Réflexions du compañero
Fidel
FAUT-IL DONNER CARTE BLANCHE A L’HYPOCRISIE ET AU
MENSONGE ?
Dans leur lutte contre la Révolution cubaine, les États-Unis eurent pour
meilleur allié le gouvernement vénézuélien dirigé alors par l’insigne Rómulo
Betancourt Bello. Nous ne le savions pas. Il avait été élu président le
J’ai rarement senti dans ma vie plus de chaleur de peuple. On conserve des
films de cette visite. Je pris la vaste autoroute qui s’était substituée au
chemin asphalté par où les chauffeurs de véhicules les plus téméraires que j’ai
jamais vus m’avaient conduit de Maiquetía à Caracas lors de mon premier voyage dans
la capitale en 1948.
Mais, cette fois-là, j’écoutai aussi les sifflets les plus bruyants, les
plus prolongés et les plus embarrassants de ma longue vie quand j’osai
mentionner le nom du président frais élu mais pas encore installé : les
masses les plus radicalisées de Caracas, une ville héroïque et combative,
avaient voté contre lui à une majorité écrasante.
Les milieux politiques des Caraïbes et d’Amérique latine mentionnaient
alors avec intérêt l’illustre Rómulo Betancourt.
Pour quelle raison ? Il avait été si radical dans sa jeunesse qu’il
avait été nommé à vingt-trois ans membre du Bureau politique du Parti
communiste costaricien, et qu’il le resta de 1931 à 1935. C’était l’époque
difficile de la IIIe Internationale. Il apprit du marxisme-léninisme
la structure de classe de la société, l’exploitation de l’homme par l’homme
tout au long de l’histoire, le développement de la colonisation, du capitalisme
et de l’impérialisme au cours des derniers siècles.
Il fonda au Venezuela en 1941, aux côtés d’autres dirigeants de gauche, le
parti Action démocratique.
Il exerça la présidence provisoire du Venezuela d’octobre 1945 à février
1948 à la suite d’un coup d’État civil et militaire. Il reprit le chemin de
l’exil quand le grand écrivain et intellectuel vénézuélien Rómulo Gallegos fut
élu président constitutionnel et presque aussitôt renversé.
La machine bien huilée de son parti ayant fonctionné, il fut élu président
aux élections du
Quand, fin janvier 1959, je pris la parole sur la place du Silence où des
centaines de milliers de personnes s’étaient réunies et que je mentionnai par
simple politesse le nom de Betancourt, j’écoutai les huées dont j’ai parlé. Ce
fut pour moi une véritable leçon de réalisme politique, Je dus ensuite lui
rendre visite en tant que président élu d’une nation amie. Je découvris
quelqu’un de bourré d’amertume et de ressentiment. C’était déjà là le modèle de
gouvernement « démocratique et représentatif » dont avait besoin
l’Empire. Le sien collabora de son mieux avec les Yankees avant l’invasion
mercenaire de Playa Girón.
Fabricio Ojeda, un ami sincère et inoubliable de la Révolution cubaine que
j’eus le privilège de connaître et avec qui j’eus de longs échanges, m’expliqua
ensuite bien des choses sur la vie politique de sa patrie et sur le Venezuela
dont il rêvait. Ce fut l’une des nombreuses personnes que ce régime, totalement
au service de l’impérialisme, assassina.
Un demi-siècle s’est écoulé depuis. Je peux témoigner du cynisme
exceptionnel de l’Empire auquel les révolutionnaires cubains, dignes héritiers
de Bolívar et de Martí, ont fait face sans trêve ni repos.
Le monde a changé considérablement depuis l’époque de Fabricio Ojeda. Le
pouvoir militaire et technologique de cet Empire s’est renforcé
considérablement, ainsi que son expérience et son absence de scrupules totale.
Ses ressources médiatiques sont plus coûteuses et moins assujetties à des
normes morales.
Accuser le leader de la Révolution bolivarienne, Hugo Chávez, de préparer
la guerre contre le peuple colombien, de déclencher une course aux armements,
de produire des drogues et de promouvoir leur trafic, de réprimer la liberté
d’expression, de violer les droits de l’homme, et lancer d’autres imputations
similaires contre lui, relève d’un cynisme répugnant, qui ne dépare pas
l’histoire passée et présente de l’Empire, et les valeurs qu’il prône. On ne
saurait jamais oublier la réalité, ni manquer de la répéter : la vérité
objective et raisonnée est l’arme la plus puissante à inculquer sans répit dans
la conscience des peuples.
Le gouvernement étasunien – il faut le rappeler – a promu et soutenu le
coup d’État fasciste réalisé au Venezuela le
Après avoir écrasé à feu et à sang la révolution en Amérique centrale,
après avoir installé par des coups d’État des dictatures sanguinaires et
répressives qui freinèrent les avancées démocratiques et progressistes en
Amérique du Sud, l’Empire ne saurait se résigner à la construction du
socialisme au Venezuela. C’est là un fait réel, indéniable et flagrant pour
quiconque possède un minimum de culture politique en Amérique latine et dans le
monde.
Il vaut la peine de rappeler que le gouvernement vénézuélien n’a même pas
acheté d’armes après le coup d’État promu par les États-Unis en avril 2002. Le
baril de pétrole valait alors vingt dollars – une monnaie déjà dévaluée après
que Nixon eut suspendu sa conversion en or en 1971, presque trente ans avant
que Chávez ne monte à la présidence. Quand il y monta, le pétrole vénézuélien
n’atteignait même pas dix dollars. Quand les cours flambèrent ensuite, il
consacra les ressources de son pays à des programmes sociaux, à des plans
d’investissement et de développement, et à la coopération avec de nombreuses
nations des Caraïbes et d’Amérique centrale et d’autres d’Amérique du Sud aux
économies les plus pauvres. Aucun pays n’a offert une coopération aussi
généreuse.
Chávez n’a pas acheté un seul fusil dans les premières années de son
gouvernement. Il a même fait quelque chose qu’aucun autre pays n’aurait fait
dans des conditions où son intégrité était menacée : suspendre
l’obligation légale de chaque citoyen honnête et révolutionnaire de défendre
son pays les armes à la main.
Je pense plutôt que la République bolivarienne a trop tardé à acheter de
nouvelles armes. Les fusils dont disposait l’infanterie plusieurs années après
que Chávez ait accédé à la présidence remontaient à plus de cinquante
ans : en novembre 1958, pénultième mois de notre guerre, le gouvernement
provisoire de l’amiral Larrazábal me fit parvenir un fusil automatique FAL de
ce genre !
C’est l’administration étasunienne qui a décidé bien plutôt le désarmement
du Venezuela en prohibant de lui livrer les pièces nécessaires aux équipements
militaires yankees vendus traditionnellement à ce pays, depuis des avions de
combat et des transports militaires jusqu’aux appareils de communication et aux
radars. Il est extrêmement hypocrite d’accuser maintenant le Venezuela de
lancer une course aux armements.
D’autant que les États-Unis ont livré pour des milliards de dollars des
armements, des moyens de combat, des transports aériens aux forces armées de la
Colombie voisine et ont entraîné celles-ci, sous prétexte de lutte contre la
guérilla. Je peux attester des efforts qu’a consentis le président Hugo Chávez
pour contribuer à la paix intérieure dans ce pays frère. Les Yankees ne se sont
d’ailleurs pas contentés de fournir des armes : ils ont aussi instillé des
sentiments de haine contre le Venezuela aux troupes qu’ils entraînaient, tout
comme ils l’ont fait au Honduras à travers l’équipe spéciale basée à Palmerola.
Les États-Unis fournissent aux unités de combat dans les pays où ils
disposent de bases militaires le même uniforme et les mêmes équipements qu’à
leurs propres troupes d’intervention partout dans le monde. Ils n’ont pas
besoin de soldats à eux, comme en Iraq, en Afghanistan ou dans le nord du
Pakistan, pour planifier des massacres contre nos peuples.
L’extrême droite impérialiste, qui contrôle les leviers essentiels du
pouvoir, recourt à des mensonges éhontés pour occulter ses plans.
Eva Golinger, avocate et observatrice vénézuelo-étasunienne, a démontré
comment les arguments stratégiques avancés dans le message que l’administration
a fait parvenir au Congrès en mai 2009 pour justifier des investissements sur
la base de Palanquero ont été totalement modifiés dans l’accord aux termes
duquel Washington a obtenu cette base, de pair avec de nombreuses autres
installations civiles et militaires. Le document adressé au Congrès le 16
novembre sous le titre : Addendum destiné à refléter les termes de
l’accord de coopération en matière de défense entre les États-Unis et la
Colombie, signé le
Il est évident par ailleurs que le président de la République bolivarienne
bataille dur pour surmonter les contraintes que les États-Unis ont engendrés
dans les pays latino-américains, entre autres la violence sociale et le trafic
de drogues : en effet, la société étasunienne a été incapable d’éviter la
consommation et le trafic de stupéfiants, ce qui a des conséquences dans de
nombreux pays de la région.
La violence est l’un des produits les plus largement exportés par la
société capitaliste étasunienne durant ce dernier demi-siècle à travers
l’emploi croissant des médias et de l’industrie dite des loisirs. Ce sont là
des phénomènes que la société humaine n’avait pas connus à ce jour. Ces médias
pourraient toutefois être utilisés pour créer de nouvelles valeurs dans une
société plus humaine et plus juste.
Le capitalisme développé a créé les sociétés dites de consommation et
engendré par contrecoup des problèmes qu’il est incapable de maîtriser.
Le Venezuela est le pays qui réalise le plus rapidement des programmes
sociaux à même de permettre de contrer ces tendances extrêmement négatives. Ses
gros succès aux derniers Jeux sportifs bolivariens le prouvent.
À la réunion de l’UNASUR, le ministre vénézuélien des affaires étrangères a
posé très clairement la question de la paix dans la région : quelle est la
position de chaque pays face à l’installation de bases yankees en Amérique du
Sud ? C’est là non seulement une obligation de chaque État, mais aussi une
obligation morale de chaque homme et de chaque femme conscients et honnêtes de
notre continent et du monde. L’Empire doit savoir que les Latino-Américains se
battront sans trêve en toute circonstance pour défendre leurs droits les plus
sacrés.
Il existe des problèmes encore plus graves et plus immédiats pour tous les
peuples du monde : les changements climatiques, peut-être le pire et le
plus urgent de nos jours.
Chaque État devra, d’ici au 18 décembre, adopter une décision. L’illustre
prix Nobel de la paix, Barack Obama, devra de nouveau se positionner sur cette
question épineuse.
Puisqu’il a accepté la responsabilité de recevoir ce Prix, il devra bien
faire sienne la requête morale qu’a soulevée Michael Moore quand il a appris la
nouvelle : « Eh bien, maintenant, gagnez-le donc ! » Le
peut-il donc ?, me demandé-je. Alors que les milieux scientifiques à
l’unanimité exigent de réduire les émissions de dioxyde de carbone d’au moins
30 p. 100 par rapport à 1990, l’administration étasunienne offre de ne les
réduire que de 17 p. 100 par rapport à ses niveaux de 2005, soit à peine 5 p.
100 du minimum exigé pour 2020 par tous les scientifiques à tous les habitants
de la planète. Les États-Unis consomment deux fois plus par habitant que
l’Europe et dépassent les émissions de la Chine, un pays qui compte pourtant
D’ici à trente ans, les non moins de neuf milliards d’êtres humains qui
peupleront la planète auront besoin que les émissions de dioxyde de carbone
dans l’atmosphère soient réduites d’au moins 80 p. 100 par rapport à 1990.
Toujours plus de dirigeants de pays riches le comprennent avec amertume ;
en revanche, les hiérarques qui dirigent le pays le plus puissant et le plus
riche de la planète, les États-Unis, se consolent en affirmant que ces
prévisions sont de simples inventions des scientifiques. On sait d’ores et déjà
que la conférence de Copenhague décidera tout au plus de poursuivre les
discussions pour mettre d’accord plus de deux cents États et institutions qui
devront assumer des engagements, dont un extrêmement important : lesquels
parmi les pays riches contribueront et avec combien de ressources au
développement et aux économies d’énergie des pays les plus pauvres ? Faut-il
donner carte blanche à l’hypocrisie et au mensonge ?
Fidel Castro Ruz
Le
19 h 15