Réflexions
du compañero Fidel
LE
DROIT DE L’HUMANITÉ À L’EXISTENCE
Les changements climatiques causent d’ores et déjà
des dommages considérables, et des centaines de millions de pauvres en
souffrent les conséquences.
Les centres de recherche les plus avancés assurent
qu’il reste très peu de temps pour échapper à une catastrophe irréversible.
Selon James Hansen, de l’Institut Goddard, de la NASA, un niveau de trois cent
cinquante parties de dioxyde de carbone par million est encore tolérable ;
or, il dépasse actuellement trois cent quatre-vingt-dix et il augmente tous les
ans à raison de deux parties par million, soit plus que les niveaux d’il y a
six cent mille ans. Les deux dernières décennies ont été les plus chaudes
depuis qu’il existe des mesures. Ce gaz a augmenté de quatre-vingts parties par
million ces cent cinquante dernières années.
Les glaces de la mer Arctique, l’énorme couche de
deux kilomètres d’épaisseur qui couvre le Groenland, les glaciers d’Amérique du
Sud qui alimentent les principales sources d’eau douce de cette région, le
volume colossal qui couvre l’Antarctique, la couche qui reste encore sur le
Kilimandjaro, les neiges qui couvrent l’Himalaya et l’énorme masse gelée de la
Sibérie fondent à vue d’œil. Des scientifiques prestigieux redoutent des sauts
quantitatifs dans les phénomènes naturels qui provoquent les changements.
L’humanité avait placé de grands espoirs dans le
Sommet de Copenhague, qui devait prolonger le Protocole de Kyoto souscrit en
1996 mais entré en vigueur seulement en 2005. L’échec éclatant de ce Sommet a
engendré des épisodes honteux qu’il faut dûment éclaircir.
Les États-Unis, qui comptent moins de 5 p. 100 de la
population mondiale, émettent le quart du dioxyde de carbone. Leur nouveau
président avait promis de coopérer aux efforts internationaux pour faire face à
un problème qui touche son pays autant que le reste du monde. Les réunions
préalables au Sommet ont mis en lumière que les dirigeants de cette nation et
ceux des pays les plus riches manœuvraient pour faire retomber le poids des
sacrifices sur les pays émergents et les pays pauvres.
Beaucoup de dirigeants et des milliers de
représentants des mouvements sociaux et des institutions scientifiques, décidés
à se battre pour préserver l’humanité du pire risque qu’elle a encouru dans son
Histoire, se sont rendus à Copenhague à l’invitation des organisateurs du
Sommet. Je m’abstiens d’entrer dans le détail de la brutalité dont ont fait
preuve les forces de l’ordre danoises contre les milliers de manifestants et
d’invités des mouvements sociaux et scientifiques pour me concentrer sur les
aspects politiques du Sommet.
Un véritable chaos a régné à Copenhague et des choses
incroyables s’y sont passées. Les mouvements sociaux et les institutions
scientifiques n’ont pas eu le droit d’assister aux débats. Des chefs d’État ou
de gouvernement n’ont même pas eu la possibilité de donner leur opinion sur des
problèmes vitaux. Obama et les dirigeants des pays les plus riches ont séquestré
la conférence avec la complicité du gouvernement danois, et les institutions
des Nations Unis ont été mises sur la touche.
Barack Obama, qui est arrivé le dernier jour du
Sommet et n’y est resté que douze heures, s’est réuni avec deux groupes
d’invités triés sur le volet par lui-même et ses collaborateurs. Et c’est
accompagné de l’un de ces groupes qu’il a eu une réunion dans la salle plénière
avec le reste des délégations de plus haut niveau. Aussitôt après avoir pris la parole, il s’est retiré
par une porte dérobée. À cette réunion plénière, hormis le petit groupe choisi
par lui, les autres représentants des États n’ont pas eu le droit de prendre la
parole. Si les présidents bolivien et vénézuélien ont pu le faire, c’est
seulement parce qu’ils l’ont réclamé avec énergie, soutenus par les autres, et
que le président du Sommet n’a pas eu d’autre solution que de la leur céder.
Dans une salle contiguë, Obama a réuni les dirigeants
des pays les plus riches, de plusieurs nations émergentes les plus importantes
et de deux pays très pauvres. Il y a présenté un document négocié avec deux ou
trois des principaux pays, il a ignoré l’Assemblée générale des Nations Unies,
il a donné des conférences de presse et il est reparti, tel Jules César qui
s’exclama au terme d’une ses campagnes victorieuses en Asie mineure : Vini, vidi, vici !
Le Premier ministre en personne du Royaume-Uni, Gordon
Brown, avait affirmé le 19 octobre : « Si nous n’aboutissons pas à un
accord dans les prochains mois, il ne fait pas le moindre doute qu’une fois que
l’élévation débridée des émissions aura provoqué des dommages, aucun accord
mondial rétrospectif à quelque moment du futur ne pourra en éliminer les
effets. À cette date, il sera alors irrémédiablement trop tard. »
Et il avait conclu son discours sur cette péroraison
dramatique : « Nous ne pouvons nous donner le luxe de l’échec. Si
nous échouons maintenant, le prix à payer sera très lourd. Si nous agissons maintenant, si nous agissons
de concert, si nous agissons en faisant preuve de hauteur de vue et de
détermination, nous pouvons encore remporter la victoire à Copenhague. Mais, si
nous échouons, la planète Terre sera en danger, et il n’existe pas de plan de
rechange. »
Il affirme pourtant à présent avec arrogance que
l’Organisation des Nations Unies a été prise en otage par un petit groupe de
pays comme Cuba, le Venezuela, la Bolivie, le Nicaragua et Tuvalu, et il
accuse la Chine, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud et d’autres nations
émergentes d’avoir cédé aux séductions des États-Unis pour souscrire un accord
qui expédie aux oubliettes le Protocole de Kyoto et ne contient aucun
engagement contraignant pour les États-Unis et leurs riches alliés.
Je me vois obligé de rappeler que l’Organisation des
Nations Unies a vu le jour voilà à peine soixante ans, après la Deuxième Guerre
mondiale, alors que les pays indépendants ne dépassaient pas la cinquantaine.
Elle compte aujourd’hui plus de cent quatre-vingt-dix États indépendants, après
que la lutte décidée des peuples a eu liquidé l’odieux système colonial.
La République populaire de Chine s’est même vu
refuser pendant des années le droit d’entrée à l’ONU, un gouvernement fantoche
y usurpant sa représentation à l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité.
C’est grâce au soutien tenace d’un nombre croissant de pays du Tiers-monde que
la Chine bénéficia peu à peu de la reconnaissance de la communauté
internationale, ce qui fut un facteur très important pour que les USA et leurs
alliés de l’OTAN reconnaissent ses droits à l’ONU.
C’est l’Union soviétique qui contribua le plus par sa
lutte héroïque à la défaite du fascisme, au prix de plus de vingt-cinq millions
de morts et d’énormes destructions dans tout le pays. C’est au terme de cette
lutte qu’elle émergea comme une superpuissance capable de contrebalancer en
partie la domination absolue qu’exerçait le système impérial des USA et des
anciennes nations coloniales, et sa mise à sac impitoyable des peuples du
Tiers-monde. La désintégration de l’URSS a permis aux USA d’étendre leur
pouvoir politique et militaire en direction de l’Est, vers le cœur de la
Russie, et de renforcer leur influence sur le reste de l’Europe. Ce qui s’est
passé à Copenhague n’a donc rien d’étonnant.
Je tiens à souligner les déclarations injustes et
outrageantes du Premier ministre britannique et la tentative des États-Unis
d’imposer comme accord du Sommet un document dont les pays participants n’ont
discuté à aucun moment.
Le ministre cubain des Relations extérieures, Bruno
Rodríguez, a affirmé dans la conférence de presse qu’il a donnée le 21 décembre
des vérités absolument indéniables. J’en cite quelques paragraphes:
« À Copenhague, je tiens à le souligner,
la Conférence des Parties n’a adopté aucun accord, aucune décision concernant
des engagements, qu’ils soient contraignants ou pas, ni absolument aucune
décision relevant du droit international : à Copenhague, il n’y a pas eu
d’accord, tout simplement !
« Le Sommet a été un échec, et l’on veut
pourtant berner l’opinion publique mondiale. […] la carence de volonté
politique a sauté aux yeux…
« …il a constitué un recul dans l’action de
la communauté internationale pour prévenir ou alléger les retombées des
changements climatiques…
« …la température mondiale pourrait
s’élever de 5º en moyenne… »
Puis notre ministre a apporté d’autres données
intéressantes sur les conséquences possibles de cet échec, selon les dernières
recherches scientifiques :
« …de la date du Protocole de Kyoto à ce
jour, les pays développés ont élevé leurs émissions de 12,8 p. 100… 55 p. 100
de ce volume correspondant aux USA
« Un Étasunien consomme en moyenne 25
barils de pétrole par an, un Européen 11, un Chinois moins de 2, un
Latino-Américain ou un Caribéen, moins de 1.
« Trente pays, dont ceux de l’Union
européenne, consomment 80 p. 100 des combustibles produits. »
Le fait est que les pays développés signataires du
Protocole de Kyoto ont élevé radicalement leurs émissions. Ils veulent
toutefois substituer maintenant à la base adoptée pour calculer ces émissions,
autrement dit 1990, une nouvelle base, 2005, de sorte que les engagements
envisagés par les USA, les plus gros pollueurs, ne représenteraient qu’une
réduction de 3 p. 100 par rapport à vingt-cinq ans avant ! C’est là se
moquer d’une manière éhontée de l’opinion mondiale…
Le ministre cubain, parlant au nom des pays de
l’Alliance bolivarienne des peuples de Notre Amérique (ALBA), et défendant la
Chine, l’Inde, le Brésil, l’Afrique du Sud et d’autres États importants à
économie émergeante, a ratifié le concept dégagé à Kyoto de
« responsabilités partagées, mais
différenciées, ce qui veut dire que les pays à accumulation historique et les
pays développés, responsables de cette catastrophe, ont des responsabilités
différentes de celles des petits États insulaires ou des pays du Sud, surtout
des pays les moins avancés… »
« Responsabilités veut dire
financement ; responsabilités veut dire transfert de technologies dans des
conditions acceptables. Mais Obama joue sur les mots, et au lieu de parler de
"responsabilités" partagées mais différenciées, il parle de
"réponses" partagées, mais différenciées…
« …il abandonne la salle plénière sans
même daigner écouter qui que ce soit, de même qu’il n’avait écouté personne
avant son intervention. »
Obama avait affirmé lors d’une conférence de presse
ayant précédé son départ de la capitale danoise : « Nous avons généré
ici à Copenhague un accord substantiel sans précédent : pour la première
fois dans l’Histoire, les plus grandes économies sont venues ici accepter
ensemble leurs responsabilités. »
Dans son exposé clair et irréfutable, notre ministre
s’est exclamé :
« Que signifie : "…les plus
grandes économies sont venues ici accepter ensemble leurs
responsabilités" ? Ça veut dire qu’il fait retomber une part
importante du fardeau que représente le financement des mesures d’atténuation
et d’adaptation que doivent adopter les pays, surtout ceux du Sud, face aux
changements climatiques, sur la Chine, le Brésil, l’Inde et l’Afrique du Sud.
Car, il faut bien le dire, la Chine, le Brésil, l’Inde, l’Afrique du Sud et
tous les pays appelés par euphémisme en développement ont été victimes d’un
braquage, d’un hold-up !
Voilà dans quels termes frappants et irréfutables
notre ministre a raconté ce qu’il s’est passé à Copenhague.
Je dois ajouter que le 19 décembre, à dix heures du
matin, alors que notre vice-président Esteban Lazo et notre ministre des
Relations extérieures étaient déjà repartis, on a assisté à une tentative
tardive de ressusciter le document mort-né de Copenhague en tant que document
du Sommet. Il ne restait plus alors pratiquement aucun chef d’État et seuls quelques
ministres. De nouveau, la dénonciation des membres restants des délégations de
Cuba, du Venezuela, de Bolivie, du Nicaragua et d’autres pays a fait capoter la
manœuvre. Voilà comme s’est conclu le Sommet : sans gloire !
On ne saurait non plus oublier qu’aux heures les plus
critiques de cette journée-là, tard dans la nuit, le ministre cubain des
Relations extérieures, et les délégations qui livraient cette digne bataille,
ont offert leur coopération au secrétaire général des Nations Unies, Ban
Ki-moon, dans la lutte toujours plus dure qui se déroulait et dans les efforts
à consentir à l’avenir pour préserver notre espèce.
L’organisation écologique World Wide Fund (WWF) a
averti que les changements climatiques échapperaient à tout contrôle dans les
cinq à dix prochaines années si les émissions n’étaient pas réduites radicalement.
Mais Obama lui-même m’épargne la peine de démontrer
ce que j’ai dit sur ses agissements.
Il a déclaré le 23 décembre, dans une interview à la
chaîne de télévision CBS, que les gens avaient raison d’être déçus des
résultats du Sommet sur les changements climatiques : « …au lieu d’un
échec total, d’une inaction totale, ce qui aurait été un énorme recul, nous
avons pu du moins nous maintenir en gros là où nous étions… »
Selon l’agence de presse, Obama est le plus critiqué
par les pays qui sentent presque à l’unanimité que le Sommet s’est achevé sur
un désastre.
L’ONU est maintenant dans une impasse. Demander à de
nombreux autres États d’adhérer à un accord arrogant et antidémocratique serait
humiliant.
Poursuivre la bataille et exiger à toutes les
conférences, surtout celles de Bonn et de Mexico, le droit de l’humanité à
l’existence, en nous fondant sur la morale et la force que nous donne la
vérité, telle est à mon avis la seule voie.
Fidel Castro Ruz
Le