MESSAGE DE FIDEL
AUX ETUDIANTS
Chers étudiants et
autres invités,
Je me réjouis beaucoup de la présence
à cette réunion du ministre de l’Enseignement supérieur, des recteurs des
universités de
Je me rappelle bien ce 17 novembre
2005. Journée internationale de l’étudiant. Vous aviez décidé, vous les
universitaires, que je devais prendre la parole ce jour-là, qui marquait, m’avait-on
dit, le soixantième anniversaire de mon entrée à l’Université, fin 1945.
J’étais alors un peu plus jeune qu’aujourd’hui ; j’avais votre âge. Mais
nous avons vécu ensemble une étape de la vie.
Je pensais qu’une réunion comme celle
que nous avons eue à l’Université de
Ce groupe m’a plu. Il ne réclamait
pas une « révolution culturelle », il souhaitait écouter des
réflexions de ma part sur les idées que j’avais exposées ce jour-là.
Cette rencontre était désormais leur
propriété. Il me semblait que bien du temps nous séparait de ce 17 novembre,
j’avais bien d’autres idées en tête et je leur ai répondu :
« Rendez-vous ce jour-là, donc. »
Je savais bien entendu que ce
discours-là avait fait grincer des dents, étant donné le moment que nous
vivions alors face à un puissant ennemi qui nous menaçait de plus en plus,
imposait un blocus féroce à notre économie et s’efforçait de semer le
mécontentement en fomentant la violation des lois et les départs illégaux du
pays, nous privant d’une réserve de force de travail jeune, bien formée des
points de vue culturel et technique, et dont beaucoup étaient entraînés ensuite
à des activités illicites et à la délinquance.
J’avais aussi fait preuve
d’autocritique et d’ironie au sujet de nos propres actions. Tout en étant
caustique, j’avais défendu des principes et je n’avais pas fait de concessions.
Je me rappelais tout ceci, bien
entendu, mais non les mots exacts que j’avais employés, ni la totalité des
arguments que j’avais avancés, ni la durée de ce discours.
J’en ai donc demandé une copie aux
archives du Conseil d’État, et j’ai constaté qu’il faisait cent quinze pages à
interligne simple, soit deux cents comme celles-ci qui en font une quarantaine.
Ces dernières semaines, j’ai eu
beaucoup de travail pour différentes raisons, dont mes réunions avec le
directeur principal du site web Global
Research, Michel Chossudovsky ; la victoire électorale écrasante de
l’extrême droite aux États-Unis, entre autres celle du groupe fasciste du Tea Party ; la crise économique sans
précédents ; la guerre des devises, suivie de près par le Sommet du G-20 à
Séoul et le Sommet de l’APEC à Yokohama, au Japon ; et, dans deux jours,
les 19 et 20 novembre, le Sommet de
l’OTAN au Portugal qu’il faut suivre de près.
Je ne me résignais pourtant pas à
ajourner la date de notre rencontre, voire à annuler celle-ci.
Me basant sur mon discours d’alors,
j’ai en tiré textuellement les idées essentielles, tout en omettant, pour
gagner du temps, les nombreuses exemples qui soutenaient mes vues.
Je dois avouer ma surprise devant le
fait que ces idées-là sont, cinq ans après, plus actuelles que jamais, car
beaucoup ont à voir avec le futur, et que les événements m’ont donné raison. La
seule différence que les connaissances disponibles aujourd’hui sur des
phénomènes tels que les changements climatiques, la crise économique pire que
toutes les précédents, les dangers d’une guerre et le dérapage du pouvoir
impérial vers le fascisme exigent des universitaires le maximum de
concentration et d’effort dans la bataille idéologique,
L’une des premières idées que j’ai
exprimées est la suivante :
« L’ensemble de facteurs qui ont rendu la vie
possible a joué au bout de milliards d’années sur la planète Terre. Cette vie
fragile n’a pu se développer que dans des fourchettes de températures limitées, entre quelques degrés en dessous de zéro et quelques degrés au-dessus
de zéro…
«
J’essayais de me rappeler comment étaient ces universités-là, à quoi nous nous
consacrions, de quoi nous nous inquiétons. Nous nous inquiétons… de cette
petite île. On ne parlait pas encore de mondialisation, la télévision
n’existait pas, l’Internet non plus, pas plus que les communications
instantanées d’un bout à l’autre de la planète… En tout cas, à l’époque, vers
1945, nos avions de passagers arrivaient à peine à Miami…
« Une
guerre terrible venait juste de se terminer qui a coûté environ cinquante
millions de morts. Je parle de 1945, l’année où je suis entré à l’université,
le 4 septembre. Oui, parce que c’est le 4 septembre que j’y suis entrée, mais
vous avez pris ensuite la liberté de fêter cet anniversaire n’importe quel
jour… »
Puis, je me suis demandé :
« Quel
monde que le nôtre ! Quel monde que le nôtre où un empire barbare proclame
son droit d’attaquer par surprise et à titre préventif une soixantaine de pays
du monde ou plus, qui est capable de porter la mort à n’importe quel coin du
monde en recourant aux armes et aux techniques de mort les plus
perfectionnées !
[…]
« Aujourd’hui
même, l’Empire menace d’attaquer l’Iran si celui-ci produit du combustible
nucléaire.
[…]
« Si
bien qu’on discute dans l’arène internationale à quel jour ou à quelle heure ça
se fera, si ce sera l’Empire qui le fera, ou s’il utilisera, comme il l’a fait
en Iraq, son satellite israélien pour bombarder de manière préventive et par
surprise les centres de recherche iraniens qui mettent au point la technique de
production du combustible nucléaire.
« …cette
nation-là réclame le droit de produire du combustible nucléaire comme n’importe
quelle nation industrielle, sans avoir à épuiser ses réserves d’une autre
matière première qui sert à produire non seulement de l’énergie, mais de
nombreux autres produits, des engrais, des textiles, une foule de choses
d’usage universel.
« …Et
on verra bien ce qu’il se passera s’ils se mettent à bombarder l’Iran pour
détruire des installations qui lui permettent de produire du combustible
nucléaire.
« Nous
n’avons jamais parlé de la possibilité de fabriquer des armes nucléaires… Nous
possédons un autre genre d’armes nucléaires : nos idées. […] nos armes
morales qui sont invincibles. Voilà pourquoi nous n’avons jamais eu l’idée de
fabrique … des armes biologiques. […] À quoi bon ? Des armes, oui,
pour combattre la mort, pour combattre le sida, pour combattre les maladies,
pour combattre le cancer. Voilà à quoi nous consacrons nos ressources…
« […]
On découvre maintenant partout dans le monde des prisons secrètes où les
défenseurs des droits de l’homme torturent : ce sont les mêmes qu’on
retrouve à Genève votant à la queue leu leu, comme des moutons, contre Cuba, le
pays qui ne connaît pas la torture, ce qui est tout à l’honneur et à la gloire
de cette génération, à l’honneur et à la gloire de cette Révolution, à
l’honneur et à la gloire d’un pays qui se bat pour la justice, pour
l’indépendance, pour la dignité humaine, et qui doit préserver sans tache sa
pureté et sa dignité !
« […]
On a appris ce matin que l’Empire avait utilisé du phosphore blanc sur
Falloudjah, quand il a constaté qu’il ne parvenait pas à vaincre un peuple
pratiquement désarmé, au point que les envahisseurs ne pouvaient ni partir ni
rester : s’ils partaient, les combattants rebelles revenaient ; s’ils
restaient, ils ne pouvaient envoyer ces troupes ailleurs où ils en avaient
besoin. Plus de deux mille jeunes soldats étatsuniens sont déjà morts, et
certains se demandent : jusqu’à quand continueront-ils de mourir dans une
guerre injuste… ?
« …Il
a donc dû transformer l’enrôlement en une source d’emploi, engager des
chômeurs, et il tente bien souvent d’engager le plus grand nombre possible
d’Afro-américains dans ses guerres injustes. Mais on finit par apprendre que
toujours moins de Noirs sont disposés à s’engager dans l’armée, malgré le
chômage et la marginalisation dont ils sont victimes…
« […]
L’Empire a besoin de Latinos, d’émigrants, et ceux-ci, pour tenter d’échapper à
la faim, franchissent la frontière mexicaine. Plus de cinq cents meurent chaque
année en tentant de franchir la frontière, autrement dit bien plus en douze
mois que ceux qui sont morts en vingt-huit ans au fameux mur de Berlin.
« …Voilà
comment les jeunes gens entraient dans cette université qui n’était pas, soit
dit en passant, l’université des humbles : c’était l’université des
classes moyennes, l’université des riches, même si les jeunes étaient
généralement au-dessus des idées de leur classe et si beaucoup d’entre eux étaient
capables de se battre, de la même manière qu’ils se sont battus tout au long de
l’histoire de Cuba.
«
Les huit élèves de médecine fusillés en 1871 ont été les fondements des plus
nobles sentiments et de l’esprit de rébellion de notre peuple…
« …
Mella était issu lui aussi des couches moyennes, ce qui est logique parce que
ceux des classes les plus pauvres, les fils de paysans, les fils d’ouvriers ne
savaient ni lire ni écrire.
« J’ai
mentionné Mella, mais je pourrais mentionner Guiteras, je pourrais mentionner
Trejo qui est mort au cours d’une des manifs contre Machado, un 30 septembre…
« …Quand
la tyrannie de Batista s’est de nouveau implantée dans toute sa rigueur, de
nombreux étudiants se sont battus et de nombreux étudiants sont morts. Je me
rappelle ce jeune homme de Cárdenas, Manzanita, comme on l’appelait, toujours
souriant, toujours jovial, toujours affectueux avec les autres, qui se
distinguait par son courage, par sa fermeté… quand il se heurtait à la police.
« Si
vous visitez la maison de José Antonio Echeveria, vous pouvez constater que
c’est une excellente maison. Ce qui veut dire que les étudiants dépassaient
très souvent leur origine sociale, leur origine de classe, parce que c’est un
âge où l’on a beaucoup d’espoir, beaucoup de rêves.
« De toute
façon, cette université ne comptait qu’une seule faculté de médecine, un seul
CHU, et beaucoup décrochaient des prix de médecine, voire de chirurgie, sans
avoir jamais fait une seule opération.
« Certains
y parvenaient… C’est ainsi que de bons médecins sont apparus. Pas un tas de
bons médecins, non, n’allez pas croire. Il y en avait un tas… qui étaient au
chômage. Au triomphe de
« C’est
de là que notre pays a dû partir pour devenir quasiment la capitale de la
médecine mondiale.
« Notre
pays compte… plus de soixante-dix mille médecins.
« …Je
suis entré à l’Université presque fin 1945 et j’ai lancé la lutte armée à
« …nous
ne connaissions même pas bien les lois de la gravité, nous grimpions en luttant
contre l’Empire, qui était déjà le plus puissant, mais face auquel il existait
une autre superpuissance… Et c’est en grimpant, en escaladant, que nous avons
pris de la bouteille, que notre peuple s’est fortifié, ainsi que notre
Révolution, pour en arriver où nous en sommes maintenant.
« …l’homme
est le seul capable… de passer par-dessus tous les instincts… la nature lui
impose des choses à travers les instincts… la nature lui impose les instincts,
et l’éducation lui impose les vertus…
« …malgré
les différences entre eux, les êtres humains peuvent ne faire qu’un à un moment
donné, et ce, grâce aux idées… ils peuvent être des millions.
« Ce
sont les idées qui nous unissent, ce sont les idées qui font de nous un peuple
combattant, ce sont les idées qui nous font, non seulement individuellement
mais collectivement, révolutionnaires. Et c’est quand la force de tous s’unit
qu’un peuple ne peut plus être vaincu…
« …nous
sommes un pays minuscule, ici, à cent cinquante kilomètres de l’Empire
colossal, de l’Empire le plus puissant qui ait jamais existé dans l’Histoire et
qui, quarante-six ans après, est de moins en moins capable de faire plier la
nation cubaine, cette nation qu’il a offensée et humiliée durant quelque temps.
« C’est
Agramonte, je crois – d’autres parlent de Céspedes – qui, répondant aux
pessimistes, alors qu’il n’avait que douze hommes avec lui, s’est
exclamé : "…avec douze hommes, on fait un peuple."… ce qu’on
appelle une conscience révolutionnaire, qui est la somme de bien des
consciences. […] qui est la fille de l’amour de la patrie et de l’amour du
monde, qui n’oublie pas cette idée avancée voilà plus de cent ans : la
patrie est l’humanité.
« Nous
ne devons jamais oublier ceux qui, durant tant d’années, ont été notre classe
ouvrière et travailleuse, qui ont vécu les décennies de sacrifice, qui ont
lutté contre les bandes mercenaires dans les montagnes, contre les invasions
style Playa Girón, contre les milliers de sabotages qui ont coûté tant de vies à
nos travailleurs agricoles et sucriers, à nos travailleurs industriels, ou
commerciaux, ou ceux de la marine marchande ou de la pêche qui se voyaient tout
d’un coup attaqués à coups de bazooka ou de canon, uniquement parce qu’ils
étaient Cubains, parce que nous voulions notre indépendance, uniquement parce
que nous voulions améliorer le sort de notre peuple…
« Cuba
prend la parole quand elle doit la prendre et Cuba a des tas de choses à dire,
mais elle est ni pressée ni impatiente. Elle sait très bien quand, où et
comment il faut frapper l’Empire, son système et ses laquais.
« Je
pense… que cette humanité et les grandes choses qu’elle est capable de créer
doivent être préservées tant que faire se peut. […]
« …ce
peuple admirable et merveilleux, hier semence et aujourd’hui arbre aux racines
profondes, hier plein de noblesse en puissance et aujourd’hui plein de noblesse
réelle, hier plein de connaissances en rêve et aujourd’hui plein de
connaissances réelles, quand il vient à peine d’entrer dans cette gigantesque
université qu’est Cuba aujourd’hui.
« Et
voyez comment sont apparus de nouveaux cadres, et des cadres jeunes.
« Nous
sommes engagés, vous le savez, dans une bataille contre les vices, contre le
détournement de ressources, contre le vol…
« Mais
n’allez pas penser que le vol de matériaux et de ressources date d’aujourd’hui
ou de
« …À
l’époque dont je vous parle, il fallait huit cents kilos de ciment pour
produire une tonne de béton, de bon béton… Or, en fait, il en faut seulement
deux cents kilos. Voyez un peu comment on gaspillait, comment on détournait des
ressources, comment on volait !
« Dans
cette bataille contre les vices, il n’y aura de trêve contre personne… et nous
ferons appel au sens de l’honneur de chaque secteur. Car nous sommes certains
qu’il existe une dose élevée d’honneur en chaque être humain. Quand on est seul
devant soi, on n’est généralement pas un juge sévère, bien que, de mon point de
vue, le premier devoir d’un révolutionnaire soit d’être extrêmement sévère
contre lui-même.
« La
critique et l’autocritique, c’est tout à fait correct, parce que ça n’existait
pas auparavant, mais si nous allons mener une bataille, alors il faut utiliser
des projectiles de plus gros calibre, il faut faire la critique et
l’autocritique dans la salle de classe, dans la cellule du parti et ensuite
hors de la cellule, et après dans la commune et après dans le pays.
« On
peut aussi poser d’autres questions. Combien gagnons-nous ? Et à
partir de cette question, on commencerait à comprendre le rêve que chacun vive
de son salaire ou de sa très juste pension.
« …je
peux vous assurer que nous avons pris conscience et que toute la vie est un
apprentissage, jusqu’à la dernière seconde, et bien des choses, vous commencez
à les voir à un moment.
« J’ai
tiré une conclusion au bout de bien des années : parmi les nombreuses
erreurs que nos avons tous commises, la plus grosse a été de croire que
quelqu’un savait ce qu’était le socialisme, ou comment on fait le socialisme.
Ça semblait une science toute mâchée, autant que le système électrique conçu
par certains qui s’estimaient des experts en la matière. […] En tout cas, nous
sommes des idiots si nous croyons, par exemple, que l’économie – et que les
dizaines de milliers d’économiste de notre pays me pardonnent – est une science
exacte et éternelle, qu’elle remonte à Adam et Ève.
« Vous
perdez tout votre sens de la dialectique si vous croyez que cette économie
d’aujourd’hui est la même qu’il y a cinquante ans, ou cent ans ou cent
cinquante ans, qu’elle est pareille qu’à l’époque de Lénine ou à celle de Karl
Marx. Je suis à mille lieues d’être un révisionniste, je rends un vrai culte à
Marx, à Engels et à Lénine.
« Après,
j’ai découvert que j’étais un communiste utopique, parce que toutes mes idées
avaient pour point de départ : « "Ceci n’est pas bien, ceci est
mauvais, ceci est insensé… Comment les crises de surproduction peuvent-elles
arriver, et la faim, quand il y a plus de charbon, plus de froid, plus de
chômeurs, puisqu’il y a justement plus de capacités de créer des richesses. Ne
serait-il pas plus simple de leur produire et de les distribuer ?"
« Il
semblait à cette époque, tout comme il semblait à Karl Marx dans son Programme
de Gotha, que les limites de l’abondance
sociale reposaient dans le système social, qu’à mesure que les forces
productives se développaient, les hommes pouvaient produire quasiment sans
limites tout ce dont ils avaient besoins pour assouvir ses besoins essentiels
de type matériel, culturel, etc.
« Quand
vous lisez des livres politiques comme Le
18-Brumaire ou Les luttes
civiles en France, vous vous rendez compte que
vous êtes devant un génie, que ses interprétations étaient extrêmement claires.
Son Manifeste communiste est un
grand classique. Vous pouvez l’analyser, et vous pouvez être plus ou moins
d’accord avec telle ou telle chose, mais vous êtes bien forcés de le
reconnaître.
« Je
suis passé du communisme utopique à un communisme qui se fondait sur des
théories sérieuses du développement social…
« Tout
stratège et tacticien révolutionnaire doit concevoir une stratégie et une
tactique qui conduise à l’objectif clef : changer ce monde réel, parce
qu’il faut le changer. Mais aucune tactique ou stratégie qui désunisse n’est
bonne.
« J’ai
eu le privilège de connaître certains théologiens de
« Le
monde a désespérément besoin d’unité, et si nous n’en obtenons pas un minimum,
nous n’aboutirons nulle part.
« Lénine
a surtout étudié les questions de l’État ; Marx n’avait pas parlé de
l’alliance ouvrier-paysan parce qu’il vivait dans un pays à grand essor
industriel. Lénine, lui, a connu le monde sous-développé, a vu ce pays où de 80
à 90 p. 100 des gens étaient paysans, même s’il y existait une puissante force
ouvrière dans les chemins de fer et dans certaines industries ; et il a
constaté avec une clarté absolue la nécessité de cette alliance entre les
ouvriers et les paysans, ce dont personne n’avait encore parlé. Tout le monde avait
philosophé, mais personne n’en avait parlé. Et c’est dans un immense pays
semi-féodal, semi-sous-développé qu’éclate la première révolution socialiste,
la première tentative véritable de créer vraiment une société égalitaire et
juste, puisque aucune des précédentes – esclavagiste, féodale, médiévale ou
antiféodale, bourgeoise, capitaliste – même si la société bourgeoise a beaucoup
parlé de liberté, égalité et fraternité, ne s’est jamais proposé de fonder une
société juste.
« Le
premier effort sérieux de l’homme tout au long de l’Histoire pour créer une
société juste date de moins de deux cents ans…
« On
ne serait jamais arrivé à une stratégie en faisant preuve de dogmatisme. Lénine
nous a beaucoup appris à cet égard. Marx nous a appris à comprendre la
société ; Lénine nous a appris à comprendre l’État et son rôle.
« …quand l’URSS s’est effondrée, bien
de gens se sont retrouvés seuls, entre autres nous, les révolutionnaires
cubains. Mais nous savions ce que nous devions faire, quels étaient nos choix.
Les autres mouvements révolutionnaires continuaient de se battre à bien des
endroits. Et certains – je ne vais pas dire lesquels, mais il s’agissait de
mouvements très sérieux – nous ont demandé s’ils devaient continuer de se
battre ou s’ils devaient négocier dans cette situation désespérée avec leurs
adversaires à la recherche de la paix, alors que tout le monde savait où menait
cette paix.
« Je leur disais : "Vous ne pouvez pas nous demander notre
opinion, car c’est vous qui vous battez, c’est vous qui mourez, pas nous. Nous
savons ce que nous ferons et nous sommes prêts à le faire, mais vous êtes les
seuls à pouvoir en décider." Nous avons fait preuve du plus grand respect
envers les autres mouvements, nous n’avons jamais tenté, profitant de notre
expérience et de nos connaissances et de l’immense respect qu’ils sentaient
envers notre Révolution, de leur imposer nos points de vue.
« Je pense que l’expérience du premier État socialiste – qu’il aurait
fallu arranger, et non détruire – a été très amère. N’allez pas croire que je
n’ai pas pensé très souvent à ce phénomène terrible par lequel l’une des plus
grande puissances au monde, qui avait réussi à équilibrer ses forces avec
celles de l’autre superpuissance, le pays qui avait payé de la vie de plus de
vingt millions de ses citoyens sa victoire sur le fascisme, le pays qui avait
écrasé celui-ci, a fini par s’effondrer comme il s’est effondré.
« Les révolutions sont-elles vouées à l’effondrement, ou est-ce que ce
sont les hommes qui peuvent les faire s’effondrer ? Les hommes peuvent-il
empêcher ou non, la société peut-elle empêcher ou non les révolutions de
s’effondrer ? Je pourrais ajouter tout de suite une autre question :
croyez-vous que cette Révolution socialiste-ci puisse s’effondrer ? (Exclamations
de : « Non ! ») Y
avez-vous pensé une fois ? Y avez-vous pensé en profondeur ?
« Connaissiez-vous
toutes ces inégalités de notre société dont je vous parle ?
Connaissiez-vous certaines habitudes généralisées ? Saviez-vous que
certains gagnaient tous les mois de quarante à cinquante fois plus qu’un
médecin, de ceux qui font partie du contingent Henry Reeve et qui soignent dans
les montagnes guatémaltèques ? Ou même encore plus loin, en Afrique, ou à
des milliers de mètres d’altitude, sur les contreforts de l’Himalaya, et qui
sauvent des vies ? Et qui gagnent 5 ou 10 p. 100 de ce que gagne un de ces
gangsters qui vendent de l’essence aux nouveaux riches, qui détournent des
ressources des ports par camions entiers et par tonnes entières, qui volent
dans les magasins vendant en devises, qui volent dans les hôtels cinq étoiles,
au mieux en remplaçant une bouteille de très bon rhum par une autre de bien
moindre qualité et vendant ensuite au prix fort son contenu au détail, par
verres.
« On
peut aussi s’expliquer pourquoi nous ne coupons plus la canne à la main
aujourd’hui. De leur côté, les lourds engins détruisent les plantations. De
plus, à quoi bon la couper, puisque les abus et les subsides du monde développé
ont fait chuter les cours du sucre sur le marché mondial à des niveaux
dérisoire, tandis que l’Europe le paie à ses agriculteurs deux ou trois fois
plus cher.
« Donc, nous devons nous poser cette
question – en tout cas, moi, je me la suis posée depuis bien longtemps – de
l’effondrement d’une révolution face à l’Empire hyperpuissant qui est à
l’affût, qui nous menace, qui a mis au point des plans de transition politique
et des plans d’action militaire dans l’attente d’un moment déterminé.
« Ces gens-là attendent un phénomène
naturel et absolument logique : un décès. En l’occurrence, ils me font
l’honneur considérable de penser à moi. C’est avouer en tout cas qu’ils n’ont
pu rien faire depuis bien longtemps ! Si j’étais vaniteux, je pourrais
être fier que ces sinistres individus soient obligés d’avouer qu’ils doivent
attendre ma mort. Ils attendent donc que je meure, ce qui ne les empêche pas
d’inventer tous les jours quelque chose : Castro a ceci, Castro a cela.
dernière invention, c’est que Castro a la maladie de Parkinson…
« Oui, j’ai fait une très forte chute, et je suis toujours en train de me
rétablir de ce bras (il le
signale) et je vais mieux. En
fait, je devrais me réjouir de cette fracture du bras parce qu’elle m’a
contraint à encore plus de discipline, à encore plus de travail, à consacrer
plus de temps, presque vingt-quatre heures sur vingt-quatre, à mon travail. Si
je le faisais avant, je lui consacre maintenant chaque seconde et je me bats
plus que jamais…
« Exactement
comme la crapule [je parlais de la revue Forbes] qui a
découvert que j’étais l’homme le plus riche du monde.
« Je
vous ai posé une question, compañeros
étudiants, que je n’ai pas oubliée, tant s’en faut, et je prétends que vous ne
l’oubliiez jamais non plus, parce que c’est une question qui se pose toute
seule face aux expériences historiques que nous avons connues. Oui, je vous
demande à tous, sans exception, d’y réfléchir : une révolution peut-elle
être ou non irréversible ? Quelles seraient les idées ou quel serait le
degré de conscience qui rendrait impossible la régression d’une
révolution ?
« Il
est énorme, le pouvoir d’un dirigeant quand il jouit de la confiance des
masses, quand celles-ci confient en ses capacités. Mais elles sont terribles,
aussi, les conséquences d’une erreur de la part de ceux qui ont le plus
d’autorité, et c’est arrivé plus d’une fois dans les révolutions.
« Ce
sont là des choses sur lesquelles on réfléchit. On étudie l’histoire : que
s’est-il passé ici, ou là, ou là encore, on réfléchit sur ce qui est arrivé
aujourd’hui et sur ce qui arrivera demain, on se demande où va chaque pays, où
ira le nôtre, comment il marchera, quel rôle jouera Cuba…
« Voilà
pourquoi j’ai dit que l’une de nos plus grandes erreurs au début et bien
souvent tout au long de
« Quelle
serait donc notre société si, quand nous nous réunissons dans un endroit comme
celui-ci, en un jour comme celui-ci, nous ne savions pas un minimum de ce que
nous devons savoir afin que cette île héroïque, ce peuple héroïque, ce peuple
qui a écrit des pages que nul autre n’a encore écrites dans l’histoire de
l’humanité, préserve sa Révolution ? Ne pensez pas que celui qui vous
parle est un vaniteux, un charlatan, un bluffeur.
« Quarante-six
ans se sont écoulés, et on connaît l’histoire de ce pays. En tout cas, ses
habitants la connaissent. Et celle, aussi, de cet Empire voisin, sa grandeur,
son pouvoir, sa force, sa richesse, sa technologie, sa domination sur
« Non
seulement nous avons fait et maintenu cette Révolution à nos risques et périls
pendant tout un tas d’années, mais nous étions même convaincu à un moment donné
que si les États-Unis nous attaquaient un jour directement, ce camp socialiste
ne lutterait jamais pour nous et que nous ne pouvions même pas le lui
demander !
« Non
seulement nous avons fait et maintenu cette Révolution à nos risques et périls
pendant tout un tas d’années, mais nous étions même convaincu à un moment donné
que si les États-Unis nous attaquaient un jour directement, ce camp socialiste
ne lutterait jamais pour nous et que nous ne pouvions même pas le lui
demander ! Compte tenu du perfectionnement des techniques modernes, il
était naïf de penser que cette grande puissance – ou de le lui demander ou de
l’attendre – lutterait contre l’autre si celle-ci intervenait dans la petite
île se trouvant à cent cinquante kilomètres, et nous sommes arrivés à la
conviction absolue que ce soutien ne nous serait jamais accordé. Bien mieux,
nous le lui avons demandé un jour directement, plusieurs années avant sa
disparition : « Dites-le-nous franchement. » La réponse a été
celle que nous attendions : non. Dès lors, nous avons accéléré plus que
jamais le développement de notre conception et nous avons perfectionné les
idées stratégiques et tactiques à partir desquelles notre Révolution avait
triomphé et vaincu, alors qu’elle ne pouvait disposer au départ que de sept
hommes armés, un ennemi qui pouvait compter sur quatre-vingt mille hommes,
entre marins, soldats, policiers, etc., sur des chars, des avions et sur tout
l’armement moderne de l’époque. Oui, la différence entre nos armes et celle de
ces forces armées, entraînées par les USA, soutenues par les USA, équipées par
les USA, était infinie.
« …aujourd’hui,
nous avons bien plus de sept fusils : nous avons tout un peuple qui a
appris à manier les armes ; tout un peuple qui, malgré nos erreurs,
possède un tel niveau de culture, de connaissances et de consciences qu’il ne
permettra jamais que son pays redevienne leur colonie.
« Ce
pays-ci peut s’autodétruire ; cette Révolution-ci peut se détruire. Ceux
qui ne peuvent pas la détruire, ce sont eux ; nous, en revanche, nous
pouvons le faire, et ce serait notre faute.
« J’ai
eu le privilège de vivre longtemps. Ce n’est pas un mérite, bien entendu, mais
ça m’offre l’occasion exceptionnelle de vous dire ce que je viens de vous dire,
de le dire à tous les dirigeants de l’Union des jeunes communistes, à tous les
dirigeants des organisations de masse, à tous les dirigeants du mouvement
ouvrier, à ceux des Comités de défense de
« Que
c’est impressionnant de voir les secteurs sociaux les plus modestes de ce pays
convertis en vingt-huit mille travailleurs sociaux et en des centaines de
milliers d’étudiants ! Quelle force ! Et nous verrons bientôt en
action ceux qui ont reçu leur diplôme voilà pas longtemps à
«
« Cette
société-ci n’oubliera jamais ce spectacle des quinze mille blouses blanches qui
se sont réunis là le jour où les élèves de médecine ont reçu leur titre, le
jour de la création du contingent Henry Reeve dont une bonne quantité de
membres sont déjà partis à des endroits où ont eu lieu des catastrophes
exceptionnelles, et ce bien plus tôt que nous ne l’aurions pensé.
« Je
dois vous dire que le capital humain est – ou du moins le devient à toute
allure – la ressource la plus importante du pays, bien supérieur à presque
toutes les autres ensemble. Je n’exagère pas.
« …
on a découvert des stations-service clandestines alimentées de l’essence
qu’apportaient des chauffeurs de camion-citerne !
« On
sait en tout cas que beaucoup de camionneurs publics vont où ils veulent, et
celui qui en fait le moins va rendre visite avec à un parent, à un ami, à la famille,
à la petite amie.
« Je
me souviens d’une anecdote datant de bien avant
« Ah,
si les pierres pouvaient parler !
« Oui, des choses de ce genre se
passaient. En règle générale, nous savons tout. Et beaucoup se disaient :
«
« Nous
sommes un des peuples de
« Nous
le voyons dans nos mines de nickel, qui nous laissent de grands trous là où il
y avait avant beaucoup de minerai. La même chose arrive avec le pétrole ;
on découvre de moins en moins de grands gisements. C’est une question à
laquelle nous avons dû beaucoup penser.
« Il
y avait, si j’ai bonne mémoire, environ trois mille sociétés qui disposaient
elles-mêmes de leurs devises convertibles et décidaient assez librement de ce
qu’elles faisaient de leur profits, si j’achète ceci ou cela, si je repeins
l’immeuble, si j’achète une meilleure voiture pour remplacer la vieille bagnole…
Nous nous sommes rendu compte que, dans les conditions de notre pays, il
fallait supprimer tout ça…
« Il
fallait tout simplement fermer des sucreries et nous allions nous engloutir
dans la fosse de Bartlett. Le pays comptait de nombreux économistes, beaucoup,
et je ne veux pas les critiquer, mais, avec la même franchise avec laquelle je
parle des erreurs de
« …Il
y avait belle lurette que l’URSS s’était effondrée, que nous nous étions
retrouvés du jour au lendemain sans carburants, sans matières premières, sans
aliments, sans articles d’hygiène, sans rien. Peut-être a-t-il fallu que ça
nous arrive, peut-être a-t-il fallu que nous souffrions ce que nous avons
souffert, tout en étant prêts à nous donner notre vie cent fois plutôt que
livrer la patrie ou de livrer
« Peut-être
tout ça a-t-il été nécessaire, parce que nous avons commis de nombreuses
erreurs, des erreurs que nous essayons de rectifier ou, si vous voulez, que
nous sommes en train de rectifier.
« Écoutez
bien : sans abus de pouvoir ! Rien ne justifierait jamais l’abus de
pouvoir de la part de l’un d’entre nous. En revanche, nous devons oser, nous
devons avoir le courage de dire la vérité. […] vous n’êtes pas obligés de les
dire toutes à la fois. Les batailles politiques se livrent selon une tactique,
selon des informations adéquates. […]
Peu importe ce que les bandits diront demain ou après-demain, ou alors
les dépêches. Rira bien qui rira le dernier.
« Il
n’est pas question d’imprimer des billets sans contrepartie en marchandises ou
en services…
« Les
appartements, nous en avons fini par en faire cadeau. Certains en sont devenus
propriétaires en payant cinquante pesos par mois, ou quatre-vingts. Si l’argent
leur arrivait de Miami, au change ça leur coûtait trois dollars ! D’autres
les vendaient, à quinze ou vingt mille dollars, alors qu’ils ne leur avaient
coûté en fin de compte que cinq cents.
« Le
pays peut-il régler la question du logement en faisant cadeau des
appartements ? Et qui en bénéficiait d’ailleurs, le prolétaire, les petits
gens ? De fait, bien des petites gens qui avaient reçu un appartement
quasiment donné le revendaient au nouveau riche. Combien le nouveau riche
pouvait-il payer pour un appartement ? C’est du socialisme, ça ?
« Ça
a pu être une nécessité à un moment donné, mais ça a pu être aussi une erreur.
Le pays a reçu un coup dévastateur, quand la grande puissance s’est effondrée
du jour au lendemain et nous a laissés seuls, absolument seuls, et que nous
avons perdu tous les marchés de notre sucre et que nous avons cessé de recevoir
des vivres, du carburant, et jusqu’au bois pour enterrer chrétiennement nos
morts. Et tout le monde se disait : « Ça va s’effondrer. » Et
une bonne quantité de crétins continuent d’ailleurs de croire que ça va
s’effondrer, si non maintenant, du moins demain. Et plus ils se font des illusions,
et plus nous devons, nous, réfléchir et plus nous devons tirer des conclusions,
pour que la défaite ne soit jamais le lot de notre glorieux peuple qui nous a
tant fait confiance à tous.
« …Que
l’Empire ne vienne pas ici installer des prisons secrètes pour torturer les
hommes et les femmes progressistes du reste du continent qui se dresse
aujourd’hui décidé à atteindre son seconde et définitive indépendance !
Mieux vaut
qu’il ne reste même pas l’ombre du souvenir d’aucun de nous et d’aucun de nos
descendants plutôt que de recommencer à vivre une vie si répugnante et si
misérable.
« Ils
ont trompé leur monde. Ils ont profité des médias pour s’emparer des esprits et
ils ont gouverné non seulement à coups de mensonges, mais encore de réflexes
conditionnés. Un mensonge est une chose, un réflexe conditionné en est une
autre : le mensonge trouble la connaissance ; le réflexe conditionné
trouble la capacité de penser. Et ce n’est pas pareil d’être désinformé et
d’avoir perdu la capacité de jugement parce qu’on vous a inculqué des
réflexes : « Ceci est mauvais, ceci est mauvais ; le socialisme
est mauvais, le communisme est mauvais », et tous les ignorants et tous
les pauvres et tous les exploités ressassent : « Le communisme est
mauvais. »
«" Cuba
est mauvaise, Cuba est mauvaise", leur dit l’Empire. Il le leur dit à
Genève, il le leur a dit à des tas d’endroits différents, et tous les exploités
de ce monde, tous les analphabètes et tous ceux qui ne reçoivent pas de soins
médicaux ni d’éducation, qui n’ont pas un emploi garanti, qui n’ont absolument
rien de garanti, en fait, ressassent : "
« Est-ce
la faute de l’analphabète ? Comment peut-il savoir si le Fonds monétaire
est bon ou mauvais, ou alors que les intérêts sont plus élevés, ou que le monde
est soumis à un pillage permanent à travers les milliers de méthodes de ce
système-là ? Il ne le sait pas.
« Ce
système-là n’apprend aux masses à lire et à écrire. Il est capable de dépenser
un billion de dollars tous les ans en publicité. Et ce n’est pas seulement ce
qu’il dépense, mais à quoi il le dépense : il le dépense à créer des
réflexes conditionnés, pour que vous achetiez Palmolive, et l’autre Colgate et
l’autre encore Cadum, tout simplement parce qu’on vous l’a répété cent fois,
que vous l’a associé à une photo bien léchée, qu’on vous a fourré ça dans le
crâne. Eux, qui parlent tant de lavage de cerveau, ce sont eux qui vous
sculptent le cerveau, qui vous le modèlent, qui lui donnent une forme, qui vous
enlèvent votre capacité de penser. Et encore sils enlevaient sa capacité de
penser à quelqu’un qui sort d’une université et qui peut au moins lire un
livre, ce serait moins grave.
« Mais
l’analphabète, que peut-il donc lire ? Comment va-t-il savoir qu’on le berne ?
Comment apprend-il que le plus gros mensonge de ce monde-ci, c’est de dire que
c’est de la démocratie, le système pourri qui règne dans ce pays-là et dans la
plus grande partie des autres pays qui l’ont copié ? […]C’est ce qui
explique que vous pouvez finir par devenir au fil du temps bien plus
révolutionnaire que vous l’étiez quand vous ignoriez bien de ces choses-là et
que vous ne connaissiez que les facteurs de l’injustice et de l’inégalité.
« En
vous disant tout ce que je vous dis, je ne fais pas de la théorie, même s’il le
faut. Nous sommes en train d’agir, nous sommes en marche vers un changement
total de notre société.
« Aujourd’hui,
les cours du pétrole n’obéissent à aucune loi de l’offre et de la
demande ; ils obéissent à d’autres facteurs, à la rareté, au gaspillage
colossal des pays riches, sans le moindre rapport avec la moindre loi
économique. Rareté face à une demande extraordinaire en augmentation constante.
« Nous
invitons toute la population à coopérer à une grande bataille, qui n’est pas
seulement celle du carburant et de l’électricité, mais celle contre tous les
vols, de toute sorte, où que ce soit. Je le répète : contre tous les vols,
de toute sorte, où que ce soit.
« Je
n’ai rien contre personne en particulier, mais je n’ai rien non plus contre la
vérité. Et que celui-ci qui se vexe parce que je dis la vérité, eh bien, qu’il
se vexe ! Je suis désolé, mais je l’avertis d’avance qu’il va perdre la
bataille, sans commettre la moindre injustice ou le moindre abus de pouvoir.
« […]
Pour payer tes 300 kW, tu as dépensé 1,9 dollar, soit 0,63 centime de dollar
par kilowatt d’électricité cubaine. Quelle merveille !
Le dollar
en question, tu ne l’as pas gagné, ou alors le peso, en travaillant, […] Non,
c’est un dollar qu’on t’a envoyé de là-bas, envoyé par quelqu’un qui est parti
d’ici en bonne santé, qui n’a pas payé un sou pour faire toutes ses études, qui
n’est pas malade, parce qu’il n’y pas d’émigrants en meilleurs santé que les
émigrants cubains, qui bénéficient par ailleurs des avantages que leur offre
« Bien
entendu, tu n’as pas dépensé en médicaments un seul centime de ce dollar qu’on
t’a envoyé, puisque les médicaments à l’hôpital ne coûtent rien; et si tu les
as achetés dans une pharmacie – ceux qu’on n’a pas détournés pour les revendre
ailleurs – comme ils sont subventionnés, ils ne t’ont coûté que 10 p. 100 de
leur valeur en devises. Si on t’a hospitalisé et que, va savoir, on t’ait opéré
du genou, ou même du cœur, tu n’as pas dépensé un sou, alors que ton opération
aux USA peut valoir mille ou deux mille ou dix mille dollars. Si tu as un
infarctus et qu’on te pose une valve, ce qui est arrivé à l’un des
fonctionnaires de notre Section des intérêts à Washington, alors, tu vas devoir
débourser quatre-vingt mille dollars. De toute façon, on n’a jamais cessé de te
fournir des soins ; on a pu être plus ou moins aimable avec toi, mais en
tout cas, est-ce qu’on t’a refusé quelquefois l’entrée dans un hôpital ?
« Et un jour, […]
« Nous
devons rationaliser au maximum les salaires, les prix, les pensions et les
retraites. Zéro gaspillage. […] Nous ne
sommes pas un pays capitaliste où tout est laissé au hasard.
« Subventions
et gratuité, uniquement pour les choses essentielles, les choses vitales. […]
Vous vous direz : avec quoi paierons-nous ces coûts ? […] Tout est à
notre portée, tout appartient au peuple. La seule chose non permissible, c’est
de gaspiller des richesses d’une manière égoïste et irresponsable.
« Je
n’avais vraiment pas l’intention de me lancer dans une conférence sur des
questions si sensibles, mais ç’aurait été un crime de laisser filer cette
occasion de dire un certain nombre de choses relatives à l’économie, à la vie
matérielle du pays, au sort de
« Je
vous ai parlé avec toute la confiance possible…
« Le
pays aura bien plus, mais il ne sera jamais une société de consommation :
il sera une société de connaissances, de culture, au développement humain le
plus extraordinaire qu’on puisse concevoir, développement de la culture, des
arts, de la science, […] doté d’une liberté pleine que personne ne pourra restreindre.
Nous le savons, ce n’est même pas la peine de le proclamer, même s’il est bon
de le rappeler.
« Personne
ne doit avoir le droit de fabriquer des armes nucléaires. Encore moins le droit
privilégié qu’a imposé l’impérialisme d’établir sa domination hégémonique et
d’enlever aux peuples du tiers monde leurs ressources naturelles et leurs
matières premières.
« C’en
est assez de tant de crétinisme, de tant d’abus, de tant de règne de la force
et de la terreur dans le monde. Ce règne disparaît face à l’absence totale de
peur, et nous sommes toujours plus nombreux, comme peuples, à avoir toujours
moins peur, les rebelles seront toujours plus nombreux et l’Empire ne pourra
plus continuer de maintenir le système infâme qu’il soutient encore.
« Il
est tout à fait juste de lutter pour ça. Voilà pourquoi nous devons consacrer
toutes nos énergies, tous nos efforts, tout notre temps à faire en sorte que
des millions ou des centaines de millions ou des milliards de personnes
puissent dire avec nous : Il vaut la peine d’être nés ! Il vaut la
peine d’avoir vécu ! »
Voilà comment j’avais conclu ce discours, que je ratifie aujourd’hui de
nouveau.
Je vous remercie.
17 novembre 2010