Réflexions du compañero
Fidel
LES BASES YANKEES ET LA SOUVERAINETÉ LATINO-AMÉRICAINE
Le concept de nation est né du concours d’éléments communs comme
l’histoire, la langue, la culture, les us et coutumes, les lois, les
institutions et d’autres facteurs ayant trait à la vie matérielle et
spirituelle des communautés humaines.
Bolívar, pour la liberté desquels il écrivit les grands exploits qui en
firent leur libérateur, avait appelé les peuples d’Amérique à créer « la
plus grande nation du monde, moins par son étendue et ses richesses que par sa
liberté et sa gloire ».
Antonio José de Sucre livra à Ayacucho l’ultime bataille contre l’empire
qui avait converti une grande partie de ce continent en propriété royale de la
couronne espagnole pendant plus de trois cents ans.
C’est cette même Amérique que, des dizaines d’années plus tard et alors que
l’Empire yankee flambant neuf en avait déjà tailladé une partie, José Martí
baptisa : Notre Amérique.
Il faut rappeler une fois encore qu’avant de tomber au champ d’honneur pour
l’indépendance de Cuba, ce dernier bastion de la couronne espagnole en
Amérique, il avait écrit le
Aux États-Unis, les Treize Colonies récemment libérées ne tardèrent pas à
s’étendre en désordre vers l’Ouest en quête de terres et d’or, exterminant les
autochtones, pour déboucher sur les côtes du Pacifique, les États agricoles du
Sud, exploiteurs d’esclaves, qui faisaient concurrence aux États industriels du
Nord, exploiteurs du travail salarié, s’efforcèrent de créer d’autres États
pour défendre leurs intérêts économiques.
En 1848, ils arrachèrent au Mexique
plus de la moitié de son territoire à la suite d’une guerre de conquête contre
un pays plus faible sur le plan militaire, occupant sa capitale et lui imposant
des conditions de paix humiliantes. Le territoire ainsi retranché contenait de
grandes réserves de pétrole et de gaz qui commenceraient plus tard à alimenter
la richesse des États-Unis pendant plus d’un siècle et continuent en partie de
le faire.
Le flibustier yankee William Walker, encouragé par la « destinée
manifeste » que son pays avait proclamée, débarqua en 1855 au Nicaragua
dont il se proclama président jusqu’à ce qu’il soit expulsé, l’année suivante, par
les Nicaraguayens et d’autres patriotes centraméricains.
Notre Héros national se rendit compte que l’avenir des pays
latino-américains était mis en pièce par le jeune Empire étasunien.
Après sa mort au combat, celui-ci débarqua militairement à Cuba quand
l’armée espagnole était déjà vaincue.
Et le puissant voisin nous imposa l’amendement Platt, qui lui octroyait le
droit d’intervenir dans notre pays.
L’occupation de Porto Rico, qui dure maintenant depuis cent onze ans, même si l’île est devenue aujourd’hui un prétendu
« Etat libre associé » - en fait, ni Etat ni libre – fut une
autre des conséquences de cette intervention militaire.
Le pire pour l’Amérique latine était encore à venir, confirmant les
prémonitions géniales de Martí. L’Empire en plein essor avait déjà décidé que
le canal appelé à unir les deux océans ne passerait pas par le Nicaragua, mais
par le Panama, si bien que cet isthme, cette Corinthe dont avait rêvé Bolívar
comme la capitale du plus grande République au monde, serait une propriété
yankee.
Et pourtant, il a eu des pires conséquences tout au long du XXe
siècle. S’appuyant sur les oligarchies politiques locales, les États-Unis
s’emparèrent peu à peu des ressources et de l’économie des pays
latino-américains ; multiplièrent leurs interventions ; firent passer
sous leur coupe leurs forces militaires et leurs polices ; leurs
transnationales s’emparèrent des productions et des services clefs, des
banques, des compagnies d’assurances, du commerce extérieur, des chemins de
fer, des compagnies maritimes, des entrepôts, des services d’électricité et de
téléphone et d’autres : tout passa entre les mains dans une plus ou moins
grande mesure.
La profondeur des inégalités sociales fit éclater, il est vrai, la
révolution au Mexique dans la seconde décennie du XXe siècle,
laquelle fit une source d’inspiration pour d’autres pays. La Révolution fit
avancer le Mexique dans de nombreux domaines. Mais ce même Empire, qui avait
dévoré hier une grande partie de son territoire, dévore aujourd’hui
d’importantes ressources naturelles encore restantes, sa force de travail bon
marché, et lui fait même verser son sang.
L’Association de libre-échange d’Amérique du Nord (ALENA) constitue
l’accord économique le plus brutal imposé à un pays en développement. Pour
faire bref, je dirais simplement que l’administration étasunienne vient
d’affirmer : « Alors que le Mexique a essuyé un double coup, non
seulement à cause de la chute de son économie mais aussi sous les effets du
virus A H1N1, nous souhaiterions probablement que son économie soit plus
stabilisée avant d’engager de longues discussions sur de nouvelles négociations
commerciales. » Bien entendu, elle
ne dit mot du fait que, par suite de la guerre déclenchée par le trafic de
drogues et dans le cadre de laquelle le Mexique utilise trente-six mille
soldats, presque quatre mille Mexicains ont déjà été tués en 2009. La drogue ne
provoque pas seulement des problèmes de santé : elle engendre la violence
qui déchire le Mexique et l’Amérique latine à cause de l’existence d’un marché
insatiable : les USA, source inépuisable des devises grâce auxquelles la
production de cocaïne et d’héroïne est poussée à la hausse, territoire d’où
viennent les armes utilisées dans cette guerre féroce mais dont les médias
parlent peu.
Ceux qui meurent, depuis le Rio Grande jusqu’aux confins d’Amérique du Sud,
sont des Latino-Américains. Ainsi, la violence générale bat des records de
morts, au point que les victimes en Amérique latine dépassent cent mille par
an, essentiellement fruits des drogues et de la pauvreté.
Cette guerre contre les drogues, l’Empire ne la mène pas à l’intérieur de ses
frontières : il la livre sur les territoires latino-américains.
On ne cultive ni la feuille de coca ni le pavot dans notre pays. Nous
luttons efficacement contre ceux qui tentent d’y introduire des drogues ou de
l’utiliser comme point de transit, et les indicateurs de personnes mourant pour
cause de violence se réduit d’année en année. Nous n’avons pas besoin de ce
fait de soldats yankees.
La lutte contre les drogues n’est qu’un prétexte pour établir des bases
militaires sur tout le continent. Depuis quand les bâtiments de la IVe
Flotte et les avions de combat modernes servent-ils à combattre les
drogues ?
Le vrai objectif est le contrôle des ressources économiques, la domination
des marchés et la lutte contre les changements sociaux. À quoi bon rétablir
cette flotte, démobilisée voilà plus de soixante ans à la fin de la Deuxième
Guerre mondiale, alors que l’URSS ni la Guerre froide appartiennent au passé ?
Les arguments avancés pour justifier l’établissement de sept bases aéronavales
sont une insulte à notre intelligence !
L’Histoire ne pardonnera pas à ceux qui commettent cette félonie contre
leurs peuples, ni à ceux qui prétextent de l’exercice de la souveraineté pour
sanctionner la présence de troupes yankees ? De quelle souveraineté
parlent-ils donc ? De celle que conquirent Bolívar, Sucre, San Martín,
O´Higgins, Morelos, Juárez, Tiradentes, Martí ? Aucun d’eux n’aurait
jamais accepté un argument si condamnable pour justifier la concession de bases
militaires aux forces armées des USA, un Empire plus dominateur, plus puissant
et plus universel que les couronnes de la péninsule ibérique.
Si, par suite de ces accords promus de manière illégale et
inconstitutionnelle par les États-Unis, n’importe quelle administration utilisait
ces bases, comme le firent Reagan avec sa sale guerre et Bush avec celle
d’Iraq, pour provoquer un conflit armé entre deux peuples frères, ce serait là
une grande tragédie. Le Venezuela et le Colombie ont vu le jour ensemble dans
l’histoire de Notre Amérique après les batailles de Boyacá et de Carabobo
livrées sous la direction de Simón Bolívar. Les forces yankees pourraient aussi
promouvoir une sale guerre comme elles le firent au Nicaragua, voire employer
des soldats étrangers entraînés par elles et attaquer un pays. Mais il est
difficile de croire que le peuple colombien, combatif, courageux et patriote se
laissera entraîner dans une guerre contre un peuple frère comme le peuple
vénézuélien.
Les impérialistes se trompent s’ils sous-estiment aussi les autres peuples
latino-américains. Aucun d’eux n’est d’accord avec leurs bases militaires,
aucun d’eux ne manquera de se solidariser avec n’importe lequel qu’ils attaqueraient.
Martí, qui admirait extraordinairement Bolívar, ne se trompait pas quand il
avait affirmé : « Ainsi donc, Bolívar est là dans les cieux d’Amérique,
vigilant et imposant… les bottes de campagne encore aux pieds, car ce qu’il n’a
pas fait lui-même n’est toujours pas fait à ce jour : Bolívar a encore à
faire en Amérique. »
Fidel Castro Ruz
Le