Reflexions
du compañero Fidel
LE GÉANT
AUX BOTTES DE SEPT LIEUES (II)
Le
L’investigation prouva que cet homme était entré
dans notre pays le 27 février dans un jet privé, en compagnie de quelqu’un
d’autre, et qu’il était descendu dans une chambre d’hôte légale.
Il fut arrêté le 30 mars.
Le 31, le ministère mexicain des Affaires
étrangères présenta à son homologue cubain une requête d’extradition concernant
Carlos Ahumada Kurtz, contre qui existait un mandat d’arrêt pour participation
probable à un délit de fraude générique.
Cinq jours après, à la suite de l’enquête, il fut
placé en prison préventive.
Il déclara au cours des interrogatoires qu’il
s’était mis d’accord, dès novembre 2003, avec des leaders politiques du Parti
Action nationale (PAN) et du Parti révolutionnaire institutionnel (PRI), le
sénateur Diego Fernández de Cevallos et l’ancien président Carlos Salinas de
Gortari, pour dénoncer les manigances frauduleuses de fonctionnaires du
gouvernement du District fédéral (Mexico) qui étaient de proches collaborateurs
du gouverneur Andrés Manuel López Obrador, du Parti révolutionnaire démocratique
(PRD). Des vidéos filmés par lui-même ou par des collaborateurs montraient le
secrétaire personnel du gouverneur, René Bejarano, en train de toucher des
milliers de dollars des mains d’Ahumada, ou alors le secrétaire des finances du
District fédéral, Gustavo Ponce Meléndez, en train de dépenser de grosses
sommes dans un casino de Las Vegas (USA), les vidéos ayant été présentés à la
télévision mexicaine.
On avait tendu un piège à Bejarano : après
qu’il eut critiqué violemment à un programme de télévision la corruption de
fonctionnaires publics, on le fit passer dans un studio attenant où on lui
présenta une vidéo où on le voyait en train de toucher de l’argent, d’où un
grand scandale qui détruisit son prestige.
Salinas de Gortari et Fernández de Cevallos virent
les vidéos avant et organisèrent, de concert avec Santiago Creel, secrétaire de
l’Intérieur, et Rafael Macedo de la
Concha, procureur général de la République sous le gouvernement Fox, la dénonciation et sa diffusion
postérieure, tout en offrant à Bejarano en échange une soutien économique pour
ses affaires et une protection judiciaire pour lui-même et sa famille.
Ahumada eut plusieurs contacts avec Fernández de Cevallos,
pour analyser la qualité des vidéos et les améliorer, voire pour occulter son
propre visage, et il ratifia sa dénonciation dans une chambre de l’hôtel
Présidente, de Mexico, en présence de représentants du ministère public.
Une fois les vidéos diffusées, Salinas lui indiqua,
à travers son avocat Juan Collado Mocelo et son adjoint personnel Adán Ruiz, d’abandonner
Mexico et de se réfugier à Cuba, ce qui se fit par contact téléphonique et
visite du personnel susmentionné.
Il s’agissait avant tout, selon des déclarations
d’Ahumada, de discréditer López Obrador et
le PRD pour l’affaiblir comme candidat présidentiel aux élections de 2006.
Carlos Ahumada Kurtz fut expulsé au Mexique le
Celui-ci, pendant son arrestation à Cuba, reçut la
visite de sa femme, du consul et fut autorisé à titre exceptionnel à avoir un
entretien avec l’avocat de Salinas, Juan Collado.
Ce cas déclencha une grosse campagne médiatique.
Des dirigeants de différents partis, en particulier
le PRD, se montrèrent d’accord avec Cuba en ce qui concernait la
déportation ; notre ministère de l’Intérieur signale même dans un rapport
reçu hier,
Par ailleurs, un « Rapport d’analyse des
informations sur la déportation de Carlos Ahumada » signalait dans un paragraphe : « Le
président du PRD, Godoy, a téléphoné à
notre ambassade, pour dire sa "satisfaction" de la déclaration
"cubaine" et de la "déportation". Il a dit aussi que López
Obrador "était très satisfait”. » C’était
ce qui nous intéressait le plus.
Le procureur général de Mexico « a appelé
notre ambassade pour se féliciter de cette déportation et demander des
renseignements sur le vol ».
Et ainsi de suite. De nombreuses personnalités, des
représentants d’organisations et de partis politique, des députés et des
sénateurs, nous exprimèrent leur satisfaction et leur gratitude.
Blanche Petrich et Gerardo Arreola, envoyée et
correspondant, respectivement, de La
Jornada, câblèrent la dépêche suivante :
« Le détenu implique directement de hauts fonctionnaires du
gouvernement, a signalé le ministre cubain des Relations extérieures.
« La Havane, 5 mai. Assis au bord d’un sofa à brocart passé de mode,
grassouillet, la bonne mine, l’industriel Carlos Ahumada affirme à ses
interlocuteurs assis à côté de la caméra qui le filme : "Je ne
voulais pas lâcher les vidéos, parce que c’était en quelque sorte mon seul
moyen de pouvoir négocier ce que je voulais négocier, autrement dit de l’aide.
Hélas, j’ai fini par tout lâcher, et on ne m’a rien donné en échange. Même pas
une protection juridique, puisqu’on m’accuse au contraire de blanchiment
d’argent, et je n’ai pas reçu non plus d’aide économique. Bref, on ne m’a rien
donné et je suis prisonnier ici. "
“A dose homéopathique, à peine quatre minutes de ces redoutables vidéos aux
mains du gouvernement cubain, le ministre des Relations extérieure Felipe Pérez
Roque a présenté "les preuves" que lui demandait le secrétaire aux
Affaires étrangères, Luis Ernesto Derbez.
« "Les faits – a conclu Pérez Roque – ont, hélas, des connotations
politiques considérables, parce que de hauts fonctionnaires du gouvernement
sont impliqués dans la planification, la réalisation et la diffusion de ces
vidéos a des fins politiques".
« Dans les extraits présentés cet après-midi à la presse, Ahumada ne
mentionne aucun nom de l’équipe de Fox, ni ne donne des détails du complot
tramé contre la figure politique du chef du gouvernement de Mexico, Andrés
Manuel López Obrador, ni aucun indice de l’identité de ceux qui sont derrière
lui. Et ce, bien que le ministère des Relations extérieures ait dit que les
autorités judiciaires cubaines possédaient "des heures et des
heures » de déclarations enregistrées du détenu. "Ahumada en a dit
bien plus à nos fonctionnaires".
« Qui sont ces "ils" dont parle Ahumada ? Quels sont
ceux que montrent les vidéos ? »
« "Ce sera au gouvernement mexicain de le dire. Nous avons dit,
nous, qu’il avait dit que de hauts fonctionnaires étaient impliqués dans la
planification préalable de toute cette affaire. Il a déclaré que les objectifs
en étaient politiques. C’est au Mexique à mener une enquête là-dessus. Ce n’est
pas notre objectif à nous. Nous, nous avons été contraitns de donner ces
preuves parce que le ministre mexicain, Derbez, nous a sommés d’en présenter.
Cette sommation nous a obligés à aller plus loin. "
« "Pendant un mois, Cuba a fait l’objet d’accusations et de
versions selon lesquelles nous protégions Ahumada. Je répète que ce sont les
autorités mexicaines qui sont obligées de rendre compte au système politique et
au peuple mexicain de ces faits", a insisté Pérez Roque.
Cette dépêche intéressante s’étend sur plusieurs
pages que je ne tente même pas de résumer, parce que je ne veux pas m’étendre
aussi longtemps que dans mes Réflexions d’hier.
Je tiens seulement à mentionner une instruction
indispensable que j’avais donnée le
« Il faut le faire auprès de tous les dirigeants des partis, que nos
gens aillent leur parler, non seulement au PRD, au PRI, mais aussi au PT, à
Convergencia. I l faut aussi parler à Bolaños [notre
ambassade au Mexique]. Il faut leur
expliquer comment ça s’est passé, comment nous l’avons appris, faire tomber
toutes les questions qu’on se pose.
« Il faut dire tout d’abord à Obrador que nous ne sommes pas mêlés à
un complot contre lui, à aucune conspiration, que nous ne sommes ligués avec
personne pour lui faire du tort, que nous avons appris qu’Ahumada était là, que
nous ne sommes pas capables de faire une chose pareille.
« Que nous avons appris par l’Interpol que cet individu était dans
notre pays.
« Que, vrai, nous avons beaucoup de problèmes à régler, que nous
sommes occupés à d’autres choses, et que la direction du pays n’était pas même
pas au courant de ces scandales…
« Que, dès que nous l’avons appris, nous avons ordonné une enquête.
Que nous avons même arrêté ce type pour savoir et apprendre ; qu’il
n’était pas la seule victime, mais que l’honneur, le prestige du pays, de la
Révolution étaient en jeu. Qu’il ne doit pas y avoir de confusion là-dessus.
Que tout ce qu’il a à dire nous intéresse au contraire.
« Demander leur opinion à ceux du PRI, aux autres, à tout le
monde ; ce que nous voulons, c’est qu’ils nous parlent. Et tu leur fais à
tous le laïus de notre position, comment on nous a mêlés à ça, et que nous
n’allons pas permettre qu’on nous implique dans des cochonneries, qu’on nous
accuse de protéger et d’appuyer… »
Les gens du parti de López Obrador voulaient qu’on leur
envoie une copie des déclarations filmées d’Ahumada, mais nous ne pouvions pas
les satisfaire. Nous les avons adressées comme de juste à l’autorité qui avait
réclamé l’extradition. Toute autre attitude n’aurait pas été sérieuse.
Nous comprenons parfaitement la méfiance de López
Obrador. Il avait été trahi par des gens qu’il croyait honnêtes, et ceux qui
étaient prêts à lui porter un coup de poignard ont profité des circonstances.
Il y avait une raison de plus. Quand Ahumada lui a
montré les vidéos, qu’il qualifia de « missile atomique » contre
Obrador, Salinas était à Cuba. C’était un type extrêmement habile, qui savait
bouger ses pièces en joueur d’échecs expert, avec un talent bien supérieur à
celui de son entourage.
Quand il était président du Mexique, son rival
était Cuauhtémoc Cárdenas avec qui, pour des raisons qui coulent de source, nous avions d’excellentes relations. Tous les
États, grands, moyens et petits, avaient reconnu Salinas.
Cuba fut la dernière à le faire. Ce n’est que
quelques jours avant la passation du pouvoir que nous avons accepté son
invitation d’y assister.
Je ne savais pas qu’il y ait eu des fraudes.
Salinas était le candidat du PRI, un parti pour lequel les électeurs mexicains
avaient toujours voté des décennies durant. Seul le cœur me faisait croire
qu’on avait volé les élections à Cuauhtémoc.
Salinas fut extrêmement aimable avec moi ce
jour-là, il conversa pas mal et il me montra sa gigantesque bibliothèque de
deux étages bourrée de livres. Ils ne faisaient pas tapisserie.
Quelque chose de très important arriva. Nous étions
en août 1994, un moment de crise migratoire sérieuse entre Cuba et les USA.
William Clinton, le président étasunien d’alors, qui ne voulait pas de Carter,
lequel s’était proposé comme médiateur, et que je préférais, moi, nomma Salinas
et je fus forcé de l’accepter.
Il se porta bien, et agit vraiment en médiateur,
non comme un allié des USA. Et c’est ainsi qu’un accord fut signé entre nos
deux pays, alors que celui que nous avons obtenu lors de la première crise,
sous Reagan, n’avait été qu’un faux-semblant.
Quand Zedillo, quelqu’un de vraiment médiocre, son
successeur à la présidence, méfiant peut-être de son influence politique, lui
interdit de vivre au Mexique, Salinas, qui traversait alors une situation personnelle
difficile, demanda à vivre à Cuba. Nous l’autorisâmes sans hésitation, et c’est
ici que naquit la première fille de son second mariage.
Il voulut investir dans notre pays, mais nous ne
lui permîmes pas. Il acheta la villa d’un particulier dans la capitale.
William Clinton, lui, ne se porta pas bien. Il
respecta les accords migratoires, mais il maintint le blocus économique, la Loi
d’ajustement cubain et, dès qu’il put, il durcit les pressions économiques
contre Cuba par la Loi Helms-Burton, toujours en vigueur.
Quand Salinas a raconté dans un livre le rôle qu’il
a joué dans les négociations migratoires, il
a dit la vérité, coïncidant en cela avec le journal de gauche New Yorker, qui a narré les activités de
Richardson, alors secrétaire à l’Énergie, durant sa visite à Cuba :
celui-ci a proposé à Clinton d’interdire les vols provocateurs d’avions
utilisés durant la guerre du Vietnam au-dessus de l’espace aérien de La Havane,
parce que nous lui avions dit que nous ne tolérerions plus ces violations.
Avant de regagner les USA, il m’a dit que cela
n’arriverait plus, et j’ai cessé de m’occuper de ce problème. Les choses
ne se sont pas passées, hélas, comme il
le prévoyait, et l’incident a bel et bien eu lieu.
Salinas a continué de visiter Cuba avec une certaine
fréquence, nous avions des échanges, et il n’a jamais tenté de me berner. Je
suis ensuite tombé gravement malade le
Je n’ai pas changé. Je serai fidèle aux principes
et à la morale que j’ai pratiqués depuis que je me suis fait révolutionnaire.
Je m’honore aujourd’hui de partager les vues de
Manuel López Obrador, et je n’ai pas le moindre doute que, bien plus tôt qu’il
ne l’imagine, tout changera au Mexique.
« …les arbres doivent se mettre en rang pour que le géant aux bottes
de sept lieues ne passe pas ! C’est l’heure du dénombrement et de la
marche unie, et nous devons aller en carré serré, comme l’argent à la racine
des Andes ! » Voilà ce qu’écrivait José Martí, il y a de cela presque
cent vingt ans, le 1er janvier 1891.
Fidel Castro Ruz
Le