Ce n’est pas une question d’optimisme ou de
pessimisme, de connaissance ou d’ignorance de choses élémentaires, de
responsabilité ou d’irresponsabilité face aux événements. Il faudrait jeter à
la poubelle de l’Histoire ceux qui se targuent d’être des hommes politiques alors
qu’en règle générale, ils ignorent tout
ou presque tout de ce qui a trait à cette activité.
Je ne parle pas bien entendu de ceux qui, au long
de plusieurs millénaires, ont converti la chose publique en instrument de
pouvoir et de richesse au profit des classes privilégiées, établissant en
l’occurrence de véritables records de cruauté durant les huit ou dix mille
dernières années, celles durant lesquelles nous possédons des vestiges certains
de la conduite sociale de notre espèce d’êtres pensants dont l’existence, selon
les scientifiques, ne dépasse guère les cent quatre vingt mille ans.
Je n’ai pas l’intention de me lancer dans des
thèmes pareils qui ennuieraient assurément la quasi-totalité des gens
continuellement bombardées de nouvelles fournies par les médias, qui vont
depuis la parole écrite jusqu’aux images tridimensionnelles que les cinémas
coûteux commencent à projeter, au point qu’elles finiront sous peu par
prédominer sur les écrans de télévision aux images déjà fabuleuses en soi. Il
n’est pas fortuit que l’industrie dite des loisirs soit installée au cœur même
de l’Empire qui nous tyrannise tous.
Je prétends juste me situer au point de départ
actuel de notre espèce pour parler de la marche à l’abîme. Si je parlais d’une
marche « inexorable », je serais d’ailleurs bien plus près de la
vérité. L’idée d’un jugement dernier apparaît implicitement dans les doctrines
religieuses les plus pratiquées parmi les habitants de notre planète, que nul
ne qualifie pour autant de pessimistes. J’estime au contraire que le devoir
élémentaire de toutes les personnes sensées et sérieuses, qui sont des
millions, est de se battre pour reculer, voire, qui sait, pour empêcher cet
événement dramatique et proche dans le monde actuel.
De nombreux périls nous menacent, mais deux
d’entre eux, la guerre nucléaire et les changements climatiques, sont décisifs
et leur solution ne cesse de s’éloigner toujours plus.
Le verbiage démagogique, les déclarations et
les discours au sujet de ces deux points auxquels recourent les États-Unis et
leurs alliés puissants et inconditionnels qui imposent leur tyrannie au monde
ne font aucun doute.
Le 1er janvier 2012 – qui marque le
nouvel an en Occident et dans la chrétienté et qui coïncide avec l’anniversaire
de la victoire de
Mes mots n’auraient aucun sens s’ils visaient à
imputer la moindre faute au peuple étasunien et à celui de n’importe quel pays
allié des États-Unis dans cette aventure insolite : ils seraient
inévitablement, tout comme les autres peuples du monde, les victimes de la
tragédie. On a vu récemment en Europe et ailleurs l’indignation de ceux que le
chômage, les pénuries, les réductions de revenus, les dettes, la
discrimination, les mensonges et la politicaillerie poussent à protester
massivement, même s’ils sont brutalement réprimés par les gardiens de l’ordre en
place.
On parle de plus en plus fréquemment de
technologies militaires pouvant toucher la totalité de notre planète, le seul
satellite habitable connu à des centaines d’années-lumière à la ronde, à moins
qu’un autre ne nous soit accessible si nous nous déplaçons à la vitesse de la
lumière, soit trois cent mille kilomètres par seconde.
On ne saurait ignorer que si notre merveilleuse
espèce pensante disparaissait, bien des millions d’années s’écouleraient avant
que n’en surgisse un autre capable à son tour de penser, en vertu des principes
naturels qui régissent l’évolution des espèces découverte en 1859 par Darwin et
admise aujourd’hui par tous les scientifiques sérieux, qu’ils soient croyants
ou non.
À aucune autre époque de son histoire,
l’humanité n’a connu les périls actuels. Ceux qui comme moi ont plus de
quatre-vingt-cinq ans ont passé leur bac à dix-huit ans alors que la première
bombe atomique n’avait pas encore été fabriquée.
De nos jours, les engins de cette nature prêts
à l’emploi – incomparablement plus puissants que ceux qui produisirent une
chaleur solaire sur les villes d’Hiroshima et de Nagasaki – se comptent par
milliers.
On dénombre aujourd’hui plus de vingt mille ogives
nucléaires, entre celles qui sont entreposées dans les dépôts et celles qui
sont déjà déployées en vertu d’accords.
Il en suffirait d’une centaine pour provoquer
un hiver nucléaire qui infligerait en peu de temps une mort épouvantable à tous
les êtres humains, comme l’a expliqué brillamment, à partir de données
informatiques, Alan Robock, scientifique et professeur à l’Université de
Rugers, dans le New Jersey.
Ceux qui lisent normalement les nouvelles et
les analyses internationales sérieuses savent que le danger d’une guerre à
armes atomiques s’aggrave à mesure que la tension grandit au Proche-Orient où
le gouvernement israélien en dispose de centaines parfaitement opérationnelles,
même si nul n’infirme ni ne confirme le statut d’Israël de forte puissance
nucléaire. Les tensions s’accroissent aussi autour de
L’affirmation des États-Unis selon laquelle le
bouclier nucléaire européen vise à protéger aussi
L’humanité, en revanche, ne jouit, elle,
d’aucune garantie. L’espace sidéral est saturé, à proximité de notre planète,
de satellites étasuniens qui épient ce qu’il se passe jusque sur les balcons
des logements de n’importe quelle nation du monde. La vie et les habitudes de
chaque famille ou de chaque personne sont maintenant l’objet
d’espionnage ; les conversations sur téléphone mobile de centaines de millions de personnes partout dans le monde ont cessé
d’être privées pour devenir un matériau d’information pour les services secrets
étasuniens.
Tel est le droit qu’il reste aux citoyens de
notre monde en vertu des actes d’un État dont
La guerre reste donc une tragédie qui peut advenir
et qui, très probablement, surviendra. Mais, à supposer que l’humanité soit
capable de l’ajourner pour une période indéfinie, un autre fait tout aussi
dramatique s’impose désormais à un rythme croissant : les changements
climatiques. Je me bornerai à signaler ce que des scientifiques et des
communicateurs éminents de stature mondiale ont expliqué dans des documents et
des films que nul ne conteste.
L’on sait que le gouvernement étasunien s’est
opposé aux accords de Kyoto sur l’environnement, sans même concilier cette
ligne de conduite avec ses plus proches alliés dont les territoires
souffriraient énormément et dont certains, telle
La planète ne dispose plus aujourd’hui de
politique sur ce grave problème, tandis que le niveau de la mer s’élève, que
les énormes couches de glace qui couvrent l’Antarctique et le Groenland – où
s’accumule plus de 90 p. 100 de l’eau potable du monde – fondent à un rythme
croissant et que l’humanité compte officiellement, depuis le 30 novembre
dernier, une population de sept milliards d’habitants dont la croissance dans
les régions les plus pauvres du monde est soutenue et inévitable.
Ceux qui se sont consacrés, ces cinquante
dernières années, à bombarder des pays et à tuer des millions de personnes pourraient-ils
d’ailleurs s’inquiéter du sort des autres peuples ? Les États-Unis sont
aujourd’hui non seulement les fauteurs de ces guerres, mais encore les plus
gros fabricants et les plus gros exportateurs d’armes au monde.
Ce puissant pays, on le sait, vient de
souscrire avec le royaume d’Arabie saoudite – d’où ses transnationales et
celles de ses alliés tirent tous les jours dix millions de barils de pétrole
léger, soit un milliard de dollars – un accord portant sur la livraison
d’armements pour soixante milliards de dollars. Qu’adviendra-t-il de ce pays et
de la région quand ces réserves d’énergie seront épuisées ? Notre monde
globalisé ne saurait admettre sans ciller ce gaspillage colossal de ressources
énergétiques que
Cette situation s’est aggravée d’une manière
considérable ces douze derniers mois compte tenu de nouvelles avancées
technologiques qui, loin d’alléger la tragédie qu’entraîne la déprédation des
combustibles fossiles, l’empire toujours plus.
Des hommes de science et des chercheurs de
prestige mondial ne cessent de signaler les conséquences dramatiques des
changements climatiques.
Le réalisateur français Yann Arthus-Bertrand a,
dans un documentaire datant de mi-2009 et élaboré en collaboration avec des
personnalités internationales prestigieuses et bien informées, alerté le monde
de ce qu’il advenait à partir de données irréfutables. Se fondant sur des
arguments solides, il a exposé les conséquences néfastes qu’impliquait le fait
de consommer en moins de deux siècles les ressources énergétiques créées par la
nature durant des centaines de millions d’années, le pire étant non seulement
cette dilapidation colossale, mais les conséquences suicidaires qu’elle aurait
sur l’espèce humaine. Parlant de l’existence même de la vie, il reproche à
celle-ci : « Tu bénéficies de l’héritage fabuleux de quatre milliards
d’années que t’a légué
Il n’accusait personne – ce n’était pas son
propos – il dénotait simplement une réalité objective. Mais aujourd’hui, nous
devons nous accuser tous de le savoir et de ne rien faire pour tenter d’y
remédier.
Les réalisateurs de ce film y incluent des
images et des concepts, des mémoires, des données et des idées que nous avons
le devoir de connaître et de prendre en considération.
Plus récemment, deux autres réalisateurs
français ont présenté un documentaire tout aussi fabuleux, Océans, jugé par la critique cubaine comme le meilleur film de
l’année : de mon point de vue, peut-être même le meilleur de cette époque.
Il éblouit par la précision et la beauté
d’images qu’aucune caméra n’avait jamais filmées auparavant. Les réalisateurs y
ont investi huit années et cinquante millions d’euro. L’humanité devrait leur
savoir gré d’exprimer ainsi les principes de
Les motifs pour lesquels je me fais un devoir
d’écrire ces lignes-ci ne sont pourtant pas les faits que j’ai signalés plus
haut et que j’ai déjà commentés auparavant d’une façon ou d’une autre, mais
d’autres qui, manipulés au gré des intérêts des transnationales, ont vu le jour
ces derniers mois au compte-gouttes et qui prouvent définitivement, à mes yeux,
la confusion et le chaos politique régnant dans notre monde.
C’est voilà à peine quelques mois que j’ai lu
pour la première fois des informations sur le gaz de schiste, selon lesquelles
les États-Unis disposaient de réserves suffisantes pour satisfaire leurs
besoins de ce combustible pendant cent ans. Comme j’ai maintenant du temps pour
approfondir sur des thèmes politiques, économiques et scientifiques qui peuvent
vraiment être utiles à nos peuples, je suis entré discrètement en contact avec
plusieurs personnes vivant à Cuba ou à l’étranger. Curieusement, aucune d’elles
n’en avait jamais entendu parler. Ce n’était pas la première fois, bien
entendu, que ça arrivait : on s’étonne d’ailleurs de constater à quel
point des faits importants en soi sont occultés sous une véritable marée
d’informations mêlées à des centaines ou à des milliers de nouvelles circulant
à travers la planète.
J’ai continué toutefois à m’intéresser à cette
question. Quelques mois à peine se sont écoulés et le gaz de schiste a disparu
des médias. On disposait toutefois à la veille du nouvel an d’assez de
renseignements pour voir clairement que le monde marche à l’abîme, menacé par
des périls dont la gravité est aussi extrême que la guerre nucléaire et les
changements climatiques. J’ai déjà parlé des deux premiers ; du troisième,
je me bornerai pour aller vite à exposer des faits déjà connus et d’autres à
connaître qu’aucun cadre politique ni nulle personne sensée ne saurait ignorer.
J’observe ces deux faits – je l’affirme sans
hésitation – avec la sérénité des années que j’ai vécues en cette phase spectaculaire
de l’histoire humaine qui ont contribué à l’éducation de notre peuple vaillant
et héroïque.
Le gaz se mesure en TCF, qui peut signifier des
pieds ou des mètres cubes[1]
– on ne précise pas toujours s’il s’agit de l’un ou de l’autre – en fonction du
système de mesures appliqué dans un pays donné. Par ailleurs, quand on parle de
billion, il s’agit d’un million de million, à ne pas confondre avec le billion
étasunien qui équivaut au milliard (le billion français équivalant, lui, au trillion étasunien). Ce sont là des
différences dont il faut tenir compte quand on parle de volumes qui sont
généralement, pour ce qui est du gaz, très importants. Je le signalerai le cas
échéant.
Daniel Yergin, auteur étasunien d’un gros
classique sur l’histoire du pétrole, a affirmé, selon l’agence de presse IPS,
que le tiers du gaz produit aux USA provenait d’ores et déjà du schiste :
« …l’exploitation d’une plateforme dotée de six puits peut consommer
170 000 mètres cubes d’eau, voire provoquer des effets nuisibles, par
exemple influer sur les mouvements sismiques, polluer les eaux souterraines et
superficielles, et endommager le paysage. »
Le groupe britannique BP informe de son
côté :
« Les
réserves prouvées de gaz conventionnel ou traditionnel de la planète se chiffrent
à 6 608 billions – million de millions – de pieds cubes, soit 187 billions
de mètres cubes […] les dépôts les plus importants se trouvant en Russie (1 580
TCF), en Iran (1 045), au Qatar (894), et en Arabie saoudite et au
Turkménistan, avec 283 TCF chacun. » Il s’agit du gaz déjà produit et
commercialisé.
« Une
étude de l’EPA – une agence énergétique du gouvernement étasunien – publiée en
avril 2011 mentionne pratiquement les mêmes volumes (6 620 TCF ou
187,4 billions de mètre cubes) de shale
gas récupérables dans à peine trente-deux pays, les géants étant
Le shale
gas est le gaz de schiste,
également appelé « gaz de roche-mère » ou « gaz
de shale ». Remarquez que l’Argentine et le Mexique comptent des réserves
presque égales à celles des USA.
« …des
pays qui ont toujours dépendu de fournisseurs étrangers disposeraient d’une
forte base de ressources pour leur consommation. C’est le cas de
L’IPS explique :
« Pour
l’extraire des schistes, on recourt à une méthode dite de fracturation
hydraulique, qui consiste à injecter de grandes quantités d’eau à haute
pression mêlée à du sable et à des additifs chimiques. L’empreinte carbone
(proportion de dioxyde de carbone libéré dans l’atmosphère) est bien supérieure
à celle qu’engendre la production de gaz conventionnel. »
« Quand
on bombarde des couches de l’écorce terrestre par de l’eau et d’autres
substances, on aggrave le risque d’endommager le sous-sol, les sols, les nappes
phréatiques profondes et superficielles, le paysage et les voies de
communication si les installations de forage et les moyens de transport de la
nouvelle richesse sont défectueux ou mal manipulés. »
Qu’il suffise de signaler que, parmi les
nombreuses substances chimiques qu’on mêle à l’eau afin d’extraire le gaz, on
trouve le benzène et le toluène qui sont des substances terriblement
cancérigènes.
Lourdes Melgar, experte de l’Instituto
Tecnológico y de Estudios Superiores de Monterrey, estime :
« "C’est
un technique qui suscite de nombreux débats et ce sont des ressources situées
dans des zones où l’eau n’existe pas."
« Les
schistes gaziers – affirme l’IPS – sont des réservoirs d’hydrocarbures non
conventionnels retenus dans les roches qui les enferment, si bien qu’on recourt
à la fracturation hydraulique pour les libérer à grande échelle.
« La
production de gaz de schiste implique de gros volumes d’eau ; le forage et
la fracturation engendrent de grandes quantités de résidus liquides qui peuvent
contenir des substances chimiques dissoutes et d’autres polluants qu’il faut traiter
avant de les rejeter.
« La
production de gaz de schiste est passée de 11,037 milliards de m3 en
2000 à 135,84 milliards en 2010. À ce rythme de croissance, elle permettra en
2035 de satisfaire 45 p. 100 de la demande de gaz général, selon l’EPA.
« Des
études scientifiques récentes ont alerté au sujet de l’impact négatif du gaz de
schiste sur l’environnement.
« Les
professeurs de l’Université de Cornell (USA), Robert Howarth, Renée Santoro et
Anthony Ingraffea, ont conclu dans leur étude « Methane and the
Greenhouse-Gas Footprint of Natural Gas from Shale Formations », publiée
en avril dernier dans la revue Climatic
Change, que cet hydrocarbure était plus polluant que le pétrole et le gaz.
« "L’empreinte carbone est
supérieure à celle du gaz conventionnel ou du pétrole, analysée à tout horizon
temporel, mais surtout sur un délai de vingt ans. Comparée au charbon, elle est
au moins supérieure de 20 p. 100, voire de plus du double, sur vingt ans",
souligne cette étude.
« Le
méthane est l’un des gaz à effet de serre les plus polluants de tous ceux qui
sont responsables de l’élévation de la température sur la planète.
« "Dans
les zones d’extraction active (un ou deux puits au kilomètre), les
concentrations moyennes et maximales de méthane dans des puits d’eau potable
ont augmenté à proximité du puits gazier le plus proche et ont constitué un
danger d’explosion potentielle", écrivent Stephen Osborn, Avner Vengosh,
Nathaniel Warner et Robert Jackson, de l’Université publique de Duke.
« Ces
indicateurs remettent en cause l’argument de l’industrie selon laquelle le
schiste peut se substituer au charbon dans la production d’électricité et qu’il
peut donc être un ressource permettant de réduire les changements climatiques.
« "C’est
une aventure trop prématurée et trop risquée".
« En
avril 2010, le département d’État étasunien a lancé l’Initiative mondiale du
gaz de schiste pour aider les pays qui cherchent à exploiter cette ressource à
l’identifier et à la développer, au profit économique éventuel des
transnationale des USA. »
J’ai dû forcément m’étendre. Je rédige ces
lignes pour le site web CubaDebate et pour la chaîne Telesur, l’un des chaînes d’information
les plus sérieuses et les plus honnêtes de notre monde si mal en point.
Pour aborder cette question, j’ai laissé passer
les fêtes du Nouvel An et de l’ancien.
Fidel Castro
Ruz
Le 4 janvier 2012
21 h 15