Réflexions du compañero Fidel
Plus d’une année avant le 16 avril 1961, le président Dwight
Eisenhower avait décidé, après des analyses et des consultations rigoureuses,
de détruire
L’instrument clef de ce plan ténébreux était le blocus économique de Cuba,
ce que la littérature politique de l’Empire taxe du terme anodin et presque
pieux d’ « embargo ».
Le secrétaire d’État adjoint, Lester Mallory, avait défini dans un
mémorandum secret les objectifs concrets de ce plan sinistre : « La
majorité des Cubains appuie Castro. […] Il n’existe aucune opposition politique
réelle. […] Le seul moyen prévisible de lui faire perdre son assise interne est
par le désenchantement et la désaffection basés sur l’insatisfaction et les difficultés
économiques. […] …il faut mettre en pratique au plus vite tous les moyens
possibles pour affaiblir la vie économique de Cuba […] en refusant à Cuba de
l’argent et des livraisons afin de réduire les salaires nominaux et réels, de
provoquer la faim, le désespoir et le renversement du gouvernement[1]. »
Le train de mesures à prendre s’appelait : “Programme d’action secrète
contre le régime Castro[2] ».
N’importe quel observateur, qu’il soit d’accord ou non avec des méthodes si
répugnantes parce que dénuées de l’éthique la plus élémentaire, admettra que
l’idée était d’amener un peuple à la reddition. C’était bel et bien la
confrontation entre la nation la plus puissante et la plus riche et un petit
pays différent d’elle par ses origines, sa culture et son histoire.
Eisenhower n’était pas un criminel-né. Il paraissait – et peut-être l’était-il
vraiment – quelqu’un bien éduqué et décent
selon les normes de la société où il vivait. Il était né dans une modeste
famille d’agriculteurs à Denison (Texas) en 1890. Ayant reçu une éducation
religieuse et menant une vie disciplinée, il entra à l’École militaire de West
Point en 1911 et en ressortit en 1915. Il ne participa pas à
Il prit le commandement de troupes pour la première fois en 1941, alors que
les États-Unis n’étaient pas encore entrés dans
Roosevelt, en tant que président du pays possédant le plus de richesses et
de moyens militaires, se chargea de nommer le chef militaire des forces alliées
qui débarqueraient en Europe en juin 1944, quatorze mois avant la fin de la
guerre : ce fut le général Eisenhower, car Marshall, son plus haut gradé,
était le chef de l’état-major de l’armée.
Le général Dwight D. Eisenhower s’adresse aux troupes avant le débarquement
de Normandie.
Ce n’était pas un militaire brillant ; il commit de lourdes erreurs dans le
Nord de l’Afrique et durant le débarquement de Normandie, deux endroits où il
avait de sérieux rivaux parmi ses alliés, tel Montgomery, et ses adversaires,
tel Rommel, mais c’était un professionnel sérieux et méthodique.
Je referme cette parenthèse obligée au sujet de Dwight D. Eisenhower,
général à cinq étoiles et président des États-Unis de janvier 1953 à janvier
1961, et je pose la question suivante : comment quelqu’un de sérieux, qui
osa dénoncer le rôle néfaste du complexe militaro-industriel, a-t-il pu adopter
une attitude aussi criminelle et aussi hypocrite que celle qui conduisit le
gouvernement étasunien à attaquer l’indépendance et la justice que notre peuple
avait recherchées pendant presque un siècle ?
C’est le système capitaliste, la volonté des riches, dans le pays et hors
du pays, de faire primer leurs privilèges au détriment des droits les plus
élémentaires des peuples. La grande puissance se souciait comme d’une guigne de
la faim, de l’ignorance, du chômage, du manque de terres, d’éducation, de
santé, des droits les plus élémentaires des pauvres de notre nation
Tentant brutalement de soumettre notre peuple, le gouvernement étasunien
était capable d’entraîner ses soldats à une lutte qu’il n’aurait pas pu gagner.
Dans les questions historiques, les impondérables sont nombreux et le
hasard joue fréquemment. Je pars de l’information que je possède et de
l’expérience que j’ai vécue durant ces journées d’où découla la phrase :
« Playa Girón, première défaite de l’impérialisme en Amérique ». J’ai
tiré de nombreuses conclusions de cette expérience-là. Peut-être
intéressent-elles d’autres personnes…
Notre pays ne disposait pas d’une armée nationale. À la fin de ce que les
historiens appellent
C’est alors que les États-Unis décidèrent d’intervenir dans notre pays.
Leur Congrès berna la population, le peuple cubain et le reste du monde en
émettant une Résolution conjointe qui reconnaissait : « Le peuple de
l’île de Cuba est libre et indépendant, et il doit l’être de droit[4].
» Une fois vaincue cette Espagne toujours coloniale et vindicative, les
États-Unis signèrent à Paris un traité avec elle[5],
et désarmèrent l’Armée de libération en recourant à la corruption et à la
tromperie[6].
Puis ils imposèrent à notre pays l’Amendement Platt[7],
qui impliquait la remise de ports à sa marine, et ils lui octroyèrent censément
l’indépendance[8], bien que l’amendement
annexé à
Notre vaillant peuple se battit seul, sans avoir rien à envier à aucun
autre de ce continent, pour son indépendance face à la nation qui, comme
l’avait dit Simón Bolívar, était appelé à cribler les peuples d’Amérique de
misère au nom de la liberté.
À Cuba, l’armée était entraînée, armée et conseillée par les États-Unis. Je
n’irai pas jusqu’à dire que notre génération possède plus de mérites que celles
qui nous précédèrent et dont les dirigeants et les combattants firent preuve
d’un héroïsme insurpassable. Il n’empêche que notre génération a eu le
privilège – plus par hasard que par mérites – de prouver la vérité de l’idée de
Martí : « Un principe juste du fond d’une caverne peut plus qu’une
armée[9]. »
C’est parce que nous avions des idées justes que nous n’avons pas hésité, après avoir passé
d’amères épreuves – dont la dispersion de notre détachement de
quatre-vingt-deux hommes, attaqué par surprise, faute d’expérience et pour
d’autres facteurs défavorables, avant d’avoir pu gagner les contreforts des
montagnes – à poursuivre la lutte alors que nous n’avions plus de sept fusils[10].
Or, en vingt-cinq mois à peine, notre peuple héroïque vainquit cette armée-là,
qui possédait l’armement, l’expérience au combat, les communications, les
centres d’instruction et les conseils, tous facteurs grâce auxquels les
États-Unis maintinrent pendant plus d’un demi-siècle leur domination totale sur
notre pays et sur Notre Amérique.
Forts de nos méthodes de lutte correctes, des principes de politique que
nous avons suivis sans une seule exception durant toute la guerre – respecter la
population, soigner les blessés de l’adversaire et préserver la vie des
prisonniers – nous avons infligé une défaite écrasante à l’appareil militaire
créé par les Yankees, nous emparant des cent mille armes et équipements de
guerre qu’il possédait et qu’il avait employés contre notre peuple.
Mais il nous fallut aussi vaincre sur le terrain idéologique l’immense
arsenal dont disposaient les USA et leur monopole quasi-total des médias grâce
auxquels ils inondaient notre pays de mensonges mielleux.
Les travailleurs au chômage, les paysans sans terre, les ouvriers
exploités, les citoyens analphabètes, les malades sans hôpitaux, les enfants
sans cahiers ni écoles, les innombrables citoyens blessés dans leur dignité et
leurs droits, constituaient ensemble une quantité infiniment supérieure à la
minorité riche, privilégiée et alliée de l’Empire.
Entrée de Fidel à
L’éducation, la science, la culture et l’art, le sport, les professions
impliquant le développement humain ne recevaient aucun appui dans notre pays,
consacré à la monoculture de la canne à sucre et à d’autres activités
économiques subordonnées aux banques et aux sociétés transnationales yankees
par lesquelles le puissant voisin du Nord impose sa « démocratie » et
ses « droits humains ».
Je tiens à dire qu’un spectacle comme celui que
Quand, le 16 avril 1961,
Pour ne pas offrir aux États-Unis un prétexte qui leur servirait à nous
attaquer – comme cela s’était passé au
Guatemala – nous nous efforcions d’acheter, en payant rubis sur l’ongle, des
fusils et d’autres armes à des pays européens qui les exportaient
traditionnellement à bien d’autres.
Nous achetâmes plusieurs dizaines de milliers de fusils semi-automatiques
FAL calibre 7,62 avec leurs chargeurs de vingt balles et leurs munitions
correspondantes, dont des grenades antipersonnel et antichar, qui étaient
transportés sur des cargos, comme le fait habituellement n’importe quel pays.
Or, qu’est-il advenu à ces achats d’armes « non communistes » et,
nous semblait-il, d’une excellente qualité ?
La première cargaison de dizaines de milliers de FAL arriva à Cuba sans
encombre.
Tout était parfaitement légal et n’offrait aucun prétexte à des campagnes
contre Cuba.
Mais tout ceci dura peu. Quand le second cargo accosta un quai important du
port de la capitale, des dockers et des combattants de l’Armée rebelle
entreprirent de le décharger. Les conteneurs n’existaient pas encore. Je me
trouvais au quatrième ou au cinquième étage de l’Institut de la réforme
agraire, siège aujourd’hui du ministère des Forces armées révolutionnaires, à
proximité de la place de
Pensant aux victimes, je descendis à toute vitesse, montai en voiture avec
ma petite escorte et roulai vers le port dans des rues étroites et encombrées.
J’étais presque arrivé quand j’entendis une seconde explosion au même endroit.
On n’a pas de mal à imager mon inquiétude à l’idée des dommages causés aux
ouvriers et aux soldats qui devaient aider les victimes de la première
explosion. J’eus beaucoup de mal à faire approcher la voiture du quai où je pus
constater le comportement héroïque de ces hommes dans une situation si
dramatique.
Une centaine de personnes moururent. Les nombreux blessés exigeaient des
soins urgents.
Sabotage du cargo
Le lendemain, les morts furent transportés, par la large 23e
rue, de l’Université au cimetière où, un an, un mois et onze jours après, nous
donnerions une sépulture révolutionnaire aux victimes des bombardements des
avions yankees peints aux couleurs cubaines.
C’est ce 5 mars 1960 que je me suis exclamé pour la première fois, d’une
manière absolument spontanée, à l’enterrement des ouvriers et combattants
lâchement assassinés :
Même s’il y avait à faire de nombreuses investigations, je n’avais pas le
moindre doute que ce massacre avait été intentionnel : le cargo avait été
saboté dès son appareillage du port européen et le sabotage était l’œuvre
d’experts.
Je consacrai toute l’attention requise aux investigations en cours. Il
fallait savoir si ces grenades qui avaient explosé dans leurs caisses pouvaient
le faire par accident – une chute ou quelque chose de semblable. C’est pour
écarter cette possibilité –les spécialistes l’avaient déjà fait après avoir
étudié le mécanisme de sécurité des grenades – que je demandai qu’on larguât
depuis une altitude de mille mètres des caisses de grenade et assistai à
la preuve : aucune grenade n’éclata. L’analyse de tous les déplacements du
cargo mit en évidence que seuls des experts avaient pu réaliser ce sabotage
dans le cadre du plan approuvé par l’administration étasunienne.
Ayant reçu une leçon de ce que nous pouvions attendre de l’impérialisme,
nous n’hésitâmes pas à nous adresser aux Soviétiques avec lesquels nous
n’avions pas de contradictions de principes.
Ils nous allouèrent les crédits correspondants pour acheter des armes. Dès
le jour où l’URSS et d’autres pays socialistes comme
Nos propres navires ont transporté pendant des dizaines d’années une grande
partie de l’armement employé par les forces internationalistes cubaines, et
aucun n’a fait explosion.
Fidel, aux
côtés du président Osvaldo Dorticós, du Che et d’autres dirigeants de
Le discours que je prononçai le 16 avril 1961 aux funérailles des victimes
du bombardement réalisé par traîtrise, la veille au petit matin, s’adressait
aux compagnons de l’Armée rebelle, aux Milices nationales révolutionnaires et
au peuple cubain tout entier. J’en reproduis des paragraphes et des idées sans
lesquels il serait impossible de saisir l’importance de cette bataille et
l’ardeur avec laquelle elle s’est livrée :
« C’est
la seconde fois que nous nous réunissons à ce carrefour. La première, ça a été
lors de l’explosion du
« Dès
le début du Gouvernement révolutionnaire, les ennemis de
« …devant
l’échec des premières mesures diplomatiques, ils ont recouru au sabotage […]
pour empêcher ces armes de nous parvenir…
« Ce
coup de griffe brutal a coûté la vie de nombreux ouvriers et soldats […] nous
étions en droit de penser que les coupables du sabotage étaient ceux qui
voulaient que nous ne recevions pas d’armes…
« …chacun
de nous, notre peuple, a été profondément convaincu que les mains qui avaient
préparé ce méfait barbare et criminel étaient celles des agents secrets du
gouvernement étasunien.
« …beaucoup
de gens dans ce pays, voire à l’étranger, avaient du mal à croire que le
gouvernement étasunien serait capable d’en arriver là, que les dirigeants d’un
pays seraient capables de recourir à des procédés pareils. […] nous n’avions
pas encore acquis la dure expérience que nous avons acquise durant ces deux
années et demie, nous ne connaissions
pas bien encore nos ennemis ; […] nous ne savions pas encore ce qu’était
l’Agence centrale de renseignement du gouvernement étasunien, nous n’avions pas
encore eu l’occasion de constater, jour après jour, ses activités criminelles
contre notre peuple et contre notre Révolution.
« …notre
pays était victime d’une série d’incursions d’avions pirates qui, un jour,
lançaient des tracts, un autre jour incendiaient nos plantations de canne à
sucre, un troisième jour larguaient une bombe sur une de nos sucreries.
« …l’éclatement
de la bombe qu’il transportait a fait exploser l’avion pirate et ses pilotes
[…] à cette occasion-là, le gouvernement étasunien n’a pu continuer de nier que
ces avions partaient bel et bien de ses côtes : […] devant la
documentation récupérée intacte… il n’a pas pu nier la réalité […] il a décidé
de présenter ses excuses et de nous donner des explications…
« Mais
les vols n’ont pas cessé. […] une de ces incursions a causé un grand nombre de
victimes. Toutefois, aucun de ces faits ne revêtait le caractère d’une attaque
militaire…
« Aucune
opération n’avait revêtu à ce jour toutes ces caractéristiques nettement
militaires.
« …voilà
quelques semaines, un bateau pirate a pénétré dans le port de Santiago de Cuba,
a mitraillé la raffinerie, et ses tirs ont aussi causé des victimes parmi les
soldats et les marins détachés à l’entrée de la baie.
« …une
opération de ce genre, avec des bateaux de cette nature, ne pouvait se faire
qu’à partir de bateaux fournis par les Étasuniens et approvisionnés par les Étasuniens
à un endroit donné des Caraïbes.
« …ce
continent-ci, certes, savait ce qu’étaient les débarquements de troupes
étrangères. Le Mexique le savait, le Nicaragua, Haïti, Saint-Domingue, tous ces
peuples avaient eu l’occasion de savoir ce qu’étaient les interventions de
l’infanterie de marine étasunienne. […]
« …ce
qu’aucun peuple de ce continent n’avait eu l’occasion d’expérimenter, c’est
cette action systématique des services secrets du gouvernement étasunien […]
ce qu’aucun peuple de ce continent n’avait eu l’occasion d’expérimenter, c’est
cette lutte contre l’Agence centrale de renseignement… acharnée à tout prix,
répondant aux instructions de son gouvernement… à détruire systématiquement le
fruit du travail d’un peuple, à détruire systématiquement les ressources
économiques, les établissements commerciaux, les usines, et, ce qui est pire,
des vies précieuses d’ouvriers, de paysans et d’honnêtes travailleurs de ce
pays.
« Mais, de toute façon, aucun des faits
antérieurs n’avait été, comme hier, une agression typiquement militaire. Il ne
s’est plus agi du vol d’un avion-pirate, il ne s’est plus agi de l’incursion
d’un bateau-pirate, il s’est agi rien moins que d’une attaque simultanée, dans
trois villes différentes, à la même heure, au petit matin, d’une opération dans
toutes les règles de l’art militaire.
« Trois
attaques simultanées au petit matin, à la même heure, à
« Ç’a été aussi une attaque surprise, une attaque
similaire à celles par lesquelles les gouvernements vandales du nazisme et du
fascisme avaient l’habitude d’attaquer les nations. […] Les attaques armées
contre les peuples européens par les hordes hitlériennes ont toujours été de ce
genre : sans préavis, sans déclaration de guerre, par traîtrise, par
surprise. Et ils ont envahi par surprise
Fidel, durant son discours du 16 avril 1961.
Je rappelai ce que les militaristes japonais avaient fait contre la base
étasunienne de Pearl Harbor, en décembre 1941 :
« Je ne
prétends pas par là faire des comparaisons, parce que, quand les Japonais
luttaient contre les Étasuniens, c’était un combat entre deux pays
impérialistes, c’était un combat entre deux pays capitalistes, c’était un
combat entre deux gouvernements exploiteurs, c’était un combat entre deux
gouvernements colonialistes, c’était un combat entre deux gouvernements qui
s’efforçaient de dominer les marchés, les matières premières et l’économie
d’une partie considérable du monde.
« Ce en quoi nous nous différencions des
États-Unis, c’est qu’ils sont un pays qui exploite d’autres peuples, un pays
qui s’est emparé d’une bonne partie des ressources naturelles du monde et qui
fait travailler au bénéfice de sa caste de millionnaire des dizaines et des
dizaines de millions de travailleurs dans le monde entier.
« Grâce à notre Révolution, nous
éliminons non seulement l’exploitation d’une nation par une autre, mais aussi
l’exploitation des hommes par d’autres !
« Les États-Unis constituent aujourd’hui,
sur le plan politique, un système d’exploitation des nations par une nation, et
un système d’exploitation de l’homme par d’autres hommes.
« Voilà
pourquoi le combat entre le Japon et les États-Unis est une bagarre entre des
systèmes similaires, tandis que la lutte entre les États-Unis et Cuba est une
lutte entre des principes différents, une lutte entre ceux qui manquent de tout
principe humain et ceux qui, comme nous, ont pris la défense des principes
humains.
« Pourtant, combien ces faits servent à
comprendre, combien ces faits servent à nous apprendre les réalités du monde,
combien ces faits servent à éduquer notre peuple ! Elles sont chères, ces
leçons, certes ; elles sont douloureuses, ces leçons ; elles sont
sanglantes, ces leçons, mais comme ils apprennent ainsi, les peuples !
Comme il apprend, notre peuple ! Comme il s’éduque, notre peuple, et comme
il grandit !
« […]
voilà pourquoi nous sommes en cet instant un des peuples qui ont le plus
appris, et en moins de temps, dans l’histoire du monde.
« Qu’il
était difficile de savoir ce qu’il se passait dans le monde quand les seules
nouvelles qui arrivaient dans notre pays étaient étasuniennes ! Combien de
mensonges ne nous ont-ils pas inculqués, de combien de mensonges n’avons-nous
pas été victimes ? Si quelqu’un avait encore des doutes, si quelqu’un de
bonne foi dans notre pays – et je ne parle pas de la misérable vermine, je
parle des hommes et des femmes capables de penser honnêtement, même s’ils ne
pensent pas comme nous – si donc quelqu’un avait encore des doutes, si
quelqu’un croyait encore qu’il restait un zeste de dignité dans la politique
yankee, si quelqu’un croyait qu’il restait un zeste de morale dans la politique
yankee, si quelqu’un croyait qu’il restait un atome de dignité ou d’honnêteté
ou de justice dans la politique yankee
[…] si quelqu’un dans ce pays-ci, qui a eu le privilège de voir tout un peuple
se convertir en un peuple de héros, en un peuple d’hommes digne et courageux ;
si quelqu’un dans ce pays-ci, dont l’accumulation de mérites, d’héroïsme et de
sacrifice croît de jour en jour, avait encore le moindre doute ; si
ceux qui ne pensent pas comme nous croient arborer ou défendre un drapeau
honnête, croient arborer ou défendre un drapeau juste, et, parce qu’ils le
croient, sont des proyankees et des défenseurs du gouvernement étasunien, s’il
existait encore quelqu’un de bonne foi
parmi ceux-là, eh bien, que ces faits… servent à leur ôter le moindre doute.
« Hier,
tout le monde le sait, des bombardiers divisés en trois groupes sont entrés, à
six heures exactes du matin, dans le territoire national en provenance de
l’étranger et ils ont attaqué trois points. À chacun de ces trois points, les
hommes se sont défendus héroïquement ; à chacun de ces trois points, le
précieux sang des défenseurs a coulé ; à chacun de ces trois points, des
milliers, ou sinon des centaines et des centaines de gens ont été témoins des
faits. C’était aussi un fait qu’on attendait ; c’était quelque chose qu’on
attendait tous les jours ; c’était le couronnement logique des incendies
des plantations de canne à sucre, des centaines de violations de notre espace
aérien, des incursions pirates, des attaques pirates à nos raffineries par un
bateau au petit matin, c’était la conséquence de ce que tout le monde savait,
c’était la conséquence des plans d’agression que les États-Unis ourdissent avec
la complicité de gouvernements laquais d’Amérique centrale, c’était la
conséquence des bases aériennes qui y existent, comme tout notre peuple le sait
et comme tout le monde le sait, parce que même les journaux et les agences de
presse étasuniens en ont parlé, tout comme ils ont parlé des armées mercenaires
qu’ils s’organisent, des terrains d’aviation qu’ils ont préparés, des avions
que leur ont fournis le gouvernement étasunien, des instructeurs yankees, des
bases aériennes établies au Guatemala.
« Croyez-vous donc que le monde ne
pouvait pas ne pas apprendre l’attaque
de Cuba, croyez-vous donc que le monde ne pouvait pas ne pas apprendre ce qu’il s’est passé,
croyez-vous donc qu’il est possible de faire taire dans le monde l’écho des
bombes et des roquettes que les criminels ont lancés contre notre patrie ?
Pensez-vous que quelqu’un dans le monde pouvait avoir cette idée-là ?
Pensez-vous que quelqu’un a pu vouloir tromper le monde entier, occulter la
vérité au monde entier, duper le monde entier ? Eh bien, oui ! Hier, non
seulement on a attaqué notre terre criminellement, par traîtrise, avec
préméditation, même si tout le monde le savait, avec des avions yankees, et
avec des bombes yankees, et avec des armes yankees, et avec des mercenaires
payés par l’Agence centrale de renseignement yankee ; non seulement on a
détruit des biens nationaux ; non seulement on a détruit des vies de
jeunes dont beaucoup n’avaient même pas encore vingt ans, non seulement on a
fait ça, mais en plus, en plus, le gouvernement étasunien a tenté, hier, de
duper le monde… de la manière la plus cynique et la plus impudente qu’on puisse
concevoir !
« …voilà ce qu’ils ont dit au monde, et
ce qu’ils ont peut-être fait croire à des dizaines et des dizaines de millions
d’êtres humains, voilà ce qu’ont publié hier des milliers et des milliers de
journaux, voilà ce qu’ont annoncé hier des milliers et des milliers de stations
de radio et de télévision au sujet de ce qu’il s’est passé à Cuba, et qu’une
partie considérable du monde a appris à travers les agences yankees.
« [… ]
"Miami, le 15 avril. UPI. Des pilotes cubains qui ont déserté les forces
de l’air de Fidel Castro ont atterri aujourd’hui en Floride à bord de
bombardiers de
« "Edward
Ahrens, directeur des services d’immigration de Miami, a affirmé que ces
requêtes étaient en cours d’examen. L’aviateur moustachu qui est descendu à
Miami a affirmé aux fonctionnaires de l’immigration que lui-même et trois
autres pilotes des forces de l’air cubaines avaient prévu depuis des mois de
fuir
« "Il
a expliqué – écoutez bien ce mensonge, cette absurdité ! – que lui-même et les autres pilotes avaient laissé de la famille à Cuba
et qu’ils redoutaient des représailles de Castro contre elles."
« Autrement
dit, ils affirment être des pilotes de nos forces de l’air, avoir volé les
avions, avoir déserté, mais ils refusent de donner leurs noms.
« Dépêches
de l’AP :
« "Miami,
15 avril. AP. Trois pilotes cubains de bombardiers, redoutant de voir révéler
leurs plans pour fuir le gouvernement Fidel Castro, ont fui aujourd’hui aux
États-Unis après avoir mitraillé et bombardé les aéroports de Santiago et de
« "Un
des deux bombardiers bimoteurs, de l’époque de
« "L’autre
avion, avec deux hommes à bord, a atterri dans la station aéronavale de Key
West. Les noms des pilotes n’ont pas été divulgués. Les autorités de
l’immigration ont placé les Cubains sous bonne garde et confisqué les
appareils." »
« […] Voyez un peu à quel degré de
cynisme ils en arrivent [...] voyez un peu le culot des fonctionnaires et des
dirigeants de l’impérialisme ! […] ils en arrivent à peaufiner jusque dans
ses détails une légende farfelue, une vraie histoire à dormir debout !
Voyez un peu l’histoire qu’il donne à la publicité, avec tous les détails
possibles, pour que le truc soit
complet… Une histoire absolument inventée ! Écoutez donc :
« "Je
suis l’un des douze pilotes d’avion B-26 à être restés dans les forces de l’air
de Castro après la désertion de Díaz Lanz, l’ancien chef, et les purges qui ont
suivi. Trois de mes compagnons pilotes et moi, on avait projeté pendant des
mois la façon de pouvoir échapper de
« Voilà
ce qu’on a raconté au monde. L’UPI et l’AP n’ont pas seulement raconté que
c’étaient "des avions cubains qui avaient bombardé", elles ont aussi
divulgué cette histoire dans le monde. Que pensez-vous que des dizaines de
millions de personnes ont lu et écouté hier à ce sujet, publié dans des
milliers et des milliers de journaux différents, de stations de radio et de
télévision ? Que pensez-vous des tas de gens ont écouté en Europe, dans de
nombreux endroits d’Amérique latine, dans de nombreuses parties du monde ?
« Elles
n’ont pas affirmé tout ça, mais en plus elles en ont fait une histoire
complète, avec des détails, des noms, de la façon dont ils ont tout tramé. Même
à Hollywood, mon bon monsieur, on n’en fait pas tant !
« "Mexico, 15 avril, AP. Le
bombardement de bases cubaines par des pilotes cubains déserteurs a été accueilli
ici avec satisfaction par la plupart des journaux qui ont fait leur l’idée des
groupes de Cubains exilés que c’était le début d’un mouvement de libération
contre le communisme. Le gouvernement a gardé le silence, tandis que des
groupes d’étudiants de gauche et communistes ont soutenu la déclaration de
l’ambassadeur cubain, José Antonio Portuondo, selon laquelle les attaques
aériennes ont été des actions lâches et désespérées des impérialistes. On
constatait une grande activité parmi les Cubains exilés. Une source cubaine a
commenté que le nouveau gouvernement cubain en exil se rendra à Cuba peu après
la première vague d’invasion contre le régime cubain de Fidel Castro, pour
établir un gouvernement provisoire dont on espère qu’il sera reconnu rapidement
par de nombreux pays latino-américains anticastristes."
« "Une
déclaration remise par Me Miró Cardona[12]". Ça vient de l’AP et de l’UPI.
«
"Une frappe héroïque en faveur de la liberté cubaine a été portée ce matin
par un certain nombre d’officiers des forces de l’air cubaines. Avant de
s’envoler dans leurs avions vers la liberté, ces vrais révolutionnaires ont
tâché de détruire le plus grand nombre possible d’avions militaires de Castro.
Le Conseil révolutionnaire est fier d’annoncer que leurs plans ont été
couronnés de succès, qu’il était entré en contact avec eux et qu’il avait
encouragé ces vaillants pilotes. Leur action est un nouvel exemple du désespoir
auquel les patriotes de toutes les couches sociales peuvent être entraînés sous
la tyrannie implacable de Castro. Tandis que Castro et ses partisans tentent de
convaincre le monde [écoutez bien !], tandis que
Castro et ses partisans tentent de convaincre le monde que Cuba est menacée d’une invasion depuis l’étranger,
cette frappe en faveur de la liberté, tout comme les précédentes, a été portée
par des Cubains vivant à Cuba qui ont décidé de lutter contre la tyrannie et
l’oppression ou de mourir dans la tentative. Nous ne ferons pas connaître
d’autres détails pour des raisons de sécurité." »
Miró Cardona était justement le chef du gouvernement provisoire que les
Etats-Unis maintenaient, ses valises prêtes, à côté d’un avion, pour atterrir à
Playa Girón dès que la tête de pont serait garantie.
Le milicien Eduardo García Delgado, mortellement blessé dans le
bombardement criminel du 15 avril 1961, écrivit le nom de Fidel de son sang.
« …mais tout
n’est pas fini. Nous allons démasquer le farceur dont dispose l’impérialisme à
l’ONU et qui joue au type illustré, libéral, de gauche, etc., etc., monsieur
Adlai Stevenson… L’escroquerie au monde se poursuit. L’UPI, l’AP, ont disséminé la bande dessinée, des
milliers de journaux et eux-mêmes la publient, affirmant que les principaux
journaux ont accueilli avec satisfaction la nouvelle de la désertion de ces
pilotes.
Comme s’il n’y avait pas déjà eu assez de mensonges !
« "L’ambassadeur
étasunien Adlai Stevenson a rejeté les affirmations de Roa et réitéré la
déclaration du président John F. Kennedy selon laquelle, en aucune
circonstance, les forces armées des États-Unis n’interviendront à Cuba.
Stevenson a montré à la commission des photos de l’United Press International
où l’on voit deux avions qui ont atterri aujourd’hui en Floride après avoir
participé à l’incursion aérienne contre trois villes cubaines.
« "Il
porte les insignes des forces de l’air de Castro sur sa queue", a-t-il dit
en montrant l’une d’elles : "il porte l’étoile et les initiales
cubaines, qui sont clairement visibles. Je montrerai cette photo avec
plaisir". Stevenson a ajouté que les deux avions en question étaient
pilotés par des officiers des forces de l’air cubaines, par des hommes qui ont
déserté le régime castriste. "Aucun personnel des États-Unis n’a participé
à l’incident d’aujourd’hui ; ce ne sont pas des aéronefs des États-Unis –
a-t-il souligné – mais des avions de Castro lui-même qui ont décollé de leurs
propres terrains".
« Le
ministre cubain a dit que "les incursions de ce matin sont indubitablement
le prologue d’une tentative d’invasion à grande échelle, organisée, fournie et
financée par Washington. Le gouvernement cubain – a dit Roa – accuse
solennellement le gouvernement étasunien, devant cette commission et devant
l’opinion publique mondiale, de vouloir employer la force pour régler ses
différends avec les États membres." »
« Nous
avons maintenant l’occasion, comme rarement aucun autre peuple l’a eue, de
connaître du dedans et du dehors, de côté, par en dessous et par en dessus, ce
qu’est l’impérialisme […] comment
fonctionnent tout son appareil financier, publicitaire, politique, mercenaire,
ses services secrets, ses fonctionnaires, qui escroquent le monde avec autant
de tranquillité, avec tant d’impudence. […]
« Autrement
dit, ils organisent l’attaque, ils préparent l’attaque, ils entraînent les
mercenaires, ils leur fournissent des avions, ils leur fournissent des bombes,
ils préparent les aéroports – tout le monde le sait – l’attaque survient, et
ils affirment tout bonnement au monde que ce n’est pas vrai – à un monde qui se
soulèverait, indigné, et ils le savent, devant une violation aussi monstrueuse,
aussi lâche, aussi évidente des droits des peuples et de la paix !
« Et
ces misérables impérialistes gringos, après avoir semé le deuil dans plus d’une
demi-douzaine de foyers, après avoir assassiné une poignée de jeunes, qui
n’étaient pas des millionnaires – car ceux que nous sommes venus enterrer ne
sont pas des millionnaires parasites, ne sont pas des mercenaires vendus à l’or
d’aucun étranger, ne sont pas des voleurs, ce sont des fils chéris de notre
peuple, de jeunes ouvriers, des fils de familles modestes, qui ne volent rien à
personne, qui n’exploitent personne, qui ne vivent pas de la sueur ni du
travail de personne, et qui ont plus droit à la vie que les millionnaires, et
qui ont plus droit à la vie que les parasites ! […] Car ils ne vivent pas
du travail d’autrui, comme les millionnaires yankees, ils ne vivent pas de l’or
étranger, comme les mercenaires, les vermines vendus à l’impérialisme ;
ils ne vivent pas du vice, ils ne vivent pas du vol, et ils ont droit à ce
qu’on respecte leur vie. Et aucun misérable millionnaire impérialiste n’a le
droit d’envoyer des avions, ni des bombes, ni des roquettes pour détruire ces
jeunes vies chères à la patrie !
« Et
ceux qui sont d’accord avec un crime pareil, ceux qui sont d’accord avec une
telle sauvagerie, ceux qui se vendent misérablement à ces criminels et appuient
leurs activités, ceux qui conspirent contre la patrie, dans la rue, dans les
églises, dans les écoles, n’importe où, méritent que
« L’impérialisme prépare le crime,
organise le crime, arme les criminels, entraîne les criminels, paie les
criminels, et les criminels viennent et assassinent sept fils d’ouvriers,
atterrissent tranquillement aux États-Unis,
et bien que le monde entier connaissent leurs méfaits, ils déclarent
alors que ce sont des pilotes cubains, il préparent la bande dessinée
truculente et romanesque, ils la divulguent dans le monde entier, la publient
dans tous les journaux, sur toutes les stations de radio et de télévision…
« Reste-t-il
un Cubain honnête qui ne le comprenne pas ? Reste-t-il un Cubain honnête
qui en doute ? […] eh bien, qu’il aille à nos bases… qu’il vérifie de
lui-même s’il y a une seule chose de vraie dans tout ce qu’ils ont dit ;
qu’il vérifie là comment les réactionnaires, les impérialistes, le clergé
hypocrite bernent et escroquent le monde, comment ils bernent et escroquent les
peuples, de sorte qu’il est temps que les peuples se débarrassent de
l’exploitation, de la tromperie et de l’escroquerie des impérialistes et de
tous les hypocrites du monde, quoi qu’il en coûte de briser ce joug !
« […]
je peux concevoir que monsieur le président des États-Unis ait encore un atome
de pudeur. Eh bien, si monsieur le président des États-Unis a encore un atome
de pudeur, le Gouvernement révolutionnaire de Cuba le somme devant le monde… de
présenter aux Nations Unies les pilotes et les avions dont il dit qu’ils ont
décollé du territoire national !
« Et
Cuba demandera aux Nations Unies que les avions et les pilotes qui disent avoir
désertés des forces de l’air y soient présentés. […]
« …pourquoi
ne les présentent-ils pas ? Monsieur le président des États-Unis a tout à
fait le droit qu’on ne le taxe pas de menteur. Eh bien, si monsieur le
président des États-Unis ne veut pas qu’on le taxe de menteur, qu’il présente
les deux pilotes… aux Nations Unies !
« …Si le
président des États-Unis ne présente pas ces pilotes aux Nations Unies pour
prouver… qu’ils vivaient ici et qu’ils ont déserté d’ici, eh bien non seulement
le Gouvernement révolutionnaire cubain, mais jusqu’au monde entier aura le
droit de le taxer de menteur !
« Eh bien, il ne restera plus au
gouvernement impérialiste des États-Unis qu’à avouer que les avions étaient à
lui, que les bombes étaient à lui, que les balles étaient à lui, que c’est lui
qui a organisé, entraîné et payé les mercenaires, que les bases étaient au
Guatemala, et que c’est de là qu’ils sont partis pour attaquer notre
territoire, et que ceux qui n’ont pas été abattus sont allés se sauver
jusqu’aux côtes des États-Unis où on leur a donné refuge.
« …comment
le gouvernement étasunien pourra-t-il maintenir ce mensonge ? […]
« …Nous ne sommes plus à l’époque des
diligences, nous sommes à l’époque de la
radio, et les vérités d’un pays peuvent porter très loin…
« …ce que les impérialistes ne peuvent
pas nous pardonner, c’est que nous soyons toujours là ; ce que les
impérialistes ne peuvent pas nous pardonner, c’est la dignité, l’intégrité, le
courage, la fermeté idéologique, l’esprit de sacrifice et l’esprit
révolutionnaire du peuple cubain.
« Ce
qu’ils ne peuvent pas nous pardonner…, c’est que nous ayons fait une révolution
socialiste…
« Et
que nous défendons cette Révolution socialiste avec ces fusils ! Et que
nous défendons cette Révolution socialiste avec le même courage avec lequel nos
artilleurs antiaériens ont criblé de balles, hier, les avions agresseurs !
« …cette
Révolution, nous ne la défendons pas avec des mercenaires ; cette
Révolution, ce sont les hommes et les femmes du peuples qui la défendent !
« […]
Est-ce donc le mercenaire qui a les armes ? Est-ce donc le millionnaire
qui a les armes ? Parce que, mercenaire et millionnaire, c’est blanc
bonnet et bonnet blanc. Est-ce donc les fils à papa riches qui ont les
armes ? Est-ce donc le garde-chiourme qui a les armes ? Qui donc a
les armes ? De qui donc sont ces mains qui brandissent ces armes ?
[…] Ce sont des mains de riches ? Ce sont des mains d’exploiteurs ? De qui
sont donc ces mains qui brandissent ces armes ? Ce ne sont pas des mains
d’ouvriers ? Ce ne sont pas des mains de paysans ? Ce ne sont pas des
mains durcies par le travail ? Ce ne sont pas des mains de
créateurs ? Ce ne sont pas des mains de petites gens du peuple ? Et
qui donc constitue la majorité du peuple ? Les millionnaires ou les
ouvriers ? Les exploiteurs ou les exploités ? Les privilégiés ou les
petites gens ? […]
« Compañeros ouvriers et paysans, cette Révolution est la révolution socialiste et
démocratique des petits, avec les petits et pour les petits ! Et pour
cette Révolution des petits, par les petits et pour les petits, nous sommes
prêts à donner notre vie !
« Ouvriers
et paysans, hommes et femmes modestes de la patrie, jurez-vous de défendre
jusqu’à la dernière goutte de votre sang cette Révolution des petits, par les
petits et pour les petits ?
« Compañeros ouvriers et paysans de la patrie, l’attaque d’hier a été le prélude de
l’agression des mercenaires ; l’attaque d’hier, qui a coûté sept vies
héroïques, visait à détruire nos avions à terre. Mais ils ont raté leur
coup : ils n’ont détruit que trois avions, et le gros des avions ennemis a
été endommagé ou abattu. Ici, devant la tombe des compañeros tombés ; ici, auprès des restes des
jeunes héroïques, fils d’ouvriers et fils de familles modestes, réaffirmons
tous, orgueilleux de notre Révolution, orgueilleux de cette Révolution des
petits, par les petits et pour les petits, que, de la même manière qu’ils ont
fait face aux balles, de la même manière qu’ils ont donné leur vie, à quelque
moment que viennent les mercenaires, nous n’hésiterons pas, face à qui que ce
soit, à la défendre jusqu’à la dernière goutte de notre sang ! »
La fin de mon discours fut sans aucun doute une harangue enflammée de
réponses et de questions révolutionnaire. Je lançai des vivats à la classe
ouvrière, aux paysans, aux petites gens, à
Ce que personne ne savait, c’est que, quasiment à la fin de mon discours,
presque de nuit, un compagnon de mon escorte s’était approché de moi et m’avait
informé que l’ennemi était en train de débarquer aux abords de la baie de
Cabañas, à l’ouest de
Le débarquement était absolument
logique après l’attaque visant à détruire notre petite force aérienne, la
veille au petit matin, et nous nous y attendions. Je fis alors ce que je
n’avais jamais fait avant, une fois conclu un discours : après le «
« Au
combat… Nous allons chanter l’hymne national, compañeros. »
« Compañeros, toutes les unités doivent
se diriger au siège de leurs bataillons respectifs, compte tenu de la
mobilisation ordonnée pour maintenir le pays en état d’alerte devant la
situation imminente qu’on peut déduire
de tous les faits des dernières semaines et de la lâche attaque
d’hier : l’agression des
mercenaires. Marchons aux Maisons de miliciens ; formons les bataillons et
disposons-nous à faire face à l’ennemi, en chantant l’hymne national, aux
accents de notre hymne patriotique, en criant : "Au
combat !", en étant convaincu que "mourir pour la patrie, c’est
vivre" et que "vivre dans les chaînes, c’est vivre plongés dans
l’affront et l’opprobre[13]" ».
« Marchons
à nos bataillons respectifs, et attendons-y les ordres, compañeros. »
Après le meeting, je me rendis au “Point Un”, nom de code de l’état-major
des forces armées, pour connaître la situation.
Aucun débarquement n’avait eu lieu, en fait : c’était un simulacre
orchestré par la marine étasunienne. J’analysai la situation et je donnai des
instructions.
Je me retirai vers minuit. Persuadé que l’ennemi était sur le point d’agir,
je décidai de gagner quelques heures de sommeil.
Roxana Rodríguez, décédée voilà quelques jours et épouse d’Abraham
Maciques, alors directeur du Plan de développement des marais de Zapata,
témoigna avoir téléphoné à Celia [Sánchez] pour lui faire savoir que le
lieutenant Antelo Fernández, chef de l’unité militaire de Jagüey Grande,
l’avait informée d’un débarquement du côté de Playa Larga, et que l’on y
écoutait des tirs de mitrailleuses et des canonnades.
Celia affirme dans une note transmise au Point Un qu’elle est entrée en
communication avec la sucrerie Australia et qu’elle a pu constater que Playa
Girón et Playa Larga étaient attaquées.
La note du P.C. indique : 03 h 29, le 17 avril 1961.
Révisant ce que j’avais dit au programme de télévision Universidad Popular
trois jours après la victoire[14],
je constate que j’avais donné 03 h 15 comme l’heure où j’avais reçu la
nouvelle. Vraiment, Celia ne perdait jamais une minute en n’importe quelle
circonstance.
À partir de là, survinrent des événements difficiles à croire. J’en livre
ici une synthèse à partir de laquelle quelqu’un ayant plus de temps, de santé
et d’énergie pourrait entreprendre une recherche détaillée et reconstruire les
faits d’une manière objective.
L’important est l’essence, qu’on ne doit jamais modifiée. Les détails ont
une signification spéciale pour les historiens les plus rigoureux. Mon intérêt
se fonde en l’occurrence sur le souhait que notre jeunesse connaisse les
événements survenus durant ces années décisives, qu’elle connaisse la bataille où
ceux qui les ont précédés risquèrent leur vie pour
« La patrie est l’humanité ! »
J’avais expliqué au programme Universidad Popular
« …on
me communique, à moi et aux autres compagnons, que des combats se déroulaient à
Playa Girón et à Playa Larga où l’ennemi avait débarqué…
« J’ai
demandé de vérifier, de ratifier. Sur des choses pareilles, il faut toujours
être sûr, parce qu’après il vous arrive des nouvelles qu’il y a des bateaux
ici, et des bateaux là… En tout cas, le fait est qu’on nous informe d’une
manière certaine, absolument certaine, d’autant qu’il y a déjà des premiers
blessés, que des envahisseurs sont en train de canonner fortement, avec des
bazookas, des canons sans recul, des mitrailleuses 50, des canons de navires,
et d’attaquer Playa Girón et Playa Larga, dans les marais de Zapata. Il n’y
avait donc plus aucun doute qu’un débarquement était bel et bien en train de se
produire à cet endroit-là, appuyé par des armes lourdes.
« …Les
micro-ondes de Playa Girón et de Playa Larga ont informé des résultats de
l’attaque… jusqu’à ce qu’elles aient cessé de fonctionner à cause de l’attaque
même. Donc, de trois à quatre heures du matin, nous n’avons plus de nouvelles
de Playa Girón et de Playa Larga.
« La
presqu’île de Zapata a les caractéristiques suivante : ce morceau de terre
ferme au bord de la côte… une terre ferme rocheuse et boisée… Mais au nord de
ce morceau de terre ferme, il y a des marais absolument infranchissables.
« …Avant,
il n’existait absolument aucune communication… une voie ferrée à écartement étroit,
voilà la seule communication qu’avaient les paysans dans cette zone.
…Au moment
de l’invasion, deux cents alphabétiseurs étaient en train d’alphabétiser dans
les marais de Zapata…
« …C’était
l’un des endroits pilotes de
« Trois
cents enfants de paysans des marais sont en train d’étudier à
Cliquez sur la carte pour l’agrandir.
En juillet 1976, j’avais commenté à un cinéaste de la télévision suédoise,
Gaetano Pagano[15] :
« Ils
ont débarqué à un endroit où ils pouvaient se maintenir un certain temps, parce
que c’était un endroit très difficile à récupérer, dans la mesure où les routes
d’accès traversaient plusieurs kilomètres de marécages infranchissables, ce qui
en faisait une sorte de défilé de Thermopyles ».
La côte de Playa Larga, que les mercenaires prétendaient occuper, est
située à vingt-neuf kilomètres de la petite sucrerie Australia. Playa Larga est
séparée de Playa Girón par une route d’environ trente-neuf kilomètres qui longe
à peu près la côte. Au total, il y a soixante-huit kilomètres entre l’Australia
et Playa Girón. Au nord de Playa Girón, à onze kilomètres, se trouve la caye
Ramona qui n’est pas cernée de mer : c’est un îlot de terre ferme entouré
de marécages. San Blas se trouve à quatorze kilomètres de Playa Girón ;
Covadonga, à trente kilomètres ; Horquita, à trente-six kilomètres
direction nord-est ; Yaguaramas, à quarante-quatre kilomètres.
Dans
À l’effondrement de la tyrannie, je m’étais dirigé vers la capitale accompagné
des membres de la 1re colonne, des chars, de l’artillerie, tandis
que deux mille soldats des troupes d’élite – vaincues durant la
contre-offensive et l’offensive de l’Armée rebelle que j’ai racontées dans les
ouvrages correspondants[17]
- s’étaient unis à nous, qui soignions leurs blessés au combat et respections
les prisonniers sans une seule exception. Je les avais à mes côtés parce que la
situation dans la capitale n’était pas encore bien définie. Camilo et le Che
avaient reçu des instructions d’avancer rapidement sur
D’excellents combattants qui m’accompagnèrent pendant plus de deux ans et
qui furent assignés ensuite à d’autres tâches importantes de
Ramiro Valdés (à gauche) et Camilo Cienfuegos dans
La sécurité devint du ressort du ministère de l’Intérieur, sous la
direction du compañero Ramiro Valdés et
de ses conseillers. Ramiro était un combattant de
Il régnait dans notre pays, on le sait, un chaos idéologique fomenté par
les Yankees qui dominaient plus par le mensonge et l’ignorance que par la
force.
Les nouveaux compagnons de l’escorte recevaient un entraînement rapide
ajusté à leur fonction : s’ils étaient en général courageux et décidés,
ils n’avaient en revanche aucune expérience au combat.
Ce qui ne m’inquiétait guère. Ce sont surtout leurs qualités personnelles
qui m’importaient le plus. Entre autres, qu’ils sachent bien manier les armes
et conduire les voitures. Nous avions tous beaucoup à apprendre.
Voici le témoignage écrit de l’un d’eux sur ce qui se passa au petit matin
du 17 avril 1961, quand la nouvelle du débarquement nous arriva :
« J’étais
de garde dans le couloir en face de l’escalier, et je me rappelle avoir
constaté des mouvements anormaux à l’étage au petit matin. Soudain, le Comandante s’est levé et s’est mis à réclamer des communications téléphoniques
avec différents chefs militaires. Et il n’arrêtait pas d’arpenter la salle à
grands pas et il disait :
"Ils ont débarqué, et justement à l’endroit que je supposais. Peu importe.
On va les écrabouiller ! […] Allons-y !" J’ai pensé : C’est foutu! Les Américains sont
en train de débarquer et le type est devenu fou ! On est partis à toute allure
au Point Un. »
Playa Girón
Bienvenido était vraiment effrayé ce jour-là !
Le Point Un réunissait, à cette aube du 17 avril, le commandant Sergio del
Valle Jiménez, chef de l’état-major ; le capitaine Flavio Bravo Pardo ; les
chefs des secteurs de la défense de
Durant la bataille de Playa Girón, des sténos absolument professionnelles
se relayèrent au Point Un pour annoter avec une précision étonnante chacune de
mes conversations avec les différents points et celles du P.C. central avec
n’importe quel chef du théâtre d’opérations. Ce qui me permet de retranscrire
ici de nombreuses communications en fonction du déroulement de la bataille, et
de ne donner des explications que quand elle s’avère indispensables à mon avis,
et de compléter un point s’il ne semble pas clair. Je supprime bien souvent des
gros mots, que je ne laisse que quand ils servent à donner une idée de l’ardeur
que nous expérimentions tous.
NOTES ET ORDRES ÉMIS DEPUIS LE POINT UN
« 03 h 30. Le commandant Sergio
Del Valle (comandant de l’Armée rebelle et chef de l’état-major des Forces armées
révolutionnaires)
communique à l’École des responsables de milices de Matanzas d’être prêts à
partir en opérations, les camions y compris.
« 03 h 35. Le Comandante Fidel communique au capitaine (de l’Armée rebelle) Osmany Cienfuegos Gorriarán de tenir prêts
tous les bataillons de son secteur dans leurs camions pour partir en opérations.
« 03 h 36. Confirmation du
débarquement à Playa Larga. Que le 339e bataillon de milices – qui
se trouve à la sucrerie Australia – avance d’urgence vers Playa Larga. Que le
bataillon de milices de Matanzas avance d’urgence vers Jovellanos.
Le 339e bataillon de Cienfuegos devait être positionné à Playa
Girón et à Playa Larga conformément aux instructions que j’avais transmises
personnellement assez de temps avant le débarquement ennemi. Abraham Maciques,
directeur du Plan de développement des marais de Zapata, témoignerait
vingt-quatre ans après, le 17 mars 1986 :
« Une semaine avant le
débarquement, le Comandante se rendit
du côté de Playa Girón. Il parcourut le front de mer, l’aéroport, les
installations touristiques en chantier, en compagnie du commandant Guillermo
García et d’autres officiers. Il commenta que s’il devait réaliser un
débarquement, il le ferait dans cette zone, parce qu’elle comptait deux accès
de sortie et d’autres conditions. Il donna des instructions pour qu’on situe
des mitrailleuses antiaériennes sur l’aéroport et une mitrailleuse 50 sur le
château d’eau de Playa Girón. Il envoya aux milices mille fusils M-52 tchèques.
Il chargea le commandant Juan Almeida de transférer le 339e
bataillon de Cienfuegos dans cette zone. Ces instructions ne furent pas
exécutées à temps parce que l’invasion eut lieu quelques jours plus
tard. »
En fait, Almeida dépêcha le bataillon. Le bataillon disposait d’un peloton
à Playa Larga, sans doute par confusion. S’il avait été déployé à Playa Girón
et à Playa Larga, et non à la sucrerie Australia, à soixante-huit et vingt-neuf
kilomètres respectivement, les conséquences auraient été considérables pour les
envahisseurs qui naviguaient déjà vers ces deux points-là.
L’instruction que je donnai à 03 h 36 de déplacer cette unité dans la nuit
pour appuyer les hommes qui résistaient à Playa Larga était correcte : la
faire se déplacer en plein jour, quand les parachutistes ennemis avaient déjà
été lancés, ne l’aurait pas été. De fait, l’ennemi lança son bataillon de paras
vers 6 h 30 du matin, autrement dit trois heures après, afin d’occuper les
voies d’accès à travers les marais. Logiquement, les B-26 ennemis, pilotés
entre autres par ceux de Batista qui avaient largué tant de bombes sur nous
dans
Civils mitraillés par les mercenaires.
C’est là une remarque importante pour comprendre la suite des événements.
« 03 h 55. On informe le
commandant chef FAR (Forces de l’air révolutionnaires) tenir prêts deux
Sea Fury et un B-26 avec toute leur charge Julio. (Capitaine Flavio Bravo Pardo).
« 04 h 06. Fidel ordonne au chef
FAR d’avoir les avions préparés, d’organiser deux escadrilles deux Sea Fury et
un B-26.
« 04 h 45. Fidel ordonne à Silva (Luis
Alfonso Silva Tablada, capitaine de l’Armée rebelle et pilote de
combat) à base San Antonio de los Baños remplir mission. Deux Sea Fury et
deux B-26 ; un avion à réaction (avion à réaction T-33 de fabrication
étasunienne) doit être prêt à
décoller pour défendre la base. Silva aux autres avions à missiles et
mitraille, attaquer tête de plage à Playa Larga et pointe Perdiz [...] Décoller
à 05 h 20, attaquer bateaux d’abord puis regagner
La base aérienne de San Antonio de los Baños est à 149
kilomètres et 600 mètres de Playa Larga, et à 176 kilomètres et 800 mètres de
Playa Girón : y arriver prenait donc quelques minutes.
« 04 h 48. Déplacer autre
bataillon pour Matanzas, important occuper tous les ponts entre
« 05 h 10. L’appel du Comandante Fidel à Silva, à base de San
Antonio de los Baños pour ratifier ordre antérieur, est le suivant : On
assure qu’ils ont occupé Playa Girón, et non Playa Larga, comme ça avait été
informé ; avancée de forces considérables de l’ennemi ; celui-ci est
situé à l’entrée de la baie des Cochons, vers l’est, où se trouve un village
construit par nous (Girón), il y a aussi un terrain d’aviation et une piste.
Silva, imagine un fer à cheval avec son centre vers le nord, deux branches vers
le sud; regarder l’extrémité sud à droite, ce point, Girón, se trouve plus ou
moins par là ; tu dois observer s’il y a des avions sur l’aéroport ;
s’ils oui, canarde-les ; sinon, attaquer les bateaux s’ils sont dans les
eaux juridictionnelles ; première cible, avions ; deuxième cible,
bateaux. Observe s’il y a des mouvements de camions tout près de Girón,
n’importe quel camion que tu voies entre Girón et Playa Larga, 2 kilomètres en
partant de Girón à Playa Larga, tout ce qu’il y a sur ce tronçon, attaque. Les
cibles à suivre sont donc les suivantes : Première cible : attaquer
avec tout ce que tu as l’aéroport s’il y a des avions ; deuxième cible :
attaquer les navires ; troisième cible : observer s’il y a des
déplacements de camions tout près de Girón ; si oui, attaquer aussi, ainsi
que le personnel. Si tu voies des manœuvres de navires et de personnels,
canarder les bateaux, et après les gens. Prendre par le sud-est à la baie des
Cochons. L’avion doit décoller à 05 h 20 ». (Autrement dit, avant l’aube.)
« 05 h 45. Commandant del Valle a
appelé à base San Antonio commandant Raúl Guerra Bermejo, Maro (chef des Forces de l’air révolutionnaires), pour informer qu’on a envoyé là-bas le ministre Curbelo pour aborder
la question de l’air, que vous coordonniez entre toi et lui, car il est
au-dessus, y compris civil et militaire.
« 05 h 50, le 17. Avisés Olivera et
Acevedo sur ordre du commandant del Valle de mobiliser tout le personnel sans
utiliser radio et d’avoir tout prêt pour recevoir des ordres. On l’a informé du
débarquement et comment il se déroule. Pour lieutenant Crabb.
« Tout prêt à Managua attendant
ordres de Fidel.
« 06 h 00. Fidel appelle San Antonio
de los Baños pour savoir si on ne les avait pas informés qu’il y avait trois
B-26 prêts. Tenez prêts les B-26 et l’avion à réaction avec des roquettes et
des bombes ; ça, pour quand les autres reviennent, et qu’il y en ait
toujours un surveillant la base ; ont-ils communication avec les avions,
et qu’ils informent en même temps. Ils sont sur la cible en vingt-cinq minutes.
« 06 h 30. Fidel s’intéresse aux
avions prêts à attaquer ; que le chef FAR aille aux commandes du Sea Fury
et un avion à réaction pour attaquer Playa Larga, et un peu en retrait un B-26.
En arrivant, que ceux qui sont partis avant informent aussitôt et qu’ils se
préparent et partent immédiatement. Exécuter ces ordres sur-le-champ.
« 06 h 33. On informe la base
de San Antonio de communiquer à nos avions d’informer avant de survoler l’Australia,
parce qu’elle a l’ordre de tirer.
« 06 h 34. Curbelo des FAR communique
à Fidel que des avions ennemis survolent les prisons de l’île des Pins. Nos
avions ont tiré sur les navires à Playa Larga. Canarder les navires et la
plage, à Playa Larga, un Sea Fury et un B-26. Le compañero Leyva est chef de
l’escadrille. Aller, canarder et rentrer.
« 06 h 35. Ordre de Fidel :
Antichars vers Aguada de Pasajeros deux batteries. Que celles qui sont parties
à Matanzas continuent vers Aguada. Deux batteries antichars de plus vers Matanzas.
« 06 h 40. Fidel ordonne avion à réaction soit prêt ; des
avions se dirigent vers là ; préparer aussi les batteries antiaériennes,
que l’avion à réaction soit prêt, un autre avion pour défendre la base. Que le
Sea Fury parte vers la cible, et maintenir l’avion à réaction en l’air ou sur
la piste, prêt à attaquer ;
« 06 h 46. Autre escadrille est
partie là-bas. (Girón).
« 06 h 46. Île des Pins :
quatre avions ennemis ont attaqué l’île des Pins et on leur tire dessus.
« 07 h 20. Silva informe Fidel :
Qu’as-tu fait ? Tu as dégagé. Et le navire, vous ne l’avez pas canardé ?
Et le Sea Fury au navire ? Vous l’avez coulé ? Sur Girón, qu’as-tu
fait ? Une vedette, tu ne l’as pas coulée ? Tu les as vu nager.
Retournez-y et allez-y, oui, oui. Qu’est-ce que vous leur avez fait ?
Retournez à Playa Girón, attaquez le navire et coulez-le, canardez ceux de
Girón, car les autres sont partis à Playa Larga. Retournez à Playa Girón et
coulez tous les navires qu’il y a là.
« 07 h 25. Commandant del Valle
demande à Curbelo : Fidel demande si les Sea Fury sont rentrés. Oui, j’écoute,
oui, oui, parfait, faites attention aussi à ces avions; que les autres
attaquent Girón, nous ne pouvons pas laisser échapper ces bateaux, très bien,
très bien.
« 08 h 08. À Pepín Álvarez
Bravo. (José A. Álvarez Bravo, chef
de
« 08 h 13. Qui est à l’appareil
? Appelle Almeida ou Angelito. (Ángel Martínez, ancien lieutenant-colonel de
l’Armée républicaine espagnole et conseiller militaire du commandant Almeida à
l’Armée du Centre.) Angelito ? Vous devez envoyer des forces par Juraguá
vers Jovellanos. Qu’elle avance vers Jovellanos, pour qu’elle avance le long de
la côte. Très bien ! Eux ? D’où ? Mais par où ils peuvent
avancer, par où ? Ils ont avancé ? Eh bien, partez combattre ces
paras isolés, ils sont condamnés à mort. Les paras d’Horquita sont condamnés à
mort ! Employez contre eux votre force de miliciens.
C’était la première nouvelle que je recevais du lancement de paras ennemis.
« Almeida ? Faites avancer des
forces par Jovellanos, pour qu’elles combattent sur la côte. Filiberto (commandant de l’Armée rebelle Filiberto
Olivera Moya) va progresser
par Giron, et le bataillon que tu as envoyé avec Tomassevich (commandant
de l’Armée rebelle Raúl Menéndez
Tomassevich, chef d’état-major de l’armée du Centre). Ces gens doivent avancer sur Girón depuis Juraguá.
Qu’une compagnie avance, et qu’elle ne laisse pas échapper l’ennemi.
Miliciens sur le front (avril 1961).
« 08 h 20. À del Valle
(personnellement). Ordonne à Pedrito Miret de mobiliser au moins douze canons
de
« Il faut préparer la défense
antiaérienne. Deux Sea Fury sur la piste ; une antiaérienne pour défendre
l’air contre les B-26. Qu’ils soient prêts pour demain. Ces avions arrivent cet
après-midi, vite, ils doivent protéger nos forces. Aujourd’hui, on va couler
des navires ; demain, on va abattre des avions.
« 08 h 21. Le Che appelle Fidel
(depuis Pinar del Río) : Que se passe-t-il ? Quel genre de mortiers,
Che ? Quels mortiers ? Ce personnel, on l’entraîne à Baracoa, tu veux
qu’on te l’envoie ? Eh bien, alors, je vais leur en parler pour qu’on te
les envoie, et je vais parler à Universo pour qu’il t’envoie là-bas du
personnel de Pinar del Río. D’ac. Où je te l’envoie ? Ça, il faut le
trouver là-bas […] je l’envoie à Artemisa […] les meilleurs, mais ce n’est pas
facile de trouver des transports maintenant, parce qu’ils sont avec les
batteries. Bien. On combat maintenant pour de bon. Nous vaincrons !
« 08 h 22. À Universo Sánchez, que le
personnel de Pinar del Río des batteries antichars, et Toranzo (Mario
Toranzo Ricardo, capitaine de l’Armée rebelle) envoie des
mortiers 120 au Che.
« 08 h 23. À Universo Sánchez.
Che a six batteries de canon sans personnel. Je te recommande de lui envoyer
là-bas du personnel parmi le mieux instruit de Pinar del Río. […] Les canons
sont là-bas. Ils savent déjà pas mal. Du moins, s’ils ne savent pas beaucoup,
ils savent quelque chose.
« 08 h 26. À Curbelo - FAR.
[...] on va descendre des avions, mais aujourd’hui on va couler des navires.
Coulez des navires ! Coulez des navires, putain de merde, tu dois couler
beaucoup de navires ! Qu’ils aillent se faire foutre, tirez-leur dessus ! »
Je continue de donner des instructions à ce rythme depuis 03 h 30.
« 08 h 42. À Osmany. (Personnellement).
À Kico (Enrique González, capitaine de l’Armée rebelle), qu’il envoie
des renforts de munitions pour chars et de pièce de rechange pour les chars.
« 08 h 45. À Osmany. (Personnellement).
L’ordre à Curbelo est de détruire les navires. Détruire les navires !
« 08 h 46. À Osmany. On va compter.
Un, Filiberto ; deux, Jovellanos, ça fait trois; un à Matanzas, quatre. Combien
il nous en reste à
« 08 h 47. À Aragonés. (Personnellement).
Gordo : à 6 h du matin, tout est
dégagé. Je connais bien tout ça : à 6 h du matin, tout est dégagé. On va
attaquer de nuit, et avec tout ce qu’on a !
« 08 h 48. À Raúl Castro (en
Oriente). Jusqu’à présent, je crois que tu ne participes pas à la fête, mais tu
dois rester attentif. Tu dis ? Jusqu’à présent, ils ont débarqué par le
sud. Je ne peux pas te donner de détails, je ne dois pas te donner de détails,
mais soyez en état d’alerte dans
« 08 h 53. Le commandant del
Valle veut communiquer avec le commandant Curbelo; del Valle dit que notre
mission est de concentrer l’attaque sur les navires à Playa Larga et à la caye
(Playa) Girón.
« 08 h 58. À Curbelo.
FAR. Je t’écoute. Comment ça marche ? Oui. Que se passe-t-il ?
Et le pilote ? Où ça s’est passé ? Oui. Et à propos des navires
ennemis, que se passe-t-il ? Oui. Vous n’en avez coulé aucun? Bien. Il
faut maintenir le moral. Vous avez abattu des avions à eux ? Bon, combien
nous reste-t-il de Sea Fury ? Je t’écoute. Il faut continuer de se battre.
Les avions à réaction y sont déjà allés ? Ici quoi ? Et les avions à
réaction ? On a mitraillé? On les a mitraillés? Les bateaux ne se sont pas
retirés ? Vous devez continuer de les canarder avec tout ce que vous
avez ! Oui, il faut venger le compagnon qu’ils ont abattu ! Il faut
le venger, compañero ! Utilisez
les avions à réaction pour abattre leurs B-26 ! Oui, oui, vous allez avoir
des balles. Au revoir, compañero.
Luis Alfonso Silva Tablada, un courageux capitaine de l’Armée rebelle, le
pilote de combat avec qui j’avais parlé à 4 h 45, avait été abattu.
Avion de mercenaires abattu à Playa Girón.
À 09 h 09, je parvenais à entrer en communication avec la sucrerie Covadonga.
« À la sucrerie Covadonga. "Oui,
j’écoute. Compañero (Gonzalo
Rodríguez Mantilla, Chele),
dites à ce compañero qu’il ne peut
pas se retirer de là. Oui, j’écoute. Bien. Dites-moi : y a-t-il des troupes à Aguada
de Pasajeros ? Peu importe, ce sont nos avions qui bombardent. Nos avions
n’arrêtent pas de bombarder l’ennemi. Écoutez, qu’ils ne se retirent pas, on
vous envoie des choses par là-bas, mais ils ont avancé et ça fait perdre du
temps. Ils doivent être maintenant au-delà d’Aguada. Appelez Aguada de
Pasajeros, je vais, moi, appeler là-bas pour qu’on y envoie les renforts.
Résistez courageusement, compañeros !
Très bien. La patrie ou la mort !"
« 09 h 13. À del Valle. (Personnellement).
(Quelqu’un informe que Cedeño, du ministère des Transports, a ordonné de
paralyser tout le transport.) Dis-lui que non, qu’il n’exécute pas cet ordre
tant que ça n’est pas nécessaire.
« 09 h 20. On informe de
« 09 h 25. À Curbelo. FAR San
Antonio. Curbelo, vois un peu s’il existe un avion à réaction pour protéger nos
troupes sur la route entre la sucrerie Australia et Soplillar. Oui, tu peux disposer
d’un avion à réaction ? Parfait, quand il atterrit, donne-lui des ordres
et communique-lui de partir protéger nos troupes, au moins pendant une
demi-heure, entre la sucrerie Australia et Soplillar, où un B-26 nous emmerde,
oui, un avion à réaction pour protéger notre avancée, vois un peu s’il peut
être sur place dans vingt-cinq minutes. Je vais contacter Fernández. Dès qu’il
rentre, pour voir s’il appuie. Non, entre l’Australia et Soplillar. Parfait.
« 09 h 28. À Fernández-Australia.
Ça prendra de trente à quarante minutes avant qu’un avion à réaction arrive
pour protéger cette route [...].
« 09 h 30. À del Valle (personnellement)
Ordonne le casernement de toutes les patrouilles de police ce soir, pour si
jamais on en a besoin. (Del Valle demande s’il doit y en avoir une là-bas) Non,
pas la peine.
« 09 h 31. À Curbelo FAR.
Curbelo, tu pourras leur offrir cette protection ? Dans cette
direction ? Il va nous protéger, hein ? Oui. Les protéger entre
Australia et Soplillar. Bien, je vais les aviser. Combien de temps pour y
arriver? Vingt minutes? Très bien. Et les deux qui poursuivaient le Sea Fury.
Très bien!
Je reviens sur cette même question de la protection aérienne à 09 h 40 et à
09 h 42.
« 09 h 50. (Del Valle informe
que le pilote Carreras a coulé un bateau et en a endommagé un autre, qui est en
train de couler, qu’il a abattu un B-26 qui s’est retiré une aile en flammes,
qu’il est revenu faire le plein et qu’il est reparti attaquer le bateau à
moitie coulé.) Demande à Matanzas si les chars sont passés par là. La batterie
antiaérienne qui doit être à Matanzas, doit accompagner les chars jusqu’à Jovellanos.
« 10 h 00. À Curbelo. FAR.
Curbelo, Fernández ne m’a pas informé. Tu dois bien expliquer au pilote que
c’est la route qui va de la sucrerie Australia à Playa Larga, celle de la
sucrerie Australia à Playa Larga, où les avions à réaction doivent offrir une
protection, mais qu’ils n’ont pas à aller jusqu’à Playa Larga, mais seulement
jusqu’à Pálpite. Quand l’un rentre, que l’autre décolle, tu dois bien le leur
expliquer : une protection aérienne à ce point. Oui, plus ou moins, pour
notre troupe qui va avancer par là. De l’Australia à Playa Larga. Jusqu’à la
caye Ramona ? Quoi ? Oui. Bon, continuer de protéger la route, c’est
important, et continuer d’attaquer les bateaux. Et toujours en état d’alerte,
parce que, demain, ils vont essayer de frapper là. Continuer de protéger la
route tout le temps qu’il faudra. Je t’avertis. Bien, très bien.
« 13 h 02. De Fidel Castro au
commandant Raúl Castro en Oriente : "Écoute, Miró Cardona insiste qu’il y
a eu un débarquement en Oriente. Oui, écoute-moi, peu importe. Quoi qu’il
arrive, tu dois utiliser beaucoup les batteries antichars, au cas où des chars
arriveraient. Tous les antichars fin prêts, pour qu’ils arrivent rapidement. On
ne sait pas, quand on capture le premier, on te le communique. Un para mort,
mais ne te presse pas, ne te tracasse pas. Écoute-moi bien, Raúl :
beaucoup d’antichars sur l’aéroport… On va demander de nouveau, mais ils
doivent être sur le point d’arriver. Ah ! autre chose : si demain il
y a du grabuge de ton côté, on pourra probablement t’envoyer l’aviation.
L’aviation a été parfaite. […] Je ne peux pas préciser, mais ce n’est pas
inquiétant. Quoi ? Oui, ils insistent beaucoup, ils ont largué leurs paras
et tout le reste par ici, ils ont fait un gros effort pour s’emparer du coin.
Je crois qu’ils ont fait l’effort principal ici, dans les marais de Zapata. On
ne peut pas préciser, mais ils ont fourgué beaucoup de paras, tous ceux qu’ils
avaient, je crois. Soyez très en alerte là-bas. Beaucoup de chars et beaucoup
de D.C.A. Appuie les gens avec
J’adopte au Point Un plus d’une cinquantaine d’ordres et de mesures avant
de partir sur le théâtre d’opérations.
Miliciens à Playa Girón. Photo : Raúl Corrales
Témoignage de José Ramón Fernández :
« C’était vers 2 h 40 du matin,
le 17 avril. J’ignorais absolument l’invasion, autrement dit le débarquement
mercenaire, et c’est lui qui m’a dit qu’un débarquement était en cours du côté
des marais de Zapata.
« Il m’a ordonné de partir à
Matanzas sans perdre un instant et de partir combattre l’invasion à la tête de
l’École des responsables de milices dont j’étais le chef :
"Prends une voiture et pars à toute allure."
« Je ne suis pas parti tout de
suite, parce que j’ai cherché d’abord des cartes de la région – je n’avais été
qu’une seule fois dans les marais avec le Comandante,
je n’y avais jamais été, ni avant ni après, seulement un jour où nous revenions
de l’Escambray – mais le dépôt des cartes était fermé. […] À peu près une demi-heure après, le Comandante a retéléphoné :
"Comment, tu es encore là ? Vous n’êtes pas encore parti ?"
Je ne me rappelle plus très bien si nous avons enfoncé la porte, en tout cas
j’ai pris les cartes et j’ai filé à Matanzas. Il m’avait aussi demandé au téléphone
de ne pas m’occuper de mobiliser l’École, qu’il allait donner les ordres
lui-même. Et, effectivement, quand je suis arrivé, l’École était debout.
« À peine entré dans ce
bâtiment – où se trouve aujourd’hui l’état-major de l’Armée du Centre – la
sentinelle me dit : "Le Commandante
vous appelle." J’y suis allé, j’ai parlé de nouveau avec lui et il m’a
répété que je devais me rendre à Jagüey Grande. Il m’a demandé quel chemin
j’allais emprunter. Je ne connaissais pas bien les routes, mais en regardant la
carte j’ai vu par où on pouvait arriver jusqu’à Jagüey.
« …je suis parti en pensant
entrer par Colón, mais en fin de compte je suis entré par Perico-Agramonte. En
arrivant à Jovellanos, le capitaine de l’Armée rebelle José A. Borot García et
deux ou trois autres compagnons m’attendaient sur la route. Ils m’ont fait des
signes d’arrêter et j’ai freiné juste par miracle. Je leur ai dit :
"Ecoutez, ne m’arrêtez pas, la voiture est pleine et je suis pressé.
" […] Mais ils me disent : "Non, c’est que le Comandante vous appelle." La
caserne de Jovellanos était à deux pas, à l’entrée du village. J’y suis allé,
et j’ai communiqué de nouveau avec le Comandante.
Il m’a indiqué d’aller à l’administration de la sucrerie Australia – où il y
avait un téléphone connecté directement au Point Un – d’y aller tout de suite
et, à peine arrivé, de lui téléphoner. Je suis arrivé à Jagüey à sept heures et
quelque du matin.
« J’avais donc mis deux heures
et quelque depuis Matanzas par
« …vers huit heures,
l’administrateur de la sucrerie était là, et je lui ai demandé : "Où
est le téléphone ?" J’ai donc décroché, j’ai de nouveau parlé avec le
Comandante qui m’a demandé de ne pas
m’éloigner du téléphone, de bien préciser comment était la situation et de m’informer
de ce qu’il se passait.
« C’était le premier appel que
je recevais du Comandante à la
sucrerie Australia. Après, tout au long de la journée, j’en ai reçu beaucoup,
je ne sais plus combien.
« Les gens ont commencé à arriver
[…] cent ou deux cents hommes se sont réunis là, réclamant des armes pour aller
combattre.
« Après avoir été informé du
débarquement, le chef du 339e bataillon, le capitaine de l’Armée
rebelle, Ramón Cordero, qui se trouvait avec son unité du côté de la sucrerie
Australia, a dépêché des forces de ses 1re et 2e compagnies
pour faire face à l’ennemi entre Pálpite et Playa Larga, dans des conditions
désavantageuses : l’adversaire était mieux armé, mieux organisé, bien
mieux entraîné et positionné à un endroit favorable à la défense. Plusieurs
miliciens ont été tués durant ce fort affrontement avec l’ennemi, et cette
partie du bataillon s’est pratiquement dispersée. Après, un peu avant l’aube,
le reste des unités du 339e bataillon a avancé, cette fois-ci sous
la conduite directe de son chef, et a dû se battre aussi dans des conditions
très défavorables.
Carte des actions de Playa Girón.
« Il m’a dit d’occuper Pálpite
avec mes hommes. J’avais la carte sous les yeux et je lui disais : "Comandante, je ne trouve aucun Pálpite
sur la carte." Ça a donné cours à
une longue discussion : "Je ne le trouve pas, ici il n’y aucun
Pálpite." "Cherche Pálpite, cherche bien, ça doit être par là."
« En fait, il y avait une
erreur sur la carte – c’était une carte d’état-major des années 50 - qui disait "Párrite", et je
continuais de chercher sans trouver. Je lui dis : "Écoutez, je vois
un endroit qui s’appelle Párrite, entre ce point-ci et ce point-là", et il
me répond : "C’est bien ça, l’endroit, mais ce n’est pas Párrite, c’est
Palpite. Occupe-le."
« Fidel m’a de nouveau téléphoné
pour m’annoncer l’arrivée d’un bataillon, le 219-223e de la zone de
Colón, aux ordres du capitaine Roberto Benítez Lores.
« Il s’agissait de bataillon
pas encore complètement constitués ni bien organisés, mais dont les hommes
avait un moral élevé, même si aucun n’avait jamais fait d’exercices de tir et si
chacun n’avait qu’un fusil M-52 avec vingt-cinq balles. Je leur ai confié
la mission de tenter d’occuper le hameau de Pálpite. »
Il semble que Fernández confonde ici un peu ses souvenirs : son récit
date du 17 avril 1988, soit vingt-sept ans après. Sur les plus de cents
annotations sténographiques de mes coups
de fil et de mes ordres durant cette journée-là, il n’apparaît aucune mention
de ce bataillon de la zone de Colón. La première unité dont j’ai ordonné le
déplacement ce jour-là était formée d’officiers de la 1re colonne
de
Si l’École des responsables de milices de Matanzas, avec son chef José
Ramón Fernández, a été envoyée pour combattre l’invasion, c’est justement parce
que c’était une des unités les mieux entraînées et parce qu’elle était proche
de l’endroit choisi par l’ennemi pour débarquer.
Voici la suite du témoignage de José Ramón Fernández :
« Là, une attaque de l’aviation
ennemie a causé six morts et l’a fait reculer [il parle alors du bataillon arrivé de Colón]. J’ai ordonné
d’avancer de nouveau et de contrôler la route, en particulier les bas côtés.
« Ensuite, le 227e
bataillon provenant d’Unión de Reyes et commandé par le capitaine de l’Armée
rebelle Orlando Pérez Díaz s’est présenté à la sucrerie Australia. Je l’ai
chargé d’occuper Pálpite où il est arrivé après l’École des responsables de
milices, qui roulait en camion, tandis qu’eux étaient à pied. »
Cette unité était constituée de courageux combattants qui se déplacèrent
vers la sucrerie Australia, tout comme celle de Colón, sans m’avertir ni
avertir le Q.G. Une preuve irréfutable du patriotisme de notre peuple. Sauf
l’École des responsables de milices de Matanzas, toutes les unités
d’infanterie, de chars, d’artillerie antiaérienne et terrestre furent dépêchées
de
Miliciens à Playa Girón
Fernández poursuit son récit :
« Le bataillon de l’École des
responsables de milice est arrivé vers
neuf heures du matin. Je ne les ai pas laissé descendre des camions. J’ai
grimpé sur la cabine de l’un d’eux, ils se sont approchés et je leur ai parlé.
Je leur ai dit qu’il fallait occuper Pálpite, puis envoyer une compagnie
occuper Soplillar, à environ six ou sept kilomètres à l’est de Pálpite, bloquer
la piste d’aviation qui y existait et occuper l’endroit.
« Quand on m’a informé que
Pálpite avait été occupé, j’ai appelé le Comandante
qui m’a demandé : "Tu as occupé Pálpite, tes gens sont à Pálpite, tu
es sûr ?" "Sûr, Comandante."
"Alors, nous avons gagné !" »
« Alors, nous avons gagné ! », telle est l’exclamation que
Fernández affirme m’avoir entendu pousser. Bien qu’elle n’apparaisse pas dans
les sténos de mes communications, une conclusion de ce genre n’était pas
impossible, puisque nous avions occupé une tête de point de l’autre côté des
marais, à vingt-cinq kilomètres de la sucrerie Australia. Je l’avais déjà dit
une fois : « Ça y est, la guerre est gagnée ! », quand
nous n’étions plus restés que quelques combattants du Granma et que j’avais enfin sous les yeux l’impressionnante
montagne boisée du pic Caracas, avec ses 1 200 mètres, autrement dit le
théâtre d’opérations que nous cherchions. Mais à Playa Girón, le fait est que
ce jour-là, à cette heure-là, tout restait
à faire.
Et Fernández conclut son récit :
« Voilà pourquoi, quand un mois
après, à son discours à la promotion de l’École des responsables de milices, il
fit allusion aux morts de cette École convertie en bataillon de combat, il
parla de "cette unité dont les membres ne se diplômèrent pas comme
responsables de milices, mais comme héros éternels de la patrie". »
Plan original de l’intervention des USA après l’occupation d’une tête de
pont,
selon le rapport du général Maxwell Taylor.
Témoignage de Raúl Curbelo Morales :
« Je pense que mon cas est
semblable à ceux de tant d’autres compagnons. Je n’y connaissais rien en
aviation, mais j’ai occupé cette responsabilité. À des moments cruciaux, par
instinct et par son sens de la guerre, Fidel voulait avoir à San Antonio
quelqu’un qui comprendrait les ordres qu’il donnait. Par chance, j’étais de
Cienfuegos. Avant le triomphe de
« Fidel m’a téléphone très
souvent au poste de commandement de la base de San Antonio. Je me suis installé
dans la tour de contrôle et c’est là que je recevais les ordres.
« Le commandant Raúl Guerra
Bermejo, Maro, était le chef des forces de l’air ; il était
commandant, et lui capitaine.
« Je me rappelle avoir dit à Maro : "Je ne connais pas les
conditions terrestres ici, je ne sais pas où se trouve l’armement, je ne
connais pas les préparatifs pour des avions de combat. Tu vas donc t’occuper des
opérations terrestres, et moi je vais aller à la tour de contrôle pour exécuter
de là-haut avec les pilotes les instructions que je recevrais du Commandant-en-chef.
« Et Maro, avec un enthousiasme, un courage et une décision à fond, a
joué un rôle très important avec tout le personnel des arrières. Maro avait de très bonnes relations avec
moi.
« Un facteur a été décisif, et
qui prouve bien avec quel art le Commandant-en-chef envisage les questions
militaires. Moi, j’étais d’avis d’attaquer les troupes à terre. Fidel m’a
répondu : "Non, il faut attaquer les navires. Les
navires !" À ce moment-là, je n’avais pas compris. C’est plus tard que
je l’ai compris après avoir fait des études militaires. Si vous vous battez
contre un débarquement maritime, la première chose à faire est de neutraliser
les moyens navals qui permettent le débarquement. Et ça, il l’a fait comme s’il
avait étudié dans une grande école militaire, tout simplement par intuition,
parce que son expérience de la guerre dans
« Et il m’a répété :
"Il faut couler les bateaux." Alors, je lui ai dit :
"Écoutez, Comandante, j’ai
justement Carreras à mes côtés. Si vous voulez, je vous le passe". Il me
répond : "Passe-le-moi !" Et c’est là qu’il a demandé à
Carreras : "Coulez-moi les bateaux ! Attaquez les bateaux,
Carreras !" Ça s’est passé à ce moment-là. Peu après, Carrera a
décollé et plus tard on a appris qu’il attaqué à la roquette le Houston d’abord, le Río Escondido, après. »
Tel est le témoignage sincère de Raúl Curbelo.
Phase II du plan d’intervention des forces armées étasuniennes.
Compte tenu de l’héroïsme du pilote, le général Enrique Carreras Rolas, et
de la beauté du récit qu’il a livré à la maison d’édition Letras Cubanas en
1979, je retranscris la partie où il raconte son exploit, d’autant qu’il
souligne combien il a été important d’avoir su préserver les quelques avions de
combat dont nous disposions :
Témoignage du général Enrique Carreras Rolas :
« Le Commandant-en-chef nous
rendait souvent visite à la base aérienne de San Antonio. Il parlait avec les
techniciens et les pilotes. Il nous disait : "Regardez un peu ces
avions déglingués sur lesquels vous volez. Vous devez les disperser, ne pas les
grouper ensemble, afin que, si l’ennemi fait une attaque aérienne, il ne
détruise que les avions hors service. Mettez-les à bonne distance les uns des
autres afin de le confondre et de préserver nos appareils. Je suis sûr qu’ils
vont nous attaquer. Déplacez-le avant qu’ils ne viennent." Et c’est bien
ce qui est arrivé.
« Je faisais mon tour de garde dans
l’avion quand on me dit que le Commandant-en-chef veut me parler :
"Carreras, un débarquement a lieu à Playa Girón. Décollez et arrivez
là-bas au petit matin. Coulez les transports de troupes et ne les laissez pas
partir."
« L’ordre de décoller est
arrivé à cinq heures du matin. Quand on m’a dit qu’il s’agissait d’un
débarquement, je pensais qu’il s’agissait d’un yacht ou d’un bateau un peu plus
grand qui était en train de laisser des gens sur la côte. J’étais loin
d’imaginer le spectacle qui m’attendait au-dessus de la baie des Cochons et de
Playa Girón. Nous n’avions que trois appareils en état de vol au moment du
décollage : deux Sea Fury et un B-26 mal armé. J’ai décollé le premier
comme chef d’escadrille ; puis Bourzac (Gustavo Bourzac Millar) et
Silva (Luis Silva Tablada) qui avaient joué un mauvais tour à Lagas (Jacques
Lagas, pilote chilien). Vingt minutes après, nous volions sur l’objectif.
Ce que je vis à six mille pieds en dessous, au premier coup d’œil que je
lançai, me fit croire que je rêvais ou qu’on projetait sous mes yeux un
documentaire ou un film de
« Je décidai de moi-même en
quelques secondes. Et je choisis la première proie : le bateau qui se
dirigeait vers Playa Larga. Je donnai des
instructions radio en code à mes compagnons et je me lançai le premier à
l’attaque. À une altitude entre cinq et sept mille pieds, nous descendîmes en
piqué sur le Houston, un transport du
type Liberty, de huit mille tonnes, bourré de troupes et de matériel militaire.
À mille cinq cents pieds, j’affinai le viseur et préparai mes quatre roquettes.
Quelque chose de curieux me tournait à l’intérieur. J’avais l’impression d’être
sur un nuage. Mon expérience consistait en quelques pratiques de tir aérien et
je ne savais pas ce qu’était une guerre.
« L’ennemi nous avait repérés,
et le feu antiaérien qui se déclencha contre nous était affolant. Des dizaines
de batteries – mitrailleuses et canons – vomissaient leur mitraille vers nous.
C’était un spectacle impressionnant que de voir le ciel illuminé par les lueurs
des balles traçantes et par les explosions de projectiles.
« Je peux assurer que ce que
nous avons tenté, c’est une action kamikaze, à la manière de pilotes suicides
japonais.
« J’actionnai le mécanisme de
déclenchement des roquettes et je suivis des yeux la route qu’elles prenaient.
J’avoue avoir été surpris de les voir faire mouche à la poupe du Houston. Le navire commença à prendre
feu et je constatai que son pilote, faisant une manœuvre désespérée, le
dirigeait vers la rive pour le faire échouer. Bourzac et Silva larguèrent aussi
leurs roquettes contre le Houston, le
touchant de plein fouet. La frégate de guerre qui l’escortait, comprenant que le bateau était perdu, car il
faisait eau, commença à zigzaguer et tourna en rond pour regagner l’entrée de
la baie et rejoindre la flotille face à Playa Girón.
« Je fis deux autres passages
sur la cible en vidant les chargeurs de mes mitrailleuses. Puis je retournai à
la base.
« Quand je sortis du cockpit,
j’étais tout excité. Jusqu’à un certain point, tout m’avais semblé si facile –
presser des boutons et voir la structure d’un bateau se défaire comme si
c’était du papier – que je voulais raconter à tout le monde ce qu’il s’était
passé. Curbelo me cita aux Opérations et je lui fis rapport. Après, ils m’ont
dit qu’ils n’avaient quasiment rien compris à ce que je disais au début, car je
confondais les caps et m’emmêlais dans mes explications. Puis, je me calmai un
peu et pus faire un rapport décent.
« Le Comandante Castro était satisfait. Nous lui avions dédié le premier
bateau.
« Je ne sais combien de temps
on mit à préparer de nouveau mon appareil. Carburant, munitions. Les
mécaniciens et les gars de l’armement fonçaient. Ils firent tout au tiers du
temps normal, selon mes calculs, et je repris l’air, emportant cette fois-ci
huit roquettes de cinq pouces. Je me dirigeai vers Playa Girón. D’en haut, je
pus voir le Houston échoué près de
Playa Larga comme un gros poisson blessé à mort. Face à Playa Girón, je pus
voir un bateau encore plus grand que le Houston.
C’était le Rio Escondido, qui était,
je le sus plus tard, l’un de ceux qui emportaient le plus de personnel et
d’équipements pour les mercenaires. Il apportait aussi la radio avec laquelle
ces canailles pensaient haranguer le peuple cubain une fois installée à terre.
Et puis aussi des camions, des pièces détachées pour les avions – leurs plans
prévoyaient la mise en état d’une base aérienne sur la piste de Playa Giron
pour que leur aviation puisse y opérer – du carburant pour les avions et
beaucoup de munitions. Le Rio Escondido
se trouvait à environ trois milles de la côte.
« Les roquettes de mon Sea Fury
partirent à la rencontre de l’énorme bateau comme des éclairs fumants.
Touché ! En plein centre. Je mets plus de temps à le raconter que le Rio Escondido en mit à éclater comme un
feu d’artifice, enveloppé dans les flammes.
« Tandis que je jouissais de
cet spectacle encore nouveau pour moi, je me rendis compte qu’un B-26
s’approchait. Je pensai que c’était l’avion de Silva, mais je me rappelai aussitôt
qu’aucun de nos B-26 ne volait à ce moment-là. Le leurre était presque parfait,
car tout ce qui distinguait cet appareil, c’était des bandes bleues sur les
ailes. Pour le reste, il était peint aux mêmes couleurs que les nôtres, avec le
drapeau cubain et l’insigne de
« Malgré
ma position avantageuse, le B-26 parvint à faire feu le premier grâce à sa
mitrailleuse de queue. Je ripostai par une longue rafale de ma calibre 50,
touchant l’un de ses moteurs. Je le vis perdre de l’altitude, en dégageant de
la fumée et descendant vers les navires de guerre qui naviguaient en bas, comme
s’il cherchait leur protection. Il s’abattit enfin en mer près de l’un d’eux.
« Je
ne sais pas si ce furent les tirs du B-26 ou ceux de
« Nous
savions tous qu’il était plus risqué de piloter n’importe lequel de nos avions
que d’échanger des tirs avec l’ennemi.
« Bien
contre mon gré, je dus rester à terre : la réparation allait prendre du
temps et je ne pourrais plus voler ce jour-là.
« Mais
j’étais extrêmement content. Bilan en ma faveur : deux gros bateaux et un
avion ennemi.
« Je
pensai que Fidel Castro devait être satisfait. Carreras avait été à la
hauteur. »
Carreras attend que les mécaniciens terminent de préparer son avion pour
repartir au combat.
Dans la journée, les pilotes mirent hors de combat, rien que sur le Houston, un bataillon complet de
mercenaires qui ne put combattre et causèrent à l’ennemi de nombreuses pertes
sur le Rio Escondido : leur
flotte complète avait pris la fuite. Je calcule que nous disposions de deux
fois moins d’avions de combat que l’ennemi.
Raúl Curbelo l’explique :
« Carreras attaqua les bateaux.
Il toucha d’abord le Houston qui
s’échoua, rentra à la base, repartit vers la baie des Cochons, attaqua le Rio Escondido et le coula. C’était le
bateau principal, parce qu’il apportait du carburant et une grande quantité de
munitions de réserve, ce qui était très important pour les objectifs que
s’étaient fixé les mercenaires.
« J’estime que ce fut le moment
clef. D’autres moments viennent ensuite, qui expliquent la défaite en
soixante-douze heures, parce que nous avions coulé un navire et endommagé un autre
avec un bataillon complet à bord, détruit des barges en cours de débarquement, tandis
que d’autres bateaux, dont l’un était El Atlántico, constatant qu’un bateau avait coulé et que
l’autre était endommagé, s’éloignèrent de la côte dont ils étaient séparés par
environ trois milles. »
Témoignage d’Harold Ferrer Martínez :
« Après l’attaque des
aéroports, vers deux heures du matin, le Commandant-en-chef m’a appelé à
Cojímar et m’a posé des questions sur les hommes que j’avais avec moi, sur
l’armement et sur les moyens de transport ; il nous a dit d’être prêts à
partir, parce que nous devrions probablement entrer en action, mais sans nous
donner de détails.
« Le 17 avril, Celia m’a
téléphoné à Cojímar, m’a informé du débarquement à Playa Girón, et le Comandante m’a donné l’ordre d’être
prêts à partir dans la matinée, et m’a laissé des instructions de partir et
d’attendre à Matanzas.
« J’étais partis chercher des
moyens de transport.
« En 1959, le Commandant-en-chef
avait réuni un groupe d’officiers de l’Armée rebelle et nous avait demandé si
nous étions prêts à aller à Minas del Frío remplir une mission. Dans le groupe,
il y avait les officiers de l’Armée rebelle Leopoldo Cintra Fría (Polo), les frères Sotomayor, les Pardo, le
capitaine Gaspar Camejo, Hugo del Río et d’autres compagnons.
« L’idée était que des
compagnons déjà formés dirigent des milliers de soldats de l’Armée rebelle, les
entraînent, leur fassent escalader onze fois le pic Turquino afin de préparer
les nouvelles colonnes qui seraient chargées de repousser n’importe agression
de l’étranger.
« C’est de là qu’est issue
cette colonne qu’il baptise lui-même du nom de José Martí. Il s’est chargé
personnellement de lui fournir les premiers transports et armement arrivés
d’Union soviétique, de distribuer les missions que chaque soldat devait
remplir. Deux colonnes ont été formées : celle d’artillerie, aux ordres de
Polo, et celle d’artillerie, sous mon
commandement. Je suis allé à la base Granma où nous avons suivi un
entraînement, puis nous sommes partis quelques jours au camp Managua et après
on s’est installé à Cojímar.
« C’était quatre compagnies
d’infanterie, une compagnie de mortiers, une compagnie de mitrailleuses et les
lance-flamme qui étaient à l’INRA, un total de six cents hommes qui nous
étaient subordonnés. Ça n’avait pas l’organisation d’un bataillon, mais celui
d’une colonne.
« Nous avons été cantonnés à
Casablanca et après à Cojímar, qui était mon casernement permanent.
« Quand l’invasion a eu lieu,
on nous a dit d’être prêts à partir et d’attendre à Matanzas. Là, on a reçu des
ordres d’attendre à la caserne de Jovellanos où nous sommes arrivés dans
l’après-midi.
« Là, nous avons reçu la mission
de nous rendre à la lagune du Trésor, et de là d’attaquer aux côtés des chars,
avec l’appui de l’artillerie, les positions que les mercenaires occupaient sur
la route allant de Pálpite à Playa Larga.
« Fidel nous a donné des
détails des caractéristiques de cette zone marécageuse dont l’accès est
difficile, avec une seule route à travers des marais et de la végétation de
chaque côté. Il nous a alertés que c’était une mission difficile, mais qu’elle
serait historique parce qu’il fallait déloger l’ennemi de ses positions.
« La 1re colonne
était formée de quelques six cents hommes, à laquelle étaient subordonnées deux
compagnies de bazookas et de lance-flammes que nous avions à l’INRA.
« Tout en recevant les ordres
de Fidel, j’ai ordonné à un chef de disperser la colonne près de
Dans l’après-midi, je suis déjà sur le théâtre d’opération et j’écris un
ordre au capitaine Fernández :
« Fernández, j’ai décidé
d’envoyer les douze autres obusiers et de les appuyer par deux batteries de
mitrailleuses multiples et par une batterie de canons antiaériens, car j’estime
très important de déclencher un barrage infernal. Tâche de tirer des tirs de
barrage avec le plus nombre possible d’obusiers. Fidel. Australia. 17 avril 61.
19 h. »
Fidel donnant des instructions pendant les combats.
Témoignage de José R. Fernández
Álvarez :
« C’est quand Fidel était là,
parce qu’il est resté jusqu’au soir, ou du moins bien tard dans l’après-midi –
dans la soirée il est allé à Pálpite – que
Témoignage de l’escorte Bienvenido Pérez Salazar (Chicho) :
« Il est resté un temps à l’Australia
et alors il a laissé Augusto Martínez comme chef d’opérations. (Le second chef était le commandant et
médecin Oscar Fernández Mell, chef de
la santé militaire). Les chars partent alors en direction des
marais, et je retourne chercher Santiago Castro, mais je ne le trouve pas, il
est resté endormi à côté de la voiture, allongé dans l’herbe. Je n’avais jamais
vu une guerre, tant s’en faut, j’étais un peu ému, et Santiago Castro était
aussi tranquille que s’il n’y avait pas de guerre. Alors, quand j’arrive là où
est Santiago Castro, Augusto Martínez apparaît et me dit : "Tu ne
peux pas t’en aller, tu dois rester avec moi ici, parce que je suis le
chef." Je lui demande : "Dites-moi, mais vous en avez discuté
avec le Comandante ?" Il me
dit : "Oui, oui, tu dois rester ici avec moi." Il se trouvait
tout seul, et il cherchait plutôt un compagnon pour l’appuyer.
« Je reste donc, mais je suis
inquiet parce que le Comandante est
dans la zone des combats. Je préparais la façon dont je pourrais échapper de
toute façon à Augusto. Non parce que c’était Augusto, que je respecte profondément,
mais parce que je suis l’escorte de Fidel, pas d’Augusto. Soudain, voilà qu’il
faut envoyer un message à Fidel pour l’informer d’un autre débarquement du côté
de Bahía Honda. Augusto cherche un guide, il fait déjà nuit, pour lui amener le
message. Alors, je dis à Augusto : "Le guide, c’est moi, je connais
cette route de jour et de nuit, parce que le Comandante vient souvent dans cette zone. Cette route, je la
connais par coeur." Je lui dis que je connais cette route les yeux fermés.
Il ne voulait pas me le donner, et il a fini par se rendre compte que j’étais
le mieux indiqué.
« Santiago Castro et moi, on
est partis pour
« C’est alors qu’il remet – à Flavio, je crois – tous ces documents, toutes
les cartes pour rentrer à
Témoignage de l’escorte Santiago Castro Mesa :
« Je suis resté pour veiller
sur la voiture, je me suis allongé dans l’herbe à côté d’elle et je me suis
endormi, et Chicho ne me trouvait
pas. Ça faisait quatre nuits qu’on ne dormait pas.
« Le 17 au soir, on a avancé
jusqu’à
« Juste un peu avant d’arriver
à
Avant de repartir pour
« Fernández. Je suis en train
de régler les munitions pour les canons. Les autres chars arriveront à
l’Australia au petit matin. Dans la journée, on décidera du moment opportun
pour les déplacer.
« Augusto restera à l’Australia.
Je vais devoir partir dans un moment pour
« En avant !
« Fidel Castro
« L’Australia, le 18 avril 61.
3 h du matin.
« P. S. Je n’ai reçu aucune
nouvelle depuis le petit papier où tu m’informais que l’ennemi diminuait son
volume de feu. »
Fidel durant les combats de Playa Girón
J’ai raconté un jour mon retour à
« "Je connaissais parfaitement
l’endroit – par exploration, par goût de la nature, par esprit guérillero – […]
je savais par où pouvaient passer les camions, les chars, je connaissais un
chemin sur la gauche qui débouchait deux kilomètres à l’ouest de Playa Larga.
J’attends donc les chars pour engager au petit matin, vers deux ou trois heures
du matin, une attaque sur ces chemins qui étaient vides, de façon à déboucher
sur leurs arrières de Playa Larga. […] je suis donc en train d’organiser
l’attaque quand – il devait être une heure ou une heure et demie du matin, je
ne saurais le préciser – on m’informe qu’une attaque est en cours à l’ouest de
« "Quand j’arrive… la
voiture n’avait pas de moyen de communication… le voyage était long, plus de
trois heures… quand j’arrive à
« On a appris des années plus
tard que la confusion avait été engendrée par une action de diversion de
« Le succès de cette manœuvre,
c’est qu’elle a permis de prolonger la résistance de l’ennemi, et ce par un
simple hasard : en effet, le seul officier présent dans la zone des combats qui
la connaissait bien était le Commandant-en-chef des Forces armées cubaines. La
défense de
De l’Australia, le capitaine Fernández informe à travers Augusto Martínez
Sánchez que l’offensive sur Playa Larga a été arrêtée et qu’il compte une
certaine quantité de morts et de blessés. Je lui réponds par la même
voie :
« 4 h 40.
« D’Augusto à Fernández :
« Fidel a reçu ton message et
m’informe de te donner les instructions suivantes:
« 1. Que tu installes toutes
les antiaériennes pour protéger nos gars.
« 2. Que les chars continuent
d’attaquer et que tu réinstalles les pièces (obusiers de
« 3. Que tu dois
installer absolument toute
« 4. Qu’il te recommande d’expédier
une troupe, du 180e bataillon ou du 144e, pour que tu
avances par Soplillar pour déboucher sur l'anse de Rosario et leur couper la
route. Couper ainsi l’ennemi en deux.
« 5. Que, s’il le faut, on peut
t’envoyer les dix chars qui sont sur le point d’arriver à Jovellanos.
« 6. Que tu peux séparer ces
dix chars en deux groupes : sur la route et par Buenaventura.
« 7. Que, s’il faut déplacer
les chars de jour, on peut t’envoyer une forte protection antiaérienne.
« 8. Fidel dit finalement qu’il faut
absolument occuper Playa Larga. »
Témoignage de José R. Fernández Álvarez :
« …l’idée de Fidel était de diviser
l’ennemi. De couper avec le 111e bataillon les unités ennemies qui étaient au nord de San Blas de
celles qui étaient à Playa Girón, et d’isoler avec le 144e celles
qui étaient à Playa Larga de celles qui étaient à Playa Girón, afin de les
séparer en trois groupes coupés les uns des autres, pour les liquider plus
vite.
« Je suis convaincu que, si on
y était arrivé, Girón serait tombé le 18. Malheureusement, le 111e bataillon ne l’a pas fait,
et le 144e non plus, et Fidel était furieux. Le guide du bataillon
que j’avais envoyé a disparu.
« Le fait est que l’opération
n’a pas bien marché, que l’ennemi situé à Playa Larga a pu fuir et rejoindre la
force principale, ce qui a contribué à la défense et à la forte résistance qu’il
a organisées à Playa Girón. »
À suivre prochainement.
Fidel Castro Ruz
Le 14 avril 2011
22 h 31
[1] Le 6 avril 1960. Le “subject” de ce memo était
: “The Decline and Fall of Castro”, et s’inscrivait dans la question :
"Inauguration by the U.S. Government of a Policy to Weaken the Cuban
Economy, April-July
[2]
Eisenhower l’entérine le 17 mars 1960.
[3]
L’armistice entre l’Espagne et les USA date du 12 août 1898.
[4] Le 20
avril 1898.
[5] Le
traité de Paris date du 10 décembre 1898.
[6] En
mai 1899.
[7] Le
couteau sous la gorge, puisque l’indépendance de Cuba occupée militairement par
les USA était à ce prix, les conventionnels cubains durent, au terme d’un
baroud d’honneur de trois mois, adopter,
par 16 voix contre 11, le 12 juin 1901, l’Amendement Platt voté par le Congrès
étasunien et sanctionné par
[8] Le 19
mai 1902, soit après presque quatre ans d’occupation militaire étasunienne.
[9] Cette citation est tirée
de l’article que Martí publie dans le journal Patria (14 juillet 1894) sous le titre de : « El día de
Juarez », le président indien du Mexique qui vainquit Maximilien,
l’empereur imposé par
Fidel avait déjà cité cette maxime de Martí le 26 septembre 1953,
quand, enfermé à part à la prison provinciale d’Oriente à la suite de l’attaque
de la caserne Moncada et au courant de la tentative de le tuer avant son
procès, il adresse au Tribunal d’urgence une requête qu’il conclut sa lettre
sur ces mots : « Pour ma part, si
je devais pour protéger ma vie céder un iota de mon droit ou de mon honneur, je
préfère la perdre mille fois : "Un principe juste du fond d’une
caverne peut plus qu’une armée". »
[10] Les quatre-vingt-deux expéditionnaires du Granma débarquent à Cuba le 2 décembre 1956. Le 5, ils sont surpris
par l’armée à Alegría del Pío et dispersés : 3 combattants sont tués dans
le combat ; 18 sont assassinés dans les jours suivants ; 21 sont
arrêtés ; 19 parviennent à échapper à l’encerclement de l’armée et 6
rejoindront à nouveau la guérilla pendant 1957. Le 18 décembre, le groupe
conduit par Fidel et celui de son frère Raúl s’unissent enfin à Cinco
Palmas : ce sont huit hommes possédant à peine sept fusils. C’est alors
que Fidel pousse la fameuse exclamation : « Cette fois-ci, la guerre
est gagnée ! ». Le lendemain, Calixto Morales les rejoint, puis le
groupe que dirige Juan Almeida. Bref, c’est un total de seize combattants qui,
le 25 décembre 1956, s’enfonce dans
[11]
[12] José Miró Cardona, politicien d’avant
[14] Le 23 avril 1961, dans le
cadre du programme de télévision « Université populaire », Fidel
analyse en long et en large pendant plusieurs heures, s’aidant de plans et de
graphiques, les tenants et les aboutissants de l’invasion mercenaire.
Impressionnante capacité de survoler les événements, tout comme il le fera, un
an et demi plus tard, au sujet de la crise des Fusées (octobre 1962). On trouve
cette intervention télévisée in Playa
Giron. Derrota del imperialismo,
[15] Entretiens accordés par Fidel à des journalistes suédois venus filmer
un documentaire pour la télévision de leur pays. Fidel parcourt avec eux les lieux
de la province d’Oriente qui marquèrent l’histoire de Cuba entre 1953 et
1958 : Santiago de Cuba avec la caserne Moncada et la ferme Siboney ;
la plage Las Coloradas où débarquèrent les expéditionnaires du Granma début décembre 1956 ;
[16] Autrement dit, la première colonne installée dans la Sierra Maestra et
commandée directement par Fidel.
[17] Fidel Castro Ruz, Por todos los caminos de la Sierra. La Victoria Estratégica, La
Havane, 2010, Oficina de Publicaciones del Consejo de Estado, 858 pp. et De la Sierra Maestra a Santiago de Cuba. La
Contraofensiva Estratégica, La Havane, 2010, Oficina de Publicaciones del
Consejo de Estado, 595 pp.
[18] Le deuxième front ouvert en février 1958, dans
[19] L’Invasion : on connaît
sous ce nom (rattaché aux guerres d’Indépendance cubaines du XIXe
siècle) l’envoi du Che Guevara et de Camilo Cienfuegos à la tête de deux
colonnes séparées pour porter la guerre jusque dans l’Ouest de l’île et y
ouvrir de nouveaux fronts, le premier dans la province de Las Villas
(l’Escambray), le second en Pinar del Río, en août 1958, une fois repoussée
l’offensive de Batista contre la Sierra Maestra.
[20] Quintín Pino Machado, La Batalla de Girón. Razones de una victoria, La Havane, 1983,
Editorial de Ciencias Sociales, pp. 112-113.