tous les présents et on la scelle hermétiquement ; à la fin de la journée, on convoque la population à se rendre aux bureaux de vote et c’est devant elle qu’on procède au dépouillement des voix, dont le résultat est aussitôt affiché à l’extérieur du bureau.

J’ai dit que le parti ne jouait aucun rôle dans les élections.

Mais la démocratie dans notre pays ne se limite pas au système électoral. Il faut absolument souligner notre système représentatif, comme l’indique l’article 68 de la Constitution :

Les organes de l’Etat sont constitués et mènent leurs activités en fonction des principes de la démocratie socialiste qui s’expriment dans la règle suivante :

Tous les organes représentatifs du pouvoir de l’Etat sont électifs et renouvelables.

Les masses populaires contrôlent l’activité des organes étatiques, des députés, des délégués et des fonctionnaires.

Les élus ont le devoir de rendre compte de leur activité et peuvent être cassés à tout moment.

Chaque organe étatique exerce largement, dans le cadre de sa compétence, l’initiative visant à tirer parti des ressources et des possibilités locales, et à faire participer les organisations de masse et les organisations sociales à son activité.

Les dispositions des organes étatiques supérieurs sont obligatoires pour les organes inférieurs.

Les organes étatiques inférieurs répondent devant les organes supérieurs et leur rendent compte de leur gestion.

La liberté de discussion, l’exercice de la critique et de l’autocritique et la subordination de la minorité à la majorité régissent tous les organes étatiques collégiaux.

Je voudrais m’arrêter un moment à l’Assemblée nationale, qui est à chambre unique, autrement dit formée uniquement de députés. Ce n’est pas un organe permanent, à la différence d’autres pays. Les députés ne touchent pas de salaires, ne sont pas des professionnels, il s’agit d’une activité totalement honorifique que les députés exercent avec beaucoup de fierté et de satisfaction, même ceux d’entre nous qui sont présidents de telle ou telle commission. Tous les députés rendent compte de leur activité devant l’assemblée municipale du pouvoir populaire qui les a nommés.

L’Assemblée nationale compte aujourd’hui 601 députés, dont 27,6 p. 100 sont des femmes  (116); 31,4 p. 100 ont de dix-huit à quarante ans (189) ; 62,2 p. 100 ont de quarante et un ans à soixante ans (374) et 0,6 p. 100 ont plus de soixante ans (38).

Par ailleurs, 24,13 p. 100 sont liés directement à la production et aux services, sont donc des ouvriers ; 10,65 p. 100 sont liés à d’autres activités, mais le gros le sont à la production. La moitié des députés provient des délégués nommés à la base.

Comme l’Assemblée nationale ne siège pas en permanence, elle élit en son sein un Conseil d’Etat de trente et un membres qui constitue le pouvoir suprême de l’Etat durant l’intersessions. Voilà pourquoi j’ai tenu à souligner devant le président Carter, lors de sa visite, le cas spécifique du président du Conseil d’Etat. Mais on retrouve pareil pour les autres membres qui doivent passer par deux élections : les élections législatives pour être élu député au vote direct et secret, puis les élections au sein même de l’Assemblée, toujours au vote direct et secret.

Comme cela se passe-t-il ? La commission de candidatures de l’Assemblée nationale interroge un par un chaque député pour connaître son avis sur la constitution du Conseil d’Etat, depuis son président jusqu’aux simples membres. Autrement dit, chaque député doit présenter une proposition de trente et un candidats, et c’est à partir de là que la commission de candidatures présente la liste définitive qu’elle soumet au vote des députés.

Pour conclure, je voudrais aborder, même rapidement, la façon dont l’Assemblée fonctionne. On entend parfois dire dans la population : Ils se réunissent, mais ils ne discutent quasiment pas. C’est un fait qu’on n’assiste pas dans notre Assemblée au genre de débats qui ont cours ailleurs. Ce n’est pas le même contexte. Rappelez-vous que dans ces pays-là, on vit de ça : les sénateurs et les députés gagnent, je le sais, de dix mille à vingt mille dollars. Il y a eu même un grand scandale récemment dans un pays latino-américain en pleine crise économique, parce que les membres Congrès ont décidé tout bonnement de s’élever les salaires.

A Cuba, quand nous nous réunissons en séance plénière, celle-ci a été précédée d’un travail intense pour dégager un consensus sur les thèmes qui vont être abordés. Je vais en donner trois exemples.

Le 13 juillet 2000, nous avons adopté la loi des Conseils populaires qui vise, parce que, bien entendu, notre système est perfectible et que nous cherchons constamment à l’améliorer, à perfectionner cette démocratie réelle que le peuple cubain s’est donné. Mais cette loi que nous avons votée était la onzième version, autrement dit dix projets de loi avaient été discutés antérieurement. Tout d’abord, un groupe d’experts des assemblées municipales et provinciales s’est réuni pour rédiger la première version. Puis, il y a deux réunions dans chaque province avec les présidents des conseils populaires de toute la nation qui n’étaient pas députés. Ensuite, il y a une réunion dans chaque province avec ceux des présidents des conseils populaires qui étaient, eux, députés. Enfin, tous les députés du pays ont fait deux visites différentes à deux reprises dans tout le pays.

Tout ceci a permis de collecter mille six cents opinions et avis qui ont été dûment analysés par le groupe de travail chargé de la rédaction de la loi, beaucoup ayant d’ailleurs été incorporés.

Un autre exemple. La loi 89, portant révocation du mandat des élus aux organes du pouvoir populaire, adoptée le 14 septembre 1999. nous avons adopté la vingt-deuxième version, ce qui veut dire qu’il y en a eu vingt et une avant, soumises à un processus similaire à celui que je viens d’expliquer.

Enfin, sur quoi travaille maintenant l’Assemblée nationale ? Sur la Loi des coopératives agricoles, qui est en cours de discussion dans chaque coopérative du pays, si bien que chaque paysan et chaque famille peut participer à son élaboration. Lugo Font, le président de l’Association nationale des petits agriculteurs, a informé le président de l’Assemblée que des réunions ont eu lieu dans 3 351 coopératives agricoles et coopératives de crédits et de services, auxquelles ont participé 212 779 coopérateurs et familles, soit 89 p. 100 des participants possibles, qui ont donné leurs opinions et leurs points de vue. Une fois conclue cette étape auprès des paysans, c’est au tour maintenant des députés d’entrer en action, en allant ce mois-ci dans tout le pays, coopérative par coopérative, pour aborder ce projet de loi.

Bref, quand une loi est votée en dernier ressort à notre Assemblée nationale, elle a été largement discutée avec les intéressés et avec tous les députés en vue de dégager un consensus.

Mais les députés ne sont pas les seuls à participer. On fait aussi appel aux vues des organisations de masse, aux experts, aux universitaires, aux scientifiques, à tous ceux qui souhaitent exprimer leurs vues d’une façon ou d’une autre.

Et c’est ce même processus, peut-être un peu plus réduit, qui se déroule au Conseil d’Etat. Chaque fois qu’il va approuver un décret-loi, ses trente et un membres ne sont pas les seuls à en discuter. On prend l’avis d’un large spectre de la société, en en écoute les opinions, on le modifie, puis on le refait circuler, toujours en quête de ce consensus. Et c’est ceci et la présence active du peuple qui ont défini la marche de l’institutionnalisation dans la Révolution.

Aussi, quand j’écoutais Miguel nous citer les mythes de la démocratie nord-américaine, je pensais que le principe qui est au fondement même de la formation des pouvoirs populaires, autrement dit : « Le pouvoir du peuple, ça oui c’est du pouvoir ! », n’est pas un mythe, mais bel et bien une réalité prégnante.

Randy Alonso. Notre système démocratique est encore imparfait, vous le disiez, mais il est tout en cas le plus démocratique qui soit car il permet que la participation de toute la population à tous les niveaux et dans toutes les actions.

Une preuve de la façon dont il fonctionne, nous l’avons dans les délégués de circonscription, qui sont le vrai pouvoir à la base, le pouvoir réel du peuple. Nuria Cepero a interrogé Fidencio Rodríguez Lobaina, le délégué de la vingtième circonscription de la Vieille-Havane, qui travaille depuis vingt-cinq ans dans les organes locaux du pouvoir populaire.

Nuria Cepero. Fidencio Rodríguez Lobaina, d’orgine très modeste, est né voilà soixante-huit ans dans la commune de San Antonio del Sur, province de Guantánamo.

Aujourd’hui, cet homme simple est délégué du Pouvoir populaire pour la vingtième circonscription de la municipalité Vieille-Havane. Il a été proposé par les habitants du quartier aux premières élections de 1976, puis élu et réélu chaque fois depuis maintenant vingt-cinq ans.

Fidencio Rodríguez. Personne ne m’a nommé à ce poste : c’est la population qui m’a élu et continue de me réélire à ce poste.

Nuria Cepero. Ses électeurs disent que Fidencio est inlassable. Il connaît sa circonscription et le conseil populaire de la Vieille-Havane qu’il préside depuis 1995 sur le bout des doigts. Aucun problème de cette zone complexe n’échappe à son dévouement et à sa sensibilité.

Fidencio Rodriguez. La population me fait confiance. Si un problème ne peut pas se régler, alors on le lui explique et on lui dit pourquoi. Le plus important, c’est que la population sache. Elle veut au moins que tu lui expliques pourquoi tel ou tel problème n’a pas de solution pour le moment, que tu lui dises la vérité. Depuis que je suis délégué, je me suis toujours efforcé de ne rien dissimuler, de ne jamais dire un mensonge, dire clairement ce qui peut se régler et ce qui ne peut pas.

Nuria Cepero. Les gens l’aiment ?

Fonctionnaire. Je crois que oui. Sinon, il ne serait pas réélu chaque fois. C’est un compañero qui prend en charge les problèmes de la population du quartier comme si c’était ses propres problèmes. Il est aimé de la population, parce qu’il n’a jamais eu d’ennuis. Il est prêt à régler tous les problèmes dans la mesure du possible.

Nuria Cepero. Il est humain ?

Electrice. Il est humain, c’est quelqu’un de très simple, d’une famille très modeste. Il ne vit pas dans des conditions faciles.

Electrice. C’est quelqu’un qui s’inquiète beaucoup de la situation de la population, surtout de la santé. Pour nous, qui travaillons dans ce secteur, il s’occupe constamment de nos besoins, de la situation des cas sociaux, des cas difficiles.

Electrice. C’est quelqu’un de très bon, que tout le monde aime beaucoup, très inquiet de tout le monde, qui abandonne tout pour s’occuper des autres. Je peux vous l’assurer.

Nuria Cepero. Fidencio est l’un des milliers de délégués proposés et élus par les voisins mêmes d’un bout à l’autre du pays. Des hommes et des femmes qui ne connaissent pratiquement pas le repos et dont la plus grande récompense est d’être de fidèles défenseurs des intérêts du peuple, ce peuple qui, avec sa sagesse habituelle, sait où sont ses véritables représentants.

Randy Alonso. Tout ce dont nous venons de parler au sujet de notre système électoral, de notre système de participation démocratique des citoyens, d’un exemple comme celui de Fidencio, que le propre peuple ne cesse de réélire sur le simple vu de son travail, eh ! bien, tout ceci, monsieur Bush l’a ignoré royalement dans ses discours du 20 mai, poussant le cynisme jusqu’à dire devant son auditoire de Miami : « Nous sommes à une époque où toutes les nations de notre continent ont choisi la voie de la démocratie, sauf Cuba. »

Que pensent donc les Latino-Américains de leur démocratie ? Voici un reportage de l’an dernier qui ne manque pas d’intérêt.

Journaliste. Seul un Latino-Américain sur quatre est satisfait de la démocratie, et moins de la moitié la soutient comme le meilleur système politique. Ces chiffres découlent d’une étude réalisée dans dix-sept pays de notre région. Alberto Pando nous informe de Santiago de Chili.

Alberto Pando (Chili). La démocratie, le gouvernement du peuple, n’est plus quelque chose de précieux pour les Latino-Américains. Le Latinovarómetro, une étude réalisée par une société privée dans dix-sept pays de la région, le confirme. En 1996, 60 p. 100 des gens soutenaient la démocratie ; aujourd’hui, seuls 48 p. 100 disent la préférer. L’ancien président chilien Patricio Aylwin estime ceci inquiétant.

Patrico Aylwin. Dans les pays où règne la démocratie, les droits de l’homme sont respectés, la liberté des personnes, la vie des personnes, la vie privée des personnes sont respectées, tandis que, sous les dictatures, les droits de l’homme sont ignorés, les gens disparaissent ou sont incarcérés sans justification, ou tout simplement assassinés comme cela s’est passé au Chili durant la dictature.

Alberto Pando. On dit que la crise économique et le discrédit de certains hommes politiques peuvent avoir provoqué cette crise de crédibilité. C’est aussi le diagnostic des responsables de l’étude.

Angélica Speich. Depuis l’inauguration de la nouvelle démocratie, on a assisté à une explosion des attentes de gens qui ont été déçues, une situation que la crise économique aggrave, ce qui explique pourquoi ce soutien à diminué.

Alberto Pando. Au point que 51 p. 100 des gens estiment que le développement économique est plus important que la démocratie, contre 25 p. 100 qui disent le contraire. Les institutions auxquelles les Latino-Américains croient le moins sont le pouvoir judiciaire, le Parlement et les partis politiques.

Randy Alonso. Voilà la démocratie dont nous parle monsieur Bush, celle qui est implantée dans toute l’Amérique latine, sauf à Cuba, une démocratie totalement discréditée dans son système et dans ses partis politiques. Lázaro Barredo va plus loin.

Lázaro Barredo. A chaque réunion de présidents, par exemple au Sommet des Amériques ou le Groupe de Rio, vous entendez les hommes politiques, surtout les dirigeants nord-américains, signaler l’absence de la seule nation qui ne vit pas en démocratie. C’est là une tentative d’enlever toute valeur au système de participation cubain.

Le point de vue du président Patricio Aylwin n’est pas étonnant. Quarante ans se sont écoulés depuis l’Alliance pour le progrès, une initiative dans le cadre de laquelle les Etats-Unis avaient alloué vingt milliards de dollars au développement latino-américain, précisément pour contrecarrer l’influence de Cuba, l’exemple de Cuba, pour couper court aux éventuelles révolutions. Quarante ans de gouvernements civils et militaires, libéraux, conservateurs, populistes, fascistes, quarante ans de doctrines « développementiste », protectionnistes et néo-libérales, au bout desquels plus de la moitié de la population latino-américaine vit dans la pauvreté et où la tendance à la marginalisation politique et démocratique ne cesse de s’étendre ostensiblement.

Dans la « Suisse d’Amérique centrale », comme on appelait autrefois le Costa-Rica, il vient de se dérouler des élections : 44 p. 100 des électeurs ne se sont pas déplacés ! Et encore, c’est un pourcentage minime ! Ailleurs en Amérique latine, il est de 50 ou 60 p. 100, parce que les gens ne voient pas à quoi peut bien servir la politique dans leur vie.

J’ai ici de nombreuses déclarations de Costariciens qui expliquent pourquoi ils ne votent pas : ils ne souhaitent pas favoriser l’aggravation de la corruption de leurs gouvernants ; ils ne font pas confiance en leurs dirigeants ; ils ne croient pas aux partis politiques, aux institutions politiques latino-américaines. Ils sont déçus. C’est exactement pareil qu’aux Etats-Unis. Des campagnes électorales à coups de millions pour tenter de motiver les gens. Des campagnes étonnantes, d’ailleurs, parce que tous les candidats vous font de grands discours contre le néo-libéralisme, et, une fois élus présidents, ils font exactement le contraire : toujours plus de néo-libéralisme. Alors, ce n’est pas seulement la question de l’abstentionnisme, le plus grand parti politique, mais aussi la perte de la popularité. Et à quelle vitesse les gens cessent de croire en eux ! Voyez Alejandro Toledo, au Pérou : plus des deux tiers de la population ne croient plus en lui. Prenez le président Fox, du Mexique : presque 65 p. 100, selon les derniers sondages, sont sceptiques au sujet de ce qu’il fait. Ou alors la présidente du Panama, Mme Moscoso, en laquelle plus de la moitié de la population ne croit pas. Ne parlons pas de Duhalde, en Argentine, ou de Battle, le bouffon uruguayen, qui dirigent des pays où les gens n’ont pas la moindre perspective et ignorent le jour même ce qui va se passer le lendemain. Et ne parlons pas d’autres personnages, comme celui qui se dit « un souffle d’air frais » dans un pays centraméricain.

Le plus scandaleux, c’est voir la façon dont ces gens-là utilisent à tout bout de champ le mot de démocratie, leur logorrhée permanente à chaque discours, alors qu’ils prennent des décisions capitales sans consulter qui que ce soit. Tenez, Memen, pour ne prendre qu’un exemple, a changé en une après-midi le panorama économique de l’Argentine en signant le décret de privatisation.

Ces gens-là ne consultent personne. Même pas les parlements, pour faire semblant. On vient de le voir à propos du vote à la Commission des droits de l’homme à Genève contre Cuba : le Congrès mexicain s’est opposé au vote contre Cuba du gouvernement, et le Congrès péruvien et le congrès argentin, et les gouvernements les ont traités par-dessus la jambe.

En fait, les seules consultations sur les questions importantes, c’est celles qu’ils font avec le Fonds monétaire international, avec la Banque mondiale, qui sont les organismes qui fixent les règles. D’ailleurs, ce ne sont pas tant des consultations que des diktats. Et là ils filent doux !

Autre chose scandaleuse : ils passent leur temps à recommander aux autres de faire des référendums, et eux, ils n’osent même pas en faire pour connaître l’opinion de leur population sur des questions aussi capitales que la privatisation du pétrole, des banques, des services, autrement dit le bradage du pays. Dans ce cas-là, non, pas de référendum.

En fait, on constate en Amérique latine une espèce de néo-autoritarisme, dans le style des dictatures militaires, et ils ont le front de vous parler constamment de démocratie.

Pour conclure, je crois que ce à quoi on assiste en Amérique latine, ce n’est pas seulement à une nouvelle doctrine Monroe, mais purement et simplement à un nouvel amendement Platt. Et la protestation contre cet état de choses, nous avons pu la voir récemment au congrès argentin, quand une députée a demandé de décrocher le drapeau national du mur et d’accrocher à sa place celui des Etats-Unis. Je crois que ça résume bien ce qu’il se passe en Amérique latine.

Randy Alonso. C’est la démocratie que veut nous refiler monsieur Bush, une combinaison de la Cuba des années 50 et de l’Amérique latine de nos jours, où le plus grand parti, on l’a dit, est celui des abstentions, parce que les gens ne croient plus aux partis ni aux politiciens. Le Pérou nous offre un exemple de ce discrédit.

Journaliste. De nombreux Péruviens veulent démontrer au président Alejandro Toledo qu’ils ne l’aiment pas parce qu’il n’a pas tenu un certain nombre de promesses de sa campagne électorale. Les sondages ne le favorisent pas et quand il se rend à des réunions publiques, on lui crie après, on le siffle et on menace même de l’agresser.

María L. Martinez. Il est au pouvoir depuis à peine onze mois, et Alejandro Toledo souffre l’impopularité et la désillusion d’une population qui l’a de nouveau sifflé au cours d’une de ses activités publiques au point qu’il a dû monté dans sa voiture sous bonne protection. Bien que ses défenseurs accusent ses opposants d’être derrière les manifestations de rue, ceux-ci l’accusent de n’avoir pas tenu ses promesses et réclament du travail.

Homme. Qu’il ne promette pas.

Homme. Le peuple veut du travail.

Homme. Qu’il ne promette pas. Pas de travail. C’est pour ça que les gens réclament.

Homme. Les gens le refusent pour bien des choses, d’abord parce qu’il n’y a pas de travail ; ensuite, parce qu’il a fait des tas de promesses pendant sa campagne.

Femme. Tout ce que nous voulons, c’est du travail, rien d’autre.

Homme. Depuis qu’il est entré au gouvernement, toutes les entreprises font faillite.

María L. Martinez. Toledo n’a pas voulu parler de la chute constante de son indice de popularité qui n’est que de 23 p. 100 selon Analistas y Consultores. Les observateurs admettent qu’il est encore trop tôt pour juger sa gestion, mais plus d’un estiment que son programme économique exige des ajustements. Le mécontentement accumulé se reflète dans la rue et dans les protestations constantes organisées dans les différentes villes. L’impact de la visite de Bush qui a réussi à redorer le blason de Toledo a été très bref. Le gouvernement demande de la patience avant de sentir les effets de son plan économique que les agences des risques qualifient de stable.

Randy Alonso. Tel est l’exemple de ce qui se passe en Amérique latine, la situation à laquelle Bush nous presse d’entrer. Il refuse de comprendre que la démocratie va bien au-delà de simples élections. Renato Recio nous offre un commentaire final sur ce point.

Renato Recio. En fait, comme on l’a dit si souvent, Bush ferait mieux de ne pas trop parler de démocratie dans la mesure où il est un président illégitime. Il ne ferait mieux, aussi, de ne pas trop parler de la tradition démocratique des gouvernements nord-américains, parce que là, de nouveau, on trouve le deux poids deux mesures : des élections censément libres et la réalité qui offre un démenti.

Quand cela leur a convenu, les USA ont manipulé, saboté, voire empêché ces fameuses « élections libres », partout, mais surtout dans le tiers monde. Bien des fois.

Dans ses mémoires publiées en 1963, Eisenhower reconnaît que son gouvernement a saboté les élections de 1956 au Viet Nam, car il était prévisible que 80 p. 100 de la population allait voter pour Ho Chi Minh et non pour le candidat fantoche imposé par la France, le Bao-Daï.

Ensuite, les administrations nord-américaines ne tolèrent pas que des « élections libres » donnent le pouvoir à des gouvernements populaires. Les exemples ne manquent pas, mais je vais me contenter de celui de Jacobo Arbenz, au Guatemala, en 1954, ou de celui de Salvador Allende, en 1973, qui est encore plus notoire, ou alors les sandinistes dans les années 80 et, encore plus récemment, le tentative de coup d’Etat contre Hugo Chávez. Dans ce dernier cas, les médias au service des USA font croire qu’il a démissionné, soutiennent le coup de main, tout le monde s’en souvient. Alors qu’aucun président latino-américain ne s’est soumis à autant de scrutins que lui. Nous avons là un bel exemple de l’utilisation opportuniste du concept d’élections libres.

Troisièmement, les administrations nord-américaines ont soutenu sans rougir les pires farces électorales quand cela leur convient. A Cuba, durant la pseudo-république, les exemples abondent, mais on en trouve aussi au Panama, en République dominicaine, en El Salvador… La liste est interminable.

Tout ceci discrédite d’avance ce concept d’élections libres que nous propose Bush. De plus, notre peuple a la culture politique suffisante pour comprendre qu’élections et démocratie ne sont pas synonymes. Le vote est un facteur important de la démocratie, mais ce n’est pas, tant s’en faut, l’essence de la démocratie.

Les Cubains savent que des élections où ne votent que la moitié ou moins des électeurs ne peuvent être considérées comme de la démocratie, qu’un gouvernement élu avec 25 ou 30 p. 100 du total de la population électorale ne peut être considéré comme démocratique, que des électorats où de 20 à 20 p. 100 des électeurs sont des analphabètes complets ou semi-analphabètes ne peuvent être des électeurs qui participent d’une vraie démocratie, et cela arrive constamment dans les pays appauvris par ce même système qui nous propose des élections de ce genre.

Quand les électeurs ne peuvent exercer après le suffrage le moindre contrôle sur les élus – on le constate dans ces sondages de popularité en baisse – il n’a aucun moyen de vérifier que ceux-ci feront ce qu’ils avaient promis de faire. Les élus n’ont pas à rendre compte de ce qu’ils font, ils ne peuvent être révoqués par leurs électeurs, d’exiger une responsabilité de la part des dirigeants. D’ailleurs, en ce temps de néo-libéralisme à outrance, les élus ne se sentent même plus responsables des conséquences de ce qu’ils font, des politiques qu’ils adoptent aux dépens de leurs peuples. Si vous dites aujourd’hui à un dirigeant, comme le font les Péruviens, que le chômage monte en flèche, que les salaires baissent, il va vous répondre : « Ah, mais je n’en suis pas responsable, c’est que le commerce mondial est en baisse, qu’il n’y a pas de possibilités pour nous… »

Si vous lui dite que la mortalité infantile est scandaleuse, il risque de vous répondre : « Ah, mais ce n’est pas ma faute, c’est que les pauvres n’ont aucune éducation sexuelle et qu’ils se reproduisent comme des lapins… »

Ou alors si vous dites à ceux des pays où il existe des armées paramilitaires, des gens qui assassinent, mais sans être liés officiellement au gouvernement, alors celui-ci va vous répondre : « Ce n’est pas mes affaires, ça n’a rien à voir avec l’Etat, avec le gouvernement. »

L’idée d’élections libres et de démocratie est si galvaudée qu’on en arrive au comble de voir des gouvernements qui ne se jugent pas responsables : c’est l’affaire du Fonds monétaire, de la mondialisation, du monde tel qu’il va…

Alors, quand Bush exige que les Cubains fassent ce genre d’élections, en fait il exige que nous rendions les armes inconditionnellement devant la puissance hégémonique mondiale. Eh ! bien, il devrait savoir depuis belle lurette - et sinon qu’il l’apprenne – que nous n’avons pas la moindre intention de nous rendre et de mettre en pratique cette fausse démocratie libre qu’il nous propose.

Randy Alonso. Compatriotes, faisant preuve d’un culot et d’un cynisme sans borne, le président Bush est allé rien moins qu’en Floride, le 20 mai, pour nous donner des leçons en matière d’élections libres, transparentes et prétendument démocratiques. Sans le moindre scrupule ni un iota de dignité, Bush s’est proclamé champion et professeur ès démocratie, devant un auditoire composé de mafieux terroristes anticubains, ceux-là mêmes qui lui ont servi à escamoter scandaleusement les résultats des élections présidentielles de 2000.

Pas une seule ligne de « leçon démocratique » à l’adresse des 56 millions de Nord-Américains qui ne se sont même pas inscrits sur les listes électorales ; des 19 millions qui, bien qu’inscrits, ne se sont pas dérangés pour aller voter ; des 5 millions de votants dont les bulletins ont disparu ; des électeurs noirs qui n’ont pas pu voter ; des millions d’électeurs qui ont voté pour un candidat ayant obtenu la majorité populaire et qui ont appris un mois après que le vote de cinq juges de la Cour suprême avait donné la présidence à l’autre candidat.

La « leçon ès démocratie » de monsieur Bush a passé sous silence le fait que les dernières élections présidentielles ont été les plus coûteuses de l’histoire de son pays, et que l’argent qui a coulé à flot venait de 1 p. 100 de la population, autrement dit les grosses sociétés transnationales qui sont ensuite les plus gros bénéficiaires de l’action politique des sénateurs, des représentants et des membres de l’administration.

Le « magister » a aussi oublié de dire qu’à peine la moitié des électeurs nord-américains se sont rendus aux urnes, alors qu’aux dernières élections cubaines, 98,1 p. 100 des électeurs ont voté.

L’« expert en démocratie » s’est bien gardé de faire la comparaison entre les dépenses millionnaires qu’engendrent les élections chez lui, et les dépenses minimes qu’elles impliquent chez nous, juste les frais de fonctionnement des commissions électorales et d’impression des bulletins ; entre les coups bas et les attaques personnelles qui sont monnaie courante chez lui, et leur impossibilité totale chez nous ; entre la discrimination pour des raisons de race ou d’origine chez lui, et son impossibilité chez nous ; entre les fortes sommes que doit risquer un candidat chez lui et la gratuité chez nous où seul le mérite compte.

Le « grand spécialiste en démocratie » n’a pas précisé non plus qu’alors que les élections sont chez lui un cirque de millionnaires, chez nous, notre Assemblée nationale, qui est le pouvoir suprême de l’Etat, se compose d’ouvriers, de paysans, d’étudiants, de scientifiques, d’enseignants, d’artistes, de délégués de base.

Bref, monsieur Bush, conservez vos leçons là où il vous chante. Nous, les Cubains, nous avons appris à conquérir et à défendre nos droits depuis plus de quarante ans. Martí nous a aussi ouvert la voie quand il nous a dit : « La meilleure manière de défendre nos droits est de bien les connaître, parce qu’on possède ainsi la foi et la force. Toute nation sera malheureuse tant qu’elle n’éduquera pas tous ses fils. »

C’est sur cette voie de l’éducation et de la justice que nous avons érigé, nous les Cubains, notre démocratie imparfaite, mais authentique et vraie.

Le combat continue.

Bonsoir à tous.