Réflexions du compañero
Fidel
LE MONDE, UN DEMI-SIÈCLE APRÈS
Le cinquante et unième anniversaire du triomphe de
Quand, le
Nous nous préparions aux combats du 1er janvier quand la
nouvelle que le tyran avait pris la fuite nous parvint au petit matin. Je
donnai des ordres à l’Armée rebelle de ne pas admettre de cessez-le-feu et de
poursuivre les actions sur tous les fronts. Aux micros de Radio-Rebelde,
j’appelai les travailleurs à déclarer une grève générale révolutionnaire qui
serait secondée aussitôt par toute la nation. La tentative de coup d’Etat
avorta de ce fait et nos troupes entrèrent victorieuses à Santiago de Cuba
cette même après-midi.
Le Che et Camilo, à la tête de leurs forces aguerries, reçurent des
instructions d’avancer rapidement sur
Commença alors la bataille principale : préserver l’indépendance de Cuba
face au plus puissant Empire de l’Histoire, et notre peuple l’a livrée avec une
dignité immense. Je me réjouis avec ceux qui, par-delà des obstacles, des
sacrifices et des risques incroyables, ont su défendre notre patrie et qui
profitent ces jours-ci, en compagnie de leurs enfants, de leurs parents et de
leurs êtres les plus chers, de l’allégresse et des gloires de chaque nouvel an.
Mais les jours actuels ne ressemblent en rien, toutefois, à ceux d’hier.
Nous vivons une époque nouvelle, sans commune mesure avec aucune autre de
l’Histoire. Avant, les peuples se battaient
avec honneur – et ils continuent de se faire – pour un monde meilleur et
plus juste ; aujourd’hui, ils doivent le faire en plus – et sans
échappatoire – pour la survie de notre espèce. L’ignorer, ce n’est rien savoir
du tout !
Le peuple cubain est sans aucun doute l’un des plus avertis du monde sur le
plan politique. Il est pourtant parti d’un profond analphabétisme. Pis encore,
nos maîtres yankees et la bourgeoisie associée aux patrons étrangers
possédaient les terres, les sucreries, les usine de biens de consommation, les
entrepôts, les commerces, l’électricité, les téléphones, les banques, les
mines, les assurances, les quais, les bars, les hôtels, les bureaux, les
maisons de rapport, les cinémas, les imprimeries, les revues, les journaux, la
radio, la télévision naissante et tout ce qui valait quelque chose.
Une fois éteintes les flammes brûlantes de nos batailles pour la liberté,
les Yankees s’arrogèrent le droit de penser pour un peuple qui avait tant lutté
pour être maître de son indépendance, de ses richesses et de ses destinées.
Rien, absolument rien ne nous appartenait, même pas la pensée politique.
Combien d’entre nous savaient lire et écrire ? Combien avaient même le
certificat d’études ? Je m’en souviens particulièrement en un jour pareil,
parce que le pays appartenait censément aux Cubains. Je ne cite rien d’autre, parce
que je devrais inclure bien d’autres choses, dont les meilleurs établissements
d’enseignement, les meilleurs hôpitaux, les meilleurs logements, les meilleurs
médecins, les meilleurs avocats… Combien étions-nous à avoir droit à tout
ça ? Qui possédait, sauf rares exceptions, le droit naturel et divin
d’être un gérant et un chef ?
N’importe quel millionnaire ou richard était, sans exception, chef de
parti, sénateur, représentant ou haut fonctionnaire. Telle était la démocratie
représentative et pure qui régnait dans notre patrie, à moins que les Yankees
n’imposassent à leur guise des tyranneaux impitoyables et cruels quand cela
convenait davantage à leurs intérêts, afin de mieux défendre leurs biens face à
des paysans sans terre et à des ouvriers avec ou sans travail. Comme plus
personne n’en parle, je m’aventure à le rappeler.
Notre pays fait aujourd’hui partie des plus de cent cinquante qui
constituent le Tiers-monde et qui seront les premiers, mais non les seuls, à
souffrir d’incroyables dommages si l’humanité ne prend pas conscience d’une
manière claire, sûre et plus rapide que jusqu’à présent de ce que seront la
réalité et les conséquences des changements climatiques provoqués par l’homme,
si l’on ne parvient à l’empêcher à temps.
Nos médias ont décrit les effets des changements climatiques. Les cyclones
toujours plus violents, les sécheresses et d’autres calamités naturelles ont
aussi contribué à l’éducation de notre peuple en la matière. Un fait singulier
– la bataille autour du climat qui s’est déroulée au Sommet de Copenhague – a
contribué à faire connaître le danger imminent. Il s’agit là d’un risque
réservé non au lointain XXIIe siècle, mais au XXIe, non à
la seconde moitié de celui-ci, mais aux prochaines décennies où nous
commencerions à en souffrir déjà les tristes conséquences.
Il ne s’agit pas non plus d’une simple action contre l’Empire et ses acolytes
qui, dans ce domaine comme dans tous les autres, tentent de faire primer leurs
intérêts stupides et égoïstes, mais d’une bataille d’opinion mondiale qu’on ne
saurait laisser à la spontanéité ni aux caprices de la plupart de leurs médias.
C’est une situation que connaissent heureusement des millions de personnes
honnêtes et courageuses dans le monde, d’une bataille à livrer avec le concours
des masses et au sein des organisations sociales et des institutions
scientifiques, culturelles, humanitaires et d’autres de caractère
international, tout particulièrement aux Nations Unies où l’administration
étasunienne, ses alliés de l’OTAN et les pays les plus riches ont tenté
d’assener en fraude, au Danemark, un
coup antidémocratique au reste des pays émergents et pauvres du Tiers-monde.
La délégation cubaine, qui a assisté au Sommet de Copenhague aux côtés des
membres de l’Alliance bolivarienne des peuples de Notre Amérique (ALBA) et des
autres pays du Tiers-monde, a dû y livrer une bataille frontale après les
incroyables événements enclenchés par le discours du président yankee, Barack
Obama, et du groupe des États les plus riches de la planète, bien décidés à
démanteler les engagements contraignants de Kyoto – où ce problème épineux
avait été débattu voilà plus de douze ans – et à faire retomber le fardeau des
sacrifices sur les pays émergents et sur les pays sous-développés qui sont, non
seulement les plus pauvres, mais aussi les principaux fournisseurs de matières
premières et de ressources non renouvelables de la planète aux plus développés
et aux plus opulents.
Obama s’est pointé à Copenhague le dernier jour de
Obama commença par choisir un groupe
d’invités qui eurent l’honneur de l’accompagner pour l’entendre prononcer son
discours au Sommet. Le Premier ministre danois, qui présidait
Une fois terminée la liste des orateurs autorisés, un indigène de pure
souche aymara, Evo Morales, le président bolivien, qui venait d’être réélu par
65 p. 100 des voix, exigea de pouvoir prendre la parole, laquelle lui fut cédée
sous les applaudissements majoritaires des personnes présentes dans la salle.
En à peine neuf minutes, il exprima des concepts profonds et dignes qui
répondaient à ce qu’avait dit le président, désormais absent, des États-Unis.
Aussitôt, Hugo Chávez se leva à son tour pour réclamer la parole au nom de
Le très affairé Obama et son cortège n’avaient toutefois pas une minute à
perdre ! Son groupe avait mis au point un projet de déclaration, bourré de
choses vagues, qui était le déni même du Protocole de Kyoto. Après son exit
précipité de la salle des séances plénières, il se réunit avec d’autres
invités, qui ne dépassaient pas la trentaine, négocia en privé et en groupe,
insista, parla de millions de billets verts qui, faute d’aval en or, ne cessent
de se dévaluer, et menaça même d’abandonner la réunion si on n’accédait pas à
ses demandes. Le pire, c’est qu’il s’agissait d’une rencontre de pays
hyper-riches à laquelle il avait invité plusieurs des principales nations
émergentes et deux ou trois pays pauvres, et auxquels il soumit le document sur
un ton de : C’est ça ou rien !
Le Premier ministre danois s’évertua à présenter cette déclaration confuse,
ambiguë et contradictoire, à la discussion de laquelle l’Organisation des
Nations Unies n’avait participé en rien, comme un Accord du Sommet ! La
session avait déjà pris fin officiellement,
presque tous les chefs d’État ou de gouvernement et ministres des
Affaires étrangères avaient regagné leurs pays. Et c’est à trois heures du
matin que l’honorable Premier ministre danois soumit, en séance plénière, le
fatidique document à des centaines de malheureux fonctionnaires, qui avaient à
peine fermé l’œil pendant trois jours, leur offrant juste une heure pour
l’analyser et l’adopter.
Et la chaudière explosa ! Les délégués n’avaient même pas eu le temps
de le lire. Plusieurs réclamèrent la parole. Le premier fut celui de Tuvalu, dont les îles seraient englouties par les eaux
si ce qui était proposé là était adopté ; vinrent ensuite ceux de
Comme l’on connaît à Cuba une bonne partie des faits, et qu’on les trouve
sur des sites d’Internet, je me bornerai à reproduire des extraits des deux
interventions de notre ministre des Relations extérieures, Bruno Rodríguez,
parce qu’il vaut la peine de connaître les épisodes finals de la série de
Copenhague et les péripéties du dernier chapitre qui n’ont pas encore été
publiées dans notre pays. Il s’adresse au Premier ministre danois, qui préside
la séance :
« Le document dont vous
avez nié à plusieurs reprises l’existence, monsieur le Président, apparaît
maintenant. Nous avons tous vu des versions qui circulent d’une manière
subreptice et qui se discutent en petits conciliabules secrets, hors des salles
où la communauté internationale négocie d’une manière transparente à travers
ses représentants.
« Je me joins aux
représentants de Tuvalu, du Venezuela et de
« Le document que vous
nous présentez ne contient, hélas, aucun engagement de réduction des émissions
de gaz à effet de serre.
« Je connais les versions
antérieures qui se sont négociées elles aussi à travers des procédés
contestables et clandestins, en coteries fermées, mais qui mentionnaient du
moins une réduction de 50 p. 100 d’ici à l’an 2050.
[…]
« Le document que vous
nous soumettez maintenant omet justement les phrases clefs déjà bien maigres et
insuffisantes de cette version-là. Ce document-ci ne garantit absolument pas
l’adoption de mesures minimales qui permettraient d’éviter une très grave
catastrophe à la planète et à l’espèce humaine.
« L’ignoble document que
vous nous soumettez est tout aussi muet et ambigu au sujet de l’engagement
concret de réduction des émissions de la part des pays développés, responsables
du réchauffement global du fait des niveaux historiques et actuels de leurs
émissions et devant donc procéder sans retard à des réductions substantielles.
Votre document ne dit pas un traître mot concernant cet engagement des pays
développés !
[…]
« Votre papier, monsieur
le Président, est l’acte de décès du Protocole de Kyoto, et ma délégation s’y
refuse.
« La délégation cubaine
tient à souligner la primauté du principe des « responsabilités communes
mais différenciées » en tant que concept clef des futures négociations.
Votre papier n’en dit mot.
[…]
« La
délégation cubaine proteste une fois de plus devant le fait que cette
Conférence a été conduite d’une manière antidémocratique, soumise à de graves
violations de procédure, en particulier à travers des formes de débats et de
négociations arbitraires, non inclusives et discriminatoires. […]
« Je vous demande
formellement, monsieur le Président, de faire en sorte que ma déclaration fasse
partie du rapport final sur les travaux de cette lamentable, de cette honteuse
Quinzième Conférence des Parties. »
Ce que personne ne pouvait imaginer, c’est que, au terme d’une autre longue
pause et alors que tout le monde pensait que le Sommet conclurait sur les
formalités habituelles, le Premier ministre du pays siège allait, à
l’instigation des Yankees, faire une nouvelle tentative pour que ce document soit
adopté comme consensus du Sommet, alors qu’il ne restait même plus aucun
ministre des affaires étrangères dans la salle ! Des délégués du
Venezuela, de
Mais l’affaire n’était pas conclue pour autant. Les puissants ne sont pas
habitués à ce qu’on leur résiste, et ils ne l’admettent d’ailleurs pas. Le 30
décembre, la mission permanente du Danemark auprès des Nations Unies à New York
informait aimablement la nôtre avoir pris note de l’ « accord »
de Copenhague du 18 décembre 2009 et joignait une copie préalable de cette
décision. Elle écrivait textuellement : « …le Gouvernement danois, en
sa qualité de président de
Cette communication surprenante a entraîné une réponse de notre Mission
permanente, qui affirme, entre autres :
« Aussi le Gouvernement de
Elle a aussi provoqué une lettre de Fernando González Bermúdez, notre
vice-premier ministre de
«Nous avons reçu avec surpris et inquiétude
« Nous avons constaté avec tout autant d’inquiétude que
le Gouvernement danois faisait savoir que le Secrétariat exécutif de
« Cette façon d’agir constitue, de l’avis de
« Rien de ce qui a été accordé à
« Je tiens à vous faire savoir que le Gouvernement de
Beaucoup savent, en
particulier les mouvements sociaux et les personnes les mieux informées des
institutions humanitaires, culturelles et scientifiques, que le document promu
par les USA constitue un recul par rapport aux positions atteintes par ceux qui
s’efforcent d’éviter à notre espèce un désastre colossal. Il serait oiseux de
répéter ici les chiffres et les données qui le prouvent mathématiquement. Les
faits apparaissent sur les pages d’Internet et sont à la portée d’un nombre
croissant de personnes intéressées par cette question.
La théorie que défendent
ceux qui souhaitent la signature du document est débile et marque un recul. On
invoque l’idée trompeuse que les pays riches fourniront 30 milliards de
dollars en trois ans aux pays pauvres pour leur permettre d’assumer les dépenses
qu’implique l’affrontement aux changements climatiques, cette somme pouvant
s’élever à 100 milliards par an en 2020, ce qui revient à renvoyer les choses
aux calendes grecques, compte tenu de la très grande gravité de ce problème.
Les spécialistes savant que ces sommes sont misérables, ridicules et
inacceptables face aux volumes d’investissements exigés. D’autant que leur
origine est vague et confuse, et n’engage personne à rien.
Que vaut un dollar ?
Que signifient trente milliards ? Nous savons tous que de Bretton Woods
(1944) au décret présidentiel de Nixon (1971) – promulgué pour faire retomber
sur l’économie mondiale les dépenses de la guerre génocidaire lancée contre le
Vietnam – la valeur du dollar, mesurée en or, n’a cessé de se réduire pour être
aujourd’hui trente-deux fois inférieure : autrement dit, 30 milliards de
dollars signifient moins d’un milliard, et 100 milliards en valent à peine
3,125, ce qui ne permet même pas de fabriquer aujourd’hui une raffinerie de
pétrole de moyenne capacité !
Si les pays industrialisés
tenaient un jour leur promesse d’apporter aux pays encore à développer 0,7 p. 100 de leur PIB – ce qu’ils n’ont
jamais fait, sauf rares exceptions – cela représenterait plus de 250 milliards
de dollars par an.
Pour sauver les banques,
l’administration étasunienne a dépensé 800 milliards de dollars. Combien
serait-elle disposée à verser pour sauver les 9 milliards de personnes qui
peupleront notre planète en 2050, à supposer que ne se produisent pas avant les
grandes sécheresses et inondations que provoquera la mer à cause de la fonte
des glaciers et des grandes masses d’eau congelées du Groenland et de
l’Antarctique ?
Ne nous abusons pas. Ce que les États-Unis ont prétendu faire par leurs
manœuvres à Copenhague, c’est diviser le Tiers-monde, séparer les plus de cent
cinquante pays sous-développés de
Le monde possède toujours plus d’informations, mais les hommes politiques
ont de moins en moins de temps pour penser.
Les nations riches et leurs dirigeants, le Congrès des Etats-Unis compris,
semblent discuter à qui sera le dernier à disparaître.
Obama s’est proposé de faire vingt-huit fêtes pour célébrer la fin de
l’année et le début de celle-ci. J’espère qu’il aura inclus celle des Rois
mages et que Gaspar, Melchior et Balthazar lui seront de bon conseil.
Qu’on m’excuse la longueur de ces Réflexions que je n’ai pas voulu diviser
en deux. J’en demande pardon à mes patients lecteurs.
Fidel Castro Ruz
Le
15 h 16