Mandela est mort
Pourquoi taire la
vérité au sujet de l’apartheid ?
Fidel Castro
L’Empire a sans doute cru que notre peuple ne
tiendrait pas parole quand, en des jours incertains du siècle passé, nous
avions affirmé que, même si l’URSS disparaissait, Cuba continuerait de se
battre.
La guerre reste, par ailleurs, la seule
activité que le genre humain n’a jamais été capable, tout au long de son
histoire, d’éviter, d’où cette réaction d’Einstein qui avoua qu’il ne savait
pas comment serait la troisième guerre mondiale, mais qu’il était sûr que la
quatrième se ferait à coups de bâtons et de pierres.
Les deux plus grandes puissances, les
Etats-Unis et
Aucun événement présent ou passé – de ceux
dont je me souvienne ou dont j’aie entendu parler – n’a plus touché l’opinion
publique mondiale que la mort de Mandela, et non du fait de ses richesses, mais
en raison de ses qualités humaines et de la noblesse de ses sentiments et de
ses idées.
Avant que les machines et les robots – voilà
donc à peine un siècle et demi – ne prennent en charge nos modestes tâches au
moindre coût, l’humanité n’avait jamais connu, tout au long de son histoire,
aucun des phénomènes qui la bouleversent aujourd’hui et régissent
inexorablement les destinées de chacun de nous, hommes et femmes, enfants et
vieux, jeunes et adultes, agriculteurs et ouvriers, manuels ou intellectuels…
Elle tend surtout à s’installer dans les villes où la création d’emplois, de
transports et de conditions de vies élémentaires exige des investissements
énormes au détriment de la production alimentaire et d’autres formes de vie
plus raisonnables.
Trois
nations ont fait atterrir des engins sur
Des millions d’hommes de science étudient des
matières et des rayonnements sur
Les sentiments de fraternité profonde entre
le peuple cubain et la patrie de Nelson Mandela sont nés d’un fait que personne
n’a mentionné et dont nous n’avons dit mot durant de longues années :
Mandela, parce qu’il était un apôtre de la paix et ne souhaitait blesser
personne ; Cuba, parce qu’elle n’agit jamais en quête de gloire ou de
prestige.
Quand elle a triomphé,
Les révolutions sociales faisaient branler le
vieil ordre sur ses bases. En 1960, la
planète comptait déjà trois milliards d’habitants. On voyait monter en
puissance les grandes sociétés transnationales
- appartenant presque toutes aux Etats-Unis, un pays qui, grâce à sa
monnaie, soutenue par le monopole de l’or et une industrie intacte parce que
située loin des champs de bataille, fit main basse sur l’économie mondiale,
surtout à compter du jour où Richard Nixon annula unilatéralement l’étalon-or
et où elles purent, à coup de simples billets de banque, s’emparer des
principales ressources et matières première de la planète.
Rien de bien neuf jusqu’ici.
Mais pourquoi prétend-on cacher que le régime
d’apartheid, qui fit tant souffrir l’Afrique et indigna l’immense majorité des
nations du monde, était un fruit de l’Europe coloniale et que les Etats-Unis et
Israël lui assurèrent le statut nucléaire, ce que Cuba, qui appuyait la lutte
d’indépendance des colonies portugaises africaines, condamna ouvertement ?
Notre peuple, que l’Espagne avait cédé aux
Etats-Unis alors qu’il venait de mener une lutte héroïque de plus de trente
ans, ne s’était jamais résigné au régime esclavagiste qu’on lui avait imposé
pendant près de quatre cents ans.
C’est de Namibie, colonie occupée par
l’Afrique du Sud, que partirent en 1975 les troupes racistes qui, accompagnées
de chars légers équipés des canons de
J’ai dit que Cuba n’agit jamais en quête de
prestige ou de bénéfices. C’est un fait que Mandela était quelqu’un d’intègre,
de profondément révolutionnaire et de radicalement socialiste, qui supporta
vingt-sept ans de régime cellulaire avec un grand stoïcisme. J’ai toujours
admiré sa dignité, sa modestie et ses énormes mérites.
Cuba remplissait rigoureusement ses devoirs internationalistes.
Elle défendait des points clefs et entraînait chaque année des milliers de
combattants angolais au maniement des armes fournies par l’URSS. Mais nous ne
partagions pas les vues du principal conseiller soviétique. Des milliers de
jeunes Angolais ne cessaient d’entrer dans les unités de l’armée de leur pays
en formation. Or, ce conseiller principal était loin d’être un Joukov, un Rokossovki,
un Malinovski ou l’un de ces si nombreux militaires qui firent briller la
stratégie militaire soviétique de tout son éclat. Il était obsédé par une
idée : dépêcher des brigades angolaises équipées des meilleures armes là
où se trouvait censément le gouvernement tribal de Savimbi, un mercenaire au
service des Etats-Unis et de l’Afrique du Sud. Un peu comme si on avait expédié
les forces qui défendaient Stalingrad à
la frontière de l’Espagne ! De fait, le régime phalangiste avait envoyé
plus de cent mille soldats se battre contre l’URSS. En Angola, une opération de
ce genre était en cours à cette époque-là.
L’ennemi était en train de pourchasser
plusieurs brigades angolaises qui avaient été frappées à proximité de
l’objectif où on les avait envoyées, à environ mille cinq cents kilomètres de
Luanda, et qui se repliaient en direction de Cuito Cuanavale, une ancienne base
militaire de l’OTAN, à quelque cent kilomètres de la 1re brigade
blindée cubaine.
C’est alors, à ce moment critique, que le
président angolais réclama le concours des troupes cubaines. Le chef de nos
forces dans le Sud, le général Leopoldo Cintra Frías, nous transmit cette
demande. Nous répondîmes que ne nous prêterions cet appui que si toutes les
forces et tous les équipements angolais sur ce front se soumettaient au commandement
cubain dans le Sud angolais. Tout le monde comprenait que notre exigence était
une condition indispensable pour transformer l’ancienne base en l’endroit idéal
pour frapper les forces racistes sud-africaines.
Notre oui arriva en Angola en moins de
vingt-quatre heures.
Décision fut alors prise d’y expédier sur-le-champ
une brigade cubaine de chars. Plusieurs autres étaient cantonnées sur cette
même ligne en direction de l’ouest. Le principal obstacle était la boue et le
sol gorgé d’eau par les pluies saisonnières, ce qui obligeait à réviser chaque
mètre pour détecter les mines antipersonnel. On envoya aussi à Cuito les gens
nécessaires pour manœuvrer les chars et servir les batteries de canon dont le
personnel avait disparu.
La base était coupée du territoire situé à
l’est par le Cuito, un fleuve au débit rapide que franchissait un pont solide
que l’armée raciste attaquait désespérément jusqu’au jour où un avion téléguidé
bourré d’explosifs parvint à s’y écraser et à le rendre inutile. Il fallut
faire passer les chars angolais à la retraite qui pouvaient encore rouler par un
point situé plus au nord, tandis que ceux qui ne pouvaient plus le faire furent
enterrés, leurs armes braquées vers l’est. Par ailleurs, un dense alignement de
mines antipersonnel et antichars transformait l’autre rive du fleuve en un
piège mortel. Quand les forces racistes reprirent leur avancée, elles se
heurtèrent à cette muraille, toutes les pièces d’artillerie et tous les chars
des brigades cubaines leur tirant dessus depuis la zone de Cuito.
Les chasseurs Mig-23 jouèrent un rôle
spécial, ne cessant d’attaquer l’ennemi, parce que, même à près de mille
kilomètres à l’heure, leurs pilotes étaient capables de distinguer, volant en
rase-mottes, si les servants des pièces d’artillerie étaient des Noirs ou des
Blancs.
Quand l’ennemi, épuisé et bloqué, entreprit
de se retirer, les forces révolutionnaires se préparèrent aux derniers combats.
De nombreuses brigades angolaises et
cubaines, soigneusement séparées les unes des autres, se déplacèrent à vive
allure vers l’ouest où se trouvaient les seules routes larges par où les
Sud-Africains entreprenaient toujours leurs actions contre l’Angola.
L’aéroport, en revanche, se trouvait à environ trois cents kilomètres de la
frontière avec
Tandis que les troupes se réorganisaient et
se rééquipaient, il fut décidé de construire de toute urgence une piste
d’atterrissage destiné aux Mig-23. Nos pilotes utilisaient les avions livrés
par l’URSS à l’Angola dont le personnel n’avait pas eu le temps de recevoir la
formation nécessaire. Plusieurs avions étaient inutilisables après avoir été
parfois victimes de nos propres artilleurs. Les Sud-Africains occupaient encore
une partie de la route nationale qui conduit en Namibie depuis le bord du
plateau angolais. Pendant ce temps, ils s’amusaient à bombarder les ponts
traversant le puissant fleuve Cunene, entre le sud angolais et le nord
namibien, au moyen de canons de
Selon des rapports de bonne source, les
Mirage ne pouvaient pas transporter ces armes atomiques ; il fallait
des bombardiers lourds, type Canberra. De toute façon, notre DCA disposait de
nombreux types de missiles capables d’atteindre et de détruire des objectifs
aériens à plusieurs dizaines de kilomètres de nos troupes. Qui plus est, les
combattants cubains et angolais avaient occupé et miné un barrage de
quatre-vingt millions de mètres cubes d’eau situé en Angola. La rupture de ce
barrage aurait équivalu à plusieurs armes nucléaires.
De son côté, un détachement de l’armée
sud-africaine occupait une centrale hydraulique fonctionnant à partir des forts
courants du Cunene, juste avant la frontière namibienne.
Quand, sur ce nouveau théâtre d’opérations,
les racistes se mirent à utiliser leurs canons de
J’appris que Katiuska Blanco, auteur de
plusieurs récits historiques, était sur place, en compagnie de journalistes et
de reporters. La situation était tendue, mais personne ne perdit son calme.
C’est dans ces conditions- là que nous
apprîmes que l’ennemi était prêt à négocier. Fin de l’équipée impérialiste et
raciste sur un continent dont la population sera supérieure, dans trente ans, à
celle de
La délégation cubaine qui a assisté aux
funérailles de notre frère et ami Nelson Mandela a joué un rôle inoubliable.
Je félicite le compañero Raúl pour sa brillante activité, et, en particulier, pour
sa fermeté et sa dignité quand, d’un geste aimable mais résolu, il a salué le
chef du gouvernement étasunien, lui disant en anglais : « Monsieur le
président, je suis Castro. »
Quand mon état de santé a réduit mes
capacités physiques, je n’ai pas hésité un instant à faire savoir lequel
d’entre nous, à mon avis, pouvait assumer mes responsabilités. Une vie n’est
qu’un moment dans l’histoire des peuples, et je pense que celui qui les assumera
aujourd’hui doit avoir l’expérience et l’autorité nécessaires pour bien choisir
entre une quantité croissante, voire quasi infinie, de variantes.
L’impérialisme cachera toujours dans sa
manche plusieurs cartes pour faire plier notre île, même s’il doit la dépeupler
en la privant de jeunes hommes et de jeunes femmes auxquels il offre les
miettes des biens et des ressources qu’il pille dans le reste du monde.
Que les porte-parole de l’Empire disent
maintenant comment et pourquoi l’apartheid a vu le jour !
Fidel Castro
Ruz
18 décembre 2013
20 h 35