Réflexions du compañero
Fidel
MESSAGE AU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE BOLIVARIENNE DU VENEZUELA
Cher Hugo
Ce jour-ci marque le quinzième anniversaire de notre rencontre au Grand
Amphi de l’Université de La Havane, le
J’avais suivi ton soulèvement armé contre le gouvernement vénézuélien vendu
aux Yankees. Des nouvelles au sujet de tes idées nous étaient parvenues à Cuba
alors que tu étais en prison et que, comme nous, tu t’attachais à enrichir la
pensée révolutionnaire qui t’avait conduit à lancer le soulèvement du
Dans le Grand Amphi, tu avais, d’une
manière spontanée et transparente, avancé les idées bolivariennes que tu
portais en toi et qui t’avaient conduit, dans les conditions spécifiques de ton
pays et de notre époque, à te battre pour l’indépendance du Venezuela contre la
tyrannie de l’Empire. Malgré les efforts de Bolívar et des autres colosses qui,
remplis de rêves, avaient lutté contre le joug colonial espagnol,
l’indépendance du Venezuela n’était guère que des dehors ridicules.
Aucune minute de l’Histoire n’est égale à l’autre ; aucune idée ni
aucun événement humain ne peut être jugé hors de son époque. Toi et moi, nous sommes partis de concepts
qui ont évolué au fil des millénaires, mais qui sont très en rapport avec
l’histoire lointaine ou récente où la division de la société en maîtres et
esclaves, en exploiteurs et exploités, en oppresseurs et opprimés, fut toujours
antipathique et odieuse. Et elle constitue de nos jours la pire honte et la
principale cause de malheurs et de souffrances des êtres humains.
Alors que la productivité du travail, aiguillonnée aujourd’hui par la
technologie et la science, s’est multipliée des dizaines de fois et dans
certains domaines des centaines, voire des milliers de fois, des clivages si
injustes auraient dû disparaître.
Toi et moi, et avec nous des millions de Vénézuéliens et de Cubains,
partageons ces idées.
Tu es parti des principes chrétiens qu’on t’a inculqués et d’un caractère
rebelle ; moi, des idées de Marx et d’un caractère tout aussi rebelle.
Il est des principes moraux universellement admis qui sont valides pour un
chrétien autant que pour un marxiste.
À partir de là, les idées révolutionnaires ne cessent de s’enrichir de par
l’étude et l’expérience.
Il faut dire que notre amitié sincère et révolutionnaire est née alors que
tu n’étais pas encore président du Venezuela. Je ne t’ai jamais rien demandé.
Quand le mouvement bolivarien a remporté les élections de 1999, le pétrole
valait moins de dix dollars le baril. Je m’en souviens bien parce que tu m’as
invité à la passation de pouvoir.
Ton appui à Cuba a été spontané, tout comme l’a été notre coopération avec
le peuple vénézuélien frère.
En pleine Période spéciale, quand l’URSS s’est effondrée, l’Empire a durci
son brutal blocus contre notre peuple. À un moment donné, les cours du
combustible sont partis à la hausse, et nos approvisionnements sont devenus
difficiles. Tu as garanti que notre pays reçoive des livraisons commerciales
sûres et stables.
On ne saurait oublier qu’après le coup d’État politique contre la
Révolution bolivarienne en avril 2002 et ta brillante victoire sur le putsch
pétrolier à la fin de cette même année, quand les cours ont dépassé soixante
dollars le baril, tu nous as offert de nous livrer du carburant assorti de
facilités de paiement. Bush était alors président des USA : c’est lui
l’auteur de ces actions illégales et traîtresses contre le peuple vénézuélien.
Je me rappelle ton indignation quand il a exigé que j’abandonne le Mexique
comme condition pour atterrir dans ce malheureux pays où nous assistions toi et
moi à une conférence internationale des Nations Unies à laquelle il devait lui
aussi participer.
L’Empire ne pardonnera jamais à la Révolution bolivarienne d’avoir appuyé
Cuba alors qu’il s’imaginait que notre peuple, après presque un demi-siècle de
résistance héroïque, retomberait dans ses mains. À Miami, la contre-révolution
réclamait trois jours de permis de tuer des révolutionnaires dès que le
gouvernement de transition qu’exigeait Bush se serait installé à Cuba.
Dix années de coopération exemplaire et fructueuse entre le Venezuela et
Cuba se sont écoulées. L’Alliance bolivarienne entre les peuples de Notre
Amérique (ALBA) a vu le jour. La Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA),
promu par les USA, a fait fiasco, mais l’Empire est de nouveau à l’offensive.
Le coup d’État au Honduras et l’établissement de sept bases militaires en
Colombie datent d’après l’entrée du nouveau président à la Maison-Blanche. Son
prédécesseur, lui, avait rétabli la IVe Flotte, un demi-siècle après
la fin de la dernière guerre mondiale, alors qu’il n’y avait plus de Guerre
froide ni d’Union soviétique. Les intentions réelles de l’Empire sautent aux
yeux, derrière le sourire aimable et le visage afro-américain de Barack Obama.
Daniel Ortega a expliqué hier
comment le putsch au Honduras avait affaibli le Système d’intégration
centraméricain et déterminé la conduite de ses membres.
L’Empire mobilise derrière lui les forces de droite latino-américaines pour
frapper le Venezuela, et, partant, les États de l’ALBA. S’il s’emparait de
nouveau des grandes ressources pétrolières et gazières de la patrie de Bolívar,
les pays des Antilles anglophones et d’autres d’Amérique centrale perdraient
les conditions de livraison généreuses qui leur offre aujourd’hui le Venezuela révolutionnaire.
Voilà quelques jours, après le discours que le président Barack Obama a
prononcé à l’école militaire de West Point pour annoncer l’envoi de trente
mille soldats en Afghanistan, j’ai écrit des Réflexions où j’ai qualifié de
cynisme de sa part le fait d’avoir accepté le Prix Nobel de la paix alors qu’il
avait pourtant déjà adopté cette décision.
Le 10 décembre dernier, prononçant à Oslo son discours de récipiendaire, il
a avancé des affirmations qui constituent un bel exemple de la logique et de la
pensée impérialistes : « …je suis responsable du déploiement de
milliers de jeunes Etasuniens appelés à se battre dans un pays distant.
Certains tueront, d’autres seront tués », a-t-il
affirmé, tentant de présenter comme une « guerre juste » la boucherie
brutale qu’il commet dans ce lointain pays où la majorité de ceux qui périssent
sont les habitants inoffensifs des villages écrasés sous les bombes que
larguent ses avions sans pilote.
Après ces phrases-là, prononcées parmi les premières,
Obama a consacré plus de quatre mille cinq cents mots à présenter ses massacres
de civils comme une guerre juste. « Les guerres actuelles – a-t-il affirmé
– tuent bien plus de civils que de soldats. »
Les civils tués en Iraq et en Afghanistan et aux
frontières du Pakistan dépassent d’ores et déjà le million.
Obama y a fait l’éloge de Nixon et de Reagan comme de
personnages illustres, sans même se rappeler que le premier a largué plus d’un
million de bombes sur le Vietnam et que le second a fait sauter par des moyens
électroniques, sous les apparence d’un accident, le gazoduc de Sibérie.
L’explosion a été si forte et si destructrice que les senseurs d’essais
nucléaires l’ont captée.
L’allocution d’Obama à Oslo se différencie de celle de
West Point au sens que celle-ci était mieux rédigée et prononcée ; dans la
capitale norvégienne, le visage de l’orateur indiquait bien qu’il était
conscient de la fausseté de ses dires.
Le moment et les circonstances n’étaient pas non plus les
mêmes. Oslo et proche de Copenhague où se tient la très importante Conférence
sur les changements climatiques à laquelle, je le sais, Evo et toi, pensez
participer. C’est là que se livre actuellement la bataille politique la plus
importante de l’histoire humaine. Et que l’on constate dans toute leur ampleur
les dommages que le capitalisme développé a causés à l’humanité. Celle-ci doit
maintenant se battre désespérément non seulement pour la justice, mais aussi
pour la survie de notre espèce.
J’ai suivi de près le Sommet de l’ALBA. Je vous félicite
tous. J’ai énormément apprécié de voir tant de chers amis en train de mettre au
point des idées et de se battre unis. Je vous félicite tous.
Jusqu’à la victoire à jamais !
Une forte accolade.
Fidel Castro Ruz
Le