Réflexions du compañero Fidel
ENTRE
L’ÉMIGRATION ET LE CRIME
Les Latino-Américains ne sont pas des criminels nés et ils n’ont pas
inventé les drogues.
Les Aztèques, les Mayas et d’autres groupes humains précolombiens du
Mexique et d’Amérique centrale étaient d’excellents agriculteurs et ne
cultivaient pas la coca.
Les Quechuas et les Aymaras produisaient des aliments nutritifs sur des
terrasses parfaitement alignées qui suivaient les courbes de niveau des Andes.
Ils cultivaient le quinoa, une céréale riche en protéines, et la pomme de terre
sur la puna, parfois à plus de trois ou quatre mille mètres d’altitude.
Ils connaissaient et cultivaient aussi la coca, dont ils mâchaient les
feuilles pour alléger les rigueurs de l’altitude. Son usage actuel remonte donc
à la nuit des temps, à l’instar de produits cultivés par d’autres peuples comme
le café, le tabac ou le vin.
La coca est originaire des versants abruptes des Andes amazoniennes. Les
habitants la connaissaient depuis bien avant l’Empire inca dont le territoire,
à son apogée, s’étendait du sud de
Mâcher la feuille de coca devint un privilège des empereurs incas et de la
noblesse durant les cérémonies religieuses.
Une fois disparu l’Empire inca à la suite de l’invasion espagnole, les
nouveaux maîtres stimulèrent la mastication traditionnelle de la feuille de
coca pour que les indigènes puissent travailler plus longtemps dans la journée,
et ce droit a perduré jusqu’à ce que
Presque tous les pays la signèrent. C’est à peine si l’on discutait les
questions relatives à la santé. Le trafic de cocaïne n’atteignait pas encore sa
gigantesque ampleur actuelle. Depuis, de très graves problèmes ont surgi qui
exigent des analyses profondes.
L’ONU affirme avec délicatesse, au sujet de cette question épineuse du
rapport entre la drogue et la criminalité organisée : « L’Amérique
latine n’est pas efficace dans son combat contre la criminalité. »
Les informations publiées par différentes institutions varient à cause du
caractère sensible de cette question. Les données sont parfois si complexes et si
nombreuses qu’elles peuvent induire en erreur. En tout cas, ce qui est
incontestable, c’est que le problème s’aggrave, et très vite.
Voilà presque un mois et demi, le 11 février 2011, le Conseil citoyen pour
la sécurité publique et la justice du Mexique a publié un rapport qui offre des
données intéressantes sur les cinquante villes les plus violentes au monde compte
tenu des homicides commis en 2010 : le Mexique en réunit le quart. Et,
pour la troisième année consécutive, Ciudad Juárez, à la frontière étasunienne,
occupe le premier rang.
Le rapport affirme : « Cette année, le taux d’assassinats à
Juárez a été supérieur de 35 p. 100 à celui de Kandahar, en Afghanistan, qui
occupe la seconde place, et de 941 p. 100 à celui de Bagdad », autrement
dit presque dix fois plus que la capitale iraquienne, qui apparaît au
cinquantième rang de la liste.
San Pedro Sula, au Honduras, occupe la troisième place avec 125 assassinats
pour 100 000 habitants, seulement dépassée par Ciudad Juárez, au Mexique,
avec 229 et Kandahar, en Afghanistan, avec 169.
Tegucigalpa, au Honduras, occupe la sixième place, avec 109 assassinats
pour 100 000 habitants.
Ainsi donc, le Honduras, le pays où se trouve la base aérienne étasunienne
de Palmerola où un coup d’État a été fomenté sous l’administration Obama,
compte deux villes parmi les six premières au monde en matière d’assassinat. La
capitale du Guatemala atteint 106.
Toujours selon ce rapport, Medellín (Colombie) figure parmi les villes les
plus violentes d’Amérique et du monde avec 87,42 assassinats.
Le discours du président étasunien Barack Obama en El Salvador et sa
conférence de presse postérieure m’imposent le devoir de publier ces lignes sur
ce point.
Dans mes Réflexions du 21 mars, je l’ai critiqué pour son manque
d’éthique : n’avoir même pas mentionné au Chili le nom de Salvador
Allende, un symbole de dignité et de courage pour le monde entier, mort des
suites du coup d’État fomenté par un président étasunien.
Comme il devait se rendre le lendemain en El Salvador, un pays
centraméricain qui symbolise les luttes des peuples de Notre Amérique et qui a
été parmi ceux qui ont le plus souffert de la politique des USA sur notre
sous-continent, j’ai écrit : « Là, il va falloir qu’il s’ingénie pas
mal, parce que les armes et les instructeurs reçus des administrations
étasuniennes ont fait couler bien du sang dans ce pays frère. Je lui souhaite
un bon voyage et un peu plus de… bon sens. »
Je dois avouer qu’il a été un peu plus délicat à cette dernière étape de sa
tournée latino-américaine.
Tous les Latino-Américains, croyants ou non, admirent monseigneur Oscar
Arnulfo Romero et les six jésuites lâchement assassinés par les nervis que les
Etats-Unis ont entraînés, soutenus et armés jusqu’aux dents. Le FMLN, une
organisation militante de gauche, livra en El Salvador une des luttes les plus
héroïques de notre continent, et le parti issu des rangs de ses glorieux
combattants – dont l’histoire profonde n’a pas encore été écrite – fut élu par
le peuple à la présidence du pays.
Il est urgent en tout cas de se colleter avec le dilemme dramatique que vit
non seulement El Salvador, mais encore le Mexique, le reste de l’Amérique
centrale et l’Amérique du Sud.
Obama en personne a affirmé qu’environ deux millions de Salvadoriens, soit
30 p. 100 des habitants, vivaient aux USA où des centaines de milliers
d’habitants ont été contraints d’émigrer à cause de la répression brutale
orchestrée contre les patriotes et du pillage systématique de ce pays par les
États-Unis.
Ce qu’il y a de nouveau, c’est qu’à la situation désespérée des
Centraméricains, sont venus s’ajouter le pouvoir incroyable des bandes terroristes, le trafic d’armes sophistiquées
et la demande de drogues en provenance du marché étasunien.
Dans le bref discours qu’il a
prononcé avec son visiteur, le président salvadorien a affirmé :
« J’ai insisté devant lui sur
le fait que la criminalité organisée, le trafic de drogues, l’insécurité des
citoyens n’étaient pas des questions qui inquiétaient uniquement El Salvador, le
Guatemala, le Honduras ou le Nicaragua, ni même le Mexique ou
« J’ai insisté sur le fait que
cette question ne devait pas être abordée seulement par la répression de la
criminalité à travers le renforcement de nos polices et de nos armées, mais
qu’il fallait aussi mettre l’accent sur la prévention du délit et que la
meilleure arme pour combattre la délinquance en soi dans la région était par
conséquente d’investir dans des politiques sociales. »
Le président étasunien a
répondu :
« Le président Funes s’est
engagé à créer plus de possibilités économiques ici, en El Salvador, pour que
les gens ne soient pas obligés à se rendre dans le Nord pour maintenir leur
famille.
« Je sais que c’est
particulièrement important pour les quelques deux millions de Salvadoriens qui
vivent et travaillent aux États-Unis. […] J’ai donc informé le président des
nouvelles lois de protection du consommateur que j’ai signées et qui informent
mieux les gens et garantissent que les envois de fonds familiaux parviennent à
leurs destinataires.
« Nous engageons aussi de
nouveaux efforts pour faire face aux trafiquants de drogues et aux gangs qui
ont provoqué tant de violence dans tous nos pays, en particulier ici en
Amérique centrale. […]
« …nous dégagerons deux cent
millions de dollars pour appuyer les efforts ici dans la région, y compris pour
aborder… les facteurs sociaux et économiques qui poussent les jeunes à la
délinquance. Nous aiderons à renforcer les tribunaux, les groupes de la société
civile et les institutions qui défendent la légalité. »
Rien de mieux pour exprimer
l’essence même d’une situation douloureuse et triste.
Le fait est que de nombreux jeunes
centraméricains sont poussés par l’impérialisme à tenter de traverser une
frontière toujours plus rigide et plus infranchissable ou de prêter service aux
richissimes gangs de narcotrafiquants.
J’ai une question à poser à
Obama : Ne serait-il pas juste que les États-Unis promulguent une Loi
d’ajustement pour tous les Latino-Américains, à l’image de celle qu’ils ont inventée
pour punir Cuba voilà plus d’un demi-siècle ? La quantité de personnes qui
meurent à la frontière des USA ou qui meurent d’ores et déjà chaque année par
dizaine de milliers dans les peuples auxquels vous offrez une « Alliance
entre égaux » continuera-t-elle de croître à l’infini ?
Fidel
Castro Ruz
Le 25 mars
2011
20 h 46